Chapitre 5
À l'étape suivante, tandis qu'on installait le campement, Angélique aperçut une femme indienne qui courait, portant sur la tête un objet insolite. Elle la fit poursuivre et l'Indienne ramenée ne se fit pas prier pour exhiber l'objet en question qui était un énorme pain de fleur de froment. Elle l'avait échangé, ce jour, contre six peaux de loutres noires au poste de traite du Hollandais ainsi qu'une chopine d'eau-de-vie pour deux renards argentés. Elle retournait à son campement, où elle avait encore des fourrures. Le poste du Hollandais était bien achalandé, affirmait-elle.
Il s'annonça par une sympathique odeur de boulangerie. Les Indiens étaient friands de pain de blé, et, à la saison du troc, le commis du traitant ne cessait d'enfourner des miches dans un grand four en briques. Le poste était construit sur une île. Dans l'espoir, peut-être vain, que cela lui éviterait de subir le sort des établissements précédents qui s'étaient fondés depuis cinquante ans autour du grand village de Houssnock1, et qui avaient été à plusieurs reprises pillés, brûlés, rasés sous différents prétextes.
Houssnock n'était même plus aujourd'hui une simple bourgade. Seuls le nom et l'habitude pour les tribus nomades descendant vers le sud de faire halte en cet endroit restaient. À partir de là, en effet, où commençait à se faire sentir le mouvement des marées, on se trouverait dans l'embouchure du Kennebec et, malgré la limpidité des eaux, vastes, calmes et puissantes qui coulaient entre les rives forestières, on devinait à toutes sortes d'indices que la mer était proche.
Il y avait comme une saveur salée dans l'air plus humide, et les Indiens de la région, les Wawenokes et Kanibas, plutôt que de s'oindre de graisse d'ours, s'enduisaient de la tête aux pieds d'huile de loups-marins, nom qu'ils donnaient aux phoques dont ils faisaient la chasse durant l'hiver sur les côtes de l'Océan. De forts effluves de poissonneries se mêlaient donc aux effluves du pain chaud et aux senteurs sauvages des fourrures amoncelées, pour composer autour du poste de traite une symphonie olfactive puissante mais peu faite pour les odorats délicats. Il y avait longtemps qu'Angélique ne se préoccupait plus de ces détails. Le grouillement de fourmilière qui noircissait le fleuve autour de l'île lui parut de bon augure. On devait trouver là des trésors de marchandises inédites.
L'île abordée, chacun se dispersa à la recherche d'une occasion, d'une affaire. Joffrey de Peyrac fut presque aussitôt abordé par quelqu'un qu'il devait connaître et qui se mit à lui parler dans une langue étrangère.
– Viens, dit Angélique à la petite Anglaise Rose-Ann, nous allons d'abord nous désaltérer car je suppose que l'on peut trouver ici de la bière bien fraîche. Ensuite, nous ferons nos emplettes, comme à la Galerie du Palais.
Elles finissaient par se débrouiller assez bien entre elles pour la question du langage, car, ces derniers mois, prenant Cantor pour magister à l'occasion, Angélique s'était exercée à la langue anglaise. Sa pupille d'ailleurs n'était guère bavarde. Son visage lisse et pâle, à la mâchoire un peu prognathe, avait une précoce expression de sagesse rêveuse. Elle paraissait parfois égarée, légèrement abrutie.
C'était cependant une gentille enfant car, au moment du départ de Wapassou, elle avait laissé sans hésitation sa poupée à Honorine. Et pourtant cette poupée, la petite captive mourante avait eu l'habileté et la force d'amour de la dissimuler dans son corsage afin qu'elle ne tombât pas entre les mains des Indiens.
Honorine avait apprécié le présent. Entre le jouet merveilleux et son ours apprivoisé, elle saurait attendre sans trop d'impatience le retour de sa mère. Malgré cela, Angélique continuait à regretter sa présence. La petite bonne femme aurait tellement joui de l'animation de ce poste où la traite battait son plein. Le Hollandais, gérant et représentant de la Compagnie de la baie du Massachusetts, trônait au milieu de la cour, en rhingrave noire, juponnante et poussiéreuse. Pour l'heure, un mousquet à la main, il mesurait un paquet de peaux de castor. La hauteur d'un canon de fusil représentait quarante peaux. Le bâtiment était modeste, bâti de bardeaux passés au brou de noix. Angélique et Rose-Ann pénétrèrent dans une grande salle. Deux fenêtres garnies de petits losanges de verres plombés y versaient une clarté suffisante tout en conservant la pénombre propice à la fraîcheur. Malgré les allées et venues des Indiens, nécessitées par le marchandage, une certaine propreté régnait, ce qui en disait long sur la poigne énergique et le don d'organisation du maître de ces lieux.
Sur la droite, il y avait un long comptoir garni de balances, de pesons et de récipients et mesures divers dans lesquels on versait les perles et la quincaille pour les débiter. Au-dessus et le long d'une partie des murs, des rayons de planches superposées supportaient des marchandises parmi lesquelles Angélique distinguait déjà des couvertures, des bonnets de laine, des chemises et du linge, de la cassonade et du sucre blanc, des épices, des biscuits. Il y avait aussi des tonneaux de pois, de fèves, de pruneaux, de lard salé et de poisson fumé. Un grand âtre de briques flanqué d'ustensiles de cuisine ne servait en ce jour très chaud qu'à mijoter sur quelques braises le repas sans doute frugal du traitant et de ses commis. Sur le rebord de l'auvent était posée une série de pichets, de bocks et de gobelets d'étain, réservés aux clients désireux de consommer la bière dont la barrique imposante, ouverte à tous, trônait en bonne place. De profondes louches accrochées au rebord permettaient à chacun de se servir à son gré. Une partie de la salle tenait lieu de taverne, avec deux grandes tables de bois garnies d'escabeaux, plus quelques tonneaux renversés pour compléter l'aménagement en cas d'affluence ou pour les buveurs solitaires. Des hommes étaient assis par là, enveloppés dans les nuages de fumée bleue.
Lorsque Angélique entra, personne ne bougea, mais des têtes se tournèrent lentement et des yeux luirent. Après avoir salué alentour, elle prit deux gobelets d'étain sur l'auvent de la cheminée. Boire un peu de bière fraîche était une nécessité urgente. Mais pour atteindre la barrique il lui fallait déranger un chef indien qui, drapé dans son manteau brodé, pétunait d'un air endormi, à l'extrémité d'une des tables. En langue abénakis, elle le salua avec les circonlocutions d'usage et le respect dû à son rang que révélaient ses plumes d'aigle plantées dans son chignon noir à longues tresses. L'Indien parut sortir de son rêve nébuleux et se dressa subitement. Ses yeux s'éclairèrent, pétillèrent. Il la considéra quelques instants avec étonnement et enchantement, puis, posant une main sur son cœur, il tendit la jambe droite en avant et s'inclina dans un salut de cour impeccable.
– Madame, comment me faire pardonner ? fit-il en excellent français. Je m'attendais si peu à une telle apparition. Permettez-moi de me présenter : Jean-Vincent d'Abbadie, seigneur de Rasdacq et d'autres lieux, baron de Saint-Castine, lieutenant du roi en sa forteresse de Pentagoët, pour le gouvernement de ses possessions en Acadie.
– Baron, vous me voyez ravie de vous rencontrer. J'ai beaucoup entendu parler de vous...
– Et moi-même, madame... Non, inutile de vous nommer. Je vous reconnais, quoique ne vous ayant jamais vue... Vous êtes la belle, la très belle Mme de Peyrac ! Bien que préparé par tant et tant de récits, la réalité dépasse de loin ce que mon imagination avait pu concevoir... Vous m'avez pris pour un Indien ?... Comment expliquer mon attitude discourtoise ? En vous voyant tout à coup devant moi, comprenant dans un éclair qui vous étiez et que vous étiez là, je suis demeuré saisi, pétrifié et muet comme ces mortels que les déesses viennent visiter par on ne sait quel incompréhensible caprice dans leur sombre séjour terrestre. Car en vérité, oui, madame, je savais que vous étiez infiniment belle, mais j'ignorais que vous le fussiez avec tant de charme et d'aménité. De plus, entendre les mots de la langue indienne, que j'aime tant, tomber de votre bouche et voir votre sourire éclairer soudain cet antre sombre et grossier, quelle surprenante sensation ! Je ne l'oublierai jamais !
– Et vous, monsieur, je vois bien maintenant que vous êtes gascon ! s'écria-t-elle en éclatant de rire.
– M'avez-vous vraiment pris pour un Indien ?
– Certes.
Elle détaillait son teint cuivré où brillaient deux prunelles intensément et pleinement noires, sa chevelure, son maintien.
– Et comme ceci ? fit-il en rejetant la couverture rouge brodée de perles et de poils de porc-épic dans laquelle il se drapait.
Il apparut dans le justaucorps bleu soutaché d'or des officiers du régiment de Carignan-Sallières, avec au col un jabot de dentelle blanche. Mais en ce seul vêtement résidait son uniforme réglementaire. Pour le reste, il portait les hautes jambières à l'indienne et des mocassins remplaçant culotte et bottes.
Il se campa, un poing sur la hanche, avec la morgue d'un jeune officier de la suite du roi.
– Et comme ceci ? Ne suis-je pas un parfait courtisan de Versailles !
Angélique secoua la tête.
– Non, fit-elle, votre bagou vient trop tard ! monsieur. Vous êtes un chef abénakis à mes yeux.
– Eh bien, soit ! fit le baron de Saint-Castine avec gravité. Et vous avez raison.
Il s'inclina pour lui baiser la main.
Cet échange vif et animé d'hommages et de courtoisies à la française s'était effectué en toute liberté dans le décor embrumé de la tabagie ; le regard impavide des buveurs n'avait pas cillé. Quant aux quelques Indiens présents dans la salle du poste, occupés de leurs échanges, ils ne prêtaient, pour une fois, aucune attention à la scène. L'un comptait des aiguilles une à une avec un aimant, l'autre essayait les lames de couteau-jambette sur le bord du comptoir, un troisième, en se reculant pour mesurer une pièce de drap, heurta Angélique et, non content, la poussa sans ménagement parce qu'elle le dérangeait.
– Allons donc ailleurs, décida le baron. Il y a une pièce à côté où nous pourrons deviser en paix. Je vais demander au vieux Josué Hinggins de nous y porter une collation. Cette charmante enfant est-elle votre fille ?
– Non, c'est une petite Anglaise qui...
– Chut ! l'interrompit vivement le jeune officier gascon. Une Anglaise !... Si cela s'apprend, je ne donne pas cher de sa chevelure, tout au moins de sa liberté.
– Mais je l'ai dûment rachetée aux Indiens qui l'avaient capturée, protesta Angélique.
– Votre qualité de Française vous permet certaines choses, dit Saint-Castine, mais l'on sait déjà que M. de Peyrac n'a pas coutume de racheter les Anglais pour les faire baptiser. Cela déplaît en haut lieu. Donc, surtout, ne laissez pas soupçonner que cette petite est anglaise.
– Il y a ici pourtant bien des étrangers. Le chef de ce poste n'est-il pas Hollandais, et ses commis me semblent venus tout droit de Nouvelle-Angleterre.
– Cela ne prouve rien.
– Enfin, ils sont bien là.
– Pour combien de temps ?... Croyez-moi, soyez prudente. Ah ! chère comtesse, s'exclama-t-il en baisant de nouveau le bout de ses doigts, comme vous êtes charmante, et tout à fait semblable à la réputation qu'on vous a faite !
– Je croyais qu'on m'avait fait chez les Français une réputation plutôt diabolique.
– Vous l'êtes, affirma-t-il. Diabolique pour ceux qui sont comme moi trop sensibles à la beauté des femmes... Diabolique aussi pour ceux qui... Enfin, je veux dire que vous êtes tout à fait semblable à votre époux... que j'admire et qui m'effraie. À vrai dire, si j'ai quitté mon poste de Pentagoët et me suis rendu sur le Kennebec, c'était dans l'intention de le rencontrer. J'ai de graves communications à lui faire.
– Les choses ont-elles mal tourné pour Gouldsboro ? interrogea Angélique en pâlissant.
– Non, rassurez-vous. Mais je suppose que M. de Peyrac vous a accompagnée. Je vais le faire prier de venir nous rejoindre.
Il poussait une porte. Mais avant qu'Angélique, tenant toujours Rose-Ann par la main, ait pu pénétrer dans la chambre voisine, quelqu'un dégringolait bruyamment le seuil de la salle principale et se précipitait vers le baron de Saint-Castine. C'était un soldat français, son mousquet à la main.
– Cette fois, ça y est, monsieur le lieutenant, gémit-il. Ils font leurs chaudières de guerre... Il n'y a pas à s'y tromper. C'est une odeur que je reconnaîtrais entre mille. Venez, venez sentir !
Il agrippa l'officier par la manche et le tira presque de force au-dehors.
– Sentez ! Mais sentez cela ! insistait-il en pointant un nez à la fois long et retroussé qui lui donnait un air d'amuseur de foire, ça sent... Ça sent le maïs et le chien bouilli. Vraiment, vous ne sentez pas ?...
– Cela sent tant de choses, fit Saint-Castine avec une moue dédaigneuse.
– Mais moi, ça ne me trompe pas. Quand ça pue ainsi, c'est qu'ils sont tous, là-bas dans les bois, à faire festin avant de partir au combat. Du maïs et du chien bouilli qu'ils mangent ! Pour se donner du courage. Et de l'eau ils boivent, de l'eau par là-dessus, ajouta-t-il avec une sorte d'horreur qui fit saillir encore ses yeux d'escargot ahuri.
Ce militaire avait une vraie tête de jocrisse. Les baladins qui l'auraient engagé pour leurs tréteaux auraient obtenu un franc succès de rire.
Il est vrai que le vent du fleuve apportait une odeur douceâtre, venue du fond des bois, et qui était celle des festins indigènes.
– Ça vient de là, et de là, et de là, continua le soldat en désignant différents points sur la rive gauche du Kennebec. Moi, ça ne me trompe pas !
Drôle de personnage ! Fagoté dans sa casaque bleue, il tenait son arme avec une gaucherie inquiétante. Lui ne portait pas de jambières ni de mocassins, mais de lourds souliers qui semblaient encore ajouter à sa maladresse, et ses gros bas de toile, mal retenus sous les genoux, tombaient en plis fort peu réglementaires.
– Pourquoi vous mettre dans cet état, Adhémar, dit le baron de Saint-Castine avec une hypocrite sollicitude. Il ne fallait pas vous engager dans un régiment colonial si vous aviez si peur de la guerre indienne.
– Mais puisque je vous dis que c'est le recruteur, en France, qui m'a saoulé et que je me suis réveillé sur le navire, gémit l'autre.
Sur ces entrefaites, le comte de Peyrac arriva, accompagné du Hollandais et du Français qui l'avaient abordé au débarqué.
Ils avaient entendu les affirmations d'Adhémar quant aux chaudières de guerre.
– Je crois que ce garçon a raison, dit le Français ; on parle beaucoup d'expéditions prochaines des Abénakis pour châtier l'Anglais insolent. En serez-vous, Castine, avec vos Etchevemins ?
Le baron parut contrarié et ne répondit pas. Il s'inclinait devant le comte, qui lui tendit la main avec affection.
Puis Joffrey de Peyrac présenta à sa femme ses deux compagnons. Le Hollandais se nommait Pieter Boggen.
L'autre était le sieur Bertrand Défour qui, avec ses trois frères, était propriétaire d'une cursive dans l'isthme, au fin fond de la Baie Française.
Picard aux fortes épaules, aux traits lourds et taillés dans un bois recuit par le soleil, il y avait apparemment fort longtemps qu'il n'avait eu l'occasion de présenter ses hommages à une jolie femme.
Il parut tout d'abord embarrassé, puis se ravisant, aidé par le courage de sa simplicité naturelle, il s'inclina profondément.
– Il faut fêter ça, dit-il. Allons boire.
Une sorte de râle derrière le groupe fit se retourner les têtes. Le soldat Adhémar défaillait contre le chambranle de la porte. Maintenant, c'était Angélique que ses yeux fixaient.
– La Démone, balbutia-t-il, c'est... c'est elle !... Vous ne me l'avez pas dit. Ça, c'est pas bien.
Pourquoi vous ne me l'avez pas dit tout de suite, mon lieutenant ? Saint-Castine poussa un rugissement exaspéré.
Il attrapa l'homme et l'envoya rouler dans la poussière d'un solide coup de pied appliqué au bon endroit.
– La peste soit de ce crétin ! fit-il, haletant de fureur.
– D'où sortez-vous ce phénomène ? demanda Peyrac.
– Est-ce qu'on sait ? Voilà ce que les recrutements de Québec vous envoient maintenant. Croient-ils qu'en Canada nous ayons besoin de soldats qui suent la peur à longueur de temps ? ...
– Calmez-vous, monsieur de Saint-Castine, dit Angélique en posant une main apaisante sur son bras. Je sais ce qu'a voulu dire ce pauvre homme et – elle ne put s'empêcher de rire – il était tellement drôle avec ses yeux qui lui sortaient de la tête. Ce n'est pas sa faute. De mauvais bruits qui circulent au Canada – et auxquels je ne puis rien – l'ont terrorisé. Ce n'est pas sa faute.
– Ainsi, madame, vous n'êtes pas offensée ?... Réellement pas ? insista Saint-Castine en se tordant les mains avec une exubérance toute méridionale ; ah ! Je maudis les imbéciles qui, profitant de votre éloignement et du mystère de votre réputation, en ont profité pour répandre de telles sornettes et une légende aussi insultante.
– À moi, maintenant que je suis sortie des bois, de m'efforcer de les détruire. C'est pour m'y employer que j'ai accompagné mon mari vers les rivages. Il faut que, lorsque je retournerai à Wapassou, toute l'Acadie soit enfin persuadée sinon de ma sainteté – ô Dieu, non ! – tout au moins de mon inoffensive qualité.
– Pour moi, j'en suis déjà persuadé, affirma le large Défour en plaquant sa main étalée sur son cœur.
– Vous êtes tous deux d'excellents amis, dit Angélique avec reconnaissance.
Et, passant un bras autour des épaules de chacun, elle dédia à l'un et à l'autre un des sourires enchanteurs dont elle avait le secret. Elle savait qu'elle pouvait englober dans la même amitié le très aristocratique baron de Saint-Castine et le brave paysan picard, rendus frères par leur appartenance à la terre folle et sauvage de l'Acadie. Peyrac la regarda, qui les entraînait vers la porte en riant familièrement avec eux.
– Savez-vous, chers amis, leur disait-elle, qu'il n'est pas si déplaisant pour une femme d'être traitée de créature diabolique. Il y a en ces termes on ne sait quel sombre hommage rendu à un pouvoir trop souvent refusé. Le pauvre Adhémar ne méritait pas tant de violences... Maintenant, je vous en prie, ne parlons plus de cela et allons boire. Je meurs de soif.
Dans la seconde salle du poste, ils s'installèrent autour d'une table. Enjoués, ils discutaient entre eux de choses graves, et qui à bien d'autres eussent semblé dramatiques, mais qui, dans leurs bouches, prenaient l'allure de plaisanteries et presque d'incidents comiques. Le Hollandais, retrouvant en la compagnie des Français la jovialité innée des Flamands, posa sur la table verres, bocks et pichets, de la bière, du rhum, de l'eau-de-vie et une fiasque d'un vin d'Espagne rouge et brûlant qu'un navire corsaire des Caraïbes égaré dans l'embouchure du Kennebec lui avait récemment échangé contre des fourrures.