CHAPITRE X

L'INQUISITION

I - DÉBUTS DE L'INQUISITION

Le 27 juillet 1233, Grégoire IX nommait l'archevêque de Vienne, Étienne de Burnin, légat apostolique pour les provinces de Narbonne, Arles, Aix et Vienne et les diocèses de Clermont, Agen, Albi, Rodez, Cahors, Mende, Périgueux, Comminges, Lectoure et Le Puy, avec mission spéciale d'extirper l'hérésie dans la France du Midi, et étendait les pleins pouvoirs de ce légat aux provinces d'Auche de Bordeaux, d'Embrun, de Catalogne et de la Tarraconaise; et c'est par l'intermédiaire de ce légat que furent confirmés, au nom du Saint-Siège, les pouvoirs accordés aux deux Frères désignés par le provincial des Prêcheurs de Toulouse: Pierre Seila et Guillaume Arnaud. Ce furent les premiers inquisiteurs.

Pierre Seila était un riche bourgeois de Toulouse, un des premiers compagnons de saint Dominique; disciple fervent du moine espagnol, il avait donné une de ses maisons pour y abriter la communauté dominicaine naissante. Guillaume Arnaud était originaire de Montpellier et jouissait d'une grande autorité parmi les Dominicains de Toulouse. À ces hommes, pleins pouvoirs étaient donnés pour procéder contre l'hérésie, sans avoir de comptes à rendre à la justice épiscopale ni à la justice civile; et ces pouvoirs s'étendaient à tout le diocèse de Toulouse et à celui d'Albi.

Le premier acte d'inquisition des deux Dominicains fut la capture de Vigoros de Baconia, qui passait pour le chef des hérétiques de Toulouse. Vigoros fut jugé et exécuté presque aussitôt. En privant l'Église cathare d'un de ses chefs les plus énergiques, les nouveaux inquisiteurs inauguraient leur activité par un coup de maître.

Pierre Seila resta à Toulouse et Guillaume Arnaud partit pour une grande tournée inquisitoriale à travers toute la province. Il visita Castelnaudary, Laurac, Saint-Martin-la-Lande, Gaja, Villefranche, La Bessède, Avignonet, Saint-Félix, Fanjeaux, exigeant le concours des autorités ecclésiastiques de ces lieux pour la recherche des hérétiques et la convocation des suspects. Il faut croire qu'il procéda avec une énergie peu commune, car le comte écrivait dans la même année au pape pour se plaindre de ces plénipotentiaires du Saint-Siège, leur reprochant des faits dont il n'avait jamais accusé les juges de l'ordinaire épiscopal: les inquisiteurs, disait-il, s'écartaient de la procédure légale, interrogeaient les témoins à huis clos, refusaient aux inculpés l'assistance des avocats et inspiraient une telle crainte que les personnes qu'ils convoquaient dénonçaient des innocents, tandis que d'autres profitaient du secret dont la déposition des témoins était entourée pour dénoncer comme hérétiques leurs ennemis personnels.

Le comte les accuse également d'intenter des procès à des personnes depuis longtemps réconciliées à l'Église et de châtier comme rebelles ceux qui tentent de faire appel au Saint-Siège. "Si bien, dit-il, qu'ils semblent plutôt travailler pour engager dans l'erreur que pour ramener à la vérité; car ils troublent le pays et par leurs excès excitent les populations contre les couvents et les clercs".

Il semble donc bien qu'à partir de 1233 la répression de l'hérésie dans le Languedoc ait changé d'aspect, et soit devenue beaucoup plus vigoureuse. Et pourtant, les deux Dominicains ne disposaient pas de moyens matériels supérieurs à ceux de l'évêque; plus tard, ils reçurent l'autorisation de se faire accompagner par une escorte armée qui constituait une espèce de garde personnelle et se composait, outre les sergents d'armes, de geôliers, de notaires et aussi d'assesseurs et de conseillers. Ces auxiliaires des inquisiteurs ne devaient jamais être très nombreux et, en 1249, se plaignant de leur nombre excessif, le pape Innocent IV les limite à vingt-quatre en tout par inquisiteur, ce qui fait penser qu'il n'y en avait pas des centaines. Au début, les inquisiteurs ne disposaient même pas d'auxiliaires spéciaux, mais exigeaient le concours des autorités locales, tant ecclésiastiques que laïques.

C'était donc surtout l'énergie hors pair de ces hommes, leur certitude de ne pouvoir être entravés dans l'exercice de leurs fonctions par aucun organisme officiel et les procédés arbitraires et illégaux qu'ils pouvaient se permettre de ce fait, qui faisaient leur force, et il est certain qu'ils réussirent à semer dans le pays une véritable terreur.

Les plaintes du comte montrent que l'activité débordante de ces deux moines provoquait le mécontentement général, ce qui prouve, pour le moins, qu'elle était efficace. Le pape, pour la forme, recommanda à ses inquisiteurs de procéder avec plus de douceur, et écrivit au légat Étienne de Burnin et aux évêques, pour leur demander d'intervenir en cas de besoin pour protéger les innocents, mais il ne semble pas que le zèle des inquisiteurs ait été freiné si peu que ce soit par ces pieux souhaits de Grégoire IX. Bien au contraire, à Toulouse aussi bien que dans le Quercy, l'agitation grandissait sans cesse.

Ainsi, à Toulouse, les inquisiteurs rencontrèrent un adversaire inattendu en la personne d'un certain Jean Tisseyre, habitant du faubourg; cet homme du peuple parcourait les rues de la ville et haranguait la foule en ces termes: "Messieurs, écoutez-moi. Je ne suis pas hérétique: car j'ai une femme et je couche avec elle, j'ai des fils, je mange de la viande, je mens et je jure, et je suis un bon chrétien. Aussi ne croyez pas un mot de ce qu'on dit que je ne crois pas en Dieu. On pourra bien vous le reprocher aussi comme on me le reproche à moi-même, parce que ces maudits veulent supprimer les honnêtes gens et enlever la ville à son maître160". Ces propos subversifs attirèrent, bien entendu, sur Tisseyre, les soupçons des inquisiteurs, qui le firent arrêter et le condamnèrent au bûcher, bien qu'il persistât à se déclarer bon chrétien et catholique. Quand le viguier Durand de Saint-Bars voulut mettre la sentence à exécution, il y eut un soulèvement populaire et la foule manifesta si bruyamment contre les moines et le viguier que le condamné dut être ramené dans sa prison. La colère des bourgeois de Toulouse ne fut pas calmée pour autant, car ils exigeaient la libération de Tisseyre et voulaient détruire la maison des Dominicains qui inculpaient d'hérésie d'honnêtes gens mariés.

Il est propable, en effet, que Tisseyre n'était pas à proprement parler hérétique et que sa conduite était dictée par une indignation parfaitement désintéressée devant les excès de la procédure inquisitoriale. Ce patriote, qui se désolait de voir "ces maudits" chercher à enlever la ville à son maître, sympathisait sans doute avec les hérétiques comme le faisaient beaucoup de gens du peuple, par haine de l'Église. Mais, ce qui est significatif dans l'histoire de ce martyr de la liberté de Toulouse, c'est que, rencontrant dans sa prison plusieurs parfaits qui venaient d'être capturés par G. Denense, baile de Lavaur, il se convertit aussitôt à leur foi et avec tant d'ardeur qu'il se fit accorder par eux le consolamentum et, malgré les adjurations de l'évêque, confessa hautement son adhésion à l'Église cathare et son désir de partager le sort des parfaits. Il fut brûlé avec eux. "Tous ceux qui l'avaient soutenu jusqu'alors, écrit G.Pelhisson, couverts de confusion, le condamnèrent et le maudirent161". Ce qui semble bien montrer qu'on ne le considérait pas comme hérétique.

Si les protecteurs de Tisseyre furent couverts de confusion, les inquisiteurs durent l'être tout autant; la volonté de martyre d'un Jean Tisseyre constituait contre eux une charge tout aussi accablante que l'eût été l'exécution d'un hérétique douteux. S'il n'y eut guère de Toulousains décidés à suivre l'exemple de Tisseyre, son attitude dut raffermir dans la foi cathare beaucoup de sympathisants tièdes ou hésitants, car cet homme qui, de notoriété publique, n'était pas un croyant, avait embrassé cette religion au moment où il savait que sa conversion l'entraînait à une mort certaine. Et il devait être populaire non seulement parmi les hérétiques, mais parmi les catholiques qui, dévoués à leur comte, condamnaient la politique de l'Église plutôt que sa doctrine.

Pendant deux ans, G. Arnaud et P. Seila firent régner à Toulouse et dans le comté une véritable terreur: par peur de poursuites, les gens venaient s'accuser en si grand nombre que les Dominicains ne pouvaient les interroger tous et durent s'adjoindre des Frères mineurs (franciscains) et les curés de la ville. Cela se passait habituellement après un sermon public au cours duquel l'un des inquisiteurs assignait un temps de grâce - de huit à quinze jours - à tous ceux qui viendraient confesser leurs fautes spontanément. Ceux qui omettaient de se présenter étaient poursuivis en justice une fois le délai expiré, arrêtés et mis en prison par les Dominicains avec l'aide du viguier. La plupart du temps, ces dépositions concernaient des faits déjà anciens, mais il est évident que seules les personnes capables de faire arrêter des parfaits ou de compromettre sérieusement des croyants de marque bénéficiaient de l'indulgence plénière des juges.

Beaucoup de ces personnes se virent imposer des pénitences canoniques - port de croix, amendes et pèlerinages; elles échappaient ainsi à la prison, mais restaient toujours sous la menace d'une décision de l'inquisiteur, qui pouvait les convoquer à nouveau et les condamner, les jugements prononcés par l'Inquisition n'étant jamais définitifs (sauf en cas de condamnation à mort, naturellement).

À Toulouse, il y eut ainsi une inquisition générale avec présentations spontanées en masse et arrestations, après le vendredi saint 1235. Un homme (G. Doumenge), ayant négligé de se présenter, fut saisi et menacé de mort, et n'obtint sa liberté qu'en conduisant lui-même l'abbé de Saint-Sernin et le viguier à Cassés, où se trouvaient dix parfaits dont il connaissait la cachette: des dix hommes, trois purent s'échapper, les autres furent pris et condamnés au bûcher.

Dans le Quercy, Pierre Seila et Guillaume Arnaud se rendirent ensemble, firent des procès posthumes à Cahors où ils exhumèrent et brûlèrent un grand nombre de cadavres; à Moissac, l'administration locale devait être très catholique, car là, les inquisiteurs convainquirent d'hérésie et brûlèrent deux cent dix personnes. La terreur que ce bûcher monstrueux provoqua dans le pays fut telle qu'un des accusés ayant réussi à s'échapper, des religieux de Belleperche le cachèrent dans leur couvent sous un habit de moine; plus d'une fois, d'ailleurs, et tous les cas ne sont certainement pas connus, des monastères du pays accordèrent ainsi un asile à des hérétiques, la sévérité des Dominicains n'étant pas approuvée par les autres ordres religieux. Les plaintes incessantes du comte forçaient le pape à éloigner de temps à autre de Toulouse les deux inquisiteurs, qui se rabattaient sur le Quercy; et si, à Moissac, le succès semble avoir été complet (un bûcher de 210 personnes est même un fait unique dans l'histoire de ces années), de Cahors de nombreuses plaintes furent envoyées au pape, toutes dénonçaient l'arbitraire de la procédure des nouveaux juges. Pour calmer les esprits le pape adjoignit aux deux Dominicains un Franciscain, Frère Étienne de Saint-Thibéry, ce qui ne changea du reste rien. De leurs expéditions dans le Quercy, P. Seila et G. Arnaud revenaient à Toulouse, où l'opposition à briser était plus puissante qu'ailleurs, grâce à la présence du comte et au pouvoir considérable des consuls.

Le 4 août 1235, jour de la fête de saint Dominique - le premier qui eût jamais été célébré, le saint ayant été canonisé quelques mois plus tôt - il y eut dans toutes les églises de Toulouse et en particulier dans celle des Dominicains des messes solennelles, célébrant avec la pompe qui convenait la gloire du nouveau saint. Ce jour devait être signalé par un fait tragique dont les Dominicains ne manquèrent pas d'attribuer le mérite à leur saint fondateur. Au moment où l'évêque Raymond du Fauga, après la messe, se lavait les mains pour pénétrer dans le réfectoire, on vint lui annoncer qu'une grande dame avait reçu le consolamentum dans une maison voisine, rue de l'Olme sec. Révolté sans doute par une telle provocation, l'évêque, accompagné du prieur du couvent et de plusieurs moines, se rendit à l'adresse indiquée; la dame était la belle-mère de Peytavi Borsier, croyant notoire et agent de liaison des hérétiques.

La vieille dame, gravement malade, peut-être déjà mourante, devait sans doute avoir la vue troublée ou ne pas bien comprendre ce qui se passait - en tout cas, elle fut victime d'un sinistre malentendu, et quand on lui dit que Monseigneur l'évêque venait la voir, elle crut qu'il s'agissait de l'évêque des cathares. Raymond du Fauga ne fit d'ailleurs rien pour la tirer de son erreur et, tout au contraire, la prolongea par des propos à double sens; et interrogeant la moribonde sur sa foi il parvint à tirer d'elle une confession complète de la doctrine hérétique. Il poussa même la perfidie jusqu'à l'encourager à tenir bon dans sa croyance, car, dit-il, "par crainte de la mort vous ne devez pas en confesser d'autre que celle que vous professez fermement et de tout cœur". Et comme la vieille dame protestait de sa fermeté, disant que ce n'était pas pour ce qui lui restait à vivre qu'elle renoncerait à sa foi, l'évêque lui découvrit sa véritable identité, la déclara hérétique, et la conjura de se convertir à la foi catholique. La mourante, horrifiée sans doute, mais nullement intimidée, "persévéra de plus en plus dans son obstination hérétique". La scène se passait devant de nombreux témoins, dont le narrateur, G.Pelhisson.

Convaincu de l'irrémédiable endurcissement de la femme, l'évêque fit appeler le viguier; et après un jugement sommaire, la vieille dame, incapable de marcher, fut emportée dans son lit jusqu'au Pré-du-Comte, où elle fut déposée sur un bûcher que l'on alluma aussitôt. "Cela fini, dit G.Pelhisson, l'évêque, les religieux et leur suite revinrent au réfectoire, consommer avec joie ce qui leur avait été servi, rendant grâce à Dieu et à saint Dominique162".

Ce récit, qui eût pu passer pour une calomnie inventée par les ennemis de l'Inquisition, ne peut être mis en doute, car le Dominicain G.Pelhisson n'avait aucun intérêt à l'inventer; il est pourtant si étrange qu'il ressemble à une histoire de fou. La dureté des mœurs de l'époque ne l'explique pas, et du reste le principal personnage est un évêque et non un chevalier brigand; le fanatisme même n'explique pas l'acharnement de toute une assemblée de religieux contre une vieille femme impotente, qui, damnée pour damnée, eût peut-être pu mourir en paix, quitte à être brûlée après sa mort. Ce qui surprend davantage encore, c'est la comédie jouée par Raymond du Fauga, en présence du prieur et d'un grand nombre de Dominicains, tous complices volontaires ou involontaires; comédie tout à fait indigne de la majesté épiscopale et qui abaissait un évêque au rang d'un espion. Et cependant, le narrateur félicite plutôt l'évêque de son habileté, et ne ment sans doute pas en parlant de la "joie" des religieux qui reviennent au réfectoire manger leur repas si providentiellement interrompu. Une telle attitude fait penser à celle d'une confrérie militante, de quelque Ku-Klux-Klan légal, mais traqué, persécuté, décidé à vaincre par tous les moyens. Et une partie au moins des Dominicains du Languedoc devait à cette époque ressembler à une telle confrérie. C'était la raison pour laquelle l'office de l'Inquisition avait été confié à eux et non à d'autres; c'était aussi pourquoi les protestations, l'hostilité systématique du comte et des consuls visaient avant tout les Dominicains.

L'exécution de la belle-mère de Peytavi Borsier provoqua dans Toulouse plus de terreur encore que d'indignation; elle fut suivie par un sermon public du prieur des Dominicains, Pons de Saint-Gilles, lequel parla du bûcher où se calcinaient les restes de la pauvre vieille comme du feu que le prophète Élie fit descendre du ciel pour confondre les prêtres de Baal163, et défia solennellement les hérétiques et leurs protecteurs; ensuite il adjura les catholiques "de bannir toute crainte et de rendre témoignage à la vérité". Pendant les sept jours qui suivirent des foules de "catholiques" vinrent en effet rendre témoignage à la vérité, se repentir de leurs fautes passées ou se blanchir en dénonçant des suspects. "Parmi ces foules beaucoup de personnes abjurèrent l'hérésie, d'autres avouèrent qu'elles y étaient retombées et revinrent à l'unité de l'Église; d'autres enfin dénoncèrent des hérétiques et promirent de le faire toujours en temps utile164". Le narrateur, décidément peu optimiste, tout en louant Dieu de l'efficacité des recherches des inquisiteurs, ajoute: "Et ainsi commencées elles se poursuivront jusqu'à la fin du monde165".

Cependant, les exhumations et condamnations posthumes d'hérétiques, de plus en plus nombreuses, continuaient à provoquer des désordres dans la ville; et les consuls et les officiers du comte se servaient de leurs pouvoirs pour favoriser les évasions de beaucoup de personnes condamnées à la prison perpétuelle ou au bûcher. Pour mettre fin à cette opposition presque ouverte des autorités civiles, les inquisiteurs décidèrent de citer en jugement comme hérétiques plusieurs des notables de la ville. C'étaient des croyants notoires, ou même des ecclésiastiques suspects de favoriser l'hérésie; trois d'entre eux - Bernard Séguier, Mauran et Raymond Roger - étaient consuls. Ils refusèrent de comparaître, et demandèrent à Guillaume Arnaud de suspendre sur-le-champ tous les procès d'inquisition ou de quitter la ville. L'inquisiteur n'ayant pas tenu compte de cet avertissement, les consuls se rendirent avec leurs hommes d'armes au couvent des Dominicains, expulsèrent G. Arnaud de Toulouse et lui ordonnèrent de quitter les territoires du comte.

Guillaume se rendit donc à Carcassonne, terre du roi de France, et de là prononça une sentence d'excommunication contre les consuls (5 novembre 1235).

Cependant les Dominicains, pour ne pas avoir l'air de céder à la contrainte, décidèrent de citer en justice les personnes incriminées malgré la défense expresse des consuls qui avaient menacé de mort quiconque oserait remettre les citations à leurs destinataires. Le prieur choisit pour cette mission quatre Frères, qui acceptèrent ce choix comme une promesse de martyre - parmi eux se trouvait justement G.Pelhisson. Leurs adversaires, moins féroces que ces courageux moines ne l'imaginaient, n'attentèrent pas à leur vie; mais, dans la maison de Mauran l'Ancien les religieux furent tout de même roués de coups et traînés par les cheveux166.

Le lendemain, les consuls se présentèrent devant le couvent des Dominicains avec leurs sergents d'armes et accompagnés d'une foule de bourgeois; ils ordonnèrent aux religieux de quitter la ville, et sur leur refus ils les firent saisir et jeter dans la rue. Les Dominicains sortirent de Toulouse en chantant le Symbole de la Foi, le Te Deum et le Salve Regina. Ils furent bientôt obligés de se disperser, les consuls ayant interdit aux citadins de pourvoir à leur subsistance. Le prieur se rendit à Rome pour rendre compte à Grégoire IX de l'attentat dont les Dominicains avaient été victimes, de l'assentiment et même sur l'ordre du comte de Toulouse. L'évêque Raymond du Fauga fut à son tour expulsé de la ville.

Sans doute Raymond VII ne pouvait-il guère espérer voir le pape approuver cet acte de rébellion; cependant, les abus dont les Dominicains de Toulouse s'étaient rendus coupables devaient être si criants qu'il pensait pouvoir justifier sa conduite même devant le pape; en effet, il persistera toujours, tout en affirmant sa fidélité à l'Église, à supplier le pape de ne pas lui imposer la présence des Dominicains, ou tout au moins de ne plus confier à ces derniers l'exercice de l'Inquisition.

Informé de ce qui s'était passé à Toulouse, le pape adressa une lettre des plus sévères à Raymond VII; il y déclare notamment avoir appris que les consuls avaient défendu aux bourgeois de Toulouse de vendre ou de donner quoi que ce soit à l'évêque et même à son clergé, qu'ils ont saisi la maison de l'évêque, blessé des chanoines et des clercs, défendu à l'évêque et aux prêtres de prêcher en public, etc.; que le comte négligeait de payer leurs salaires aux professeurs de la nouvelle Université, ce qui avait amené la cessation des études; que le comte et les consuls avaient défendu à quiconque de comparaître en justice devant les inquisiteurs sous peine de punition corporelle et de confiscation des biens; après l'énumération de tous ces faits et de beaucoup d'autres - faits infiniment plus graves que ceux qui avaient jamais été reprochés à Raymond VI mort excommunié, - le pape menace le comte d'une nouvelle excommunication s'il persiste dans sa politique d'hostilité à l'égard de l'Église167.

Or, Raymond VII tenait à vivre en paix avec l'Église et l'avait déjà prouvé en arrêtant lui-même Pagan de La Bessède et en consentant au procès des Niort. Sa conduite était celle d'un chef d'État qui se voit obligé de satisfaire, fût-ce dans une faible mesure, aux revendications de ses sujets; craignant à la fois la guerre avec la France et l'excommunication, il ne favorisait pas l'hérésie; il cherchait à éviter des désordres et des troubles graves. Et sans doute parvint-il à convaincre partiellement le pape et le roi; car le roi (ou plutôt sa mère) écrivit au pape pour lui faire part des griefs du comte contre les inquisiteurs, et le 3 février 1236 le pape écrivait à l'archevêque de Vienne, légat de la Province, lui donnant des instructions en vue de restreindre les pouvoirs des inquisiteurs, lesquels finirent par reprendre leurs fonctions "du consentement et de la volonté du comte de Toulouse". Mais si le pape leur avait recommandé la douceur, il ne semble pas qu'ils aient tenu compte de cette recommandation, ni que leurs pouvoirs effectifs aient été diminués.

Dès le retour des inquisiteurs à Toulouse les procès recommencèrent, avec plus de violence qu'auparavant. Un grand nombre de personnes furent dénoncées par le parfait Raymond Gros qui était venu se convertir spontanément; ses révélations causèrent beaucoup de procès posthumes, et de nombreux défunts de la haute bourgeoisie et de la noblesse furent exhumés et livrés aux flammes. En septembre 1237 il y eut également une véritable rafle sur les cimetières, et les tombes d'une vingtaine de personnes des plus respectées dans la ville furent violées, leurs ossements ou leurs cadavres décomposés furent traînés par les rues sur des claies, tandis que le crieur public proclamait les noms des défunts et criait: "qui atal fara, atal pendra" (qui ainsi fera, ainsi prendra).

Quant aux vivants, G.Pelhisson en cite une dizaine environ qui furent brûlés, mais les condamnations à mort étaient plus faciles à prononcer qu'à exécuter; plusieurs condamnés appartenaient à des familles nobles ou consulaires, et les inquisiteurs, semble-t-il, n'avaient pas eu la possibilité de s'emparer de leurs personnes, car le viguier et les consuls avaient refusé de les arrêter, ce qui leur valut une nouvelle excommunication. Protégés par les autorités, les hérétiques notoires de Toulouse quittaient le pays, et allaient se réfugier soit dans des cachettes ignorées des inquisiteurs, soit au château de Montségur qui était un lieu de refuge pratiquement inviolable et était devenu le centre officiel de la résistance cathare.

Tout comme à Toulouse, l'Inquisition rencontrait dans les terres soumises au roi de France une résistance parfois sourde, parfois violente, mais obtenait un succès certain par la peur qu'elle inspirait. À ses débuts, en 1233, elle eut deux martyrs, car deux inquisiteurs venus enquêter à Cordes y furent assassinés au cours d'une émeute. Ils ne s'aventurèrent ensuite dans les campagnes qu'avec une escorte armée; mais à Albi, en 1234, l'inquisiteur Arnaud Cathala, ayant décidé d'aller lui-même déterrer une femme morte hérétique (le viguier s'y étant refusé), se vit traîné hors du cimetière, roué de coups et menacé de mort par la foule.

À Narbonne, ville qui avait échappé aux malheurs de la croisade et qui était réputée catholique, l'apparition de l'Inquisition provoqua des troubles; le bourg était, semble-t-il, plus atteint d'hérésie que la cité, et en tout cas hostile aux Dominicains et à l'archevêque. Ici, l'émeute avait pris plutôt un caractère politique, les consuls du bourg accusant l'archevêque et les inquisiteurs de vouloir réduire leurs franchises municipales. Donc, à l'exemple des villes italiennes, Narbonne se divisa en deux clans, la cité et le bourg, la première prenant parti pour l'archevêque et l'inquisiteur Frère Ferrier, le second exigeant leur départ; comme partout ailleurs les Frères prêcheurs, à cause de leur impopularité, eurent particulièrement à souffrir de ces querelles intestines, car leur couvent fut, en 1234, envahi par des bourgeois révoltés, saccagé et pillé. Hardiesse plus grande encore, les consuls du bourg appelèrent à leur aide le comte de Toulouse, et celui-ci y vint en personne pour rétablir la paix (bien que Narbonne fût terre du roi de France), établit dans le bourg un baile dépendant de lui et y installa Olivier de Termes et Guiraud de Niort, puissants seigneurs hérétiques et ennemis déclarés de l'archevêque.

L'affaire se termina par la victoire de la cité, grâce à l'appui de l'autorité royale représentée par le sénéchal J. de Friscamps. Et pour se défendre contre l'hostilité permanente des gens du bourg, les consuls de la cité durent longuement supplier Frère Ferrier de revenir à Narbonne pour y exercer à nouveau son office d'inquisiteur.

Tout en travaillant, selon les dires du comte, "plutôt pour engager dans l'erreur que pour ramener à la vérité", en cinq ans les inquisiteurs réussirent à créer dans le Languedoc un climat de terreur qui leur amena un grand nombre de soumissions volontaires, en général de personnes qui n'avaient fait que manifester leur sympathie pour l'hérésie. À titre d'exemple, on peut constater que P. Seila imposa, à Montauban, 243 pénitences canoniques durant la semaine avant l'Ascension en 1241; 110 pénitences diverses à Moissac la semaine suivante, 220 pénitences à Gourdon la semaine de l'Avent, 80 à Moncuq; toutes les tournées d'inquisition n'étaient pas aussi fructueuses. Beaucoup de registres et de comptes rendus de procès ne nous sont pas parvenus. Les chiffres qui nous sont donnés par les documents existants ne rendent compte que d'une partie des faits, mais il faut également dire que les inquisiteurs ne pratiquaient pas la justice sommaire que la croisade avait rendue possible à Lavaur et à Minerve, et tenaient, au contraire, à enregistrer tous les procès dans les formes. Ils y avaient d'autant plus intérêt que les interrogatoires avaient pour but d'obtenir des noms, et les minutes des procès servaient de pièces à conviction contre des milliers de suspects. Les registres, précieusement gardés, étaient une source d'inquiétude pour une grande partie de la population, car personne ne pouvait être assuré de n'avoir pas été au moins une fois dénoncé comme recéleur ou fauteur d'hérétiques; il suffisait d'avoir salué dans la rue tel ou tel parfait, vingt ans plus tôt; d'avoir pris part à un repas où étaient présents des hérétiques, etc.; il suffisait parfois d'une dénonciation calomnieuse, mais impossible à réfuter car, qui pouvait prouver qu'il n'avait pas, à une époque et en un lieu que l'on se gardait bien de lui préciser, été rencontré (par une personne dont on lui taisait le nom) en compagnie d'un parfait?

L'omniscience des inquisiteurs semble avoir été une des causes principales de la terreur qu'ils inspiraient. Tandis que les évêques s'étaient, pendant des dizaines d'années, révélés impuissants à lutter contre des adversaires qui, dans l'immense majorité, se disaient catholiques et déclaraient ne connaître que des catholiques, les inquisiteurs, comme par miracle, parvinrent à amener des milliers et des milliers de personnes à venir elles-mêmes se déclarer hérétiques (dans le présent ou dans le passé) et raconter qu'elles avaient fréquenté des hérétiques. Or, si certains évêques s'étaient montrés négligents dans la répression de l'hérésie, ceux qui gouvernaient les diocèses du Languedoc, en 1229, ne pouvaient nullement être accusés de tiédeur, et ne manquaient pas de subordonnés et d'hommes de confiance auxquels ils pouvaient confier l'office de l'Inquisition. La justice épiscopale était, depuis toujours, très dure pour les hérétiques. Mais la justice inquisitoriale n'était plus une justice du tout, et c'est ce qui la rendait si redoutable.

Elle démoralisait et déconcertait, et créait dans le pays une atmosphère d'angoisse permanente; et si les parfaits et les croyants les plus fermes savaient ce qu'ils risquaient et pour quoi ils s'exposaient aux dangers, la majorité de la population (fût-elle hérétique) se composait tout de même de gens qui voulaient vivre et qu'une éternelle menace de poursuites arbitraires et imprévisibles affolait ou exaspérait. Un peuple peut se battre pour sa liberté; mais un homme qui se demande sans cesse si le voisin d'en face ne l'a pas dénoncé et s'il ne ferait pas mieux d'aller s'accuser lui-même plutôt que d'attendre une convocation, est désarmé d'avance; car pour se battre, il a besoin d'être soutenu par le voisin d'en face et par les gens du quartier. Il y eut des émeutes populaires; une émeute ne saurait durer longtemps et, si elle ne triomphe pas, elle amène une terreur plus grande encore. De Toulouse, l'autorité des consuls et du comte avait réussi à chasser les Dominicains, la pression extérieure exercée par le roi et le pape les y avait ramenés plus puissants que jamais. Il n'était sans doute pas dans le pouvoir, ni peut-être dans les intentions du pape, de freiner le zèle des inquisiteurs: instrument de terreur, l'Inquisition dominicaine ne pouvait renoncer à sa fonction primordiale, et pendant des siècles encore les papes ne cesseront de soutenir et de défendre les Dominicains contre toutes les attaques des peuples et des autorités civiles.

II - PROCÉDURES DE L'INQUISITION

Avant de voir ce que fut la réaction de l'Église cathare devant ce nouveau danger, il faudrait essayer de comprendre en quoi consistait exactement la procédure inquisitoriale dans le Languedoc, quelle était sa puissance réelle et ce que furent ses répercussions sur la vie du pays.

Le principe d'une répression méthodique de l'hérésie, confiée à un organisme spécial, impliquait bien, dans l'esprit de Grégoire IX, un renouvellement des formes traditionnelles dans lesquelles cette répression s'était jusqu'alors exercée. Les hérétiques, depuis près d'un siècle, luttaient contre la justice ecclésiastique, et une longue habitude les avait rendus habiles à tenir l'adversaire en échec. Les procédés nouveaux, préconisés et encouragés par le pape, sortaient donc de la légalité, ou de ce qui était jusqu'alors communément admis comme légal. Le code de Justinien, en vigueur à l'époque pour la procédure criminelle, prévoyait pour les poursuites en justice une série de mesures susceptibles de garantir les droits de l'accusé. Toute poursuite reposait soit sur l'action d'un accusateur chargé de fournir les preuves du délit, soit sur une dénonciation faite au juge et devant être prouvée par des témoignages, soit sur la notoriété publique et manifeste du délit; et seul, ce dernier cas pouvait permettre au juge de procéder lui-même sans accusation ou dénonciation de la part de particuliers, et encore fallait-il que le fait de la notoriété fût prouvé par des témoins suffisamment nombreux.

Or, en ce qui concerne l'hérésie, les cas de dénonciation et à plus forte raison d'accusation étaient rares; et, après le traité de Paris, les cas de notoriété publique commençaient à l'être également; nous avons vu, dans le procès des seigneurs de Niort, que ces derniers ne manquèrent pas de témoins affirmant leur dévouement à la foi catholique, bien qu'ils fussent des hérétiques déclarés. Or, si de puissants seigneurs, qui protégeaient ouvertement l'hérésie et militaient pour sa cause, parvenaient à passer pour catholiques aux yeux de personnes ecclésiastiques, la masse des simples croyants devait être plus habile encore à dissimuler ses sentiments; et bien des gens pouvaient pratiquer en paix leur religion, quitte à ne pas l'afficher devant des personnes suspectes de sympathie pour les clercs. Dans un pays qui venait de passer par vingt ans de guerre et d'oppression, la force de cet esprit de dissimulation collective devait être assez grande. Une dissimulation qui n'est pas tenue pour de l'hypocrisie, mais pour une légitime réaction de défense, peut aller très loin: ainsi, à Toulouse, A. Peyre, donat du chapitre de Saint-Sernin, professait l'hérésie et fut cependant enterré dans le cloître de l'église.

En fin de compte, seuls étaient hérétiques notoires les parfaits connus pour tels et continuant à exercer leur ministère: ceux-là étaient difficiles à atteindre. Ils étaient des centaines, et les procès des années 1229-1233 ne signalent que quelques cas isolés de captures dues plus ou moins au hasard. La procédure judiciaire devait changer d'aspect pour devenir efficace.

Elle ne pouvait le devenir qu'en s'écartant de la lettre de la loi qui voulait qu'un suspect, pour être traduit en justice, fût dénoncé par une personne de bonne réputation et impartiale, et que l'accusé pût être confronté avec les témoins qui ont déposé contre lui. Or, étaient exclues du droit de témoigner contre un accusé: 1° toutes les personnes qu'il pouvait considérer comme ses "ennemis capitaux", et la définition de cette inimitié capitale embrassait en fait toutes les personnes qui, à une époque quelconque, avaient porté préjudice à l'accusé ou même proféré des injures à son égard; 2° les personnes de sa famille, ses serviteurs et, en général, les personnes dépendant de l'accusé d'une façon quelconque; 3° les excommuniés, les hérétiques, les personnes frappées d'infamie.

Pour des crimes particulièrement graves, dits "crimes exceptés", tels que la haute trahison, la lèse-majesté, le sacrilège et l'hérésie, les consanguins et les serviteurs pouvaient être entendus comme témoins. L'Inquisition étendit ce droit à toutes les autres catégories d'incapables, sauf les ennemis capitaux. Nous avons vu que, pour recevoir le témoignage de Guillaume de Solier contre ses coreligionnaires, le cardinal de Saint-Ange avait dû réconcilier à l'Église et réhabiliter l'ancien parfait. Les inquisiteurs supprimèrent cette formalité (qui les eût forcés à "réconcilier" trop de personnes qu'ils ne souhaitaient nullement traiter en bons catholiques): les témoignages d'hérétiques furent déclarés valables, s'ils tendaient à accuser d'autres hérétiques, sans valeur seulement dans le cas où le témoin était favorable à l'accusé. Les témoignages des personnes frappées d'infamie - voleurs, escrocs, prostituées, etc. - étaient reçus également. Quant aux "ennemis capitaux", étant donné le fait que l'accusé ignorait l'identité des témoins, et que le juge pouvait ignorer les rapports qui existaient entre les témoins et l'accusé, cette restriction n'avait presque plus de sens.

En outre, les accusés ne pouvaient bénéficier du secours d'avocats (bien qu'ils y eussent droit en principe): le seul fait de vouloir défendre un hérétique - ou un homme supposé tel - rendait l'avocat lui-même suspect d'hérésie; ses arguments ne pouvaient être pris en considération et il s'exposait à des ennuis graves; peu d'avocats avaient le courage de se charger de cette tâche aussi ingrate qu'inutile.

Il semble bien que c'est l'audition de témoins à huis clos qui a été la grande invention de l'Inquisition dominicaine (bien que R. de Saint-Ange l'ait déjà plus ou moins pratiquée lors du concile de Toulouse, mais sans l'ériger en système). Elle a été la première et presque la principale cause de la terreur qu'inspiraient les inquisiteurs, et une des grandes raisons de leur succès final. En créant un climat de méfiance et de suspicion dans les communautés les plus unies, ce procédé a été un puissant facteur de désagrégation morale et a fini par rendre impossible une résistance organisée: la résistance ne se manifesta plus guère que là où les pouvoirs publics en prenaient la responsabilité directe. Nous avons vu l'activité des consuls de Toulouse, de ceux du bourg de Narbonne. Nous avons vu les bailes des sires de Niort défendre aux commissions de recherches l'accès de bourgs appartenant à leurs seigneurs; en 1240, les bailes du comte de Toulouse agirent ainsi, par la menace ou la force armée, contre la commission du Frère Ferrier, à Montauriol et à Caraman. Ces faits, plus fréquents sans doute que ne le montre l'examen de documents, étaient malgré tout des exceptions: les officiers et fonctionnaires qui se rendaient coupables de ces actes de rébellion contre l'Église risquaient les peines les plus graves et ne pouvaient agir que sur ordre formel de leurs maîtres; et le comte lui-même, perpétuellement harcelé, menacé, trop faible pour se permettre une attitude de révolte ouverte, n'intervenait que là où l'exécution de ses ordres pouvait, à la rigueur, passer pour une initiative spontanée des pouvoirs locaux.

Les inquisiteurs, eux, n'avaient peur de rien. Si plusieurs payèrent de leur vie leur zèle excessif, leur énergie et leur hautaine assurance en imposaient à une population déjà habituée à voir dans l'Église un terrible danger: les clercs avaient provoqué la croisade et finalement triomphé; même peu nombreux, ils avaient derrière eux la formidable puissance d'une Rome toujours prête à attirer sur le pays de nouvelles calamités.

Quand un inquisiteur, accompagné de notaires, greffiers, geôliers et parfois de quelques hommes d'armes, se présentait dans une ville ou un bourg, il s'installait soit dans le palais épiscopal, soit au couvent des Dominicains s'il y en avait un dans le pays, soit dans tout autre couvent de la ville, et prononçait ensuite un sermon public, flétrissant l'hérésie et proclamant un "temps de grâce", limité en général à une semaine. Ceux qui ne se présentaient pas spontanément durant le temps de grâce risquaient d'être, passé ce délai, poursuivis d'office; les personnes qui se présentaient d'elles-mêmes ne pouvaient encourir de peines graves telles que la confiscation de leurs biens, l'emprisonnement ou la peine de mort; même très compromises elles n'étaient assujetties qu'à des pénitences canoniques.

Donc, même dans une ville où l'hérésie était puissante, un certain nombre de croyants - les plus craintifs, ou ceux qui se savaient des ennemis - accouraient pour s'accuser, avouant parfois des fautes soit imaginaires soit insignifiantes, dans l'espoir peut-être d'en dissimuler de plus graves168.

Les juges, bien entendu, n'avaient que faire de pareils aveux, et pour prouver sa bonne foi le pécheur repentant devait, avant tout, dénoncer des personnes qu'il savait suspectes d'hérésie. On lui promettait le secret sur ses révélations. Il commençait, bien entendu, par accuser ses ennemis ou des gens qu'il ne connaissait presque pas, ou qu'il savait peu compromis. Cependant, la pénitence qui devait lui être imposée était proportionnée non à la gravité de sa faute, mais à la sincérité de son repentir; et cette sincérité se mesurait au nombre et surtout à l'importance des hérétiques dénoncés.

Or, selon toute vraisemblance, les gens qui venaient s'accuser ainsi n'étaient pas des héros; les pénitences canoniques, même sans privation de liberté, pouvaient être dures - nous allons les examiner plus loin - et le secret promis garantissait le suspect interrogé contre des représailles possibles. La lâcheté de beaucoup de convertis spontanés fut le grand et premier auxiliaire de l'Inquisition. Car il suffisait de la dénonciation de deux témoins pour autoriser des poursuites d'office contre un hérétique présumé.

Un grand nombre de personnes furent ainsi dénoncées, quand elles ne l'étaient pas déjà par les autorités locales; durant le temps de grâce, elles avaient encore la ressource de se présenter d'elles-mêmes, ce que beaucoup faisaient, se sachant de toute façon compromises. Ceux qui ne le faisaient pas étaient passibles de poursuites. Ces poursuites consistaient, d'abord, en une citation écrite, remise en mains propres, après réception de laquelle le suspect devait se présenter devant le tribunal. Il était interrogé hors de la présence de témoins, et sans se voir communiquer la nature exacte des charges relevées contre lui. Dans ces conditions l'accusé avouait souvent plus qu'on ne lui en demandait, croyant les juges mieux renseignés qu'ils ne l'étaient. Si les faits reprochés à lui étaient graves, il était mis en prison en attendant le jugement; il l'était presque toujours s'il refusait d'avouer ses fautes; or, le cas était d'autant plus fréquent que l'aveu impliquait l'obligation de compromettre des coreligionnaires, ce à quoi les personnes honorables se refusaient, même quand elles n'étaient pas vraiment hérétiques. S'il n'était pas mis en prison, l'accusé restait, en quelque sorte, en liberté surveillée, sous caution d'une forte somme d'argent, et sans le droit de quitter la ville. Mais une fois en prison il tombait entièrement au pouvoir des juges, et ne pouvait bénéficier d'aucune espèce de garantie ni d'aucun secours du dehors.

L'inquisiteur était, à lui seul, juge, procureur et juge d'instruction. Les autres religieux qui l'assistaient ne pouvaient servir que de témoins, de même que le notaire qui enregistrait les dépositions. Donc, il n'y avait ni délibérations ni conseil, la seule volonté de l'inquisiteur décidait de la culpabilité du prévenu et de la peine qu'il méritait. Les aides de l'inquisiteur, s'ils n'avaient aucun pouvoir, étaient chargés d'obtenir des aveux, la seule personne de l'inquisiteur ne pouvant y suffire. Ceux qui refusaient d'avouer étaient soumis à des interrogatoires serrés au cours desquels il leur arrivait souvent de se trahir; sinon, ils étaient mis en prison, dans des conditions si dures qu'une détention plus ou moins prolongée forçait les plus rebelles à se soumettre. Les cachots où ces suspects récalcitrants étaient enfermés étaient parfois si exigus qu'on ne pouvait s'y tenir ni couché ni debout; sans lumière, telles les prisons de Carcassonne ou du château des Allemans, à Toulouse; aux plus endurcis on mettait des fers aux mains et aux pieds; on les torturait également par la faim et la soif. Il est certain que les personnes qui, plutôt que de parler, acceptaient de subir pendant des mois, parfois pendant des années, un traitement pareil, n'étaient qu'une infime minorité; pour beaucoup la menace seule suffisait.

Cependant, confrontés avec des prévenus susceptibles de fournir des renseignements et assez fermes pour résister aux menaces, les inquisiteurs n'avaient pas toujours le temps de les laisser "pourrir" dans les prisons; à ceux-là, il était permis d'appliquer la torture, procédé légalement admis par la justice civile pour la découverte de crimes graves, mais dont la justice ecclésiastique devait, en principe, s'abstenir. En fait, elle la pratiquait aussi, avec cette réserve qu'il ne devait pas s'ensuivre de mort ou de mutilation, ni d'effusion de sang; l'effusion de sang constituant, pour les clercs, une irrégularité canonique. Depuis les temps les plus anciens, l'Église utilisait, pour châtier les coupables ou obtenir des aveux, la flagellation au moyen de verges ou de courroies; mais ce procédé, savamment utilisé, pouvait être égalé aux tortures les plus cruelles. Du reste, la torture, rendue légale pour l'Inquisition en 1252169, était certainement appliquée bien avant cette date, comme elle l'était par les tribunaux épiscopaux aux XIe et XIIe siècles: il n'y a aucune raison de croire que des juges qui avaient si rapidement semé la terreur dans toute une province se fussent abstenus de moyens de contrainte que les tribunaux réguliers employaient déjà.

Si l'accusé soumis à la torture consentait à parler, il devait réitérer ses aveux hors de la chambre de torture, devant un greffier, et en déclarant que ces aveux étaient volontaires et non obtenus par contrainte; s'il s'y refusait (un seul cas de ce genre est connu, cité par B. Gui dans les "sentences de l'Inquisition de Toulouse"), il devenait plus suspect qu'auparavant, considéré comme relaps et soumis à la torture de nouveau. Si, malgré la torture, il refusait de parler, l'inquisiteur était libre de le mettre à la question le lendemain et autant de fois qu'il serait nécessaire.

Il est vrai que dans la majorité des cas l'"emmurement" (emprisonnement), dans sa forme la plus dure, était considéré comme une torture suffisante. Mais l'on a enregistré des cas - très rares - de parfaits qui, dans leur prison, ont tenté de mettre fin à leurs jours par la grève de la faim; ceci devait leur être reproche comme une preuve de leurs convictions hérétiques et accrédita la légende de leur tolérance à l'égard du suicide.

L'aveu, que l'inquisiteur cherchait à obtenir à tout prix, n'était pas à proprement parler nécessaire pour justifier une condamnation, puisqu'il suffisait, pour prouver qu'un homme est bien hérétique, qu'il ait été dénoncé comme tel par deux témoins; mais dans la pratique les inquisiteurs obtenaient presque toujours les aveux de l'inculpé avant de le condamner. Il faut croire que, malgré les apparences, les témoignages n'étaient pas si faciles à obtenir, du moins au début; les gens qui venaient se confesser accusaient surtout soit des morts, soit des personnes qu'ils savaient hors d'atteinte, ce qui explique les très nombreux procès posthumes et par contumace. Avec les années, les témoignages se firent de plus en plus nombreux, les dénonciations, faisant boule de neigé, livraient aux soupçons des inquisiteurs les voisins, les parents, les amis des suspects, les uns après les autres; et de ceux-là, à leur tour, on exigeait de nouveaux noms, de nouvelles précisions, des révélations de refuges d'hérétiques, etc. Encore la capture des hérétiques proprement dits, des parfaits, n'était-elle jamais facile: G. Doumenge, l'homme qui, pour sauver sa vie, avait, en 1234, fait arrêter sept parfaits à Cassés, fut, peu de temps après, assassiné dans son lit; à Laurac, un sergent qui avait arrêté six parfaites et la mère du chevalier Raymond Barthe fut ensuite pendu par ce chevalier. La capture était dangereuse pour le traître, car seuls des initiés connaissaient les refuges des parfaits. La simple indication de noms touchait surtout des croyants peu actifs, la masse des fidèles de l'Église cathare, et pour ceux-là la vie commençait à devenir intenable.

Ceux qui avaient le courage d'affronter toutes les épreuves menaient une vie clandestine, se réfugiaient dans des asiles imprenables comme Montségur ou Quéribus, ou dans des régions comme le Lauraguais et le comté de Foix où l'hérésie restait assez puissante pour tenir tête à l'Église; capturés, ils devenaient martyrs. Les prisons de Carcassonne, de Toulouse, d'Albi étaient pleines (à Carcassonne il fallut en construire de nouvelles), les condamnations à la réclusion étaient presque toujours des condamnations à perpétuité.

À la différence de ce qui se passait avant 1229, les hérétiques revêtus n'étaient pas seuls à encourir la peine de mort; nous avons vu l'indignation des gens de Toulouse qui, lors de la première condamnation de Jean Tisseyre, avaient voulu empêcher les juges de brûler un homme marié; on n'exécutait plus les seuls parfaits, mais aussi des croyants obstinés, ce qui augmentait la terreur qu'inspiraient les inquisiteurs: tout homme, à présent, pouvait, avec un peu d'imagination, se croire promis au bûcher.

En fait, la grande majorité des suspects n'encouraient que des pénitences canoniques. Or, ces pénitences désorganisaient gravement la vie des personnes qui y étaient condamnées et celle de leurs familles. Ces pénitences étaient les suivantes: 1° le portement de "croix pour hérésie", pénitence inventée ou du moins appliquée pour la première fois par saint Dominique; 2° l'obligation de faire un pèlerinage; 3° l'accomplissement d'une œuvre de charité, comme par exemple l'entretien d'un pauvre pendant plusieurs années ou même toute la vie du pénitent. Ces pénitences n'avaient en elles-mêmes rien d'insolite, et étaient communément utilisées par la justice ecclésiastique. Mais imposées en grand nombre, pour des délits souvent minimes, elles risquaient de devenir un fléau.

Le portement de croix, peine infamante, visait en principe des hérétiques revêtus spontanément convertis (cf. règlements du concile de Toulouse). En fait, les parfaits bénéficiaient rarement d'une punition aussi douce, qui s'appliquait plutôt à des croyants ordinaires; il semble que, dans les premières années de l'Inquisition, cette pénitence n'ait pas été la plias usitée: en effet, le fait d'avoir été hérétique n'était pas une honte, dans un pays où l'hérésie n'inspirait ni haine ni mépris; et si ce châtiment peu sévère était le prix d'une délation grave, il pouvait désigner à l'hostilité des hérétiques des convertis que l'Église avait intérêt à protéger, et même à utiliser comme espions. Plus tard, vers la fin du siècle, ce châtiment devait devenir au contraire très redouté, car il fit des "croisés pour hérésie" de véritables parias, boycottés par leurs concitoyens; aussi devint-il beaucoup plus fréquent.

Les pèlerinages, par contre, de même que les peines pécuniaires, étaient imposés à presque tous les suspects qui s'étaient volontairement présentés au tribunal; ils présentaient l'avantage d'éloigner l'hérétique présumé de son pays pour un temps plus ou moins long; mais on imagine assez les difficultés qui devaient en résulter pour sa famille, pour ses affaires, sans compter le fait que pour des gens sans fortune ces voyages obligatoires entraînaient des dépenses au-dessus de leurs moyens. Beaucoup de pénitents n'étaient ainsi envoyés qu'au Puy ou à Saint-Gilles; mais la plupart devaient se rendre à Saint-Jacques-de-Compostelle ou à Cantorbéry, à Paris ou à Rome; certains, par exemple, au Puy, à Saint-Gilles, à Saint-Jacques-de-Compostelle et à Cantorbéry, ce qui les forçait à traverser les Pyrénées et la Catalogne, revenir en Languedoc, traverser la France, passer la mer, aller à Cantorbéry: un tel pèlerinage, avec le voyage de retour, devait prendre plusieurs mois. Le pénitent était porteur d'une lettre délivrée par le juge et qu'il devait faire viser par les autorités religieuses des lieux de pèlerinage. D'autres pèlerins - en particulier des militaires - étaient envoyés soit en Terre Sainte, soit à Constantinople, où ils devaient servir dans les armées croisées pendant un certain nombre d'années; en général deux ou trois ans, parfois cinq.

En dispersant ainsi sur toutes les routes d'Europe et dans les armées d'outre-mer des milliers et des milliers de croyants, les inquisiteurs se débarrassaient d'un certain nombre d'adversaires possibles; il est facile de voir le préjudice qui pouvait en résulter pour un pays déjà suffisamment appauvri et désorganisé. Encore ces pèlerins forcés devaient-ils s'estimer heureux d'en être quitte à si bon compte. Et cependant, ce genre de pénitences était imposé à des personnes coupables, par exemple, d'avoir adressé la parole à quelques hérétiques au cours d'un voyage en bateau, ou d'avoir, à l'âge de onze ans, adoré un hérétique sur l'ordre de ses parents (ces faits sont cités par B. Gui et sont donc plus tardifs; mais les inquisiteurs de la première heure ne négligeaient aucun fait, si minime soit-il, pour justifier une pénitence; la plupart des suspects ne se voient rien reprocher d'autre que d'avoir écouté des hérétiques ou d'avoir pris part à leurs réunions).

Toute une population - ou du moins une grande partie de la population d'un pays - se voyait ainsi systématiquement traquée, espionnée, harcelée par toutes sortes de mesures de caractère vexatoire. La participation aux sacrements, l'assistance à la messe devenaient elles-mêmes des corvées imposées par une police omnisciente, sous peine de poursuites que l'on savait absolument arbitraires: l'appréciation du délit d'hérésie était à l'entière discrétion de l'inquisiteur, et un homme soupçonné d'une peccadille et refusant de parler était puni plus sévèrement qu'un parfait qui dénonçait spontanément ses frères. Il n'y avait pas là - comme dans le code civil ou criminel - un tarif de peines prévues pour telle ou telle infraction à la loi. Il n'y avait qu'une surenchère à la délation.

D'où l'extrême monotonie des registres de l'Inquisition qui relatent les interrogatoires d'hérétiques: à ces gens on demandait où, quand, chez qui, avec qui ils avaient vu des hérétiques, et pas grand-chose d'autre. Encore La Pratique de Bernard Gui nous apprend-elle que toutes les dépositions des prévenus n'étaient pas bonnes à enregistrer; donc, tout ce qu'ils pouvaient dire pour présenter leur religion ou leurs chefs sous un jour favorable a probablement été escamoté par les greffiers. Du reste, La Pratique de l'inquisiteur nous donne le modèle de l'interrogatoire tel qu'il était pratiqué pour les cathares: "...on demandera au prévenu s'il a vu ou connu quelque part un ou plusieurs hérétiques, les sachant ou les croyant tels de nom ou de réputation; où il les a vus, combien de fois, avec qui et quand";

"item, s'il a eu quelque relation familière avec eux, quand et comment, et qui la leur a ménagée";

"item, s'il a reçu à son domicile un ou plusieurs hérétiques, qui et lesquels; qui les lui avait amenés; combien de temps ils restèrent; qui leur a fait visite; qui les a emmenés; où ils allèrent";

"item, s'il a entendu leur prédication et en quoi elle consistait";

"item, s'il les a adorés, s'il a vu d'autres personnes les adorer ou leur faire révérence à la façon hérétique";

"item, s'il a mangé du pain bénit avec eux et quelle était la manière de bénir ce pain";

"item, s'il a conclu avec eux le pacte convenensa...";

"item, s'il les a salués ou s'il a vu d'autres personnes les saluer à la mode hérétique";

"item, s'il a assisté à l'initiation de l'un d'eux";

"comment celle-ci s'est opérée; quel était le nom du ou des hérétiques; les personnes présentes, l'endroit de la maison où gisait le malade";

"...si l'initié a légué quelque chose aux hérétiques, quoi et combien, et qui a acquitté le legs";

"si l'adoration a été rendue à l'hérétique initiateur";

"si l'initié succomba de cette maladie et où on l'enterra; qui a amené ou ramené le ou les hérétiques";

"item, s'il a cru que la personne initiée à la foi hérétique pouvait être sauvée..." etc. Les autres items portent sur la conversion personnelle du prévenu et sur son passé, sur les autres "croyants" qu'il connaît, sur ses parents, etc170. Les réponses et révélations des croyants interrogés par les premiers inquisiteurs montrent que les juges avaient dès le début pratiqué ce genre d'interrogatoire, et ne cherchaient pas à varier leurs méthodes.

Que ces questions aient été posées à des gens de peu de courage accourant au-devant des juges dès le premier jour du temps de grâce, ou à des malheureux épuisés par des mois de cachot ou par des tortures, les réponses ne varient guère. Des noms. Des lieux. Des dates. "...À Fanjeaux, au consolamentum d'Auger Isam assistaient Bec de Fanjeaux, Guillaume de La Ilhe, Gaillard de Feste, Arnaud de Ovo, Jourdain de Roquefort, Aymeric de Sergent (milites) (déposition de R. de Perrella, 1243), Atho Arnaud de Castelverdun demande le consolamentum dans la maison de sa parente Cavaers à Mongradail, Hugues et Sicart de Durfort allèrent chercher Guillaume Tournier et son compagnon. Les diacres Bernard Coldefi et Arnaud Guiraud résidaient à Montréal et à leurs réunions venaient: Raymond de Sanchas, Rateria femme de Maur de Montréal, Ermengaude de Rebenty, veuve de Pierre, Bérengère de Villacorbier, veuve de Bernard Hugues de Rebenty, Saurina veuve d'Isarn Garin de Montréal et sa sœur Dulcia, Guiraude de Montréal, Poncia Rigaude femme de Rigaud de Montréal... c'était en 1204 171". La déposition relate donc des faits vieux de plus de trente ans. D'ailleurs, mortes ou vivantes, les personnes convaincues d'avoir participé à une cérémonie hérétique, trente, quarante, voire cinquante ans plus tôt, devaient être punies; les morts par l'exhumation et la confiscation des biens de leurs héritiers, les vivants par des peines canoniques ou par la prison.

On comprend la sensation d'écœurement, d'étouffement progressif qui devait envahir le peuple soumis à un régime pareil. D'autres époques devaient connaître, plus tard, le poids de terreurs policières analogues; mais c'est à l'Inquisition dominicaine que revient l'honneur d'avoir inventé le système. La voie était tracée, les imitateurs ne manquèrent pas de la suivre, et de la perfectionner; et il semble même qu'il ne leur restât plus grand-chose à trouver, à part des améliorations d'ordre purement technique.

Mais dans les premières années, la résistance fut âpre, quoique condamnée d'avance à l'échec, à cause de l'appui total que la papauté accorda jusqu'au bout à sa nouvelle arme de combat.


160 G.Pelhisson, op. cit., p. 95.

161 G.Pelhisson, op. cit., p. 98.

162 G.Pelhisson, op. cit., p. 98.

163 Bernard Gui, Libellis de Ordine Praedicatorum, Recueil des Hist. des Gaules, t. XXI, pp. 736-737.

164 G.Pelhisson, op. cit., p. 98

165 Idem.

166 G.Pelhisson, op. cit., p. 98.

167 Registres de Grégoire IX, n° 3187.

168 Tel ce meunier de Belcaire qui était venu s'accuser du méfait suivant: des femmes en visite chez lui ayant souhaité à son moulin la protection de Dieu et de saint Martin, il leur avait répondu que c'était lui et non Dieu qui avait fabriqué le moulin et se chargerait de le faire bien marcher.

169 La bulle Ad exlirpanda, d'Innocent IV, en date du 15 mai 1252.

170 Bernard Gui, op. cit., ch. I. §5.

171 Doat, t. XXII, p. 142; t. XXIII, p. 165.

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