I
RITUEL CATHARE
Version abrégée de la traduction du Rituel par L. Clédat. On en trouvera le texte intégral dans son édition du Nouveau Testament traduit au XIII e siècle en langue provençale (reproduction photographique du manuscrit conservé à la bibliothèque municipale du palais Saint-Pierre à Lyon, dans le tome IV de la Bibliothèque de la Faculté des lettres de Lyon).
ADMISSION D'UN CROYANT AU RANG DE CHRÉTIEN.
Si un croyant199 est en abstinence200 et si les chrétiens201 sont d'accord pour lui livrer oraison, qu'ils se lavent les mains, et les croyants, s'il y en a, également. Et puis que l'un des bons hommes, celui qui est après l'ancien, fasse trois révérences à l'ancien, et puis qu'il prépare une table, et puis [qu'il fasse] trois autres [révérences]. Et puis qu'il dise: Benedicite parcite nobis. Et puis que le croyant fasse son melioramentu m 202 et prenne le livre de la main de l'ancien. Et l'ancien doit l'admonester et le prêcher avec témoignages convenables203...
Et puis que l'ancien dise l'oraison et que le croyant la suive. Et puis que l'ancien dise [au croyant]: "Nous vous livrons cette sainte oraison, pour que vous la receviez de Dieu et de nous et de l'Église, et que vous ayez pouvoir de la dire tout le temps de votre vie, de jour et de nuit, seul et en compagnie, et que jamais vous ne mangiez ni ne buviez, sans dire premièrement cette oraison. Et si vous y manquiez, il faudrait que vous en portassiez pénitence". Et il [le croyant] doit dire: "Je la reçois de Dieu et de vous, et de l'Église". Et puis qu'il fasse une melioramentum et qu'il rende grâce, et puis que les chrétiens fassent une double 204, avec veniae205, et le croyant après eux.
OCTROI DU "CONSOLAMENTUM".
Et s'il [le croyant qui vient d'être reçu chrétien] doit être consolé sur-le-champ, qu'il fasse son melioramentum et qu'il prenne le livre de la main de l'ancien. Et l'ancien doit l'admonester et le prêcher avec témoignages convenables et avec telles paroles qui conviennent à un consolamentum 206...
Et qu'il dise: "J'ai cette volonté, priez Dieu pour moi qu'il m'en donne sa force". Et puis que l'un des bonshommes fasse son melioramentum avec le croyant, à l'ancien et qu'il dise: "Parcite nobis. Bons chrétiens, nous vous prions par l'amour de Dieu que vous accordiez de ce bien que Dieu vous a donné à notre ami ici présent". Et puis que le croyant fasse son melioramentum, et qu'il dise: "Parcite nobis. Pour tous les péchés que j'ai pu faire ou dire, ou penser, ou opérer, je demande pardon à Dieu, et à l'Église et à vous tous". Et que les chrétiens disent: "Par Dieu et par nous et par l'Église qu'ils vous soient pardonnés, et nous prions Dieu qu'il vous les pardonne". Et puis, ils doivent le consoler. Et que l'ancien prenne le livre et le lui mette sur la tête et les autres bons hommes chacun la main droite, et qu'ils disent les parcias207 et trois Adoremus208, et puis: Pater sancte suscipe servum tuam in tua justitia et mite gratiam tuam et spiritum sanctum tuam super eum. Et qu'ils prient Dieu avec l'oraison, et celui qui conduit le service divin doit dire à voix basse la sixaine209 et quand la sixaine sera dite, il doit dire trois Adoremus et l'oraison une fois à haute voix, et puis l'évangile. Et quand l'évangile est dit, ils doivent dire trois Adoremus et la gratia et les parcias. Et puis, ils doivent faire la paix210 entre eux et le livre211. Et s'il y a des croyants, qu'ils fassent la paix aussi, et que les croyantes, s'il y en a, fassent la paix avec le livre et entre elles. Et puis qu'ils prient Dieu avec double et avec venia 212, et ils auront [ainsi] livré l'oraison [au croyant].
RÈGLES DE CONDUITE.
La mission de tenir double et de dire l'oraison ne doit pas être confiée à un homme séculier.
Si les chrétiens vont dans un lieu dangereux, qu'ils prient Dieu avec gratia.
Et si quelqu'un chevauche, qu'il tienne double. Et il doit dire l'oraison en entrant dans un navire ou dans une ville, ou en passant sur une planche ou sur un pont dangereux.
Et s'ils trouvent un homme avec qui il leur faille parler pendant qu'ils prient Dieu, s'ils ont [dit] huit oraisons, elles peuvent être comptées pour une simple, et s'ils ont [dit] seize oraisons, elles peuvent être comptées pour une double.
Et s'ils trouvent quelque bien en chemin, qu'ils ne le touchent pas s'ils ne savent pas qu'ils puissent le rendre. Et s'ils voient alors que des gens soient passés avant eux à qui la chose pût être rendue, qu'ils la prennent et la rendent s'ils peuvent. Et s'ils ne peuvent, qu'ils la remettent dans ce lieu. Et s'ils trouvent une bête ou un oiseau prise ou pris, qu'ils ne s'en mêlent pas.
Et si le chrétien veut boire pendant qu'il est jour, qu'il ait prié Dieu deux fois ou plus après manger. Et si après la double de la nuit ils buvaient, qu'ils fassent une autre double. Et s'il y a des croyants, qu'ils se tiennent debout quand ils disent l'oraison pour boire. Et si un chrétien prie Dieu avec des chrétiennes, qu'il conduise toujours l'oraison. Et si un croyant à qui eût été livrée l'oraison était avec des chrétiennes, qu'il s'en aille autre part et qu'il fasse par lui-même.
CONVERSION DES MALADES.
Si les chrétiens auxquels le service de l'Église est confié reçoivent un message d'un croyant malade, ils doivent y aller et ils doivent lui demander en confidence comment ü s'est conduit vis-à-vis de l'Église depuis qu'il a reçu la foi, et s'il est en quoi que ce soit endetté vis-à-vis de l'Église, ou s'il lui a causé du dommage. Et s'il doit quelque chose et qu'il puisse le payer, il doit le faire. Et s'il ne veut pas le faire, il ne doit pas être reçu. Car si l'on prie Dieu pour un homme coupable ou déloyal, cette prière ne peut profiter. Mais s'il ne peut payer, il ne doit pas être repoussé.
Et les chrétiens doivent lui montrer l'abstinence213 et les coutumes de l'église. Et puis, ils doivent lui demander, pour le cas où il serait reçu, s'il a l'intention de les observer. Et il ne doit pas le promettre s'il n'en a pas bien fermement l'intention. Car saint Jean dit que la part des menteurs sera dans un étang de feu et de soufre. Et s'il dit qu'il se sent assez ferme pour souffrir toute cette abstinence, et si les chrétiens sont d'accord pour le recevoir, ils doivent lui imposer l'abstinence...
Et puis, ils doivent lui demander s'il veut recevoir l'oraison. Et s'il dit que oui, qu'ils le revêtent de chemise et de braies, si faire se peut, et qu'ils le fassent se tenir sur son séant, s'il peut lever les mains. Et qu'ils mettent une nappe ou un autre drap devant lui sur le lit. Et sur ce drap, qu'ils mettent le livre et qu'ils disent une fois Benedicite et trois fois Adoremus patrem et filium et spiritum sanctum. Et il doit prendre le livre de la main de l'ancien. Et puis, s'il peut attendre, celui qui conduit le service doit l'admonester et le prêcher avec témoignages convenables. Et puis, il doit lui demander à propos de la promesse qu'il a faite, s'il a l'intention de l'observer et de la tenir comme il l'a faite. Et s'il dit que oui, qu'ils la lui fassent confirmer. Et puis, ils doivent lui passer l'oraison et il doit la suivre. Et puis que l'ancien lui dise: "C'est l'oraison que Jésus-Christ a apportée dans ce monde et il l'a enseignée aux bons hommes. Et que jamais vous ne mangiez ni ne buviez aucune chose, que vous ne disiez premièrement cette oraison. Et si vous y apportiez de la négligence, il faudrait que vous en portiez pénitence". Il doit dire: "Je la reçois de Dieu, de vous et de l'Église". Et puis qu'ils le saluent comme une femme214. Et puis, ils doivent prier Dieu avec double et avec veniae; et puis, ils doivent remettre le livre devant lui. Et puis, ils doivent dire trois Adoremus. Et puis qu'il prenne le livre de la main de l'ancien et l'ancien doit l'admonester avec témoignages et avec telles paroles qui conviennent au consolamentum...
Puis l'ancien doit prendre le livre et le malade doit s'incliner et dire: "Parcite nobis. Pour tous les péchés que j'ai faits ou dits ou pensés, je demande pardon à Dieu et à l'Église et à vous tous". Et les chrétiens doivent dire: "Par Dieu et par nous, et par l'Église qu'ils vous soient pardonnés, et nous prions Dieu qu'il vous les pardonne". Et ils doivent le consoler en lui posant les mains et le livre sur la tête... Et puis, ils doivent se donner le baiser de la paix, entre eux et avec le livre. Et s'il y a des croyants ou des croyantes, qu'ils se donnent le baiser de la paix. Et puis, les chrétiens doivent demander le salut et le rendre.
Et si le malade meurt et leur laisse ou leur donne quelque chose, ils ne doivent pas le garder pour eux, ni s'en emparer, mais ils doivent le mettre à la disposition de l'ordre. Si le malade survit, les chrétiens doivent le présenter à l'ordre et prier qu'il se console de nouveau le plus tôt qu'il pourra et qu'il en fasse sa volonté.
199 Un "sympathisant" initié à la croyance cathare, mais pas encore admis.
200 Épreuve préparatoire à la réception.
201 Nom que se donnaient les cathares entre eux.
202 Geste rituel de vénération, qui consiste en trois génuflexions et une demande de bénédiction.
203 Références à des passages adéquats du Nouveau Testament.
204 Une oraison répétée deux fois.
205 Inclination et génuflexion.
206 Voir p. 385-387.
207 Titre de prière cathare.
208 Autre prière cathare.
209 Oraison dominicale (?) répétée six fois.
210 Se donner le baiser de la paix.
211 C'est-à-dire baiser l'Évangile.
212 Cf. les notes 2 et 3 p. précédente.
213 Cf. supra, note 2 de la page 525.
214 Les salutations adressées au récipiendaire différaient selon qu'il s'agissait d'un homme ou d'une femme. Si c'est une femme malade qui recevait le consolamentum, elle était saluée comme un homme.