CHAPITRE XI

LA RÉSISTANCE CATHARE

I - ORGANISATION DE LA RÉSISTANCE

Les cathares désarmaient d'autant moins que la persécution leur fournissait les meilleurs arguments pour leur propagande: une preuve tangible, si l'on peut dire, du caractère diabolique de l'Église qu'ils combattaient.

D'ailleurs, ils ne croyaient pas leur cause perdue: les Églises de Bosnie, de Bulgarie, de Lombardie étaient puissantes et disputaient le terrain à l'Église de Rome, parfois victorieusement, comme c'était le cas des pays slaves. Ces Églises sœurs leur envoyaient des émissaires, des lettres d'encouragement, des secours. En 1243, en pleine bataille de Montségur, l'évêque cathare de Crémone enverra un messager à l'évêque Bertrand Marty pour l'assurer que son Église jouit d'une paix profonde et pour lui demander l'envoi à Crémone de deux parfaits. Ces pays où leur Église jouissait d'une paix profonde (qui n'allait pas toujours durer) pouvaient attirer, comme une Terre promise, beaucoup d'hérétiques et de croyants lassés par les persécutions; beaucoup de cathares, dès les années 1230-1240, émigrèrent en Lombardie.

Les plus courageux, les plus combatifs restaient à leur poste, préférant risquer la mort et ne pas abandonner leurs fidèles. Ils organisaient leur vie clandestine en attendant des jours meilleurs. Si G.Pelhisson constate que les hérétiques faisaient, en ce temps-là, plus de mal que pendant la guerre, c'est que, très probablement, les parfaits étaient sortis de leur attitude sinon passive du moins pacifiste, et encourageaient et absolvaient les actes de violence. Cette religion qui répugnait à l'effusion de sang, et interdisait à ses ministres le meurtre d'un poulet ou d'une souris, avait, elle aussi, trouvé un biais pour justifier la violence: certains êtres étant, non des âmes déchues accomplissant leur pénitence, mais des incarnations directes de la force du mal, ce n'était pas un crime de les supprimer. Les inquisiteurs et leurs complices ne pouvaient manquer d'être rangés au nombre de ces créatures diaboliques. D'ailleurs, les parfaits n'avaient nul besoin de pousser à la violence des gens qui n'y étaient que trop portés. Mais ils pouvaient jouer un rôle politique, et user de leur influence sur les seigneurs croyants pour les engager à la lutte, en leur faisant valoir l'avantage spirituel qu'ils en retireraient.

C'est à cette époque que fut institué par eux le pacte de la convenensa, qui ne semble pas avoir été pratiqué avant: lié par ce pacte, le croyant pouvait recevoir le consolamentum in extremis, même si, par des blessures ou pour quelque autre cause, il se trouvait privé de l'usage de la parole. (Plus tard, cette coutume devait se généraliser, pour des raisons assez évidentes: ne pouvant consentir à administrer le sacrement à des inconnus, par peur de tomber dans un piège, les parfaits trouvèrent ce moyen de dénombrer leurs fidèles; l'homme lié par la convenensa imposait, par ce fait même, aux parfaits l'obligation morale de le consoler à son lit de mort, si du moins il y avait possibilité matérielle).

La vie des cathares, en devenant clandestine, gagnait en intensité et en ferveur: les croyants tièdes, ou ceux qui, déjà (comme c'était le cas avant 1209, et même après la reconquête du pays par le comte), devenaient hérétiques par intérêt ou par respect des convenances, étaient peu à peu éliminés de la communauté. Les auditeurs des réunions hérétiques n'en étaient pas moins nombreux, puisque leurs rangs étaient grossis par tous ceux qui, mécontents du régime nouveau, trouvaient dans les Églises hérétiques les seules véritables organisations de résistance. En cette période, l'action des vaudois était devenue plus puissante que pendant la croisade; les deux Églises autrefois rivales faisaient front commun, et les registres citent de nombreux parfaits vaudois prêchant dans le Languedoc, surtout dans la région de l'Ariège.

L'apostolat de ces hommes était difficile; ils l'exerçaient avec constance, car ce n'était pas la crainte du danger qui les forçait à vivre dans des huttes de charbonniers, des cabanes de branchages au fond des forêts, des métairies abandonnées - à Montségur, à Quéribus, voire en Lombardie, ils eussent joui d'une sécurité plus grande que dans ces abris précaires. Ils menaient une vie vagabonde et traquée afin de pouvoir continuer leur activité et être proches de ce peuple qui leur restait fidèle ou qu'ils espéraient reconvertir à leur foi.

Arrivés dans les environs d'un village ou d'un bourg, le parfait et son socius commençaient par se trouver un abri sûr: parfois dans la maison d'un croyant, lorsque la localité n'était pas étroitement surveillée par l'autorité ecclésiastique (et ces pays étaient nombreux; à commencer par les châteaux des seigneurs de Niort ou d'autres féodaux moins puissants tels Lanta Jourda, le sire de Calhavel, la plus grande partie de la noblesse de Fanjeaux, de Laurac, de Miramont, etc.; et c'étaient parfois les bailes du comte qui désignaient eux-mêmes aux parfaits les maisons "sûres" où ils pouvaient être reçus. Des bourgs comme Sorèze, Avignonet, Saint-Félix avaient des curés sinon hérétiques du moins sympathisants). Le plus souvent les prédicateurs errants s'arrêtaient dans quelque retraite située en dehors de la ville, tant pour ne pas courir le risque d'être reconnus que pour ne pas compromettre les personnes qui leur offraient l'hospitalité. Leur présence n'était révélée qu'à des croyants dont on pouvait être sûr, et les cathares entretenaient un vaste réseau d'agents secrets qui servaient de messagers et de guides. Si le pays était sous la surveillance d'un curé ou d'un baile notoirement catholique, les croyants étaient obligés d'user de prétextes divers pour s'éloigner de la ville; les pauvres allaient ramasser du bois mort, les femmes cueillir des champignons ou des baies; les nobles allaient à la chasse; et encore ne fallait-il pas qu'il y eût un exode par trop massif de paroissiens, et ces expéditions ne pouvaient s'effectuer que par petits groupes ou à plusieurs jours de distance.

C'était, en général, sur des clairières en pleine forêt que les parfaits réunissaient leurs auditeurs; à proximité des bourgs, c'était la nuit que ces réunions avaient lieu; les bourgeois profitaient de l'obscurité pour sortir de la ville sans être vus. Plusieurs de ces réunions furent surprises par des battues d'hommes d'armes, ou au moyen d'espions (exploratores) payés par les inquisiteurs. La plus importante de ces battues fut celle où le comte de Toulouse fit arrêter Pagan de La Bessède et dix-huit hérétiques; la plupart du temps ceux qui recherchaient ainsi les hérétiques ne disposaient pas de forces importantes, et risquaient leur vie en s'aventurant dans une forêt où les croyants, parmi lesquels se trouvaient souvent des militaires, montaient la garde pendant les prédications et les cérémonies célébrées en plein air; surpris au milieu d'une réunion, les hérétiques parvenaient le plus souvent à s'enfuir: ainsi le dominicain Raoul venu avec une escorte pour arrêter les hérétiques sur les indications d'une espionne, dans un bois près de Fanjeaux, ne parvint à en prendre qu'un seul; en 1234, le curé Pierre, cherchant les hérétiques, tomba dans un guet-apens tendu par le baile du pays; il réussit à s'échapper mais son compagnon fut tué. En 1237, deux parfaites furent capturées et brûlées à Montgradail, deux à Saint-Martin-la-Lande, deux à Villeneuve près de Montréal. Les femmes, soit plus actives que les hommes, soit plus imprudentes parce qu'elles se sentaient moins menacées, se faisaient, semble-t-il, prendre plus souvent. Une fois, l'abbé de Sorèze avait envoyé un agent (nuncius) pour arrêter deux parfaites qui séjournaient dans le bourg; les femmes du pays s'opposèrent à cette arrestation en attaquant l'agent de l'abbé à coups de bâton et de pierres; et lorsque l'abbé vint leur reprocher leur conduite, elles tournèrent en ridicule le nuncius en déclarant qu'il avait pris pour des hérétiques deux braves femmes mariées. Mais les parfaites surprises seules au milieu des bois ou dans un bourg où la population était moins résolue ou moins hostile aux catholiques passaient, semble-t-il, assez rapidement de la prison au bûcher; il faut croire que les inquisiteurs savaient d'avance qu'il n'y avait rien à tirer d'elles.

Jean Guiraud rapporte, dans son ouvrage sur l'Inquisition, l'histoire de Guillelme de La Mothe qui, elle, raconta au moins une partie de ses tribulations avant d'être brûlée: avec sa compagne, elle demeura, après 1230, dans le bois d'un certain Pierre Belloc, puis dans un autre bois, le Bosc-Blanc, pendant trois semaines; puis des croyants vinrent les conduire dans la forêt de Salabose, puis dans celle d'Avellanet où elles vécurent un an; puis, passant de forêt en forêt, dans la région de Lanta, elles finirent par être conduites par le parfait G. Roger dans le bois de la Garrigue, puis vécurent quelques mois chez des croyants: chez un certain Pons Rivière, neuf mois entiers; puis, en 1240, elles ne firent que passer dans des maisons où on les recevait quelques jours par-ci quelques jours par-là; puis dans une cabane de forêt à nouveau; transférées ainsi de bois en métairie, de bourg en forêt, par des croyants qui cherchaient à les mettre en sûreté, par des parfaits qui leur donnaient de nouvelles instructions, elles finirent par être prises dans une forêt du Lantarès à Gratiafides. Guillelme de La Mothe ne raconta tout cela qu'après un an de prison. Toutes les personnes nommées par elle devenaient de ce fait receptatores haereticorum, et passibles du jugement et de la prison. Cette femme et sa compagne avaient vécu cette vie dangereuse pour servir la cause de leur Église; et ce n'était pas pour obtenir l'indulgence des juges que Guillelme parla, puisqu'elle fut brûlée172.

Si grands que fussent la confiance et le dévouement des croyants pour les parfaits, ils savaient que les plus courageux pouvaient être amenés, par des tortures, à les trahir. C'est pourquoi, dans les régions les moins sûres - et jusque dans les environs de Toulouse - les hérétiques se construisaient des cabanes dans les bois, où leur présence était en général connue des fidèles et où l'on pouvait venir les chercher s'il s'agissait de consoler un mourant ou de prendre part à quelque cérémonie du culte.

Ne pouvant se ravitailler eux-mêmes, les parfaits vivaient de la charité des croyants; charité bien organisée et largement suffisante, si l'on en croit les témoignages des personnes qui ont reconnu avoir porté à des hérétiques des vivres, des vêtements, de l'argent. Pain, farine, miel, légumes, raisin, figues, noix, pommes, noisettes, fraises... poissons frais ou même en pâté ou en ragoût, vin, pains, fouaces, plats modestes ou même délicats préparés par des femmes du peuple qui pouvaient se rendre en forêt ou y envoyer leurs enfants sans éveiller de soupçons; des croyants plus riches fournissaient aux refuges hérétiques des setiers de blé, des boisseaux de vin - et du meilleur vin de leur cave.

Des femmes faisaient des collectes pour ramasser de la laine avec laquelle les ermites forcés tissaient eux-mêmes leurs vêtements ou des vêtements pour des frères plus pauvres; les marchands de tissus donnaient des étoffes, d'autres des vêtements tout faits, des gants, des bonnets; d'autres donnaient des plats, des carafes, des rasoirs, etc. Tous ces dons ont été connus parce que leurs auteurs ont eu à en répondre devant la justice.

Parfois, tant pour gagner leur vie que pour dissimuler leur ministère, les parfaits exerçaient des métiers; on signale des parfaits cordonniers ou boulangers, des parfaites employées à filer la laine ou à tenir la maison de croyants fortunés. Les parfaits vaudois, en particulier, tenaient à vivre de leur travail et on en cite qui furent tonneliers, coiffeurs, bourreliers, maçons. Les hérétiques, après 1229, exercèrent moins souvent le métier de tisserand, cette corporation étant particulièrement suspecte d'hérésie; mais certains restèrent tisserands même au temps de l'Inquisition.

Beaucoup de parfaits cathares et vaudois jouissaient d'une haute réputation comme médecins et pouvaient, à ce titre, rendre service aux croyants qui les aidaient et les accueillaient; leurs adversaires n'ont pas manqué d'insinuer que c'était là un bon moyen de capter la confiance des gens et d'obtenir des legs pour leur Église en cas de maladie mortelle. C'était, en effet, un moyen comme un autre. Pour mieux gagner cette confiance, beaucoup d'entre eux, surtout les vaudois, n'acceptaient pas d'argent et fournissaient eux-mêmes les remèdes. Le vaudois P. de Vallibus, le cathare Guillaume d'Ayros allaient de village en village, de château en château, aussi occupés à soigner les malades qu'à prêcher. Il semble qu'il y ait eu là plus qu'une tactique de propagande, de véritables vocations de médecins, bien naturelles chez des hommes qui consacraient leur vie à la pratique de la charité. L'exercice de la médecine leur était, bien entendu, interdit, et ils se rendaient suspects par le seul fait de s'obstiner à soigner les malades.

Raynier Sacchoni, dans sa Somme (écrite en 1250), reproche aux cathares leur amour de l'argent et ajoute honnêtement que les persécutions dont ils étaient victimes leur créaient l'obligation de disposer de sommes importantes. Ne pouvant posséder ni terres, ni maisons, ni entreprises de commerce, et réduite peu à peu à l'illégalité totale, l'Église cathare ne pouvait continuer à exercer son activité que grâce à des dons en argent; elle en avait besoin moins pour l'entretien de ses ministres (qui, grands jeûneurs, dépensaient peu pour eux-mêmes) que pour l'achat et la diffusion de leurs livres sacrés et de leur littérature apologétique ou polémique; pour l'organisation des services de liaison, des réunions, dont le succès dépendait souvent du silence de quelque fonctionnaire intéressé; pour les déplacements, les voyages, les secours aux croyants nécessiteux. Partout et toujours, l'argent était un puissant moyen d'action, surtout pour des gens dont la tête était mise à prix. Ainsi, en 1237, le baile de Fanjeaux arrêta l'évêque Bertrand Marty lui-même avec trois parfaits, et les laissa repartir contre la somme de trois cents sous toisas que des croyants ramassèrent aussitôt sur place au moyen d'une quête. Pour un cas de corruption connu, des dizaines ont dû rester secrets; et des hommes, sans cesse à la merci du premier misérable qui leur ferait le chantage à la dénonciation, ne devaient guère éprouver de scrupules à acheter leur vie à prix d'or.

Les parfaits étaient riches et réputés pour tels. Ils payaient généreusement les services qu'on leur rendait. Ne pouvant porter de fortes sommes sur eux (c'était fort difficile à l'époque où les billets de banque n'existaient pas), ils en confiaient la garde à des personnes sûres, lesquelles, à leur tour, les enterraient dans des cachettes connues d'elles seules; et ces trésors devaient être mis à la disposition de l'Église cathare en cas de besoin urgent. Les sommes importantes que les cathares possédaient dans toutes les régions où ils exerçaient leur ministère provenaient d'abord de legs que les croyants consolés leur faisaient à leur lit de mort; pour les croyants riches, ces legs étaient pour ainsi dire obligatoires, et même les personnes de petite condition léguaient leurs vêtements, leur lit ou divers objets mobiliers. Une autre source de revenus était fournie par des collectes faites pour l'Église par des hommes de confiance, collectes qui recueillaient des dons en argent et en nature.

La vie clandestine des cathares semble avoir été bien organisée à l'époque des premières années de l'Inquisition: les registres des inquisiteurs font état de diverses catégories de croyants fauteurs d'hérétiques: les receptatores, délit le plus commun - ceux qui accordaient l'hospitalité aux parfaits; les nuncii, agents de liaison, guides ou messagers; les quaestores ou collecteurs de fonds; les depositarii ou dépositaires chargés de la garde des trésors. Toutes ces fonctions n'étaient évidemment pas rigoureusement délimitées, et les noms donnés à ces croyants servaient plutôt à qualifier la nature du délit, aucun croyant, et pour cause, ne se parait du titre de quaestor ou nuncius haereticorum. L'organisation n'en existait pas moins en fait, et plus la persécution devenait serrée, plus les liens qui unissaient les cathares et leurs fidèles devenaient rigoureux; le danger, qui rebutait les plus faibles, devenait un stimulant pour les natures généreuses; et même ceux dont la foi était médiocre devaient hésiter quand ils n'avaient plus d'autre alternative que le choix entre la fidélité et la trahison, et préféraient s'exposer aux dangers de poursuites plutôt que de trahir.

II - LE SANCTUAIRE DE MONTSÉGUR

Les cathares possédaient la forteresse de Montségur qui, au vu et au su de tous, était le centre officiel de l'Église cathare du Languedoc. Des chevaliers, accompagnés de leurs familles, y venaient en pèlerinage, des hommes du peuple s'y rendaient en secret, séparément ou par groupes, pour pouvoir assister librement au culte de leur Église, recevoir les bénédictions des bons hommes, leur demander des conseils ou des instructions sur la lutte à mener contre l'ennemi.

Ce château, situé sur les terres qui appartenaient à Guy de Lévis, maréchal de la foi et nouveau suzerain du Mirepoix, avait fait, semble-t-il, partie de l'héritage d'Esclarmonde, sœur de Raymond-Roger de Foix, et était tenu par Raymond de Perella, vassal des comtes de Foix; à ce puissant seigneur, personne ne contestait son domaine, parce que Montségur passait pour un nid d'aigle impossible à prendre d'assaut et était situé en pleine montagne, loin des grandes routes, dans un pays notoirement dévoué à l'hérésie; ni les croisés ni les troupes du roi n'avaient jugé utile de prendre cette forteresse d'un médiocre intérêt stratégique et dont le siège eût présenté d'immenses difficultés173.

Située sur le versant nord des Pyrénées, perdue au milieu de sommets de moyenne altitude (2000 à 3000 m) dominant, de trois côtés, des vallées profondes, la montagne ou pic de Montségur (1207 m) est un immense rocher arrondi, en forme de pain de sucre, et auquel on ne peut accéder que par son versant ouest, qui lui-même descend vers la vallée en pente fort raide et découverte. Le château construit au sommet, très petit, ne pouvait abriter de défenseurs nombreux, à plus forte raison servir d'habitation en temps de paix à une grande communauté. Les hérétiques qui se réfugiaient à Montségur logeaient dans le village situé au pied de la montagne et dans de nombreuses cabanes construites sur le versant ouest et dans le rocher; depuis le passage de Guy de Montfort aucune armée ennemie n'avait pénétré dans ces terres peu hospitalières et bien gardées, et autour de Montségur s'était formée, après la croisade, une véritable colonie cathare, si importante que des marchands des villes voisines y affluaient, toujours sûrs d'y trouver de la clientèle: le bourg perdu était en train de devenir un marché comme tout lieu de pèlerinage, car c'était bien ce qu'était Montségur.

En 1204, le château, considéré depuis longtemps par les cathares comme un lieu particulièrement propice à leur culte, tombait en ruines; et les parfaits demandèrent à son seigneur, R. de Perella, de le remettre en état et de le fortifier, ce qui fut fait, bien qu'à cette époque les cathares n'eussent pas un besoin urgent de se défendre. Cette demande prouve en elle-même que Montségur représentait pour les hérétiques autre chose qu'un éventuel refuge contre leurs ennemis. Dès le début du siècle, les évêques cathares et, en particulier, Guilhabert de Castres, venaient y prêcher; Esclarmonde de Foix, dont les droits sur Montségur semblent assez imprécis et dont la personnalité reste mystérieure, devait jouir d'une grande influence dans le pays, puisque Foulques lui rend un hommage indirect en déclarant qu'"avec sa mauvaise doctrine, elle a fait nombre de conversions174". Que cette grande dame, devenue parfaite en 1206, ait contribué ou non à rehausser le prestige de Montségur, c'est du début du XIIIe siècle que date l'intérêt tout particulier des cathares pour ce château. En 1232, Raymond de Perella en est le seul seigneur, et c'est à lui que Guilhabert de Castres demande la permission de faire de cette place le refuge officiel de l'Église cathare.

À cette époque, G. de Castres était le maître spirituel incontesté de la région et faisait à Montségur des séjours fréquents. Il n'y restait d'ailleurs pas longtemps et continuait à mener la vie vagabonde des ministres cathares. Mais des parfaites dont les couvents - autrefois lieux de retraite pour nobles veuves et maisons d'éducation pour jeunes filles pieuses - avaient été dispersés par la tourmente, se réfugièrent en grand nombre dans les environs de Montségur et se construisirent des cabanes sur la muraille de rocher; les parfaits, qui menaient une vie contemplative ou instruisaient dans la foi des candidats à l'apostolat, se voyaient également forcés de se chercher un refuge où ils pouvaient se consacrer à une vie de prière et d'étude. Au pied des murs du château s'édifia, peu à peu, un village de cabanes à moitié creusées dans le roc, à moitié suspendues dans les airs au-dessus des précipices; abri inaccessible et inconfortable qui ne devait pas répugner au tempérament ascétique de ces chercheurs de Dieu.

Autour de ce village collé en nids d'hirondelle contre la haute muraille du château était édifiée une solide palissade de pieux: étant donné la situation du château, les fortifications les plus primitives pouvaient suffire pour repousser n'importe quel assaillant. Mais il est évident que, sur un tel espace et dans de telles conditions, seuls pouvaient vivre des gens prêts d'avance à tous les sacrifices.

De nombreux parfaits et croyants demeuraient au village en bas de la montagne; c'était un lieu de passage, où les visiteurs de toutes conditions, de tout âge venaient faire des séjours plus ou moins longs, pour monter au château, assister au culte, vénérer les parfaits et repartir ensuite reprendre une vie de bons catholiques. Et par la force des choses, Montségur devenait en quelque sorte le quartier général de la résistance cathare et même de la résistance tout court: la classe de la population la plus dévouée à l'hérésie était justement celle qui était la plus indiquée pour l'organisation d'une révolte.

Décimée, ruinée, exilée, la noblesse du Languedoc était encore forte en 1240; la plupart des vassaux du comte de Toulouse, ceux du comte de Foix et une partie des anciens vassaux des Trencavel avaient gardé leurs domaines; ils n'avaient pactisé avec l'autorité occupante qu'à contrecœur et n'aspiraient qu'à être maîtres sur leurs terres; et l'Inquisition était pour eux une source de vexations sans nombre. Si le comte de Toulouse était assez puissant pour s'en plaindre ouvertement, ses vassaux se contentaient le plus souvent d'une opposition sourde mais systématique. Les plus forts, tels les frères de Niort, pouvaient au début se permettre de faire une guerre ouverte à l'Église; d'autres, sans aller jusqu'à envahir le palais de l'archevêque, s'attaquaient aux couvents et aux églises, ce qui était de bonne tradition féodale. Le comte de Toulouse, pour des raisons politiques, ne pouvait permettre à ses vassaux des actes de violence par trop notoires; mais sur les territoires du comte de Foix, les seigneurs étaient toujours plus ou moins maîtres chez eux. C'est dans les Pyrénées, à présent, que s'organisait la résistance armée de la noblesse occitane.

À cheval sur les Pyrénées, les domaines du comte de Foix comprenaient, en Languedoc, la vallée de l'Ariège et les pays environnants; en Espagne, le vicomté de Castelbon que Roger-Bernard possédait par son mariage avec l'héritière de cette terre; par liens d'hommage et de parenté, la noblesse du versant espagnol des Pyrénées était étroitement apparentée à celle du Languedoc méridional; une profonde similitude de race, de langue, de traditions unissait les pays situés des deux côtés des Pyrénées, et si le Roussillon est resté catalan jusqu'à nos jours, au moyen âge le Carcassès, le pays de l'Ariège, le Comminges étaient plus proches de la Catalogne et de l'Aragon que de la Provence ou de l'Aquitaine. Aussi, pendant la croisade, une bonne partie de la noblesse montagnarde du Languedoc avait-elle passé les monts et trouvé un refuge naturel auprès de la noblesse de Cerdagne et de Catalogne. Nous avons vu que Pierre II d'Aragon avait considéré l'attaque des comtés de Foix et de Comminges comme une offense personnelle et que, pour sa chevalerie, la défense du Languedoc avait été un acte de patriotisme. Dépossédés, expulsés de leurs terres, les faidits formaient en Espagne un parti puissant, malgré les sentiments catholiques du jeune roi Jacques I. Raymond Trencavel vivait à la cour du roi d'Aragon, entouré de ses vassaux et de ses amis, et préparait activement sa revanche.

Chassé de Carcassonne par les troupes de Louis VIII, en 1226, après avoir tenu le pays pendant deux ans, ce jeune homme175 bénéficiait du prestige de son père dont le courage et la fin tragique vivaient toujours dans la mémoire des Occitans. Pour tous les pays jadis soumis à la domination des Trencavel, il était le seigneur légitime dont on espérait le retour avec d'autant plus d'ardeur que la situation créée par la paix de Paris provoquait un mécontentement qui croissait avec les années.

Raymond Trencavel n'avait pas à compter sur le secours du roi d'Aragon. Ni le comte de Toulouse ni le comte de Foix ne pouvaient se risquer à soutenir ouvertement un seigneur qui élevait des prétentions sur des terres appartenant à la couronne de France. Il pouvait compter sur l'appui total des faidits - chevaliers sans terres qui n'avaient que leurs bras et leurs armes - et sur l'appui secret des seigneurs soumis au roi et prêts à se révolter à la première occasion.

Olivier de Termes, dans les Corbières, possédait plusieurs châteaux forts qui ne s'étaient pas soumis à l'autorité royale et qui pouvaient servir de dépôts d'armes et de lieux de rassemblement. Et c'est dans les montagnes des Corbières, du pays de Sault, de la Cerdagne, que se préparait le soulèvement de ces seigneurs indigènes qui, n'ayant plus à compter sur les princes qu'en cas de succès, réduits à leurs propres forces, se raccrochaient avec d'autant plus d'ardeur à la foi cathare, qui était déjà, pour la majorité d'entre eux, la foi de leurs pères et, surtout, le symbole de leur liberté.

En 1216, ils s'étaient battus pour le comte de Toulouse; à présent, Raymond VII, signataire du traité de Meaux, harcelé par le roi et le Pape, toujours en quête de nouvelles alliances, toujours en équilibre sur la corde raide, était un appui beaucoup trop incertain; s'il était encore le seul homme capable de réunir toutes les résistances autour de sa personne et de soulever le pays tout entier, on ne pouvait se battre en son nom contre son gré. Mais tout homme était libre de se battre pour sa foi.

C'est pourquoi Montségur fut, pendant dix ans, l'âme et le centre de la résistance occitane. D'Espagne, les faidits passaient les monts pour se recueillir dans le haut lieu vénéré où le culte cathare était célébré avec une solennité qui égalait et dépassait celle de l'époque d'avant-guerre; du Languedoc, les chevaliers qui conspiraient en secret montaient à Montségur pour y rencontrer leurs amis, se concerter, recevoir des instructions; beaucoup de ces pèlerinages devaient avoir un caractère plus politique que religieux et - bien que l'on ne sache rien de leur activité - les parfaits, de petite noblesse eux-mêmes pour la plupart, ne devaient pas rester étrangers à ce mouvement patriotique; et peut-être entretenaient-ils autant leurs fidèles de la libération de leur pays que de la vanité d'un monde créé par un dieu mauvais.

En fait, ce qui est étrange, nous n'en savons rien. Nous savons que Guilhabert de Castres, Jean Cambiaire, Raymond Aiguilher, Bertrand Marty et d'autres recevaient un grand nombre de chevaliers qui ont joué un rôle prépondérant dans la lutte pour l'indépendance. Guilhabert de Castres, qui devait être fort âgé, descendait de Montségur et se rendait sous bonne escorte dans des châteaux de la région pour y faire de brefs séjours; tous ces déplacements étaient organisés d'avance avec beaucoup de soin et dans le plus grand mystère; l'infatigable évêque ne voulait évidemment pas renoncer, par crainte du danger, à visiter ses ouailles; mais il est légitime de supposer qu'il prenait une part active et personnelle au soulèvement qui se préparait, et qu'il encourageait ses fidèles à la lutte plutôt qu'à la non-résistance.

Les témoignages qui nous sont parvenus constatent seulement que tel parfait est venu dans tel endroit, qu'il a rompu le pain et que telles personnes l'ont "adoré"; et en suivant l'activité de dizaines et de dizaines de chevaliers, de femmes nobles, de sergents d'armes qui allaient, venaient, repartaient, revenaient, séjournaient à Montségur, etc., on n'apprend absolument rien, sauf le fait qu'ils écoutaient des sermons. Ainsi verra-t-on, au début du siège de Montségur (13 mai 1243), deux sergents d'armes, le diacre Clamens et trois parfaits descendre du château, traverser les lignes ennemies pour aller jusqu'à Causson, et cette expédition n'aura été entreprise que dans le but d'aller manger du pain bénit avec deux hérétiques de Causson. Il est d'ailleurs possible que l'activité des parfaits et des croyants autour de Montségur ait été dictée par des impératifs strictement religieux et rituels, dont nous ne pouvons mesurer l'importance faute de renseignements précis. Mais le contraire n'est pas impossible.

Il est peut-être difficile d'imaginer les parfaits organisant une activité terroriste; mais après tout, nous avons vu des évêques et même des saints catholiques se lancer à corps perdu dans la bagarre, le péril que courait l'Église justifiant tous les moyens d'action; et les ministres cathares, en agissant de même, eussent été plus excusables, puisque leur foi était plus violemment persécutée. Ce sont des hommes de Montségur qui ont participé à l'acte de terrorisme le plus retentissant de toute l'histoire de l'Inquisition. Les parfaits ne l'ont pas inspiré, ils l'ont peut-être approuvé. En un moment où la défense de leur Église coïncidait avec celle de leur patrie terrestre, les saints hommes de Montségur, qui étaient après tout faits de chair et de sang, pouvaient être aussi patriotes que des chevaliers faidits.

Raymond de Perella et son gendre Pierre-Roger de Mirepoix étaient parmi les chefs les plus décidés de la noblesse résistante; il est à peu près sûr qu'ils entretenaient des rapports secrets avec le comte de Toulouse; sans doute aussi avec Raymond Trencavel et avec le comte de Foix, et la plus grande partie de la noblesse cathare.

De grands seigneurs comme les sires de Niort avaient fourni une aide matérielle importante aux bons hommes de Montségur après l'hiver 1234, où toutes les récoltes gelèrent sur pied: Bernard-Othon de Niort s'occupa lui-même à rassembler les soixante muids de blé qui furent envoyés à Montségur; la chevalerie de Laurac donna vingt muids, Bernard-Othon de Niort à lui seul dix muids, le reste avait été fourni par les dons des seigneurs et des bourgeois des environs de Carcassonne et de Toulouse. Il y eut d'autres collectes, fort nombreuses, en argent et en nature, destinées aux fonds du château et à son approvisionnement.

Montségur devenait un arsenal; un dépôt d'armes s'y constituait dont l'importance devait être grande ainsi que le montrera la suite des événements; il est à croire que les chevaliers qui venaient pour y prier profitaient de leur pèlerinage pour apporter dans la place leur contribution en lances, flèches, arbalètes ou armures; D. Vaissette pense même que Montségur aurait servi de place d'armes à Trencavel176 ce qui ne semble pas confirmé par les faits, aucun témoin ne faisant mention d'un passage de Trencavel à Montségur. Mais l'immense dépôt d'armes accumulé dans la forteresse pouvait aussi bien être destiné à la défense du château qu'à l'approvisionnement en armes d'une éventuelle armée libératrice.

De plus, Montségur, "capitale" de l'Église cathare du Languedoc, abritait non seulement une grande partie des ministres de la secte, mais aussi un "trésor". Ce trésor consistait, d'abord, en dépôts d'argent, car pour la défense du château et l'entretien d'un grand nombre de parfaits il fallait disposer de sommes considérables, et Montségur devait aider les frères qui militaient dans les régions où ils étaient exposés à la persécution. Le trésor comprenait certainement autre chose: des livres sacrés, peut-être des manuscrits très anciens, des œuvres de docteurs particulièrement vénérés; la littérature cathare était abondante, et les parfaits, pour instruire les fidèles et les néophytes, ne se contentaient pas du Nouveau Testament; tout aussi passionnés de théologie que les catholiques, ils tenaient à conserver la pureté du dogme et attachaient la plus grande importance aux livres qui les aidaient à se maintenir dans la tradition orthodoxe. Le trésor comprenait-il autre chose? Des reliques, des objets considérés comme sacrés? Ce qui est certain c'est qu'aucune déposition n'en a jamais fait mention; il est vrai aussi que l'interrogatoire des inquisiteurs ne prévoit aucune question de ce genre. Il est possible que tel manuscrit de l'Évangile ou tel objet servant au culte aient pu être entourés d'une vénération spéciale - les cathares étant, après tout, des hommes - et gardés à Montségur à titre d'objets sacrés. Mais quelle que fût la nature du trésor de Montségur, l'endroit lui-même commençait à prendre une importance exceptionnelle dans l'esprit de tous les croyants du Languedoc, et il devenait le lieu saint par excellence.

L'était-il avant 1232, ou avant la croisade? Il ne le semble pas. Au temps où les cathares étaient libres de célébrer leur culte où ils voulaient, Montségur n'était un lieu sacré que pour les hérétiques de la région de Foix, l'esprit d'indépendance locale jouant là comme ailleurs. Cependant, sa situation et sa construction montrent qu'il a pu être un temple autant qu'un château; qu'il a très probablement été aménagé en vue de la célébration du culte, à un moment peut-être où l'Église cathare se sentait assez forte pour édifier et consacrer ses propres sanctuaires à l'exemple de l'Église catholique: en 1204 dans la région de Foix, la religion cathare était presque la religion officielle.

Entre 1232 et 1242, le château devint un lieu saint vers lequel les mourants se faisaient transporter, à dos de mulet, par les chemins de montagne, pour y recevoir le sacrement suprême et être ensevelis à l'ombre de ses murailles. Ainsi le chevalier Jordan Calvent, déjà consolé, se fit porter à Montségur pour y mourir; Pierre Guillaume de Fogart, accompagné de deux bons hommes, entreprit le voyage dans un tel état de faiblesse qu'il ne put arriver jusqu'à Montségur et s'arrêta à Montferrier où il mourut. Des femmes nobles des régions environnantes s'y retiraient pour y recevoir le consolamentum et y vivre dans la prière: en 1234, Marquesia de Lantar, belle-mère de R. de Perella, s'y fit "hérétiquer" par Bertrand Marty; les nombreuses parfaites qui vivaient dans leurs "maisons" autour du château recevaient les visites de leurs sœurs ou de leurs filles, qui faisaient auprès d'elles des séjours plus ou moins longs, parfois de plusieurs mois; parmi les visiteurs qui montèrent au château au cours des années 1233-1243, on cite surtout des chevaliers et des hommes d'armes, et aussi des femmes, sœurs ou filles de chevaliers. Les croyants de moindre condition y montaient peut-être aussi, mais n'ont pas attiré l'attention particulière des tribunaux; ceux-ci mentionnent toutefois les marchands des environs qui se rendaient à Montségur pour vendre des vivres, et tombaient de ce fait sous le coup de la loi qui interdisait de fournir une aide quelconque aux hérétiques.

En 1235, Raymond VII envoya trois chevaliers avec la mission de prendre possession de Montségur; ces chevaliers furent reçus dans le château, adorèrent Guilhabert de Castres et retournèrent à Toulouse. Peu après, le comte envoya vin de ses bailes, Mancipe de Gaillac, qui se contenta, lui et ses compagnons, d'adorer les bons hommes, et repartit comme il était venu. Une troisième fois, le comte envoya le même Mancipe de Gaillac avec des hommes d'armes qui s'emparèrent du diacre Jean Cambiaire (ou Cambitor) et de trois autres parfaits, et les emmenèrent à Toulouse pour les brûler. Cet incident illustre assez bien la politique du comte à l'égard des hérétiques: l'attitude de Raymond VII envers l'hérésie restera équivoque jusqu'au bout. Tous les témoignages attestent qu'il fut un bon catholique. Il est même probable - certains faits de sa vie le montrent - qu'il détestait sincèrement l'hérésie, cause des malheurs de son pays. Si, à maintes reprises, il eut partie liée avec les cathares, il devait surtout chercher à se servir d'eux comme d'une arme qui pouvait l'aider à reconquérir son indépendance.

Raymond de Perella, seigneur de Montségur, était suzerain des châteaux de Péreille, de Laroque d'Olmes, d'Alzen (act. Nalzen), et Montségur n'était pas sa seule résidence, ni sans doute celle que les sires de Perella préféraient, puisqu'en 1204 le château tombait en ruines. L'édifice devait exister avant l'établissement de la famille de Perella dans le pays, mais sa construction ne paraît pas remonter plus haut que le IXe siècle. Sa construction (ou plutôt son plan, car les murs ont été au moins partiellement reconstruits en 1204) révèle certaines connaissances techniques et mathématiques fort rares en Europe occidentale à cette époque, et du reste l'architecture de Montségur est unique en son genre, non seulement dans la région mais dans tout le Languedoc.

Le rocher, dont le sommet atteint 1207 mètres d'altitude, et d'accès difficile, pouvait servir de défense naturelle; mais à première vue il semblerait que le bâtisseur du château ait été plutôt mal inspiré d'aller se percher si loin et si haut. De nos jours, les ruines de châteaux forts ne manquent pas en haut de pics et de crêtes qui dominent les grandes routes, les fleuves, les cols; Montségur est parmi les rares ruines situées dans des endroits qui ne dominent rien et ne mènent à rien. Le constructeur a dû être plus influencé par la beauté du site que par ses avantages pratiques. On a vu des églises s'édifier dans des endroits invraisemblables - rochers escarpés, sommets isolés, lieux désignés par quelque vision miraculeuse ou consacrés par une tradition païenne christianisée. Le choix du site de Montségur s'apparenterait à celui de Rocamadour ou de Saint-Michel de l'Aiguilhe; mais on ne relève guère, dans la région, de traces d'un culte qui eût justifié la construction d'un temple en ce lieu précis. Du reste, l'architecture de ce château ne ressemble pas à celle d'un édifice religieux; ce n'est pas, non plus, celle d'un château fort. Commandée par la forme du rocher, elle n'en suit pas moins un plan qui semble se soucier avant tout des effets d'éclairage, et de l'orientation des murs par rapport au soleil levant. Mais la particularité la plus étrange de cette construction, ce sont ses deux portes et ce qui reste des fenêtres du donjon: aucun château médiéval - si l'on excepte les murs d'enceinte des grandes villes - ne possède de porte aussi monumentale que la grande porte d'entrée de Montségur. Elle mesure près de deux mètres de largeur et n'est protégée par aucune tour ni aucun ouvrage de défense; dans cet imprenable château on pouvait entrer comme dans un moulin, à condition de franchir d'abord la pente du rocher. De tels portails étaient un luxe réservé aux églises; et, que cette porte ait été percée en 1204 ou laissée telle lors de la reconstruction, un détail de ce genre montre que le château était considéré comme autre chose qu'un ouvrage de défense: la seule idée de faire percer un portail pareil a quelque chose d'insolite et de tout à fait contraire aux règles de l'architecture du moyen âge.

Toutes ces considérations donneraient à penser que Montségur a bien été, soit à l'origine, soit plus tard, destiné à l'exercice d'un culte, et peut-être d'un culte solaire; mais on ne voit pas quels auraient pu être le ou les personnages puissants qui auraient pu faire élever, entre le IXe et le XIIe siècle, cet édifice monumental pour y pratiquer une religion dont on ne retrouve pas de traces dans le pays. Les cathares, semble-t-il, ne vouaient pas de culte au soleil; les manichéens anciens le faisaient, mais il est peu vraisemblable qu'une secte manichéenne ait pu subsister aussi longtemps dans cette région. Cependant, si des survivances de traditions manichéennes ont pu se maintenir dans ces lieux reculés et peu fréquentés, elles ont pu y favoriser la diffusion du catharisme, et Montségur aurait ainsi bénéficié de la faveur des hérétiques en tant que lieu de refuge de leurs ancêtres dans la foi. Ils ne devaient guère y attacher d'importance avant 1204, puisque le château tombait en ruines et était abandonné; mais des parfaites y avaient déjà une "maison", comme elles en avaient du reste dans d'autres endroits montagneux et isolés: elles pouvaient avoir choisi ce site pour sa beauté et son silence. Il est fort probable qu'une tradition locale ait accordé une certaine importance au château de Montségur, et l'ait considéré comme un vestige laissé par les "bons chrétiens" d'autrefois. Car, comme nous l'avons vu, les cathares ne se regardaient nullement comme des novateurs, mais comme des gardiens d'une tradition plus ancienne que le catholicisme.

En 1233, Montségur commençait à apparaître aux catholiques comme la "Synagogue de Satan" - terme emprunté au vocabulaire cathare qui désignait sous ce vocable l'Église romaine. Menacée de mort violente l'Église cathare du Languedoc se serait créé spontanément une capitale terrestre dont le rayonnement pût faire contrepoids à l'ombre de plus en plus dense que Rome projetait sur le pays; et, à l'heure où tant de croyants étaient envoyés, à travers toute l'Europe, vers des lieux de pèlerinage catholiques par mesure de contrôle policier, leurs chefs spirituels dressaient pour eux dans les Pyrénées un lieu saint dont la noblesse pût contrebalancer les splendeurs de Rome, de Saint-Jacques-de-Compostelle, de Notre-Dame du Puy et de Notre-Dame de Chartres.

Le règne de Montségur fut bref. Il n'en constitue pas moins la tentative la plus marquante de l'Église cathare pour s'imposer dans le Languedoc en tant qu'Église nationale. L'Inquisition à elle seule n'aurait peut-être pas eu raison de Montségur, et ce lieu, qui était si rapidement devenu, pour un peuple humilié et traqué, le symbole de tous les espoirs, aurait peut-être pu avoir une influence durable sur l'"Histoire du Languedoc"; mais la citadelle cathare ne devait entrer dans la légende que mutilée et désertée. De la vie intense dont elle avait été le centre, il reste si peu de traces que les hommes, sans doute admirables et héroïques, qui l'ont habitée, sont moins vivants pour nous que les flammes de leur bûcher.

III - LA RÉVOLTE ET L'ÉCHEC DE Raymond VII

Pierre Seila et Guillaume Arnaud dans le diocèse de Toulouse, Arnaud Cathala et Frère Ferrier sur les territoires du roi continuaient leur tâche avec une ténacité exemplaire, malgré la résistance sourde que leur opposait la population du Languedoc. La révolte couvait: elle éclata, une première fois, en 1240: en avril de cette année Raymond Trencavel, à la tête d'une armée composée de faidits, d'exilés et de soldats aragonais et catalans, traversait les monts et, par la vallée de l'Aude, avançait dans le Carcassès. Olivier de Termes soulevait les Corbières et Jourdain de Saissac prenait les armes dans le Fenouillèdes.

Accueillis comme des libérateurs à Limoux, Alet et Montréal, les seigneurs occitans sont en quelques semaines maîtres de tout le pays. Pépieux, Alzille, Laure, Rieux, Caunes, Minerve ouvrent leurs portes; Montoulieu, ayant résisté, est pris d'assaut et la garnison massacrée.

Carcassonne, où le sénéchal Guillaume des Ormes s'est enfermé avec l'archevêque Pierre-Amiel et l'évêque de Toulouse, est investie le 7 septembre par les troupes de Trencavel qui pénètrent dans le bourg où elles sont accueillies avec joie; la révolte est si bien dirigée contre l'Église autant que contre les Français que trente-trois prêtres pris dans le bourg sont massacrés par la population malgré le sauf-conduit donné à eux par le vicomte. Le siège dura plus d'un mois. Malgré les attaques vigoureuses de Trencavel qui tentait de réduire la cité par des travaux de sape et des tirs de machines, Carcassonne résista. Le 11 octobre, l'avance d'une armée royale commandée par Jean de Beaumont força les assiégeants à lever le camp, et l'armée de Trencavel et une partie des habitants du bourg quittèrent Carcassonne après avoir ravagé le couvent des Frères prêcheurs et l'abbaye Notre-Dame et mis le feu à plusieurs quartiers.

Retiré dans Montréal et à son tour assiégé, Raymond Trencavel se vit forcé à négocier. Le comte de Toulouse n'avait pas bougé; il attendait la suite des événements. Sommé par Pierre-Amiel et Raymond du Fauga de porter secours au sénéchal selon les engagements pris par lui au traité de Meaux, il avait demandé à réfléchir. Il n'était pas allé jusqu'à se soulever à son tour et voler au secours de son cousin: il guettait une meilleure occasion. De concert avec le comte de Foix, il s'entremit auprès des représentants du roi pour négocier une paix honorable pour Raymond Trencavel, qui fut autorisé à repartir en Espagne avec armes et bagages.

Les villes qui s'étaient soulevées furent sévèrement châtiées: le bourg de Carcassonne complètement incendié, Limoux, Montréal et Montoulieu saccagés; les autres payèrent de lourdes contributions. L'armée royale monta vers les Corbières et obtint la soumission des seigneurs de Pierrepertuse et de Cucugnan, puis celle des seigneurs de Niort.

Raymond VII, dont l'attitude pendant la révolte avait paru plus qu'écivoque aux Français, se vit obligé de se rendre à Paris pour y renouveler ses serments de fidélité au jeune roi Louis IX (à présent âgé de 25 ans); il jura de faire la guerre à tous les ennemis du roi, de chasser les hérétiques et les faidits, et de prendre et de détruire Montségur. De plus, le comte donnait des gages de sa loyauté au légat en faisant la paix avec le comte de Provence, qu'il attaquait pour: servir la politique de l'empereur Frédéric II, ennemi juré du pape.

De toute évidence, Raymond VII ne tenait à aucun prix à se brouiller avec le roi à ce moment-là et voulait effacer la fâcheuse impression qu'avait pu produire la révolte de Trencavel. Cette révolte était arrivée trop tôt; et il faut croire que ni les années ni les malheurs n'avaient pu détruire la vieille rivalité entre les comtes de Toulouse et les Trencavel: le jeune Raymond n'avait pas consulté son cousin, et ce dernier ne l'avait pas soutenu. Il est vrai qu'il préparait une opération de grande envergure et son heure n'était pas encore venue.

Raymond VII avait renoncé à l'espoir de reconquérir son indépendance par une résistance locale condamnée d'avance à l'échec: il avait déjà fait l'impossible, et sa victoire sur les troupes de Montfort l'avait amené au traité de Meaux. Ce n'est qu'en affaiblissant d'une façon durable la puissance des rois de France qu'il pouvait rendre à son pays sa liberté et sa prospérité; il n'avait aucune chance d'y parvenir par ses propres forces. Il songeait donc à des combinaisons politiques plus vastes: ce n'était pas Trencavel et Olivier de Termes qui pouvaient chasser les Français du pays; c'étaient le roi d'Angleterre, l'empereur d'Allemagne et une ligue de grands vassaux qui, en cas de victoire, pourraient dicter leurs conditions à la France. Pour assoupir les soupçons du pape et du roi, le comte de Toulouse était prêt à toutes les soumissions et à toutes les manifestations d'orthodoxie; du reste, les souverains qu'il se cherchait pour alliés étant tous catholiques, il tenait moins que jamais à passer pour un protecteur de l'hérésie.

De plus, il avait, du pape, deux faveurs importantes à obtenir: la permission d'enterrer son père et celle de répudier sa femme. Il était assez vain, en effet, de vouloir secouer le joug des Français, si de toute façon le Languedoc devait, après la mort du comte, tomber automatiquement aux mains du roi de France par droit d'héritage. Or, Raymond VII ne parvenait toujours pas à se séparer de sa femme, stérile depuis vingt ans: le pape se gardait bien d'autoriser un divorce qui nuisait aux desseins du roi de France. Pour complaire au pape, le comte sacrifia son alliance avec l'empereur (pas pour longtemps comme on le verra) et s'en trouva mieux armé pour procéder à l'annulation de son mariage, d'autant plus qu'il était soutenu par Jacques I, neveu de la comtesse. Raymond prétendit avoir découvert, après vingt-cinq ans de mariage, que son père Raymond VI avait été un des parrains de la princesse Sancie, et qu'il se trouvait avoir épousé une filleule de son père. Il produisit des témoins et le mariage fut déclaré nul, à la grande indignation de l'évêque de Toulouse et au mécontentement, plus grand encore, d'Alphonse de Poitiers et de son épouse Jeanne, fille de Raymond VII.

Débarrassé de sa femme, le comte de Toulouse devenait un assez bon parti pour les filles des grands féodaux du Midi de la France. Raymond-Bérenger, comte de Provence (fils d'Alphonse, frère cadet de Pierre II d'Aragon), après s'être appuyé sur le roi de France pour se défendre contre les prétentions de l'empereur, songeait à présent à un moyen de se débarrasser de la tutelle des Français; Raymond VII, après avoir fait, en 1239, la guerre au comte de Provence pour servir les intérêts de l'empereur, lui proposait la paix, faisant ainsi coup double: d'un côté il donnait satisfaction au pape, d'un autre côté il s'acquérait un allié dans sa lutte future contre le roi.

Raymond-Bérenger n'avait que des filles; l'aînée était mariée à Louis IX, la cadette à Henri III d'Angleterre; deux autres restaient à pourvoir. Pas plus que Raymond VII, le comte de Provence, ne tenait à voir le roi de France hériter ses domaines: dix ans de domination française dans le Carcassès et l'Albigeois avaient dû amplement édifier les seigneurs méridionaux sur le sort qui attendait leurs pays en cas de mainmise royale. Raymond-Bérenger élut pour son troisième gendre le comte de Toulouse, dans l'espoir de fonder, avec lui et son cousin Jacques I d'Aragon, une ligue de barons du Midi assez puissante pour mettre en échec l'autorité royale. Pour Raymond VII, le mariage était une question vitale, puisque seul un héritier mâle pouvait (malgré les clauses du traité de Meaux) sauvegarder l'indépendance de sa terre.

Le comte avait, en 1241, quarante-quatre ans; il n'y avait aucune raison de supposer qu'il n'aurait plus de descendants, et cette circonstance pouvait compromettre, pour la France, les avantages du traité de Meaux. Or, à moins d'aller chercher une fiancée au Danemark, aucun prince d'Europe ne pouvait se marier sans une dispense du Saint-Père, et les familles des grands barons du Midi étaient toutes unies entre elles par des liens de parenté: Raymond VII se trouvait être parent par alliance des filles de Raymond-Bérenger, son épouse répudiée étant (ironie du sort) grand-tante de ces jeunes princesses. La dispense ne semblait pas être difficile à obtenir et le roi Jacques I d'Aragon représenta le comte de Toulouse à Aix, pour un mariage par procuration avec Sancie, troisième fille du comte de Provence. Ce mariage ne devait pas être consommé: Grégoire IX mourut le 21 août 1241, son successeur Célestin IV n'eut pas le temps de s'occuper de la dispense: son pontificat ne dura que quelques semaines; après sa mort (octobre 1214), le siège pontifical resta vacant vingt mois et le comte de Provence (se disant sans doute que cette dispense qui tardait trop risquait de ne jamais venir) maria sa fille à Richard, frère du roi d'Angleterre.

Le comte de Toulouse n'eut plus qu'à se chercher un nouveau beau-père: il porta son choix sur la fille d'Hugues de Lusignan, comte de La Marche. Là aussi, une dispense était nécessaire: Marguerite de La Marche et Raymond VII étaient consanguins au quatrième degré, descendant tous deux de Louis VI le Gros. Cette dispense-là, pour d'autres raisons, ne sera pas obtenue non plus.

Hugues de Lusignan, suzerain du Poitou, poussé par sa femme Isabelle d'Angoulême, veuve de Jean sans Terre, se cherchait, lui aussi, des alliés contre le roi de France. En 1242, le jeune Louis IX vit se former contre lui une ligue où prenaient part (plus ou moins directement) le duc de Bretagne Pierre Mauclerc, le comte de Toulouse, le comte de La Marche, le comte de Provence, soutenus d'un côté par le roi d'Angleterre Henri III, d'autre part par Jacques I d'Aragon. La coalition, en apparence puissante, n'était ni assez unie ni assez organisée pour mettre en échec la jeune et combative monarchie française. Nous avons vu que sur le plan militaire les Français du Nord avaient sur les Méridionaux une incontestable supériorité; et la défaite rapide de Raymond Trencavel avait montré qu'en pays ennemi et avec des troupes numériquement faibles les Français finissaient toujours par avoir le dessus. L'espoir de Raymond VII: encercler les domaines du roi et frapper l'adversaire sur plusieurs fronts en même temps, eût pu se réaliser si tous ses alliés avaient été aussi désireux que lui de faire la guerre au roi de France.

Mais le plus intéressé de tous, le comte de Toulouse, était aussi le plus faible, avec les garnisons royales à quelques dizaines de kilomètres de sa capitale, ses places fortes démantelées, et le contrôle incessant que l'autorité royale et l'Église ne cessaient d'exercer sur lui. Passant de Provence en Poitou, du Poitou en Espagne, Raymond VII avait consacré les années 1240-1242 à une intense activité diplomatique, en prenant du reste toutes les précautions pour ne pas éveiller les soupçons de Blanche de Castille: les 19 et 26 avril 1241, il signait avec le roi d'Aragon un traité d'alliance qui avait pour objet la défense de l'orthodoxie catholique et du Saint-Siège. Puis, il conclut une alliance offensive et défensive avec Hugues de Lusignan. Ensuite, il obtint l'adhésion des rois de Navarre, de Castille et d'Aragon, puis de Frédéric II. On ne peut dire que Raymond VII ait manqué de bonne volonté, ni même d'habileté; mais son sort, à présent, dépendait beaucoup moins de lui que de ses alliés, et pour eux la défaite de la France n'était pas d'un intérêt vital.

De retour d'Aragon et en chemin vers le Poitou, le comte tomba malade à Penne en Agenais, si gravement qu'on le crut à la mort (14 mars 1242). Cette maladie tombait assez mal: le comte de La Marche n'attendit pas le rétablissement de son allié pour dénoncer le lien de vassalité qui le liait aux rois de France. À peine rétabli, Raymond VII convoqua en hâte ses vassaux, au début d'avril, pour s'assurer de leur fidélité; tous jurèrent de le soutenir jusqu'à bout: Bernard comte d'Armagnac, Bernard comte de Comminges, Hugues comte de Rodez, Roger IV comte de Foix, les vicomtes de Narbonne, de Lautrec, de Lomagne, etc., s'engagèrent à aider le comte dans sa lutte contre le roi de France. C'était la déclaration de guerre.

Le jeune Louis IX, ne perdant pas de temps, se précipite avec son armée en Saintonge, où il écrase les troupes du comte de La Marche. La guerre débutait mal. Comptant sur la force du roi d'Angleterre et de ses autres alliés, Raymond VII ne songea pas à reculer: il savait qu'une deuxième occasion ne se représenterait pas. Mais la rapidité de la décision royale avait déjà compromis le succès de l'entreprise; et les vassaux du comte, toujours prêts à se battre pour leurs propres terres, ne tenaient pas à voler au secours d'Hugues de Lusignan.

Dans le peuple, la révolte, qui couvait comme un feu sous la cendre, flamba brusquement à la nouvelle de la guerre qui se préparait. Le signal en fut donné par le massacre d'Avignonet.

D'après les dépositions de témoins qui ont participé de près à l'affaire, ce massacre fut décidé à l'instigation directe du comte de Toulouse. Voici le récit que Fays de Plaigne, femme de Guillaume de Plaigne, fit aux inquisiteurs: "Guillaume et Pierre-Raymond de Plaigne, deux chevaliers de la garnison de Montségur, se trouvaient au château de Bram lorsqu'un certain Jordanet du Mas arriva pour dire à Guillaume que Raymond d'Alfaro l'attendait dans la forêt d'Antioche. R. d'Alfaro était viguier de Raymond VII et baile du château d'Avignonet. G. de Plaigne rencontra R. D'Alfaro au lieu indiqué, et le baile, après lui avait fait jurer le secret, lui dit: "Mon maître le comte de Toulouse ne peut pas se déplacer, non plus que Pierre de Mazerolles ou les autres chevaliers disponibles. Or, il faut tuer frère Guillaume Arnaud et ses compagnons. Je demande à P.-R. de Mirepoix et à tous les hommes d'armes de Montségur de venir au château d'Avignonet, où se trouvent en ce moment les inquisiteurs. Je conduirai d'ailleurs des lettres pour Pierre-Roger. Hâte-toi. En récompense, tu auras le meilleur cheval que l'on trouvera dans Avignonet après la mort des inquisiteurs177"".

Ce témoignage met en cause le comte de Toulouse de la façon la plus explicite. Peut-être Fays de Plaigne n'a-t-elle déposé dans ce sens que pour dégager en partie la responsabilité des siens? Le premier responsable direct est, dans tous les cas, Raymond d'Alfaro, qui a convoqué les hommes de Montségur et, seul, a rendu le meurtre possible. Il est douteux qu'il ait pu agir de sa propre initiative, ou du moins sans être sûr de l'approbation de Raymond VII; du reste, il était, en dehors de son titre de baile, très lié avec le comte, lequel était son oncle (R. d'Alfaro était le fils de Guillemette, fille naturelle de Raymond VI). Le comte, malgré sa haine pour les inquisiteurs, ne pouvait charger ses propres chevaliers d'un acte de violence; les chevaliers de Montségur n'étaient pas ses sujets, mais des rebelles déclarés et, de plus, demeuraient en un lieu réputé imprenable.

Mais ce n'était pas une corvée que le comte imposait aux chevaliers de Montségur, loin de là. C'était une aubaine, une faveur inespérée, une fête; ces hommes coururent au macabre rendez-vous avec une impatience d'amoureux pressés de revoir leur belle. Guillaume de Plaigne se rendit à franc étrier à Montségur annoncer la bonne nouvelle à Pierre-Roger de Mirepoix, commandant de la garnison; celui-ci rassembla aussitôt ses chevaliers et ses sergents d'armes, en leur disant: "Préparez-vous. Il s'agit d'une affaire très importante, qui nous rapportera un grand profit178!"

Ils étaient une soixantaine environ, soit près de la moitié de la garnison de Montségur, quinze chevaliers et quarante-deux sergents d'armes; tous appartenaient à la petit noblesse de la région, les Massabrac, les Congost, les Plaigne, les hommes de Montferrier, d'Arzeus, de Laroque d'Olmes, de Castelbon, de Saint-Martin-la-Lande... tous croyants cathares, sans doute depuis deux ou trois générations, car la plupart étaient des jeunes gens. Peut-on croire que P.-R. de Mirepoix ait caché aux parfaits le but de cette expédition? Eût-il risqué de prendre une telle responsabilité sans consulter le chef de la communauté, l'évêque Bertrand Marty? Les bons hommes ne fréquentaient peut-être pas la salle d'armes, mais ils devaient participer avec ardeur à tout ce qui se passait au dehors, puisque eux-mêmes se déplaçaient sans cesse et entretenaient des rapports suivis avec les croyants des environs. La mission dont R. d'Alfaro avait chargé les hommes de Montségur était contraire à la charité chrétienne, mais il n'y a pas lieu de croire que Bertrand Marty et ses compagnons l'aient désapprouvée.

Guillaume-Arnaud entreprenait une nouvelle tournée inquisitoriale, accompagné du Franciscain Étienne de Saint-Thibéry que le pape Innocent IV lui avait adjoint pour satisfaire aux exigences du comte de Toulouse. Les deux inquisiteurs étaient assistés dans leurs fonctions par deux Dominicains, Garsias d'Aure et Bernard de Roquefort, d'un Franciscain, compagnon d'Étienne de Saint-Thibéry, de Raymond Carbonier, assesseur du tribunal, représentant l'autorité épiscopale, de Raymond Costiran, dit Raymond l'Écrivain, ancien troubadour devenu archidiacre de Lézat (cet homme avait, 10 ans plus tôt, pris la défense de B.-O. de Niort lors de son procès) et de quatre domestiques.

Avignonet, situé en plein Lauraguais, sur les confins du domaine du comte de Toulouse, passait pour un nid d'hérétiques; tous les pays des environs, les Cassés, La Bessède, Laurac, Sorèze, Saissac, Saint-Félix étaient de vieille tradition hérétique et il fallait à Guillaume-Arnaud et à ses compagnons un certain courage pour y organiser une Inquisition au moment même où le comte de Toulouse venait de déclarer la guerre au roi de France. Ils voyageaient à cheval, sans escorte, et s'installaient dans le logis que les autorités locales mettaient à leur disposition.

Ils arrivèrent à Avignonet la veille de l'Ascension, et furent reçus par Raymond d'Alfaro qui, en tant que baile du comte, les fit loger dans la maison qui appartenait au comte de Toulouse. Ils les reçut avec la joie que l'on devine, et nous savons déjà qu'il ne perdit pas de temps pour faire connaître leur arrivée à qui il fallait. De leur côté, les hommes de Montségur, après une bonne chevauchée (il y a soixante kilomètres à vol d'oiseau entre Avignonet et Montségur, et près de cent par la route), s'arrêtèrent à Gaja, où ils furent reçus dans la maison de Bernard de Saint-Martin; là, ils furent rejoints par une autre troupe, composée de Pierre de Mazerolles, Jordan du Vilar et plusieurs sergents d'armes; puis, au Mas Saintes Puelles, le chevalier Jordan du Mas se joignit à eux; le secret n'avait plus besoin d'être bien gardé, le seul fait de savoir les inquisiteurs à portée de leurs armes changeait tous les hommes du pays en conjurés.

Quand la troupe s'arrêta à la maison des lépreux, à la sortie d'Avignonet, un messager de Raymond d'Alfaro vint les trouver, demandant s'ils s'étaient munis de haches. Douze haches avaient été préparées, huit hommes de Gaja et quatre de Montségur avaient été choisis pour ouvrir la marche. Les conjurés furent conduits, à la nuit tombée, dans la ville, puis Raymond d'Alfaro, reçut lui-même les hommes d'armes "vêtu d'un pourpoint blanc", et les guida à la lueur des flambeaux à travers les couloirs de la maison, jusqu'à la porte derrière laquelle reposaient les inquisiteurs, Le baile était lui-même accompagné d'une quinzaine d'habitants d'Avignonet qui avaient, eux aussi, voulu se joindre au complot.

La porte s'abattit sous les coups de hache, et les sept moines, réveillés en sursaut, et ne comprenant que trop bien dans quel piège ils étaient tombés, s'agenouillèrent pour entonner le Salve Regina; on ne leur laissa pas le temps de le terminer, Raymond d'Alfaro se précipita en avant avec sa masse d'armes, répétant: "Va be, esta be" (C'est bien, c'est bien) et ses compagnons se disputaient tous l'honneur de frapper les premiers coups. Ce que dut être cette boucherie, on peut l'imaginer par le seul fait que plusieurs des conjurés se vantèrent plus tard d'avoir porté des coups mortels. Les crânes des moines furent fracassés par les haches et les massues, leurs corps transpercés par d'innombrables coups de lance et de poignard dont beaucoup ne frappèrent plus, sans doute, que des cadavres.

Puis, ce fut le partage du butin: les registres des inquisiteurs, les quelques objets de valeur qu'ils emportaient dans leurs déplacements; assez peu de chose: des livres, un chandelier, une boîte de gingembre, quelques pièces d'argent, des vêtements, des couvertures; des scapulaires, des couteaux. À voir l'avidité avec laquelle ces hommes qui, sans être riches, n'étaient pas des miséreux, se précipitèrent sur ces objets de valeur somme toute médiocre, dans une pièce jonchée de cadavres défigurés et sanglants, on croit assister plutôt à une distribution de trophées qu'à une scène de pillage. Ceux des conjurés qui n'avaient pas participé au meurtre s'étaient joints aux autres, chacun voulait en avoir sa part.

Puis, R. d'Alfaro fit distribuer aux conjurés des chandelles et des flambeaux, et la procession sortit de la ville pour rejoindre le reste de la troupe qui les attendait à la maison des lépreux. G. de Plaigne montait le "meilleur cheval" qui lui avait été promis: le palefroi de Raymond l'Écrivain. Le baile d'Avignonet prit congé de ses complices, en leur disant: "Tout a été bien fait. Allez en bonne fortune". Puis, il rentra dans la ville pour crier l'appel aux armes. La retraite aux flambeaux qui annonçait la mort des inquisiteurs donnait le signal du soulèvement.

Pierre-Roger de Mirepoix attendait ses hommes dans la forêt d'Antioche; ils arrivèrent, amenant leur butin chargé sur leurs chevaux; sept hommes (Pons de Capelle, P. Laurens, G. Laurens, P. de Mazerolles, P. Vidal, G. de La Ilhe, G. Acermat) se vantaient d'avoir porté les coups mortels aux deux inquisiteurs. Pierre-Roger, dès qu'il aperçut G. Acermat, lui cria: "Traître, où donc est la coupe d'Arnaud? - Elle est brisée. - Et pourquoi ne m'en as-tu pas rapporté les morceaux? Je les aurais réunis dans un cercle d'or et dans cette coupe, j'aurais bu le vin toute ma vie". La "coupe" n'était autre chose que le crâne de Frère Guillaume-Arnaud179.

Au matin de l'Ascension, la troupe arriva à Saint-Félix. La grande nouvelle s'était déjà répandue dans le pays: le curé du bourg, à la tête de ses ouailles, vint féliciter les meurtriers, qui entrèrent dans Saint-Félix aux acclamations de la foule.

Le comte commençait sa guerre de libération. Au lendemain du massacre d'Avignonet, Pierre-Roger de Mirepoix envoyait deux sergents d'armes à Isam de Fanjeaux, pour demander si les affaires du comte de Toulouse allaient bien. Elles allaient bien, en effet: en trois mois, avec l'aide de Raymond Trencavel, Raymond VII allait se rendre maître du Razès, du Termenès, du Minervois et entrer en triomphe à Narbonne que lui livrait le vicomte Aimery; et pour bien marquer l'annulation du traité de Paris, il allait reprendre solennellement son titre de duc de Narbonne180. Les Occitans purent croire un instant que l'heure de la délivrance était arrivée.

Le meurtre de Guillaume-Arnaud et de ses compagnons n'était ni une victoire militaire, ni un acte d'héroïsme; c'était même, à ne considérer que les faits tout nus, une histoire plutôt sordide. Moins sordide, à tout prendre, que des bûchers allumés au nom du Christ, mais les actes de justice légale bénéficient d'un préjugé favorable, parfois, aux yeux de ceux-là mêmes qui les condamnent. Le massacre d'Avignonet avait aussi été un acte de justice: de cette justice populaire qui finit par avoir raison des lois, des pouvoirs publics et du temps. L'Église ne mit pas Guillaume-Arnaud au rang des martyrs, et les meurtriers, malgré le triomphe définitif de l'Inquisition, restèrent impunis.

La révolte de Raymond VII fut un échec. Le comte avait sans doute sous-estimé l'énergie et les talents militaires des chefs français, et surestimé les forces de ses alliés; erreur bien excusable, la situation où il se trouvait était si terrible qu'il devait être enclin à prendre ses espoirs pour des réalités. Le temps travaillait pour le roi, dont la domination dans le Languedoc oriental affaiblissait progressivement les forces de résistance du pays par un contrôle de plus en plus serré, par l'augmentation du nombre des fonctionnaires et chevaliers français, par l'appauvrissement de la bourgeoisie et l'élimination de la noblesse indigène.

Raymond VII, tant qu'il n'avait pas de fils, n'était pour ses alliés qu'un bâton brisé sur lequel il ne faut pas risquer de trop s'appuyer: le comté de Toulouse n'était plus considéré comme un pays ami ou ennemi, ni comme une zone d'influence; il se trouvait réduit aux proportions de la personne assez fragile du comte lui-même, lequel ne prenait guère le chemin de vivre assez longtemps pour voir son fils non encore né parvenir à l'âge d'homme et tenir tête au roi de France.

Après Hugues de Lusignan, Henri III est battu par l'armée française à Taillebourg, et se replie sur Bordeaux; ni le roi d'Aragon ni le comte de Provence ne se pressent de soutenir des alliés aussi malchanceux; les vassaux du comte de Toulouse, sachant la partie perdue, ne songent plus qu'à éviter la réapparition de l'armée royale sur leurs terres. Pendant que Raymond VII, après avoir signé un nouveau traité d'alliance avec le roi d'Angleterre, se rendait en Agenais pour assiéger le château de Penne tenu par les Français, Roger IV de Foix offrait sa soumission au roi et rompait définitivement le lien de vassalité qui le liait au comte de Toulouse.

Raymond VII, se voyant abandonné de tous, n'eut plus qu'à se soumettre, en faisant appel à la médiation de la reine-mère Blanche de Castille; il remit au roi, en gage de sa soumission, les places de Bram et de Saverdun et tout le Lauraguais, et signa la paix à Lorris, le 30 octobre 1242.

La révolte était terminée: si bien terminée que le roi ne jugea même pas bon de punir sévèrement ces vassaux qui avaient porté les armes contre lui, au mépris de leurs serments. En janvier 1243, les comtes de Toulouse et de Foix se rendaient à Paris pour renouveler leur hommage à la couronne. Ce fut à Blanche de Castille que le comte dut (selon G. de Puylarens) les conditions relativement douces du nouveau traité de paix; la régente n'avait nul intérêt à appauvrir des domaines qui allaient revenir à son fils. Le meilleur moyen de rendre le comte de Toulouse inoffensif était encore de l'empêcher de se remarier, ce à quoi Blanche de Castille allait s'employer avec succès, dans les années qui suivirent. En attendant, Raymond VII promit - une fois de plus - de purger définitivement ses terres de l'hérésie. Blanche de Castille prenait très à cœur l'affaire de la foi, et le comte, de son côté, ne demandait pas mieux que de persécuter les hérétiques, pourvu qu'on le laissât le faire lui-même. Et, ne pouvant éliminer le roi de France, il allait du moins essayer de se débarrasser de l'Inquisition.

À peine revenu dans le Languedoc, le comte fit réunir un concile composé par la plupart des évêques et des grands abbés du pays, bien qu'il fût encore sous le coup de l'excommunication lancée contre lui par Frère Ferrier après le meurtre des inquisiteurs, et par l'archevêque Pierre Amiel après son entrée à Narbonne. Le concile avait pour but l'extermination de l'hérésie. L'archevêque de Narbonne lui-même présidait cette assemblée181. Pour le comte, le véritable but de ce concile était l'élimination des inquisiteurs au profit de la juridiction épiscopale.

À cette manœuvre dirigée beaucoup plus contre eux que contre l'hérésie, les Dominicains répondirent par une démarche qui, si elle réussissait, devait combler les vœux du comte de Toulouse: ils demandèrent au pape de relever leur ordre des fonctions inquisitoriales, qui ne leur causaient que des ennuis et leur attiraient une telle hostilité. Et il est vrai que nombre de Dominicains qui n'étaient nullement inquisiteurs avaient payé pour l'impopularité de leurs frères, puisque les couvents de Frères Prêcheurs étaient attaqués et saccagés dans beaucoup de villes. Mais d'autre part, le sort de Guillaume-Amaud n'était pas fait pour décourager les chefs du mouvement, hommes aussi peu sujets à la peur qu'à bien d'autres sentiments humains; il devait plutôt stimuler leur énergie. Comment ces terribles lutteurs eussent-ils envisagé d'abandonner la partie, au moment où l'ennemi était à demi vaincu et le roi de France triomphait? Ils tenaient surtout à faire comprendre au pape à quel point leur action était redoutée, donc efficace. Négligeant leur demande, Innocent IV les confirma dans tous leurs pouvoirs, sans les soumettre en aucune façon à la juridiction épiscopale; les prêcheurs, de leur côté, pour désarmer les évêques qui pouvaient leur être hostiles, s'empressèrent d'accorder une place importante à l'ordinaire dans la procédure de leurs tribunaux; concession purement honorifique, l'autorité suprême en matière d'hérésie appartenant toujours à l'Inquisition dominicaine, de auctoritate apostolica.

La tentative du comte avait donc échoué. Du reste, son excommunication n'était toujours pas levée, on exigeait de lui des actes, non des paroles. Au concile de Béziers, en 1243, les prélats du Languedoc décidèrent d'en finir avec Montségur (que le comte avait déjà, sans grande conviction, tenté de prendre) et qui se trouvait être le repaire des assassins de Guillaume-Araud. La révolte et la défaite du comte forçaient l'Église et le roi à une sévérité accrue; vaincu, Raymond VII ne cherchait plus qu'à limiter les dégâts, en sacrifiant ceux de ses sujets qu'il ne pouvait plus défendre sans se brouiller avec ses vainqueurs et avec ses alliés éventuels.

Hugues des Arcis, nouveau sénéchal de Carcassonne, et Pierre-Amiel, archevêque de Narbonne, prirent donc la résolution de rassembler une armée assez considérable pour mettre enfin le siège devant cette fameuse forteresse que la rumeur publique leur désignait comme le quartier général de l'hérésie. En avril 1243, après l'effondrement de la dernière tentative de révolte armée du Languedoc, dans cette atmosphère de découragement général où chacun ne songeait qu'à tirer son épingle du jeu, Montségur, isolé, irréconciliable, se trouvait - bien malgré la volonté de ses défenseurs - destiné à jouer le rôle du bouc émissaire de la résistance occitane.

Le jour où Raymond de Perella avait accepté de faire de son château le siège officiel de son Église, il avait prévu le danger auquel il s'exposait; excommunié et condamné à mort par contumace, il savait bien qu'il n'avait plus à attendre de secours que de la solidité de ses murailles. Il n'avait pas dû prévoir que de sa petite citadelle le roi et le pape allaient un jour faire le symbole de l'hérésie prête à dévorer l'Église.


172 Doat. T. XXIII, 2-39.

173 Il ne semble pas, malgré l'affirmation du traducteur anonyme de la "Chanson", que le château ait été pris par les croisés. En 1212, Guy de Montfort s'était emparé de Lavelanet et ravagé les environs, et peut-être brûlé le village de Montségur.

174 "Chanson de la Croisade", ch. CXLV. 3265.

175 Il était né en 1207.

176 Op. cit., éd. 1879, t. VI, p. 768.

177 Récit fait par F. de Plaigne à Frère Ferrier, 18 mars 1244. Doat, t. XXII, pp. 293 v°-294 v°.

178 Doat, t. XXII, pp. 293 v°-295 v°.

179 Doat, t. XXII, p. 287.

180 8 août 1242.

181 Béziers, le 15 avril 1243.

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