Ma question la laisse peu de temps perplexe, Henriette. J’ai rarement vu une gonzesse aussi délurée. Pour la prendre au dépourvu, celle-là, il faudrait commencer par la faire macérer dans un baril de ciment frais, et encore cette maligne réussirait à renverser le tonneau et à se laisser rouler jusqu’à son adversaire pour le télescoper ! Y a des frangines, comme elle, pas beaucoup mais j’en connais. Des qu’ont jamais froid aux châsses et qui font joujou avec l’adversité.
Elle murmure, songeuse :
— Si vous voulez vraiment un endroit tranquille, il n’y a que la nature, fait-elle. Je nous vois mal regagner l’hôtel avec cette fille. Et vous n’y seriez pas à votre aise pour l’interroger. Je connais un endroit désolé : la forêt de Zobpandan, qui entoure le petit lac de Papamankul. Hormis des singes en liberté, on y rencontre peu de monde.
— C’est loin ?
— Rien n’est très loin dans une petite île, pertinance-t-elle en se mettant au volant.
Pour mon humble part, je m’installe à l’arrière avec la rouquine. Je ne sais pas si ça vient de la chaleur, mais elle coucougnousse vachement de l’épiderme, cette morue ! Elle n’est pas arrivée à bons pores, médème ! Charogne, cette fouettaison ! J’en biche plein les naseaux. Ça me rappelle une ménagerie que j’ai beaucoup aimée. Moi qui déteste les parfums, je rêve de prendre un bain dans une piscine emplie de 5 de Chanel. Ça me morose les trous de nez. L’olfactif, tu sais la place prépondéreuse qu’il tient dans ma vie sensorielle ? Incapable de briffer des venaisons, je suis. Non plus que du Munster. Je franchis jamais la limite du Saint-Marcellin à cœur. (Que c’est notre pire point commun, à François Mitterrand et à moi, il me l’a dit : le Saint-Marcellin. Ses paroles textuelles c’est : Il n’y a que deux produits remarquables dans le Dauphiné : le Saint-Marcellin et vous !).
Elle s’est récupérée, la parfumeuse. Les gnons à la calebasse, c’est ou bien mortel, ou bien peu de chose. Che-min roulant, je songe que je ne l’ai pas fouillée et qu’avec une souris appartenant au Suey Sing Tong, c’est là une lacune qui ferait chier un Vénitien. Alors je la palpe en conservant le groin du revolver braqué sur son estomac.
— Bien entendu, vous ne tentez rien d’héroïque, lui conseillé-je, ça allongerait la liste du nécrologue. On en est à la demi-douzaine de boy-scouts à vous tombés au champ d’horreur, et j’aimerais rester sur ce compte rond.
Elle schlingue si fort que, rien que de palper ses hardes, mes doigts se mettent à puer la rouquasse. Ayant contrôlé son devant (les roberts se portent bien, et sans monte-charge, merci), je l’invite à se mettre à genoux sur la banquette. Dans la malle arrière de son pantalon blanc, je déniche une chose que les dames de bonne compagnie trimbalent rarement sur elles : une paire de menottes et un couteau de modeste dimension logé dans une gaine de cuir. Probable qu’il est empoisonné, lui aussi, d’où cette précaution ?
Je pourrais écrire un manuel sur les multiples utilisations d’une paire de menottes. Je crois avoir tout essayé comme combinaisons. Alors, tu sais quoi, dans l’eau cul rance présente ? comme dit le Mastar. Je lui emprisonne une cheville et un poignet, et ça, côté inconfort, c’est breveté S.G.D.G. Voilà donc la pauvrette penchée sur la banquette avant, se cognant le front à chaque cahot et bouillonnant si intensément de rage que ça stimule ses effluves de putois.
Henriette, magistrale, drive comme une championne de rallye, que tu croirais Mlle Mouton dans ses œuvres. Elle emprunte des routes de plus en plus étroites et, bientôt, nous roulons sur des chemins ravinés qui s’enfoncent dans une nature à la Paul and Virginie, aux senteurs végétales. On longe des rivières tumultueuses, des arbres géants, des fleurs de sous-bois mystérieuses. Ça bucole à fond la caisse. On s’arrêterait ici pour y bâtir la hutte dont je t’ai dit rêver depuis des millénaires et on tirerait des coups fumants sur la mousse fraîche. On boufferait des baies (en regardant la baie par la baie, où passe un cheval bai tirant un bébé qui bée).
La chignole montagnerusse de plus en plus. Le chemin devient sentier, le sentier sente, la sente plus rien du tout car nous sommes parvenus au bord de la rive sud du lac Papamankul. Une fois le moteur coupé, le ramage des oiseaux et le crépitement des insectes prennent possession de nos trompes d’Eustache. Un instant de féerie auditive ! C’est plus beau que le Concerto Branle-Bourgeois, plus harmonieux encore que les mâles accents de Michael Jackson. In-di-cible ! Point d’exclamation à la ligne.
Avec bonheur, je descends de la tire. Henriette en fait autant.
— N’est-ce pas un coin fabuleux ? fait-elle.
— Le paradis terrestre, admets-je, n’en étant plus à un cliché près dans ce putain de métier, tu penses !
Elle chuchote :
— Vous n’avez pas l’impression que cette femme rousse sent abominablement fort ?
— Non, réponds-je, j’en ai la certitude ; marchons un peu pour nous aérer les poumons.
— Mais elle ?
— Inoffensive.
On s’offre quelques pas et la môme, gagnée par l’enchantement du lieu, me saisit les sœurs Brontë. Délicate-ment, rassure-toi, car elle sait combien ces choses-là sont fragiles et la manière suave dont ils convient de les palper, tout comme les tomates mûres.
— Tu me produis un effet inouï, dit-elle. J’ai envie de toi en permanence.
— Il m’a semblé le comprendre, souris-je mâlement.
— Tu ne veux pas que nous…
— Si, mais après.
— Après quoi ?
— Il faut auparavant que je parle à la rouquine, mon cœur, car j’entends avoir l’esprit dégagé pour m’exprimer physiquement. On fait mal l’amour lorsqu’on est préoccupé.
— Alors fais vite, mon bel étalon, car j’ai le corps en feu.
En feu.
Pourquoi ces deux syllabes me font-elles penser à Arsène le morpion ? Je l’avais totalement occulté, cézigue. Me semble qu’il est en train de sonner à la porte de ma braguette. Ou mieux, qu’il me hèle dans le silence entier de mon subconscient. Arsène, le morpion morbide, le morpion mord bite. L’infernal petit pou annonciateur de mort. Je porte ma main à ma poche. Le revolver que j’y ai remisé après avoir menotté la donzelle ne s’y trouve plus. La salope me l’a chouravé proprement de sa main restée libre, mettant à profit les cahots du véhicule. Je ne perds pas un instant. Vran ! Je renverse Henriette dans les espèces de hautes fougères qui prolifèrent au bord du lac. Elle croit que j’ai changé d’idée et que c’est ma fougue sensuelle qui s’exprime. Se détrompe en entendant claquer des coups de feu. Quatre bastos cisaillent les plantes autour de nous. L’une — d’elles se loge même dans un fût moussu à quelques centimètres de ma tempe. Charognerie de femelle ! Comment qu’elle m’a eu ! Et moi, royal con, qui prenait mes aises à côté d’elle ! Moi qui, d’un ton suffisant, l’annonce « inoffensive ».
— Ça va, mon cœur ? je chuchote à l’oreille de Ninette.
— Ça irait mieux si tu pesais sur moi pour le bon motif, répond-elle.
Une sacrée luronne, l’attachée culturelle !
— Coule-toi doucement derrière ce fût !
— Et toi ?
— Quand on a commis une connerie, on la répare. Je vais aller la désarmer. Pour l’instant, silence complet.
Et, parallèlement, je me raconte ceci : la rouquine a tiré par la portière, sinon je l’aurais entendue quitter l’auto. Notre tactique consiste à ne plus nous montrer. Au bout d’un moment, elle va vouloir vérifier où nous en sommes. Donc elle sortira de voiture et alors je m’élancerai, profitant de sa difficulté de manœuvre, tu saisis ?
Je fais le mort. Si les oiseaux gosillaient pas comme des poissonnières napolitaines, ce serait le silence absolu.
Du temps s’écoule. Long à s’en fendiller le rectum d’impatience. Et puis l’inattendu s’opère, comme toujours !
T’as envie de savoir ?
Banco, je suis bon prince !
Un ronflement de moteur ! Parole ! Là, le Brabant tombe ! Je veux dire : les bras m’en choient ! Oh ! la rusée ! Au lieu de risquer de tomber dans le piège que je lui tendais, elle a préféré passer par-dessus le dossier de la banquette et s’installer au volant. Bon, piloter une caisse quand on a le menton à la hauteur du tableau de bord et la main droite reliée à sa cheville, c’est pas le bonheur absolu ; mais, avec de la ténacité on y parvient : à preuve !
Je me hisse hors des fougères. Avise la rousse recroquevillée à la place conducteur. D’une seule main, il lui faut enclencher les vitesses et piloter. De plus, elle a une manœuvre à exécuter, puisque la chignole est face au lac. Alors j’accours. Elle s’escrime. L’auto se met à reculer dans les hautes herbes, patine un peu, a une ruée brusque. Le moteur cale. Elle le rambine. J’arrive. Elle me décèle. Arrête de manœuvrer et me vise. Je plonge une nouvelle fois. Elle lâche ses deux dernières quetsches dans son affolement. Dis, c’est les cacatoès qu’elle vise ? Un clic ! Deux clics ! Elle est marron : le magasin est vide. Pour toute recharge s’adresser à l’armurerie Cantine-Reinette.
Je m’avance en souriant, les paluches en fouille, sifflotant Rose de Picardie, mon air favori.
Sans m’affoler, je viens m’asseoir à son côté sur le siège passager. Je sors son couteau de l’étui, l’ouvre et contemple la lame brillante mais souillée d’une matière brunâtre. J’enfonce la pointe, à plat dans l’étoffe du grimpant. La gonzesse ne moufte pas. Son regard fixe est embué d’angoisse. Lentement, je cisaille le pantalon en remontant vers l’aine. Elle se cambre à bloc. Je continue de couper le tissu.
— Arrivé au bas-ventre, je ne m’arrêterai pas, assuré-je. Alors, vous devez répondre vite et bien à mes questions, Miss, sinon ce sera jour de fête pour les poissons de ce lac. Vous appartenez bien au Suey Sing Tong, n’est-ce pas ?
— Oui ! s’écrie-t-elle.
Ouf ! Elle se rend !
Dans ces cas-là, dès que tu as répondu « oui », tu as tout dit !