A ses débuts, il avait été accompagnant pubien à bord d’un clochard de la place Maubert nommé Eloi Granjean.
Lors d’une basse copulation de ce dernier avec une virago connue sous le sobriquet de Coco-les-Grosses-Meules, Arsène avait changé de domicile et planté sa tente dans l’espèce de forêt amazonienne, dense et frisée de la dame ; mais il s’y était trouvé en compagnie d’autres morpions belliqueux, d’origine germanique, qui lui avaient mené la vie dure. Leur manque total de convivialité décida Arsène à fuir cette zone marécageuse pour se réfugier dans la moustache poivre et sel d’un vieux bouffeur de culs, Alexis Manigance, retraité de la S.N.C.F., lequel ne se montrait jamais regardant quant aux sources où il abreuvait ses désirs, comme l’a écrit si joliment Mme Marguerite de la Pointe Duraz (que quelques échotiers, émules de Philippe Bouvard probablement, ont surnommée Marguerite de l’Ennui).
L’installation d’Arsène dans cette moustache marqua un tournant de sa vie car c’était la première fois qu’il disposait d’un espace vital aussi exigu et qu’il ne s’ébattait plus sur les rives (peu ensoleillées) de deux orifices.
Le retraité des chemins de fer, souffrant d’une maladie d’estomac, puait très fort de la gueule, ce qui incommodait Arsène. Il se rabattit bientôt sur la toison de Geneviève Ardécaut, une peintresse (le terme est d’Arsène) qui, un soir de « je-m’envoie-dehors », ayant rencontré Alexis Manigance dans le métro, son seizième whisky franchi, avait trouvé farce qu’il lui fît du pied et l’avait accompagné sans réticence jusqu’à son modeste domicile de veuf où le bonhomme, après son numéro de dégustation et gagné par la frénésie des sens, lui avait carré dans le train une très modeste bitoune de 13 centimètres, ce qui, converti en mesure anglo-saxonne, donne environ 5 pouces.
Mais l’ami Arsène n’avait pas attendu cette phase épique pour déménager une fois de plus. Dès les prémices de la minette, il s’était transporté avec armes et bagages dans le triangle d’or de Geneviève. Pour la première fois de sa furtive existence, l’aimable animal occupait des locaux salubres, clairs et bien entretenus, parfumés de surcroît au déodorant Azurée de chez Estée Lauder.
Il vécut là la meilleure partie de sa vie, bien que le tempérament de feu de Geneviève conduisît cette jeune artiste à pratiquer la luxure au moins quotidiennement, ce qui constituait pour Arsène une source de tracasseries. Ce qu’il redoutait surtout, ce n’était pas tant que des messieurs (de tout poils) se roulassent sur son corps, mais les vigoureuses ablutions qui en consécutaient (Arsène dixit) et qui, chaque fois, risquaient de l’entraîner, puis de l’engloutir dans les gouffres abyssaux concoctés par les redoutables Jacob et Delafon, qui sont au morpion ce que Jeanne d’Arc fut à l’Anglais.
Arsène, après les frasques de sa logeuse, devait se cramponner ferme sur ses positions. Quand elle se lançait dans ses débordements, il s’attachait avec un poil, au plus profond de sa toison. Une autre période post coïtum était source d’angoisse pour la bestiole : le savonnage. Geneviève était une maniaque de l’hygiène et se fourbissait la case trésor à s’en arracher le pelage ! Cette pratique avait failli coûter la vie à Arsène car, lorsqu’il naviguait dans la moulasse de Coco-les-Grosses-Meules, il ignorait ce genre de danger.
Et puis, enfin, il y eut moi dans la trajectoire d’Arsène. Moi, hélas, pour son plus grand malheur ! Moi, qui devais devenir sa fatalité !
Un soir, dans un raout chez un ami comédien, je fis la connaissance de Geneviève Ardécaut. Au petit matin, je lui proposai de la raccompagner chez elle, ce qu’elle accepta à pieds joints (très provisoirement). Bien entendu, nous fîmes l’amour ensemble, te le préciser relève du pléonasme. Et c’est alors que le pauvre Arsène, sans doute séduit par ma Maserati, je ne vois pas d’autres motivations, abandonna la touffe exquise (je sais de quoi je parle) de Geneviève pour mon propre système pileux.
Sa présence ne m’importuna pas, au début ; je ressentais bien parfois une petite démangeaison, mais je la mettais sur le compte d’une légère poussée d’urticaire, affection dont il m’arrive de souffrir aux premières fraises. Mais le drame était en marche pour l’infortuné Arsène.
Le cul, c’est comme un rêve, parfois.
Tu as le cul fortuit des rencontres, mais tu as également l’autre, celui que tu convoites et dont tu te souviens : le cul de nostalgie, paré de tous les charmes, de toutes les grâces. Le cul qui t’accompagne jusqu’aux limites du sommeil, et qui t’attend à ton réveil pour t’apporter, dès l’aube, des sortilèges d’alcôve. Le cul obsédant : le cul violoncelle qui te joue sa merveilleuse musique dans l’âme, à bout portant !
Moi, Marie-Maud, son cul d’une autre fois était venu m’interpeller, un soir, en pleine baise. Je limais une Alsacienne (toujours ça que les boches n’auront pas !) ; la gentille mademoiselle se laissait tirer à la va-comme-tu-me-brosses, sans manifester de bonheur excessif. Elle préférait se trouver là plutôt que d’être restée devant son Dubonnet, mais sans plus. De la viande blanche, si tu vois. Des sens branchés sur le bon vieux 110 d’autrefois. Et que moi, m’escrimant de bon aloi, y allant fougueusement de la tête chercheuse et du chauve à col roulé, voilà que, tout soudain, m’arrive dans les délires le cul de Marie-Maud, la femme de mon contrôleur des contributions. Je l’avais connue six mois auparavant chez Fauchon où nous faisions la queue (symbolique, non ?) pour du vieux porto. Pied de grue aidant, nous avions échangé des considérations sur les vintages. Une heure plus tard nous prenions le thé. Elle m’apprenait son nom : Lassale-Lathuile.
« — Comme mon contrôleur des impôts ! » me suis-je exclamé.
« — C’est lui ! »
Nous avons trouvé ça tellement cocasse que nous sommes allés nous offrir un coup de bite dans un hôtel de Saint-Laguche. Il fut si follement exquis que nous avons récidivé. Notre aventure a duré près de deux mois. Qu’ensuite de quoi, je suis parti en mission à dache (Côtes-du-Nord) et, la vie étant ce qu’elle est, nous avons cessé de nous voir sans rompre vraiment. Les amours se distendent comme un caoutchouc trop longtemps étiré.
Je la croyais loin de mes préoccupances, Marie-Maud. Et poum ! la nostalgie de son cul m’arrive pile que je suis en train de bourrer l’Alsaco. Vite, je récupère mon chibre en prétextant que j’en ai besoin pour aller faire une course urgente et je tombe jusqu’à un bigophone.
C’est Marie-Maud qui me répond. C’eût pu être le contrôleur à cette heure. Eh bien, non : ce con se trouvait en province. Pour lors, je bondis chez lui où médème a eu le temps de troquer son ensemble Apostrophe contre un déshabillé presque professionnel.
Je l’en débarrasse en un tournemain après les frivolités d’accueil. Et c’est le calçage de haut niveau !
Je me prodigue avec tant de passion que me voilà à gésir sur la couche du contrôleur, les bras en croix. Quand tu luttes avec l’amour, c’est toujours lui qui finit par l’emporter.
Marie-Maud récupère la première. Elle vient poser sa joue contre ma cuisse et s’amuse à me peigner les poils du bas avec sa main.
Tout à coup elle s’interrompt. Je l’entends murmurer :
— Non, mais je rêve !
— C’qu’y a ?
— Tu sais que tu as des morpions ?
Je n’avais pas « des » morpions, je n’en avais qu’un seul : Arsène ! Fauve, avec de grands yeux tristes.
Voilà Marie-Maud qui le détache du poil auquel il était accroché, le prend sur l’ongle d’un de ses pouces et approche le second afin de le broyer.
Je vais pour réclamer la grâce d’Arsène.
Trop tard !
Un cri effrayant retentit. Inhumain, bien sûr, puisque poussé par un morbac. Arsène est mort ! De profundis, morpionibus !