Vladek devenait de plus en plus inquiétant. Son atelier avait fait faillite et il tournait en rond à la maison comme une bête en cage. Il évoquait très souvent sa vie antérieure, le cirque, les siens. Il pouvait en parler pendant des heures, et toute la famille l’écoutait.
Parfois Laila fermait les yeux et essayait de se représenter ce qu’il racontait. Les bruits, les odeurs, les couleurs, toutes les personnes qu’il décrivait avec amour et nostalgie. C’était douloureux de l’entendre formuler son manque, elle entendait le désespoir percer derrière les mots.
En même temps, ces instants lui offraient un répit momentané. Pour une raison ou une autre, tout se calmait et le chaos cessait quand ils écoutaient Vladek. Comme en transe, ils se laissaient ensorceler par sa voix et ses anecdotes.
Ce qu’il décrivait paraissait tout droit sorti d’un conte. Il parlait de gens qui marchaient sur un fil très haut au-dessus du sol, de princesses de cirque qui savaient faire le poirier sur le dos des chevaux, de clowns qui faisaient rire tout le monde quand ils s’aspergeaient d’eau, de zèbres et d’éléphants qui exécutaient des tours à vous couper le souffle.
Mais il parlait surtout des lions. Des lions dangereux, puissants, qui obéissaient au moindre de ses gestes, qu’il avait entraînés depuis qu’ils étaient petits, qui faisaient tout ce qu’il leur demandait tandis que le public retenait sa respiration, craignant que les fauves ne se jettent sur lui pour le déchiqueter.
Des heures durant, il décrivait les gens et les animaux du cirque, la passion et la magie transmises de génération en génération. Mais dès qu’il cessait de parler, Laila se retrouvait plongée dans la réalité qu’elle avait tant voulu oublier.
Le plus difficile à supporter, c’était l’imprévisibilité. Comme si un lion affamé allait et venait dans l’attente de sa prochaine proie. Les attaques et les agressions survenaient toujours de façon inopinée, là où elle ne les attendait pas. Et la fatigue l’empêchait d’être constamment sur ses gardes.