Un silence absolu régnait dans la cuisine du commissariat. Pleins d’espoir, tous fixaient Erica restée debout, bien que Gösta et Martin lui aient proposé leur place. Une énergie fébrile l’empêchait de tenir en place.

— Patrik m’a demandé de visionner ça.

Elle montra le sac avec les DVD qu’elle avait posé par terre.

— C’est-à-dire, Erica est plutôt douée pour repérer ce qui a échappé aux autres, dit Patrik comme pour s’excuser, alors que personne n’avait formulé d’objection.

— Au début, je n’ai rien vu de particulier. Puis, au deuxième visionnage…

— Oui ? s’impatienta Gösta, le regard rivé à elle.

— La deuxième fois, j’ai réalisé que le dénominateur commun ne concerne pas les filles elles-mêmes, mais leurs sœurs.

— Mis à part Minna et Victoria, elles avaient toutes des petites sœurs, c’est vrai, mais quel est le rapport avec leur disparition ?

— Je ne sais pas encore comment tout ça se tient. Toujours est-il que les sœurs ont été filmées dans leur chambre, et toutes avaient des plaques et des rosettes de remise de prix de concours hippiques sur les murs. Elles sont toutes des cavalières actives. Comme Victoria, même si elle ne participait pas aux compétitions.

Il y eut un nouveau silence. On n’entendait que le chuintement de la cafetière électrique, et Erica vit qu’ils étaient tous en train d’essayer d’assembler les morceaux du puzzle.

— Et Minna ? lança Gösta. Elle n’avait ni frère ni sœur. Et elle ne faisait pas d’équitation.

— Exactement, dit Erica, et c’est pour ça qu’à mon avis, Minna ne fait pas partie des victimes. Ce n’est même pas sûr qu’elle ait été enlevée ni qu’elle soit morte.

— Où est-elle alors ? demanda Martin.

— Je ne sais pas. Mais je vais appeler sa mère demain. J’ai une théorie.

— D’accord, les petites sœurs des filles disparues faisaient de l’équitation. Quelle conclusion peut-on en tirer, d’après toi ? dit Gösta, confus. À part Victoria, aucune des disparues ne fréquentait les centres équestres et les compétitions.

— Non, mais le coupable est peut-être attiré par ce domaine. Il a pu remarquer les filles venues regarder leur sœur concourir ? On pourrait vérifier si un concours se déroulait à proximité le jour des disparitions.

— Mais les parents l’auraient mentionné dans ce cas, non ? objecta Annika. S’il y avait un concours le jour où leur fille a disparu ?

— Ils n’ont pas dû voir de lien, toutes les recherches étaient concentrées sur les filles, sur leurs fréquentations, leurs intérêts, leurs activités extrascolaires, etc. Personne n’a pensé aux sœurs.

— Putain de merde ! s’exclama Patrik.

Erica le regarda.

— Qu’est-ce qu’il y a ?

— Jonas. Il surgit sans arrêt dans cette enquête, pour différentes raisons : la kétamine, la dispute avec Victoria, la présumée relation amoureuse, l’infidélité de Marta, le chantage. Et il a écumé les concours hippiques avec sa fille. Est-ce que ça peut être lui, le coupable ?

— Il a un alibi en béton pour la disparition de Victoria, fit remarquer Gösta.

— Oui, je sais. Mais là, il y a tellement d’éléments qui pointent dans sa direction qu’on doit examiner ça de plus près. Annika, tu peux vérifier s’il y avait des concours pendant les jours qui nous intéressent ? Et si Molly figurait sur la liste des participants ?

— Bien sûr. Je vais voir ce que je peux trouver.

— Alors ce n’était peut-être pas un cambriolage, après tout, constata Gösta.

— Non, Jonas a pu nous le signaler pour éloigner les soupçons au cas où Victoria serait retrouvée. Mais outre la grande question concernant son alibi, il reste beaucoup de zones floues. Comment faisait-il pour transporter les filles si Molly et Marta se trouvaient aussi dans la voiture ? Où a-t-il gardé les filles prisonnières ? Où sont-elles en ce moment ?

— Peut-être au même endroit que Molly et Marta, suggéra Martin. Elles ont découvert son petit passe-temps et…

— Oui, ce n’est pas impossible. Il faut qu’on fouille leur maison et le reste de la ferme. Vu l’endroit où Victoria a surgi, elle peut avoir été retenue là-bas. On y retourne.

— On n’attend pas un mandat de perquisition ? demanda Gösta.

— Idéalement, on devrait, oui, mais on n’a pas le temps. Molly et Marta sont potentiellement en danger de mort.

Patrik s’approcha d’Erica et la regarda longuement. Puis il se pencha et lui fit un grand baiser, sans se soucier des regards de ses collègues.

— Du bon boulot, ma chérie.


Helga jeta un regard vide par la vitre côté passager. Ça ressemblait de plus en plus à une bonne tempête de neige, comme on en voyait autrefois.

— Quelle est l’étape suivante ? demanda-t-elle.

Elle ne s’attendait pas à une réponse de Jonas, et il n’y en eut pas. Elle se tourna vers lui.

— Qu’est-ce que j’ai fait de mal ? J’avais tant d’espoir pour toi.

L’état de la chaussée obligeait Jonas à concentrer toute son attention devant lui, et il répondit sans un regard pour sa mère.

— Rien du tout.

La réponse aurait dû la réjouir, ou au moins la rassurer. Mais au contraire, elle n’en fut que plus inquiète.

— Tu n’y pouvais rien, dit-il comme s’il avait lu dans ses pensées. Je ne suis pas comme toi. Je ne suis comme personne. Je suis… spécial.

Son ton était dénué de sentiments, et Helga frissonna.

— Je t’aimais. J’espère que tu le comprends. Et je t’aime toujours.

— Je le sais, dit-il calmement.

Il se pencha pour essayer de mieux voir à travers les flocons virevoltants. Les essuie-glaces balayaient le pare-brise, mais ils étaient impuissants face à une telle quantité de neige. Il roulait si lentement qu’il avait l’impression de faire du surplace.

— Tu es heureux ?

Elle se demanda d’où sortait cette question, mais elle était sincère. Avait-il été heureux ?

— Jusque-là, je pense que j’ai eu une meilleure vie que la plupart des gens, sourit-il.

Son sourire donna la chair de poule à Helga. Mais il avait sûrement raison. La vie de Jonas avait été meilleure que la sienne. Elle avait vécu soumise et dans la terreur face à une vérité qu’elle refusait de voir.

— C’est peut-être nous qui avons raison et toi qui as tort. Tu y as pensé ? ajouta-t-il.

Elle ne comprit pas exactement ce qu’il voulait dire et réfléchit un instant. Quand elle crut avoir compris, le chagrin l’envahit.

— Non, Jonas. Je ne crois pas que ce soit moi qui ai tort.

— Pourquoi pas ? Tu viens de montrer qu’on n’est pas si différents finalement.

Elle fit une grimace et se défendit contre l’éventuel bien-fondé de ses paroles.

— C’est l’instinct qui pousse une mère à protéger son enfant. Il n’y a rien de plus naturel. Tout le reste, c’est… contre nature.

— Tu trouves ? dit-il, et pour la première fois il tourna son regard vers elle. Je ne suis pas d’accord avec toi.

— Tu ne veux pas juste me dire ce qu’on va faire en arrivant ?

Helga essaya de se repérer pour voir s’il restait beaucoup de route à faire. Mais l’obscurité et l’importante chute de neige l’en empêchèrent.

— Tu verras quand on y sera.


Erica était d’humeur exécrable en arrivant à la maison. Après s’être réjouie d’apporter du neuf à l’enquête, elle s’était vu refuser le droit de les accompagner à la ferme. Elle avait fait son possible pour convaincre Patrik de l’emmener, mais il n’avait pas cédé d’un pouce et elle n’avait eu d’autre choix que de rentrer. Maintenant elle allait sans doute passer une nuit blanche à s’interroger sur les événements.

Anna sortit du séjour pour l’accueillir.

— Salut, comment c’était avec les enfants ? dit Erica avant de s’arrêter. Tu as l’air en forme. Qu’est-ce qui se passe ?

— Dan est venu. Merci, Erica, merci, de lui avoir parlé, dit Anna en enfilant son manteau et en glissant ses pieds dans ses bottes. Je crois qu’on a une chance de s’en sortir, je t’en parlerai demain.

Elle fit la bise à Erica avant de se lancer à l’assaut de la neige.

— Sois prudente, la chaussée est une vraie savonnette ! cria Erica derrière elle, et elle referma vite la porte pour ne pas laisser trop de neige envahir le vestibule.

Elle sourit. Pourvu que sa sœur retrouve enfin le bonheur ! Avec Dan et Anna en tête, elle monta dans sa chambre chercher un gilet de laine. Elle jeta aussi un coup d’œil aux enfants qui dormaient profondément. Elle se rendit ensuite dans son bureau, où elle resta un long moment à fixer la carte de Suède. Elle ferait mieux d’aller se coucher, mais les endroits marqués en bleu continuaient de la turlupiner. Elle aurait juré que d’une façon ou d’une autre ils étaient associés à tout le reste. Pourquoi Laila avait-elle conservé les coupures des articles sur les filles ? Quel était son lien avec les disparitions ? Comment était-il possible qu’Ingela Eriksson et Victoria aient été mutilées de la même façon ? Il y avait trop d’éléments épars, et en même temps elle sentait que la réponse se trouvait là, devant elle, si seulement elle arrivait à mettre les doigts dessus.

Frustrée, elle alluma l’ordinateur et s’assit à son bureau. La seule chose qu’elle pouvait faire maintenant était de parcourir à nouveau tout le matériel rassemblé. De toute façon, elle n’arriverait pas à dormir, alors autant se rendre un peu utile.

Des pages et des pages de notes. Elle se félicita d’avoir pris l’habitude de les mettre au propre sur l’ordinateur. Dans l’état de fatigue qui était le sien, elle aurait été incapable de décrypter ses pattes de mouche.

Laila. Au centre de tout se trouvait Laila, tel un sphinx : silencieuse et insondable. Elle se contentait de regarder la vie et l’entourage en silence alors qu’elle détenait les réponses. Et si elle protégeait quelqu’un ? Qui, dans ce cas, et pourquoi ? Pourquoi ne voulait-elle pas parler de ce qui s’était passé ce jour funeste ?

Erica se mit méthodiquement à relire tous ses entretiens avec Laila. Au début elle était plus taciturne qu’aujourd’hui. Les notes de leurs premières rencontres n’étaient pas nombreuses et Erica se rappela combien elle avait trouvé bizarre de se trouver face à quelqu’un qui ne disait pratiquement rien.

Ce n’est que lorsqu’elle avait mentionné les enfants que Laila s’était ouverte. Elle évitait d’évoquer sa pauvre fille, tout tournait autour de Peter. Tout en lisant, Erica se remémora l’ambiance de la pièce et le visage de Laila quand elle parlait de son fils. Son regard était alors plus clair, mais aussi rempli de manque et de chagrin. On ne pouvait pas se tromper sur son amour. Elle décrivait ses joues douces, son rire, son caractère silencieux, son zézaiement quand il avait commencé à parler, la mèche blonde qui tombait toujours dans ses yeux, le…

Erica s’arrêta et relut le dernier passage. Puis elle le lut encore une fois, ferma les yeux et réfléchit. Et tout à coup il trouva sa place, ce morceau de puzzle essentiel qui lui avait manqué. Certes, elle piochait un peu au hasard, mais c’était suffisant pour voir une image prendre forme. Elle faillit appeler Patrik, mais se ravisa et décida d’attendre. Elle n’était pas encore entièrement sûre. Et il n’y avait qu’une façon de vérifier son hypothèse. En allant voir Laila.


Patrik sentit la tension dans l’air quand il descendit de voiture devant la maison de Jonas et Marta. Auraient-ils enfin la réponse à toutes leurs questions ? D’une certaine façon, cela lui fit peur. Si la vérité était aussi cruelle qu’il le craignait, rien ne serait facile ni pour eux ni pour les familles des disparues. Mais toutes ses années passées dans la police lui avaient appris que la certitude valait toujours mieux que le soupçon.

— On va chercher Jonas d’abord, cria-t-il à Martin et Gösta contre le vent. Gösta, tu le conduiras au commissariat pour interrogatoire, pendant que Martin et moi, on fouillera les maisons.

Épaules courbées pour se protéger de la neige, ils gravirent le perron et sonnèrent à la porte, mais personne ne vint leur ouvrir. La voiture n’était pas là, et il n’était guère probable que Jonas dorme alors que Marta et Molly avaient disparu. Patrik appuya doucement sur la poignée. La porte n’était pas verrouillée.

— On entre, dit-il, et les autres lui emboîtèrent le pas.

La maison était plongée dans l’obscurité et le silence, et ils constatèrent qu’il n’y avait personne.

— Je propose une première fouille rapide de tous les bâtiments pour établir si oui ou non Molly et Marta se trouvent ici, à la ferme. Nous reviendrons après pour un examen plus minutieux. Torbjörn se tient prêt à intervenir si on a besoin de son équipe.

— D’accord, dit Gösta en regardant autour de lui dans le salon. Je me demande où il peut bien être…

Ils sortirent et Patrik se tint à la rampe pour ne pas glisser sur les marches d’escalier recouvertes d’une épaisse couche de neige fraîche. Son regard balaya la cour. Après avoir réfléchi un instant, il décida d’attendre avant d’aller frapper chez Helga et Einar. Ça pourrait les troubler et les inquiéter encore davantage. Mieux valait explorer d’abord tranquillement les autres bâtiments.

— On va commencer par l’écurie, puis on fera le cabinet de Jonas.

— Regardez, la porte est grande ouverte, s’écria Martin, et il pointa l’index en direction du long bâtiment.

La porte battait au vent. Tous sens en éveil, ils entrèrent dans l’écurie calme et silencieuse. Martin avança dans l’allée centrale et scruta les box et les stalles.

— C’est vide, complètement vide.

Patrik sentit une grosse boule grandir dans son ventre. Quelque chose clochait sérieusement. Et dire que le coupable leur était peut-être passé sous le nez, qu’il avait toujours été dans leur district et qu’ils l’avaient découvert trop tard.

— Tu as prévenu Palle Viking ? demanda Gösta.

— Oui. Il peut nous envoyer des renforts à tout moment, s’il le faut.

— Bien, dit Gösta, et il ouvrit la porte du manège. C’est vide ici aussi.

Entre-temps, Martin avait vérifié la salle polyvalente et le stock alimentaire avant de revenir dans l’écurie.

— OK, on va poursuivre avec le cabinet de Jonas.

Patrik sortit dans le froid, Gösta et Martin sur ses talons. La neige faisait l’effet de petits clous sur leurs joues quand ils retournèrent vers la maison au pas de course. Gösta essaya d’ouvrir la porte.

— C’est fermé à clé.

Du regard, il interrogea Patrik qui hocha la tête. Avec un ravissement mal contenu, Gösta fit quelques pas en arrière, prit son élan et donna un grand coup de pied dans la porte. Il répéta l’assaut deux fois et elle finit par céder et s’ouvrir en grand. Elle aurait dû être plus solide, vu les substances qui étaient conservées là-dedans. Patrik ne put s’empêcher d’esquisser un sourire. Ce n’était pas tous les jours qu’on voyait Gösta faire du kung-fu.

Le cabinet vétérinaire était petit, et ils l’eurent vite exploré. Il n’y avait aucune trace de Jonas, tout était propre et bien rangé, hormis l’armoire à pharmacie, ouverte, et dont plusieurs étagères étaient vides. Gösta examina le contenu.

— On dirait qu’il a emporté pas mal de produits.

— Merde alors ! s’exclama Patrik. Est-ce qu’il a pu droguer sa femme et sa fille pour les enlever ?

L’idée que Jonas se soit enfui avec de la kétamine et autres substances était très préoccupante.

— C’est un malade, ce type, dit Gösta en secouant la tête. Comment a-t-il fait pour paraître si normal ? C’est ça le plus atroce. Qu’il soit si… sympathique.

— Les psychopathes arrivent à tromper tout le monde.

Patrik sortit dans l’obscurité de la nuit après un dernier regard sur la pièce de consultation. Martin et Gösta le suivirent en grelottant.

— C’est quoi, la suite ? Les parents de Jonas ou la grange ? demanda Martin.

— La grange.

Ils traversèrent aussi vite qu’ils le pouvaient la cour glissante.

— On aurait dû emporter des lampes de poche, regretta Patrik.

Il faisait tellement noir dans la grange qu’ils purent à peine distinguer les voitures entreposées.

— Ou alors on peut allumer la lumière, dit Martin, et il tira sur une ficelle qui pendait du plafond près du mur.

Une faible lueur spectrale éclaira le grand local. Par-ci, par-là, un peu de neige s’infiltrait par les fentes des murs, mais l’air leur paraissait quand même plus chaud ici, à l’abri du vent cinglant.

Martin frémit.

— Ça ressemble à un cimetière pour voitures.

— Oh non, ce sont de magnifiques spécimens. Avec un peu d’amour et d’entretien, on en ferait de vrais bijoux, affirma Gösta en passant amoureusement la main sur le capot d’une Buick.

Il commença à circuler entre les véhicules en regardant autour de lui. Patrik et Martin firent de même, confirmant rapidement qu’il n’y avait personne ici non plus. Patrik sentit son courage défaillir. Ils devraient se dépêcher de lancer un avis de recherche. Car Jonas n’était plus ici, à moins de se cacher chez ses parents, ce à quoi Patrik ne croyait pas une seconde. Ils ne trouveraient là-bas que Helga et Einar, en train de dormir.

— Il va falloir réveiller les parents maintenant, dit-il, et il éteignit la lumière en tirant sur la ficelle sale.

— Qu’est-ce qu’on leur dit ? demanda Martin.

Patrik réfléchit. C’était une bonne question. Comment racontait-on à un père et une mère que leur fils était probablement un psychopathe qui avait enlevé et torturé des jeunes filles ? On n’apprenait pas ce genre d’exercice à l’école de police.

— On improvisera, finit-il par dire. Ils savent que nous cherchons Marta et Molly, et voilà que Jonas aussi a disparu.

Encore une fois ils traversèrent la cour fouettée par le vent. Patrik frappa à la porte d’entrée, des coups forts et déterminés. N’obtenant pas de réponse, il frappa de nouveau. Une lampe s’alluma au premier étage, peut-être dans une chambre. Mais personne ne vint leur ouvrir.

— Et si on entrait ? proposa Martin.

Patrik vérifia la porte. Elle était ouverte. À la campagne, les gens ne fermaient qu’exceptionnellement les verrous, ce qui facilitait parfois le travail de la police. Il pénétra dans le vestibule.

— Ohé ? lança-t-il.

— C’est qui, bordel de merde ? cria une voix colérique à l’étage.

Ils comprirent assez vite la situation. Personne n’était venu leur ouvrir car Einar était seul à la maison.

— C’est la police. Nous allons monter.

Patrik fit signe à Gösta de venir avec lui tandis qu’à voix basse il dit à Martin :

— Jette un coup d’œil pendant qu’on parle avec Einar.

— Mais où est Helga ? demanda Martin.

Patrik secoua la tête. Il aurait bien aimé le savoir.

— On va voir ça avec Einar, répondit-il en grimpant l’escalier quatre à quatre.

— C’est quoi ces manières ? Venir réveiller les gens en pleine nuit ! cracha Einar, assis sur le lit, pas tout à fait réveillé, les cheveux en bataille et vêtu seulement d’un slip et d’un marcel blanc.

— Elle est où, votre femme ? demanda Patrik, ignorant ses propos.

— Elle dort, là-bas ! bougonna Einar en montrant une porte de l’autre côté du couloir.

Gösta alla l’ouvrir, regarda dans la chambre, puis secoua la tête.

— Il n’y a personne, et le lit n’est pas défait.

— Ben merde alors ! Où elle est celle-là ? Helgaaaa ! hurla Einar, et son visage prit une teinte rougeâtre.

— Vous ne savez donc pas où elle se trouve ?

— Ben non, si je le savais je vous le dirais. Qu’est-ce qu’elle fait à traîner dehors ?

Un filet de salive coulait du coin de sa bouche et tomba sur sa poitrine.

— Elle est peut-être partie à la recherche de Marta et Molly, suggéra Patrik.

— Pfft, on en fait bien des tonnes pour ces deux-là, dit Einar en reniflant. Elles vont ressurgir, vous verrez. Moi je dis que Marta s’est énervée contre quelque chose que Jonas a fait ou pas fait, et pour le punir elle s’est éclipsée avec Molly. Le genre d’enfantillage que les bonnes femmes adorent.

Ses paroles dégoulinaient de mépris, et ça démangeait Patrik de lui dire ce qu’il en pensait.

— Vous ne savez donc pas où se trouve votre femme ? répéta-t-il patiemment. Ni Marta et Molly ?

— Non, je vous dis que non ! rugit Einar en frappant la couverture de sa main.

— Et Jonas ?

— Il a disparu, lui aussi ? Non, je ne sais pas où il est.

Einar leva les yeux au ciel, mais Patrik eut le temps de noter qu’il avait jeté un rapide coup d’œil par la fenêtre.

Un sentiment de calme le remplit, comme s’il s’était tout à coup trouvé dans l’œil du cyclone. Il se tourna vers Gösta.

— Je crois qu’il va falloir qu’on fouille un peu plus la grange.


L’odeur écœurante de moisi et de renfermé remplit ses narines. Molly avait l’impression d’étouffer, et elle avala sa salive pour éliminer le goût ranci de sa bouche. Elle avait du mal à rester aussi calme que Marta le souhaitait.

— Pourquoi on est ici ? demanda-t-elle dans le noir, pour la énième fois.

Elle ne reçut pas plus de réponse qu’avant.

— Ne gaspille pas tes forces pour rien, lui dit Marta.

— Mais on nous garde prisonnières ! On nous a enchaînées ! Ça doit être celui qui a enlevé Victoria, et je sais ce qu’il lui a fait ! Comment tu peux rester si calme ? Je ne comprends pas.

Elle savait combien elle avait l’air geignarde. Avec un soupir, Molly appuya sa tête contre ses genoux. La chaîne se tendit et elle se déplaça plus près du mur pour que le bracelet des menottes ne frotte pas contre sa cheville.

— Ça ne sert à rien d’avoir peur, dit Marta.

Elle répétait cela depuis des heures.

— Qu’est-ce qu’on va faire alors ? On va mourir de faim et pourrir ici ?

— Ne sois pas si dramatique. On va recevoir de l’aide.

— Comment tu peux le savoir ? Personne n’est encore venu nous sauver.

— Ça va se régler, tu peux me faire confiance. Moi, je ne suis pas une gamine pourrie gâtée habituée à tout recevoir sur un plateau d’argent, la rabroua Marta.

Molly se mit à pleurer en silence. Même si elle savait que Marta ne l’aimait pas, elle avait du mal à supporter qu’elle soit si froide et sans cœur dans une situation pareille.

— C’était bête de dire ça, rectifia Marta sur un ton plus doux. Mais crier et lancer des jurons, ça ne sert à rien. Il vaut mieux qu’on économise nos forces en attendant que quelqu’un vienne nous secourir.

Molly se tut, un peu apaisée. On aurait dit que Marta s’excusait, ce qui était très inhabituel de sa part.

Elles restèrent silencieuses un instant, puis elle rassembla son courage.

— Pourquoi tu ne m’as jamais aimée ?

Il y avait bien longtemps qu’elle voulait poser cette question à Marta, sans jamais oser le faire, mais à présent, protégée par l’obscurité, cela lui parut tout à coup moins effrayant.

— Ça ne m’allait pas de devenir mère.

Molly put deviner qu’elle haussait les épaules.

— Mais alors pourquoi tu as eu un enfant ?

— C’est ton père qui le voulait. Il voulait un enfant pour lui servir de miroir.

— Mais il aurait préféré un garçon, non ?

Molly s’étonna de sa propre audace. Toutes les questions qu’elle avait gardées comme des petits paquets enfouis en elle s’ouvrirent. Elle demandait sans se sentir blessée, comme s’il était question de quelqu’un d’autre. Elle voulait juste savoir.

— Avant ton arrivée, je pense que oui. Mais dès que tu es née, il a été heureux d’avoir une fille.

— Je suis contente de l’apprendre, dit Molly avec une pointe d’ironie.

Elle ne cherchait pas à se plaindre. Les choses étaient comme elles étaient.

— J’ai fait de mon mieux, mais je n’étais pas destinée à avoir un enfant.

C’était étrange que leur première vraie conversation ait lieu alors qu’il était peut-être trop tard. Il n’y avait cependant plus de raison de cacher quoi que ce soit, elles pouvaient cesser de faire semblant.

— Comment peux-tu être si certaine qu’on sera libérées ?

Molly grelottait de plus en plus sur le sol froid, et sa vessie la tourmentait. Elle fut prise de panique à l’idée de se faire pipi dessus.

— Je le suis, c’est tout, répondit Marta et, comme une réponse à l’assurance de sa déclaration, elles entendirent une porte s’ouvrir.

Molly se serra contre le mur.

— C’est peut-être lui. Il va nous faire mal.

— Calme-toi ! dit Marta.

Et pour la première fois depuis que Molly s’était réveillée dans le noir, elle sentit la main de Marta sur son bras.


Comme paralysés, Gösta et Martin étaient tapis dans un coin de la grange. Ils ne savaient pas comment gérer ce mal absolu qui leur faisait face.

— Oh putain de Dieu ! proféra Gösta.

Martin ne comptait plus le nombre de fois où il l’avait déjà dit, mais il ne put que confirmer : oh putain de Dieu !

Ni l’un ni l’autre n’avait vraiment cru Patrik quand il était sorti de la chambre d’Einar en disant qu’il y avait quelque chose dans la grange. Mais ils l’avaient aidé à la fouiller de nouveau, plus minutieusement cette fois, et quand il avait trouvé la trappe sous une voiture, leurs objections s’étaient tues. Surexcité à l’idée d’avoir trouvé Molly et Marta, Patrik avait rapidement descendu l’étroite échelle après avoir presque arraché le battant en l’ouvrant. La lumière en bas était faible et Patrik eut du mal à distinguer ce qui l’entourait, mais il comprit rapidement qu’il n’y avait personne ici, et qu’il fallait faire venir les techniciens avant de toucher à quoi que ce soit.

À présent, Torbjörn et son équipe étaient là et de puissants projecteurs éclairaient l’intérieur de la grange, comme une scène de théâtre. Après avoir relevé des indices sur l’échelle et sur certaines parties du sol, les techniciens autorisèrent Patrik à descendre dans la petite cave, et Gösta et Martin le suivirent de près.

Martin avait entendu Gösta chercher son souffle en arrivant en bas, et il était lui-même encore sous le choc de ce qu’il avait vu. Les murs nus et le sol en terre battue, le matelas souillé dont les taches sombres étaient vraisemblablement du sang séché. Au milieu de la pièce, une barre verticale entourée de grosses cordes, elles aussi tachées de sang. L’air était quasi irrespirable, et une odeur putride les avait pris à la gorge.

La voix de Torbjörn en haut de l’échelle tira Martin de l’abominable scénario dans lequel il était plongé.

— Il y a eu un objet à cet endroit-là, probablement un pied de caméra.

— Quelqu’un aurait donc filmé ce qui s’est passé ici ? demanda Patrik.

Il observa l’endroit indiqué par Torbjörn.

— Je crois, oui. Vous n’avez pas trouvé de vidéos ?

— Non. Mais regarde, on dirait qu’il y a eu des trucs posés là-bas.

Patrik s’approcha d’une bibliothèque sale. Martin le suivit. Un boîtier de DVD traînait sur une étagère partiellement dépourvue de poussière. Il était vide.

— Il a dû venir les récupérer, dit Martin. Il les a emportés, va savoir où.

Martin se rendit compte que l’atmosphère nauséabonde de la cave l’incommodait de plus en plus.

— Enfin, putain, ils sont où ?

— Aucune idée, dit Patrik en serrant les mâchoires. Mais il faut qu’on trouve Jonas. Et il faut qu’on trouve Molly et Marta.

— Tu crois qu’il a… commença Martin sans terminer sa phrase.

— Je ne sais pas. Je ne sais plus rien.

Le ton résigné de Patrik fit presque perdre courage à Martin, même s’il comprenait son collègue. Ils avaient fait une percée dans l’enquête, mais ils n’avaient pas réussi leur mission la plus importante : localiser Molly et Marta. Et au vu de ce qu’ils avaient découvert ici, elles étaient probablement entre les mains d’une personne très malade.

— Venez voir ! cria Torbjörn d’en haut.

Tous les trois grimpèrent l’échelle.

— Tu avais raison, dit Torbjön à Patrik alors qu’il se déplaçait d’un pas vif à l’autre bout de la grange.

Le van pour le transport de chevaux était garé là. Il était plus grand et plus robuste que la plupart des vans que Martin avait vus sur les routes, et à la réflexion, il semblait inutilement vaste lorsqu’on n’avait qu’un cheval à transporter, comme la famille Persson.

— Regarde ça. Le van a été modifié. À côté de l’emplacement du cheval, un espace a été aménagé en surélevant le sol, de la taille d’un être humain pas trop grand. La cache paraît trop évidente a priori, mais il y avait sans doute du foin étalé dessus et la mère et la fille avaient peut-être d’autres préoccupations.

— Putain, comment tu as… ? dit Martin en lançant un regard rempli d’admiration à Patrik.

— Je me demandais comment Jonas s’y prenait pour déplacer les filles. Il ne pouvait pas les transporter dans la voiture, où se trouvaient Molly et Marta. Du coup, le van était la seule option.

— Oui, c’est évident.

Martin se sentit bête de ne pas y avoir pensé, mais les choses s’étaient précipitées, il avait à peine eu le temps de tout assimiler. Les détails viendraient plus tard, lorsqu’il aurait une meilleure image de ce qui s’était passé.

— Relevez toutes les preuves de la présence des filles ici, dit Patrik. Nous allons avoir besoin de bons arguments. Il est rusé, ce fumier de Jonas, pour avoir fait tout ça sans éveiller de soupçons.

Yes sir, répondit Torbjörn, sans esquisser le moindre sourire.

Personne n’avait envie de plaisanter. Martin avait plutôt envie de pleurer. Pleurer sur la perversité humaine, pleurer de savoir que de tels hommes pouvaient vivre si près de lui et, planqué derrière leur apparente normalité, faire les choses les plus épouvantables.

Il s’accroupit et examina la cache aménagée dans le van. Les projecteurs de l’équipe technique leur permettaient de voir distinctement alors qu’il faisait nuit noire dehors et que l’ampoule de la grange n’éclairait pas grand-chose.

— Vous imaginez vous réveiller dans un petit espace comme ça ? dit-il en sentant la claustrophobie comme un poids sur sa poitrine.

— Il devait les endormir pendant le trajet. D’une part pour des raisons pratiques, d’autre part pour que Molly et Marta n’entendent rien.

— Il était accompagné de sa propre fille quand il enlevait des adolescentes qui avaient son âge, constata Gösta.

Il se tenait un peu à l’écart, les bras croisés, et n’en croyait toujours pas ses yeux.

— Il faut qu’on trouve les vidéos, martela Patrik.

— Et Jonas, rajouta Martin. Est-ce qu’il a pu ficher le camp à l’étranger quand il s’est rendu compte qu’il allait être démasqué ? Et dans ce cas, où sont Marta et Molly ? Et Helga ?

Patrik secoua la tête. Le visage gris de fatigue, il fixa la petite cavité dans le van.

— Je ne sais pas, dit-il encore une fois.


— Enfin ! Te voilà ! dit Marta lorsque la lumière s’alluma et que les pas résonnèrent en bas de l’escalier.

— J’ai fait aussi vite que j’ai pu.

Jonas s’agenouilla et la prit dans ses bras. Comme toujours, c’était comme s’ils fusionnaient en une seule personne.

— Jonas ! cria Molly.

Mais son père resta un moment auprès de Marta avant de la lâcher et de se préoccuper de sa fille.

— Ne t’inquiète pas. Je vais vous détacher.

Molly commença à pleurer de façon hystérique et Marta eut envie de lui flanquer une gifle. Ça ne lui allait donc toujours pas ? Elles allaient être libérées, exactement ce que sa fille avait réclamé en gueulant comme un putois. Pour sa part, elle ne s’était pas inquiétée une seule seconde. Elle savait que Jonas allait les trouver.

— Qu’est-ce qu’elle fait ici, mamie ? hoqueta Molly.

Marta croisa le regard de Jonas. Pendant ces heures dans l’obscurité, à force de réfléchir, elle était arrivée à la seule conclusion logique. Le thé sucré que Helga leur avait offert, le noir soudain qui s’était abattu sur elles. Elle était étonnée que sa belle-mère ait réussi à les fourrer dans la voiture et à les descendre ici. Mais les femmes sont plus solides qu’on ne le croit, et toutes ces années de travail à la ferme avaient sûrement donné à Helga les forces nécessaires.

— Mamie était obligée de venir. C’est elle qui a les clés, pas vrai ?

Jonas tendit la main à sa mère qui attendait en silence derrière lui.

— C’était le seul moyen. Comprends-moi. La police était à tes trousses et j’étais obligée de faire en sorte que tu paraisses moins suspect.

— Et c’est ma femme et ma fille que tu as sacrifiées, dit Jonas.

Après avoir hésité une seconde, Helga glissa sa main dans la poche et en tira deux clés. Jonas en essaya une dans le mécanisme des menottes de Marta. Ce n’était pas la bonne, alors que l’autre déverrouilla immédiatement le cliquet. Elle se massa la cheville.

— Putain ce que ça fait mal, souffla-t-elle avec une grimace.

Elle se réjouit d’entrevoir la peur qui se reflétait dans les yeux de Helga.

Jonas s’approcha de Molly et s’accroupit à côté d’elle. Il eut du mal à introduire la clé, parce que Molly s’agrippait à lui et sanglotait contre son épaule.

— Elle n’est pas de toi, déclara Helga calmement.

Marta la fixa. Elle aurait voulu se jeter sur sa belle-mère et la faire taire, mais attendit tranquillement la suite.

— Quoi ?

Jonas se dégagea de l’étreinte de Molly sans avoir ouvert les menottes.

— Molly n’est pas ta fille.

Un air de triomphe illumina le visage de Helga. Elle savourait ces mots prononcés à haute voix.

— Tu mens ! s’écria-t-il en se redressant.

— Demande-lui, dit-elle en désignant Marta. Pose-lui la question si tu ne me crois pas.

À toute vitesse, Marta pesa ses chances. Différentes stratégies fusèrent dans son cerveau. Ça ne servirait à rien de raconter des bobards. Elle pourrait mentir à n’importe qui sans sourciller et sans qu’on ne doute jamais d’elle. Sauf à Jonas. Elle avait été obligée de vivre avec cette imposture pendant quinze ans, mais elle ne pouvait plus lui mentir maintenant.

— Ce n’est pas certain à cent pour cent, dit-elle, sans quitter Helga des yeux. Elle peut aussi être la fille de Jonas.

— Pfft. Je sais compter. Elle a été conçue au cours des deux semaines où Jonas est parti en formation.

— Quoi ? Quand ça, tu dis ?

Le regard de Jonas allait de sa mère à Marta. Même Molly s’était tue et dévisageait les adultes, décontenancée.

— Comment tu l’as su ? demanda Marta en se relevant. Personne n’était au courant.

— Je vous ai vus. Je vous ai vus dans la grange.

— Est-ce que tu as vu aussi que je résistais ? Est-ce que tu as vu qu’il me prenait de force ?

— Ça, c’est sans importance, dit Helga avant de s’adresser à Jonas. Ton père a couché avec ta femme pendant ton absence, c’est lui le père de Molly.

— Dis-moi qu’elle ment, Marta, supplia Jonas.

Marta sentit une pointe d’irritation à le voir aussi bouleversé. Qu’est-ce que ça pouvait bien faire ? Ça n’avait été qu’une question de temps avant qu’Einar la viole. Jonas aurait dû le comprendre. Après tout ce qui s’était passé, il devait quand même connaître son père. Qu’elle soit tombée enceinte était regrettable, mais Jonas ne s’était jamais douté de rien, il n’avait jamais fait le simple calcul sur ses dix doigts, tout vétérinaire qu’il soit. Il avait juste accepté Molly comme sa fille.

— Helga ne ment pas. Tu étais absent et ton père n’arrivait plus à se contrôler, la tentation était trop grande. Ça ne devrait pas te surprendre.

Elle se tourna vers Molly, silencieuse dans son coin, les larmes roulant doucement sur ses joues.

— Arrête de chialer. Tu es assez grande pour apprendre la vérité, même s’il aurait mieux valu que personne n’en sache rien. Mais voilà, trop tard ! Alors qu’est-ce que tu comptes faire, Jonas ? Me punir parce que ton père m’a violée ? Je me suis tue pour le bien de tout le monde.

— Tu es malade, constata Helga en serrant ses poings.

— Moi, malade ? riposta Marta, et elle sentit le rire monter en elle. Alors disons plutôt qu’on devient comme ceux qu’on fréquente. Toi non plus, tu ne sembles pas tout à fait en bonne santé, vu ce que tu nous as fait.

Elle montra les menottes qui maintenaient encore Molly prisonnière.

Molly se cramponna à la jambe de Jonas.

— S’il te plaît, détache-moi. J’ai peur.

Il fit un brusque pas en avant, lui faisant perdre prise. Elle émit des sanglots convulsifs et tendit les bras vers lui.

— Je ne comprends rien à ce que vous dites, mais j’ai peur. Détache-moi maintenant.

Jonas s’approcha de Marta, et elle observa son visage si près du sien. Puis elle sentit sa main contre sa joue. La connivence n’avait pas été rompue. Elle demeurait, pour toujours.

— Ce n’était pas ta faute, dit-il. Rien n’était ta faute.

Il resta un instant ainsi, sa main sur sa joue. Elle perçut la puissance qu’il dégageait, cette même force sauvage et indomptée que son instinct avait détectée dès la première fois.

— Nous avons pas mal de choses à faire, dit-il, en la scrutant longuement.

Elle hocha la tête.

— Oui, je sais.

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