M'man, c'est la ménagère top niveau. Ce qui se fait de plus performant dans le genre. Rien ne lui échappe de la vie domestique. Les détails les plus anodins en apparence revêtent, pour elle, une importance prioritaire.
Aussi, lorsque je lui pose ma question, depuis Damas, n'hésite-t-elle pas une seconde avant de répondre :
— Mais bien sûr, Antoine, que tu es revenu de « là-bas » avec ton costume du départ : le prince-de-Galles légèrement bleuté. Je l'ai ramené de la clinique pour le repasser et t'ai porté quelque chose de plus indiqué pour le mois de janvier.
Donc, c'est bien vrai : je n'ai pas fait trempette dans le bac avec le costar en question.
Re-donc, je m'étais saboulé différemment. Mais pourquoi et comment ?
Après que j'aie raccroché, nous débattons du problo, le Foncé et ma pomme.
— Tu étais traqué, décide Jérémie, donc tu venais de te sauver d'un lieu où l'on te retenait.
— Possible, mais pas fatal.
— Laisse-moi dire…
— Vas-y, l'oracle !
— J'imagine que, pour quitter l'endroit en question, tu as dû revêtir une tenue particulière.
Il poursuit, ses stores vénitiens aux trois quarts baissés, avec un ton de médium :
— Des gens te coursent. Tu débouches à la tannerie. Là, des clebs se mettent de la partie. Alors tu plonges dans un bac ; je salue en passant ton courage ! Tes poursuivants t'ont fatalement repris puisque, en fin de compte, tu as récupéré tes effets. J'y suis : c'est les chiens qui leur ont indiqué ta planque nauséabonde : ils devaient aboyer après le chaudron où tu mijotais. Ça ne te rappelle rien ?
— Non.
L'ami noir me passe au laminoir :
— Je parviens pas à piger comment il se fait que tu aies des éclairs de mémoire sans qu'ils entraînent ton esprit vers de plus larges perspectives. Généralement, quand une maille file, tout se débine.
— Ben non, tu vois : mes éclairs s'éteignent sans apporter la vraie lumière !
— Bon, viens, on continue !
— C'est-à-dire ?
— On retourne au mausolée du général Gamal Halaziz, puisque nous supposons qu'il était le lieu de ton mystérieux rendez-vous.
— Supposition gratuite !
— Sois pas nihiliste ! On t'a téléphoné chez toi. Tu as écrit ce nom. Puis tu t'es embarqué au plus vite pour la Syrie. Ton con(de)frère, le commissaire Roidec affirmait qu'il était entré en contact avec notre correspondant d'ici : il serait intéressant de voir ce mec.
— Demande ses coordonnées à Roidec.
— T'es louf : je l'ai laissé quimper comme une chaussette trouée. Il doit se perdre en sarcasmes après ces salauds de Noirs sur qui tu ne peux pas compter, mon vieux ! Appelle-le, toi !
Par bol, j'ai le chauve au cache-nez à ma première tentative. Sa voix de canard mécontent me clapote dans les feuilles comme si j'avais les baffles emplies de vase.
— Tiens ! Un revenant ! s'écrie-t-il. Toi, tu me la copieras ! Filer à l'anglaise, sans prévenir personne ; je parie que ton enviandé de négro était dans le coup ? quand je le reverrai, ce chimpanzé de merde, je lui offrirai des bananes de mon jardin, sois tranquille !
— Gueule pas si fort, Léopold, tu vas te péter les cordes vocales !
Ma sérénité le calme un peu.
— Où es-tu ? demande-t-il.
— Sur le terrain de mes exploits, à Damas !
Là, il est scié en rondelles, le frère-con.
— Tas vraiment pas peur des mouches !
— Jamais !
— On dirait que tu as repris du poil de la bête ?
— Plein les mains, Léo. Mais stoppe tes lieux communs et refile-moi l'adresse de notre correspondant ici, j'ai besoin de tuyaux qu'il sera peut-être à même de me fournir.
Il gueule :
— Dis, Antoine, tu fais de la police en artiste, toi ! Tu te crois aux Beaux-Arts, mon gars ! Notre mec de Damas, c'est top secret ! Tu le mouillerais jusque dans le gros côlon en lui rendant visite ! Déjà qu'on est sûrement sur écoutes ! Tu m'entends te balancer son blaze et son adresse au bigophone ? C'est à des demandes comme ça que je pige que t'as pas fini ta convalo, mon drôle !
— Tu devrais aller te faire miser d'urgence chez les Grecs, Roidec ! conseillé-je, fou de rage.
Je raccroche.
M. Blanc a un sourire amer.
— T'as bien fait de shooter ce tas de merde, on fera sans ses renseignements. Que dirais-tu d'une visite de courtoisie à l'ambassade de France ?
Au lieu d'aller se plumer dans des burlingues, on frappe carrément à la grande lourde. Nos brèmes d'archers républicains nous la font ouvrir et, en moins de peu, nous voilà vautrés dans un canapé Louis quatorze, en face d'un attaché d'embrassade séduisant comme un calendrier des postes, qui doit passer ses loisirs à tirer toutes les dames pinables et désœuvrées du corps diplodocus. J'ai souvent lu dans des bouquins bien écrits, l'adjectif sémillant et je m'étais toujours promis de l'utiliser à l'occasion. Eh bien, j'ai la joie de t'annoncer que l'instant tant attendu est arrivé : le diplomate qui nous reçoit est sémillant, avec une cravate à rayures bleues et rouges qui te cocoricotte dans les lanternes.
Nous ne nous étendons pas sur l'objet de notre séjour, que ça serait trop long à expliquer et plus long encore à piger, juste on lui laisse entendre que nous sommes mandatés pour une délicate mission. Discret de formation, il imperturbe. qu'on cause, il répondra. Motus et Vivaldi, comme dit parfois Bérurier quand il veut briller devant un parterre d'académiciens pas trop gâtés dans leur emballage vert.
— Pouvez-vous nous parler du défunt général Gamal Halaziz, Excellence ? attaqué-je.
II arrondit sa bouche comme pour cracher un noyau d'olive ou sucer un clitoris.
— Drôle de colle que vous me posez là, commissaire. Gamal Haziz, vous vous en doutez, a aidé à la mise en place du régime actuel. En 73 il a pris part à la quatrième guerre israélo-arabe et il est mort au Liban dans un attentat. Le régime qui avait besoin de martyrs en a fait un héros national dont on chante le nom dans les écoles. Je crois vous avoir résumé l'essentiel de sa biographie.
— Il a laissé de la famille ?
— Je suppose, mais suis incapable de vous apporter des précisions sur ce point.
J'opine, donc je suis.
Autour de l'ambassade, y a des enfants français qui jouent dans le jardin, et, un court instant, j'ai l'impression heureuse de me trouver chez nous, près d'une école à l'heure de la récré.
— Autre chose, Excellence, connaissez-vous cet homme ?
Et de lui tendre la photo du type qu'avait comblé la pauvre Kamala Safez.
Il se saisit du cliché et se met à le contempler.
— C'est vague, murmure-t-il, très vague.
— Vous parlez de l'image ?
— Non, du souvenir que j'ai. Pour tout vous dire, il me semble effectivement avoir rencontré cet homme quelque part, mais vous dire où, quand et dans quelles circonstances…
— Essayez de vous concentrer ! l'en prié-je.
J'ai droit à une sardonique œillade de M. Blanc. Dans sa prunelle en boule d'escalier, je lis un truc dans le style « Toi, mon vieux, t'as bonne mine d'exiger des autres qu'ils stimulent leur mémoire. Faut être un enfoiré de Blanc pour oser, dans ton cas, pareille outrecuidance ! »
Le Sémillant me rend la photo.
— Navré, mais excepté cette notion de déjà vu, je suis incapable de le situer. Il peut s'agir d'un fonctionnaire arabe, d'un commerçant des souks ou de n'importe qui d'autre.
Y a une chose dont j'ai horreur, c'est quand un important ayant condescendu à te recevoir, se met à te faire sentir qu'il t'a assez vu et que tu devrais te prendre par la main et t'emmener promener. Cette hideuse manière de se taire, de regarder dans le vague en te balançant des décharges d'ondes renfrognées, m'est insoutenable.
Je prends mes clics pour aller au claque.
— Eh bien, Excellence, je vous remercie de votre esprit de coopération.
On se lève. L'attaché de mes choses détache son fion de sa chaise.
— J'aimerais pouvoir vous aider…
Et il a une cabrade du cervelet. L'idée qui lui déboule dans la matière grise sans s'être annoncée !
— Attendez, je pense à quelque chose. Oui : vous devriez aller voir le père Bouchafeu.
Mon silence est une question.
Il y répond :
— Le père Bouchafeu est un vieux brocanteur qui tient boutique dans sa maison, non loin des souks. Il habite Damas depuis toujours. Il a connu la domination française, le coup d’État militaire de 49, l'arrivée au pouvoir du parti Baas, les guerres… Il est bien avec tout le monde et doit vendre des renseignements comme il vend des objets ciselés. Le fait qu'il soit toujours en vie donne à penser qu'il sait se montrer utile vis-à-vis des gens en place et de ceux qui le seront un jour. Pour peu que vous ayez quelques dollars à lui proposer, il peut vous fournir de l'alcool, des putes et des tuyaux. Bien entendu, il y a la manière de commercer avec lui : ne jamais le prendre de front. Vous lui laissez entendre ce que vous aimeriez savoir et vous faites l'emplette d'une quelconque bricole parmi ses horreurs. Il vous en demandera cent fois son prix mais vous dira ensuite, mine de rien, ce que vous êtes venu entendre.
— Merci de votre conseil, Excellence.
— Attendez : le vieux n'est pas seulement cupide, il est en outre très porté sur la chose.
— Là, je crains de ne pouvoir le satisfaire, m'empressé-je, non plus que l'inspecteur Blanc car nous appartenons tous deux à cette sotte catégorie d'individus, en voie d'extinction fort heureusement, qui pratique l'orthodoxie des mœurs.
Le Sémillant rit à gorge d'employé (Béni dixit).
— Ne vous méprenez pas. Bouchafeu vit en compagnie d'une fille un peu nympho et rien ne lui fait davantage plaisir que de la proposer aux gens qui lui sont sympathiques.
— Ce qui sous-entend que vous nous jugez susceptibles de capter sa bienveillance, Excellence. Merci de votre confiance !
On s'en malaxe des paquets et on se quitte.
— On progresse ! jubile Jérémie. On progresse, mon vieux ! Brique après brique, la maison se bâtit !
Il aime les métaphores, Césarin !
Une grande masure carrée, au toit plat, dont le crépi fait de la desquamation. Des stores de paille peints en vert pendouillent en biais, transformant chaque fenêtre en montant de guillotine. Un écriteau annonce, en français et en anglais : Antiquités, bibelots, curiosités.
La lourde est ouverte sur une ombre puant la brocante et la moisissure. On s'avance. Le bordel nous agresse dès l'entrée. Un capharnaum pas pensable.
Des montagnes ! Y en a partout : sur les tables, au sol, contre les murs, accroché au plafond. De tout ! Plus ce qu'on n'avait encore jamais imaginé.
Des mannequins vêtus d'uniforme, des sabres recourbés, des balances d'épicier, des ombrelles, des bouquins, des outils, des gravures, des pompes à eau, des pompes à vélo, des pompes à merde, des grandes pompes, les pompes de Satan, des pompes à guêtres beurre frais, des monnaies moyenorientales, des escopettes, de la poudre d'escampette, un lit breton, un poney naturalisé, des lampes à huile, des chopes à bière teutones, des drapeaux français dégloriolisés, la photo de Pasqua, des jambes d'éléphant bourrées de parapluies, des globes tue-mouches, des globe-trotters, des lavements conservés dans l'alcool, des postes de télé du dix-neuvième siècle, des appareils téléphoniques Empire, le Jardin d'Allah, des masses d'armes, des armes à gauche, des indépendants de gauche, un slip de Bardot, le nœud de l'affaire, l'affaire du Courrier de Lyon, la photo de Pasqua en premier communiant, des bas de soie ayant appartenu à Talleyrand, des bouches d'égout, des babouches brodées, des éventails peints, des moulins à poivre, d'autres à vent et un tableau de Jérôme Bosch représentant l'arrivée d'Alice Sapritch aux États-Unis à bord du Mayflower.
Il n'existe pas de portes pour séparer les pièces et ce déferlement moutonne sur tout le rez-de-chaussée, créant un étrange labyrinthe parcouru de rues, de venelles, de sentes, d'impasses et autres ténébreux passages.
— Putain, ce bordel ! soupire M. Blanc en découvrant la boutique du sieur Bouchafeu.
Moi, je me mets en quête du taulier. Il règne une pénombre diffuse qui accroît le mystère des pauvres objets orphelins concentrés là.
— Il y a quelqu'un ? lancé-je après cinq minutes d'errements à travers ces reliques salopiotes.
— Je suis de la merde ? me répond un mannequin acagnardé à un bonheur-du-jour (1).
Et moi qui croyais que c'était une reproduction en cire de l'abbé Fana ! La chose porte une espèce de robe-soutane blanche, nouée à la taille par un gros ceinturon de cuir. Au cou, une chaîne dorée à laquelle est fixé un énorme cabochon qui souhaite passer pour une topaze. Mais pourquoi appelé-je « la chose » un être humain ? Faut-il qu'il soit cireux. Ses cheveux blancs lui tombent sur les épaules. Il a un œil en déroute, ce qui est toujours incommodant lorsque tu veux regarder dans les yeux une personne affligée de ce travers, mais qui protège l'intéressé des examens trop intenses.
— Vous êtes monsieur Bouchafeu ? je lui demande.
— Depuis soixante et douze années et il n'y a pas de raison pour que ça ne continue pas encore quelques lustres.
— J'appartiens à la police parisienne.
— Tant mieux pour elle.
Il louche sur M. Blanc.
— Et votre compagnon ?
— Aussi.
J'appréhende quelques réflexions malsonnantes, mais il ne fait aucun commentaire.
— L'on m'a dit que vous connaissiez tout de cette ville, monsieur Bouchafeu.
— Tout, sauf ce que j'ignore ! rectifie le fantôme.
— Est-ce que cet homme entre dans le cercle de ce que vous savez ?
Et j'exhibe une nouvelle fois la photo du mec qui se faisait turluter la guiguite par Kamala.
L'homme a un bref coup de chanfrein sur le bristol.
— On connaît tellement de monde, soupire-t-il.
Compris ! Il peut répondre, mais auparavant, je dois glavioter au bassinet. Avisant, sur la table la plus proche, un porte-plume imitation ivoire, de style ancien, sur lequel est écrit en belle anglaise luisante : Souvenir de Damas, je m'écrie :
— Voilà qui va faire le bonheur de ma mère ; ça vaut combien ?
Le dabe pince son pif jaune et déclare :
— Pour vous, ce sera deux cents dollars.
— C'est vraiment un prix d'ami, assuré-je en sortant des talbins de mes vagues.
Je compte dix Jackson et les dépose sur le coin de table où se trouvait le porte-plume (1).
Calme, le père Bouchafeu ne se presse pas, pour crapauder mon osier. Fair-play, il s'abstient même de recompter.
— Si ma mémoire est exacte, dit-il, ce bonhomme dont vous me montrez la photo dirige l'Agence de Presse Égyptienne de Damas dont le siège se trouve rue Adolf-Hitier (1889–1945), je crois qu'il se nomme Tuboûf Mafig ; sans pouvoir vous préciser avec certitude s'il convient de placer un accent circonflexe sur le « u ».
— Saint-Cloud very moche, remercié-je ; maintenant j'aurais des questions à vous poser concernant feu le général Gamal Halaziz.
Bouchafeu lisse ses longs cheveux de neige sale, puis insinue sa dextre par l'échancrure de sa robe soutanée afin de s'aller gratter les testicules où je crains que s'active une forte densité de gentils parasites. La manière dont, après cette opération il contemple ses longs ongles endeuillés, est significative.
— J'ai bien connu le général Gamal Halaziz, déclare-t-il, et j'en ai conservé le souvenir d'un grand con lumineux, fait pour être sergent, mais poussé dans les bras de la gloire par une série d'événements qu'il eut l'instinct de contrôler ; sauf toutefois le dernier à l'issue duquel il prit une décharge de roquette dans le cul, échappant ainsi à de tortueux complots et devenant héros national à part entière dans cette société à responsabilité très limitée qu'est un État arabe. Je pourrais vous en dire long sur la vie et l’œuvre du bonhomme, mais je ne veux pas vous distraire de ma caverne d'AIi Baba qui contient bien des trésors, susceptibles, tel ce porte-plume, de vous intéresser.
Discret (hum !) rappel aux convenances. Faut que je recharge son appareil à sous.
Je me fends d'un presse-papier en verre à l'intérieur duquel t'as une intégration représentant le bey de Tunis donnant, en 1827 à l'ambassadeur de France Deval, ce fâcheux coup d'éventail dont tu connais les retombées.
Je l'enlève pour la modique somme de trois cents dollars, ensuite de la remise desquels (comme l'écrirait Bérurier) il se met à me causer du général Gamal Halaziz. Pour ce faire, il nous conduit au premier, dans ses appartements, et là nous offre de l'anisette, ce dont j'ai horreur, mais que j'écluse nonobstant pour ne le point désobliger.
Bouchafeu est assis sur un coussin, la robe troussée et ses vieilles couilles boucanées, brunâtres et velues, s'étalent sur la soie vert pâle du pouf (égayé d'un paf).
Disert, il nous brosse la biographie d'Halaziz avec humour et précision. Je t'en fais grâce pour ne te révéler que l'essentiel : feu le général possédait un frère cadet qui, actuellement, dirigerait les services secrets syriens. Fémal Halaziz passe pour un arriviste de grand style, dont les scrupules tiendraient dans une boîte à pilules. Le gars adore les femmes dont il possède une magnifique collection, dans sa luxueuse résidence de Kama Soutra dans la banlieue résiduelle de Damas.
Quand il nous a brossé le papier, Bouchafeu insiste pour nous verser une deuxième verrée d'anisette.
— Chère Razade ! hurle-t-il à pleine voix, si puissamment qu'on sursaute de surprise.
Un glissement, en provenance de la pièce voisine, et une créature étonnante surgit. La fille a une vingtaine damnée. Un peu maigre sans doute, mais comestible.
Elle est fardée comme si elle venait de se déguiser en Cléopâtre pour un dîner de têtes et porte, tout comme la chère reine d’Égypte, une couronne comme là-bas, dis ! Sa tête fait royalement égyptien. Le reste de sa vêture se compose d'un collier serti d'intailles et d'une ceinture sur le devant de laquelle pend un léger rideau de perles. Le collier met ses menus seins en valeur, et les perles ne sont pas suffisamment fournies pour cacher son sexe, si bien que tu peux contempler sa chatte et ses loloches à tête reposée.
— Voici Chère Razade, annonce Bouchafeu, une exquise salope d'origine anglaise que j'ai ainsi baptisée parce qu'elle est fortement portée sur le raki.
— Assieds-toi, mon enfant, et sers-toi un verre. Il poursuit :
— Elle revenait de Katmandou en compagnie d'un grand sot de Suédois. Ces deux dadais ne savaient plus où dormir, ni quoi manger. Je l'ai rachetée au Suédois afin d'égayer mes vieux jours, ce dont elle s'acquitte à merveille. Avec patience, je l'ai désintoxiquée. Comme il lui fallait une compensation, je l'ai fait bifurquer de la drogue sur l'alcool et le cul, lesquels sont beaucoup moins nocifs que l'héroïne, vous en conviendrez ?
Nous en convenons. La souris est fascinante dans son accoutrement. Femme objet, certes, mais que tu as envie de posséder coûte que coûte.
Le vieux bonze lit ma convoitise et s'en réjouit.
— Tentante, hé ? dit-il.
— Plus encore, monsieur Bouchafeu. Affolante !
— J'ai toujours eu auprès de moi des petites donzelles bien dressées, elles sont indispensables à une vie qui se veut harmonieuse.
Puis, me désignant à sa souris :
— Il te plaît, ce garçon, Chère Razade ?
La môme me virgule un coup de périscope qui lui apprend presque tout de moi et davantage ma bandaison spontanée que mon niveau universitaire.
— Je préfère le Noir, assure-t-elle.
Ploif ! La douche ! Ça fait du mal à l'orgueil, mais du bien à la modestie.
— Mes compliments, mon ami, dit Bouchafeu à M. Blanc ; vous êtes l'élu. Si le cœur vous en chante, vous pouvez disposer de cette frivole enfant !
Il est un peu congestionné des glandes, mon pote. Ne sait que répondre. Me regarde désespérément.
— Eh bien ! Jérémie ! lui dis-je, dis merci au monsieur et touche ton lot. Nous sommes au Moyen-Orient, pays des Mille et Une Nuits.
La fille écluse un plein verre d'anisette sans eau et se lève, tendant la main au bon noirpiot. Comme dompté par son désir, M. Blanc se lève et la suit.
— Les affaires sont rudement menées avec vous, souris-je.
— Je suis vieux et mes jours sont comptés, le temps des finasseries est révolu, mon bon. J'ai cru lire une grosse déception dans vos yeux lorsque Chère Razade a préféré votre Sénégalais à vous, il faut la comprendre : elle est anglaise, donc avide de sensations qu'elle espère fortes. Cela dit, après le Noir, elle s'occupera de vous si tel devenait votre désir, à moins qu'un vieux fond de racisme ne vous fasse refuser de passer après un coloured man ? Par ces temps de Sida, la prudence est à l'ordre du jour.
— Nous verrons, lui dis-je. J'aimerais vous poser une troisième question, monsieur Bouchafeu, à vous qui savez tout ce qui se passe en cette ville.
Je débonde mon larfouillet.
— Je vais vous verser un acompte sur l'objet que je choisirai en bas, avant de m'en aller.
Bouchafeu replie sa jambe gauche qu'une arthrite tenace l'oblige à détendre par instants.
— Laissez cela, j'ai confiance. qu'aimeriez-vous savoir ?
— Monsieur Bouchafeu, j'ai passé cinq jours à Damas, début janvier, j'aimerais savoir ce que j'y ai fait !