CHAPITRE XIII

Elle a pas l'air joyeuse, la môme, d'être remerciée, commak, à des vingt-trois plombes passées sans avoir touché sa ration de bite. Je lui trouve même les yeux rouges un tantisoit. Seulement, tu remarqueras, les Arbis savent imposer leur autorité souveraine aux gerces, qu'elles soient musulmanes ou luthériennes comme, je le suppose, c'est le cas de miss Gloria.

On convient de se recontacter avant lurette, Tuboûf et moi, et je grimpe dans la Porsche épique de mam'zelle.

Elle décarre en trombre, vachement mécontente. Une fois seule avec moi, elle laisse éclater sa rancœur.

Comme beaucoup de frangines, elle pose ses godasses pour piloter. Elle les fourre entre les deux sièges, qu'à peine on a franchi l'urbanisation, elle s'empare d'un de ses escarpins et se met à en frapper le tableau de bord, kif le vieux Khrouchtchev aux Nations zunies. Elle crie des malveillances dans un patois nordique que, sans trop m'aventurer, je te situe norvégien ou danois.

En loucedé, je m'offre un coup de saveur dans le rétroviseur extérieur droit, ce qui me permet de déceler la tire du gars Jérémie à quelques encablures. L'intendance suit, tout va bien.

— Vous vous êtes fâchée contre votre ami Mafig ? interrogé-je doucettement, manière de lui dédolonser les rancœurs.

— J'en ai assez de ces Arabes machos ! répond-elle ; ils n'écoutent que leur bon plaisir.

— Seulement, ils sont voluptueux, d'après ce que je me suis laissé dire ?

Ça la calme ; elle me file un léger sourire en biais.

— Pas mal, oui, convient-elle sincère.

Le gars bibi, imperturbable, de virguler sur le ton de l'innocence :

— C'est une amie à moi, très portée sur la bagatelle, qui m'a confié la chose. Elle m'a dit un jour : De presque aussi voluptueux que toi, il n'y a que les Arabes.

Commak, gentiment, sans faire un sort à la réplique. Je regarde la route presque vide, où on croise de temps à autre quelques véhicules militaires en route pour le pauvre Liban. Gloria, ça tombe pas dans l'oreille d'une sourde, ma remarque.

— Vous avez des amies qui vous flattent, dit-elle.

— Ou qui apprécient mes performances à leur juste valeur. Mais changeons de sujet, je déteste me vanter. Vous êtes norvégienne ?

— Finlandaise.

— Merveilleux !

— Pourquoi ?

— Sans flagornerie, j'adore votre pays et je trouve que ses filles sont les plus excitantes de la planète : la braise sous la glace, comme l'on dit dans nos campagnes où l'on fornique aussi bien qu'à Paris.

Ses nerfs sont tombés. Ça se sent à sa manière de conduire. Elle roule posément, malgré l'invite constante de sa tire, et c'est plus confortable pour ce pauvre Jérémie en floche derrière.

— C'est indiscret de vous demander ce que vous faites à Damas ?

— Mon père est ambassadeur de Finlande.

Bon, voilà qui explique sa chignole top niveau et le permis de rouler permanent collé au pare-brise.

— Si je comprends bien, votre fin de soirée est carbonisée ?

— Il ne me reste plus que d'aller me coucher avec un comprimé de Ténébral. Comment vous appelez-vous, déjà ?

— Ténébral, je lui réponds du tacot talc.

Alors là, c'est la crise : elle pouffe !

— Je me doute qu'il n'y a pas de boîte de nuit dans ce pays plein de rigueur ? interrogé-je.

— Si, quelques boîtes à touristes, genre folklorique, et qui grouillent de flics.

— Dommage, j'aurais aimé prendre un verre en votre compagnie, je suis sûr qu'on a des trucs saisissants à se raconter.

— Vous croyez ?

— Oui, et vous aussi, vous le pensez.

— Il paraît que vous êtes un policier français ?

— C'est votre Arbi qui vous l'a appris ?

— Bien sûr, qu'est-ce que vous avez après lui ?

— Rien : je sollicitais son témoignage à propos d'une enquête internationale que je mène.

Mon ton la dissuade de questionner. Discrète, elle s'abstient.

On parvient à l'orée de Damas. Des loupiotes pointillent l'obscurité, au loin. Une ville, la nuit, c'est toujours mystérieux, n'importe l'hémisphère dans lequel elle se trouve.

— Ça vous dirait de prendre un verre chez moi ? J'ai de la vodka finnoise, on dit que c'est la meilleure du monde. On doit dire ça à Helsinki !

— Je n'espérais que ça. Mais que va penser votre Excellence de père ?

— Rien, car j'habite en dehors de l'ambassade.

Pas folle, la guêpe ! Liberté, liberté chérie…

On déboule dans le quartier résidentiel, et on roule jusqu'à un immeuble carré, de deux étages, en pierres blondes, style moderne. Les portes des garages sont actionnées par des commandes à distance. Elle enquille sa charrette blanche dans un box qui ne l'est pas moins et m'entraîne dans l'immeuble. Pas d'ascenseur. On se farcit trente-quatre marches sans mot dire. Son apparte occupe tout le second laitage. Il est en attique, avec des baies vitrées qui ont vue sur la rue.

L'ameublement est confortable, sans plus ; tantinet scandinave, Finlande oblige. Ça fait cadre nouvellement marié. Mais moi, pour tirer une crampe, je le trouve amplement suffisant.

Elle va puiser sa vodka promise dans un petit frigo. Double rasade à chacun. Je pense à Chère Razade que le négus s'est emplâtrée de première, lui si chaste habituellement, si fidèle à sa Ramadé. Fallait-il qu'elle lui porte aux amygdales, la sœur !

Il doit faire le tapin, en bas, mon bronzé. Moisir au volant de sa tire en m'attendant. Un instant, l'envie me biche d'aller lui donner campo afin qu'il rentre se zoner ; mais je me dis que notre hôtel est à dache et qu'après mon coup de guise, les cannes en flanelle, je serais mal partant pour faire du Damas by night à pincebroque.

Si je m'avance, côté embroque, c'est parce que je la voix grande comme Beaubourg ma descente de bénard. Une gerce qui te convie au milieu de la noye dans son Petit Trianon en te proposant une vodka party a des projets plein le slip, c'est pas à un mec comme toi que je vais expliquer la chose.

D'autant qu'elle venait d'essuyer une méchante rebuffade, la Gloria. Elle était sûre certaine que son Égyptien allait la pointer en arrivant et puis c'est le brutal Ramadan. Comme produit de remplacement, elle pouvait pas espérer mieux que moi, selon moi !

On s'installe. Au début on cause. La Syrie, c'est la chierie ! Patati et tata. Pays policé, des problos, cette espèce de pied de guerre permanent !

La vallée des angoisses.

Tandis qu'elle parle, je fixe sa bouche. Ça déconcerte toujours la dame.

Beaucoup mieux que de lui faire œil de velours. Elle cherche tes lampions, constate qu'ils lui sont dérobés et que tu les braques sur ses lèvres. Au bout de peu, son débit se ralentit. Il lui vient une espèce de timidité, suivie d'un trouble imprécis. Tu feins de réagir, tu murmures : Excusez-moi. Deux secondes tu plonges dans son regard, mais aussitôt t'abaisses ta longue-vue de six centimètres pour, de nouveau, mater sa trappe, tout capter avec extase : ses chaules, sa menteuse, ses lèvres. Alors, quand tu la sens à point, voilà que t'approches ton visage du sien, sans rien brusquer. Faut que tu perçoives ses ondes, sa chaleur, et elle les tiennes.

Le baiser s'opère en souplesse. Il fait son nid. Se prépare au moelleux.

C'est un baiser installé ; un arrimage. Soyouz et la station orbitale ! A compter de là t'as le feu vert, c'est tout bon, t'initiates à ta guise.

T'imposes ta loi, ton style.

Je procède ainsi avec Gloria, et ça fonctionne à merveille puisque c'est breveté S.G.D.G.

Peu après, on se roule dans son grand plumard carré, aux draps roses. Elle exige qu'on garde une loupiote, sinon à quoi ça servirait qu'il y ait toute une paroi en glaces dans la piaule ? Elle va pas me faire le coup de la danseuse, non ?

Tuboûf Mafig est relégué dans l'armoire aux fleurs fanées. On s'octroie une monstre séance de nuit à la chambre. Je m'engage pas dans les détails, les précisions, pas me faire traiter de dégueulasse par les vieilles poubelles qui se font sauter certes, mais à pieds joints, comme des fossés. Des femmes à Serbes, les imbaisées. Vertueuses par dédaignage. Faut comprendre. La romance du braque est si mélodieuse que celles à qui on ne la chante pas vitupèrent.

Je te résume simplement le déroulement technique de notre entrevue. Un balayage complet pour débuter, avec premier panard monolingual. Temps mort réclamé par l'arbitre, et puis embroque nonchalante recto-rectale avec, sur la fin, enfourchement dans les imposés, sur le thème : « papa est de retour ». Second temps mort, cette fois exigé par les deux équipes. Ensuite, remise en condition mutuelle : guiliguili, goulougoulou. On ranime la flamme. Trêve des confiseurs. Popaul reprend du poêle de l'ablette.

Promenade dans les vallons. Présentation d'une tête de nœud à des mamelons. Firmament, filament, délices et ogre. Ca dure ; ça perdure. Ça a assez d'urée. Fin du tome III. Exténués, nous nous endormons les glandes essorées mais le cœur plein.

* * *

Je fais un rêve.

A quoi bon vouloir te le raconter puisque je l'ai oublié ? Ne me reste que des flashes. Je rêve que je suis couché avec « le général ». La sonnerie de mon petit réveil électronique m'arrache. J'ouvre le tiroir de ma table de chevet, j'y prends un couteau à lame courbe, je tranche le cou du général, puis me rendors. En gros, c'est à peu près ça, mais avec des épisodes tumultueux, des imbrications à n'en plus finir… l'énergie, te pompent la moelle substantifique, t'emberlifique les idées.

C'est un grincement qui me réveille. Flic, tu penses, on peut pas avoir l'oreille peinarde du contribuable qui nous paie. Je soulève mes chastes paupières. La môme Gloria a éteint la loupiote après sa troisième galipe, mais le clair de lune passe à travers le store à lamelles et une clarté ténue éclaire la chambre.

Je mate la lourde donnant sur le livinge. Le loquet tourne très lentement.

Illico, je me laisse couler hors du plumard, sur le tapis. Je rampe jusqu'à la commode de Melléas et Palissandre placée à droite de la lourde, laquelle est en train de s'ouvrir imperceptiblement…

Un homme entre, grand, silencieux.

A toi de jouer, l'Antonio !

Une détente de tigre. Je bondis sur le paletot de l'intrus et le renverse.

En même temps que j'agis, son odeur m'agresse. Je me dis c'est un Noir !

Et, effectivement, j'ai le nez dans la crêpasse. Et puis bon, je découvre qu'il s'agit de M. Blanc. Qu'heureusement je n'avais pas d'arme sous la main, j'eusse été capable de l'utiliser contre lui.

Je desserre ma prise tandis qu'il se met à genoux en se massant le rein droit. Faux mouvement consécutif à mon agression. Il souffre et respire large.

Je l'aide à se remettre droit. La môme Gloria n'a pas été réveillée par cette castagne silencieuse. J'entraîne mon pote au salon.

— Qu'est-ce qui t'a pris de t'introduire ici par les fractions (comme dit Béru) ?

Il me visionne sans cesser de grimacer. M'est avis que j'ai dû lui craquer un cerceau, au biquet.

— J'étais en souci pour toi, mon vieux ! T'es chié de venir sabrer sans m'avertir.

— Chacun son tour, non ?

— Moi je passe pas la nuit dans les bras de ma partenaire !

— Tu tires pas non plus trois coups dans la foulée !

— Je ne serais pas monté si je n'avais pas été inquiété par la venue de deux types dans cet immeuble, il y a une demi-heure. Ils sont entrés, ne sont restés que cinq minutes et sont repartis… Il m'était venu de sales idées.

— Ben tu avais tort, tout est O.K., brave nègre. Comment t'es-tu introduit ? fais-je en considérant la porte d'entrée normalement close.

— Ben, avec ça.

Et de me montrer « mon » sésame.

— Salaud, tu me l'avais piqué ?

Il hausse les épaules.

— Non, je m'en suis fabriqué un pour moi. Y a pas de raison que tu sois le seul à la police à jouir de ce gadget.

Quoi ! Mon exclusivité est bafouée !

— T'es culotté, grand ! Franchement, tu crains personne !

— Logique et pratique, qualités indispensables pour exercer dignement un métier, c'est toi qui me l'a répété. Bon, pardonne-moi de chiquer les trouble-fête, tu rentres à l'hôtel où tu joues les prolongations ?

— Je rentre. Attends-moi, je vais récupérer mes harnais.

Je retourne dans la chambre sur la pointe des pinceaux. Mes fringues sont en tas sur un pouf. Je les saisis en une seule brassée, ramasse mes pompes et me retire.

Jérémie est vautré dans un canapé. Il me regarde me loquer et murmure :

— Mam'zelle avait ses problèmes ?

— Comment ça ?

— Ton slip est plein de sang.

Je regarde, et bon Dieu que c'est vrai ! Pas qu'un peu, même. Et il n'y a pas que mon calbute, ma limouille idem est rouge, mon bénoche de même !

Une sirène de ce trident (comme le dirait toujours le Mastar) éclate dans mon crâne. Elle s'enfle, s'enfle, devient paroxystique, insoutenable !

C'est si violent que je me plaque les paluches contre les baffles, seulement, comme ça s'opère « à l'intérieur », mon double geste ne fait qu'accroître l'intensité du bruit auquel il ajoute la résonance.

Je bondis dans la chambre, actionne le commuttonneur.

Ah ! Folie ! Ah ! Horreur ! Gloria gît, la gorge ouverte d'une oreille à l'autre. Le lit n'est plus rose, mais bordeaux. Un poignard recourbé est posé sur ma table de chevet, sanglant jusqu'à la garde.

Je me sens perdu, éperdu, fini. Ainsi, ce cauchemar… J'ai cru égorger le général et c'est la douce petite Finlandaise que j'ai tuée ! Un glissement derrière moi ; c'est M. Blanc qui me rejoint et prend connaissance du drame. Il reste là, hypnotisé, à masser l'endolorade de son côté.

— Ben putain, mon vieux, c'est chié ! finit-il par balbutier, histoire de se manifester.

Et comme il a raison !

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