17

À 11 heures du matin le samedi, le chef de cabinet du ministre de l’intérieur reçut Goémond.

— Où en êtes-vous ?

Le commissaire replia les mains sous son menton en dressant en l’air ses deux index qui vinrent s’appuyer de part et d’autre de sa bouche et donnèrent à celle-ci une expression plus amère encore qu’à l’ordinaire. Le commissaire était un homme assez grand, mais qui se voûtait et réussissait à donner l’impression qu’il était rabougri. Son corps nageait dans un grand pardessus noir informe. Sa tête en forme de poire s’ornait d’un grand front cireux d’intellectuel, de sourcils déprimés, d’un bas de visage fuyant. Sa moustache fine n’arrangeait pas les choses.

— Eh bien, parlez, Goémond.

— Nous avons retrouvé la Ford Consul qui a servi à l’enlèvement. Dans un parking des Champs-Élysées, comme je vous ai dit au téléphone. Pas d’empreintes utilisables. Des débris textiles, de la poussière, tout ça est parti au labo. On n’a rien découvert encore qui nous permette d’agir rapidement.

— C’est fâcheux. Très fâcheux, dit le chef de cabinet d’une voix pleine de rage. Vous savez que nous avons jusqu’à lundi midi, d’après leur espèce de manifeste ?

Goémond sortit un petit cigare hollandais et l’alluma d’un air lugubre.

— Bon, poursuivez, dit le chef de cabinet. Allez !

— La voiture, dit le commissaire, appartient à un informaticien, aucun espoir de ce côté-là, elle avait été volée. Au parking, personne n’a rien vu, rien remarqué. C’est un monde !

Goémond poussa un profond soupir. Le chef de cabinet tambourinait sur son bureau.

— Je passe maintenant, dit le commissaire, à la question de la femme Gabrielle. Elle est toujours en garde à vue, elle râle. Enfin, on va peut-être arriver à faire le portrait-robot des deux types qui…

— Au fait ! coupa le chef de cabinet exaspéré. Au fait, Goémond, au fait !

— Je vous demande pardon ?

— Je me moque de la marche normale de l’enquête. Au nom du ciel, dites-moi ce qui se passe avec ces deux excentriques des RG !

— Excentriques est bien le mot, dit Goémond. Pour commencer, ils ne sont même pas des RG. Ce sont de prétendus « correspondants ». Je leur ai très vite fait comprendre que l’heure n’était pas à la plaisanterie. Deux heures en cellule. Ils ne s’attendaient pas à ça. Ils croyaient réellement obtenir qu’on passe l’éponge sur le travail fractionnel de Grabeliau et son groupe, et qu’on abandonne les poursuites contre les druides mondialistes. Enfin, ce sont des détails. Je leur ai fait comprendre qu’on ne manipule pas comme ça la justice française.

— Cessez de railler, Goémond, dit le chef de cabinet d’une voix menaçante. Je me moque de savoir comment vous faites votre travail. Avez-vous le fameux film ? C’est tout ce que je veux connaître.

— J’ai l’identité de l’homme qui a filmé, un certain Jean-Pierre ou Jean-Paul Bouboune. On le recherche. On le coincera, n’ayez crainte.

— Quand ?

Goémond écarta les bras.

— Évidemment, dit-il, on le coincerait plus vite si nous faisions des concessions au groupe Grabeliau, mais comme je vous l’ai dit, j’ai expliqué à ces messieurs que c’était impossible.

Le chef de cabinet considéra son policier avec haine.

— C’est tout ce que vous aviez à me dire ?

— C’est tout.

— Bien. Retournez travailler, Goémond. Nous n’avons l’un et l’autre perdu que trop de temps.

Goémond se leva. Il avait toujours la même expression lugubre.

— Vous me téléphonerez ? demanda-t-il.

— À quel sujet ?

— S’il y a du nouveau.

— Vous serez avisé. Au revoir, Goémond.

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