La nouvelle fut annoncée en fin de matinée à la radio où elle donna lieu à un bref bulletin spécial, puis elle fut développée et commentée à l’heure du déjeuner, notamment à la télévision qui donna à voir « la fermette tragique », les éclats de verre sur le carrelage, le sang caillé de l’ambassadeur, l’épave noire de la Jaguar. Des communiqués et des télégrammes se rédigeaient. Condoléances de l’État français à la veuve de l’ambassadeur, à l’État américain. Communiqué du ministère de l’intérieur indiquant que l’ordre avait été restauré et qu’il s’en félicitait, tout en mettant chacun en garde contre le retour de tels excès et non sans s’incliner respectueusement devant la mémoire de Richard Poindexter. Télégramme du Saint-Père au président de la République. Message de l’archevêque de Paris. Télégramme du Premier ministre à la famille de l’officier de gendarmerie qui luttait contre la mort sur son lit d’hôpital. Télégramme de félicitations du ministre des Armées au groupement de gendarmerie mobile engagé à Couzy. Proclamation d’un groupuscule bordighiste accusant les forces de l’ordre d’avoir ouvert le feu sans sommations sur la ferme, et d’être seules responsables de la mort de l’ambassadeur (cette proclamation faillit entraîner le dépôt d’une plainte en diffamation par le ministre des Armées). Message confidentiel du commandant du groupement de gendarmerie mobile incriminé au directeur de la gendarmerie et de la justice militaire, pour se plaindre nommément du commissaire Goémond (à la suite de quoi le ministre des Armées renonçait au dépôt d’une plainte en diffamation et rencontrait d’urgence le ministre de l’intérieur). Communiqué de l’ORL (Organisation Révolutionnaire Libertaire, clandestine, douze membres, dont quatre policiers infiltrés) appelant tous les révolutionnaires à tuer « au moins cinquante flics » pour venger les morts de Couzy. Communiqué du Syndicat autonome des oto-rhino-laryngologistes informant le public qu’il n’avait rien de commun avec l’organisation précédente. Etc.
Une équipe de médecins légistes préparait une série de rapports d’autopsie, mais la marche des événements était déjà claire et simple pour l’opinion. Les terroristes encerclés, plutôt que de se rendre, avaient préféré tuer leur otage et tirer sur les forces de l’ordre, qui avaient pris la maison d’assaut André Épaulard, « étrange figure d’aventurier international », Nathan Meyer, « serveur de bar que ses collègues décrivent comme un introverti agressif et déséquilibré », Véronique Cash, « la pasionaria du groupe », avaient été tués durant l’action, les armes à la main. Benoît D’Arcy, « fils de famille alcoolique et dépravé », était abattu un instant plus tard alors qu’il forçait un barrage au volant d’une coûteuse voiture de sport, en tirant sur les policiers. Buenaventura Diaz, « certainement le plus dangereux, anarchiste de longue date, sans moyens d’existence connus », avait réussi à s’échapper et était activement recherché. La télévision diffusa sa photographie, il avait une gueule maigre de pâle voyou aux cheveux longs, aux yeux qui faisaient peur, et l’on frémit dans les chaumières.