Quand je considère Nada près de quinze ans après que je l’ai écrit, il me semble que c’est toujours un roman noir assez convenablement exécuté, mais que son aspect « politique » (ou plutôt, civique) est insuffisant et caduc, et que cet aspect était déjà insuffisant et caduc lorsque j’ai écrit ce roman.
Sous cet aspect, en effet, Nada se contente de mettre en garde les partisans sincères de l’action directe et de la lutte armée, et d’exposer comment leur action, quand elle est séparée de tout mouvement social offensif, sera utilisée par l’État dans le cadre de ce que les gauchistes italiens appelaient alors « la stratégie de la tension ».
Un tel point de vue est caduc parce qu’il oublie étourdiment d’envisager la manipulation directe du terrorisme par les services secrets de l’État, au besoin contre ses propres sujets et même ses propres dirigeants, comme on l’a vu en Italie dans l’affaire Moro et les soi-disant « Brigades rouges » (comme en France nous avons « Action directe », et comme en Espagne vous avez eu le GRAPO, dont vos policiers n’ont plus guère besoin quand ils peuvent se contenter de ne pas faire évacuer un supermarché où l’ETA a placé une bombe).
Le lecteur jugera peut-être que si, en 1974, faisant un roman sur le terrorisme, j’ai traité de son utilisation indirecte par l’État et oublié sa manipulation directe, c’est que je ne pouvais prévoir le grand développement que cette manipulation directe a pris dans les années suivantes. Cependant, c’est des 1969 que les Milanais avaient été bombardés par la police secrète italienne. Et nous pouvions aussi considérer tous les exemples que nous offre l’histoire. Et certains ont su voir très vite que cette manière de gouverner avait de nouveau un bel avenir devant elle. Mais Nada, sur cette question, est resté muet ; c’est son plus grand défaut.
Il est bon que la présente note accompagne la première traduction espagnole de Nada, car c’est en Espagne que, dans les années 1930, le groupe « Nosotros » sut montrer au contraire ce que peut l’action armée lorsqu’elle accompagne un mouvement social, sans prétendre le provoquer ni chercher à s’emparer de sa direction.