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Après le déjeuner, Meyer eut une discussion avec sa femme, qui se termina comme d’habitude : Annie essaya de l’étrangler.

— Arrête, nom de Dieu ! cria-t-il, mais elle était en train de lui écraser le pharynx. Aussi tâtonna-t-il sur la table qui se trouvait à portée de sa main. Il parvint à saisir la bouteille d’Évian en verre, aux trois quarts pleine, et en porta un léger coup sur la tête de la jeune femme, en guise d’avertissement. Annie était en pleine crise. Elle ne réagit pas. Elle enfonça ses ongles dans le cou de Meyer. Celui-ci soupira désespérément, puis cogna. Au troisième coup, Annie lâcha prise, mit les mains sur la tête et se roula sur le plancher en hurlant.

— Voyons, mon petit chou, dit Meyer. Voyons.

Annie criait, il se boucha les oreilles.

— Merde ! gueula Meyer.

Il se précipita dans la salle de bains et s’aspergea le visage. En redressant la tête, il vit dans la petite glace qu’Annie lui avait fait des marques profondes des deux côtés du cou. Ça saignait. Il mit de l’alcool sur les plaies et ses yeux s’emplirent de larmes. Le sang continuait à couler. Vite, Meyer enleva sa chemise blanche, mais trop tard, le col était taché. Il se regarda de nouveau dans la glace. Il vit un type de vingt-trois ans, blond et mou, avec de petits yeux couleur d’huître morte. Il avait la chair de poule. Il se talqua le cou pour absorber le sang. Dans la pièce voisine, il entendait Annie se cogner le crâne contre le mur. Il la rejoignit.

— Voyons, mon chou, arrête, je t’aime.

— Tu peux crever, ordure, lui répondit Annie. Sale Juif, ajouta-t-elle. Je te déteste. Je vais aller à Belleville me faire foutre par des Africains. Je vais me faire baiser, insista-t-elle assez violemment.

Elle se massa la tête et se mit à pleurer de douleur. Ses cheveux étaient beaux et fins. Meyer avait envie de se flinguer ou simplement de partir travailler, c’est difficile à dire. Il consulta sa montre. 14 h 15. Il avait juste le temps de partir s’il voulait être à l’heure.

Annie cessa soudain de pleurer et se leva.

— J’ai fait un joli dessin cette nuit.

— Tu veux bien me le montrer ?

— Non. Je te hais. Fumier.

— S’il te plaît, mon chou, dit Meyer.

— Ça va, ça va, fit Annie d’une voix poissarde. Je vais te le chercher.

Pendant qu’elle était dans l’autre pièce, Meyer s’essuya une dernière fois le cou et mit une chemise propre et un nœud papillon noir à système. Il enfila un veston de velours râpé. Il ne mettrait sa veste blanche de serveur qu’une fois arrivé à la brasserie.

Annie revint avec une grande aquarelle représentant un château fort dans le désert. De petits bonshommes coiffés de casques coloniaux démesurés semblaient vouloir monter à l’assaut de la forteresse, mais apparemment sans succès : Annie avait indiqué au pinceau de nombreuses masses brunes qui leur tombaient dessus.

— Ce sont des étrons d’Africains, expliqua la jeune femme. C’est ma maison.

— C’est très joli, dit Meyer.

Annie regarda le réveil.

— Mon chéri ! s’exclama-t-elle. Il faut tout de suite que tu t’en ailles, tu vas être en retard.

— Oui, dit Meyer, je file.

— Excuse-moi pour tout à l’heure. Ça ira mieux ce soir. Je prendrai du Gardénal.

— N’en prends pas trop, conseilla Meyer.

À la porte, il se retourna.

— Je serai en retard ce soir. J’ai ma réunion.

— Tu me raconteras.

— Oui, mentit Meyer.

— Je regrette de m’être mise en colère. Je ne sais pas ce qui m’a pris. C’est de la nervosité.

— Ça fait rien du tout. Excuse-moi pour les coups de bouteille.

— Je t’aime.

— Moi aussi, dit Meyer et il s’en alla.

Il arriva à son travail avec cinq minutes de retard. La brasserie, proche de la gare Montparnasse, était bondée. Meyer mit sa veste de serveur et s’activa aussitôt.

— Chaud devant !

— Vous vous êtes encore coupé en vous rasant ? demanda ironiquement la caissière, Mlle Labeuve.

— Non, dit Meyer. Cette fois, c’est de l’eczéma. Quand j’ai de l’eczéma, c’est plus fort que moi, faut que je me gratte.

Mlle Labeuve le considéra avec répulsion. Meyer continua son travail. Il songeait à la réunion du soir, et cela le soulageait un peu.

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