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Annie Meyer mourait de peur. C’était la seconde nuit qu’elle passait seule et elle ne savait même pas où se trouvait Meyer, ni dans combien de jours il rentrerait à la maison. Elle dessinait. Son dessin représentait deux bâtiments situés dans le désert, mais séparés l’un de l’autre par un torrent de boue et de merde qui coulait épouvantablement. Pour relier les maisons, Annie dessina une passerelle qui lui parut dangereusement frêle. Elle se leva brusquement car elle avait cru entendre un bruit. Elle prit le couteau de cuisine qui lui faisait peur mais qu’elle emportait partout avec elle dans l’appartement, afin de se défendre contre toute agression. Elle fit le tour des deux pièces, la lame devant elle. Elle revint à sa table à dessin, perfectionna sa passerelle. Elle en fit un tunnel suspendu, hermétiquement clos. Puis elle se mit à dessiner les Taïpings, les Boxers, les Thugs, les Sikhs, les Chleuhs et les Mandingues qui accouraient du fond de l’horizon pour tenter de prendre d’assaut la double demeure. À ce moment, on sonna à la porte.

Annie se figea.

Elle demeura immobile, retenant sa respiration. On sonna encore, plus longuement. La jeune femme se mit à claquer des dents. Elle entendit ou crut entendre des murmures sur le palier, et des frottements de pieds. Enfin, après d’autres coups de sonnette, l’ascenseur fonctionna. Les intrus redescendaient-ils vraiment, ou bien n’était-ce qu’un piège ?

Après s’être tenue absolument immobile pendant quelques dizaines de secondes encore, Annie, sur la pointe des pieds, gagna la fenêtre qui donnait sur la rue, ouvrit, se pencha. Deux pardessus sombres venaient de sortir de l’immeuble, et l’un d’eux levait vers la façade la tache claire de son visage. Il brandit le doigt en direction d’Annie.

— Mais il y a quelqu’un là-haut ! l’entendit-elle dire à son acolyte.

La jeune femme se rejeta en arrière. Ses dents s’entrechoquaient terriblement. L’instant d’après, elle les entendit arriver par l’escalier, montant les marches avec rapidité, avec bruit, avec assurance. Elle se rendit compte alors qu’elle était une folle, une malade mentale, et que Meyer s’était absenté afin de la faire saisir par les infirmiers au sexe gras qui allaient l’emmener à l’asile. Comme une grêle de coups de poing s’abattait sur la porte d’entrée, Annie se rua dans la salle d’eau, empoigna le grand rasoir de Meyer et s’ouvrit maladroitement la gorge. À la vue du sang qui giclait, elle fut terrifiée. Elle poussa un hurlement. Elle se précipita dans l’entrée à l’instant où les flics enfonçaient la porte.

— Au secours ! leur cria-t-elle en pressant ses mains contre son cou pour essayer de retenir son sang.

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