Le dîner se déroulait dans une étrange atmosphère, en face de la piscine du Serena. L’humeur des trois convives était en contraste flagrant avec les flons-flons de l’orchestre qui se démenait, à quelques mètres d’eux, pour les expats affalés au bar et les quelques touristes pas encore couchés. « Wild Harry » enfilait les Pimm’s avec une régularité de métronome, le visage sombre. Visiblement, la mort d’Amin Osman Said l’avait beaucoup atteint.
Hawo tentait d’alléger l’ambiance, sans trop y parvenir. Vêtue d’une longue robe fluide beige, elle était toujours aussi sexy, mais ne semblait pas s’en apercevoir. Parfois, son regard effleurait celui de Malko, sans s’attarder.
Ce dernier n’avait presque rien mangé. Noué. Il allait affronter tout seul une situation qu’il ne maîtrisait pas entièrement et, au moindre problème, risquait d’en supporter le blâme. L’assassinat sauvage du jeune Somalien l’avait remué, lui aussi, même s’il n’avait pas avec lui les mêmes liens que « Wild Harry ».
Celui-ci leva le bras pour appeler le barman.
Hawo pouffa gentiment.
— Arrête, Harry, ce soir, tu bois trop.
Remarque injuste car elle avait largement profité de la bouteille de Taittinger Comtes de Champagne Rosé commandée par Malko. « Wild Harry » ne répondit même pas.
— Vous allez faire venir la famille d’Amin ? demanda Malko, pour relancer la conversation.
— Je vais essayer, grommela le vieil Américain. J’espère que ce motherfucker de Mark ne va pas me mettre des bâtons dans les roues.
— Et ensuite ?
— Je m’arrangerai pour qu’ils aient assez d’argent pour monter un petit business. Pour les papiers, c’est OK, apparemment.
Le portable de Malko sonna.
— Je n’ai pas encore trouvé l’avion, annonça Mark Roll. Par contre, nous avons mis au point un système avec l’armateur du Venus Star qui nous permettra de connaître sa position en temps réel et, donc, de le localiser facilement. Vous êtes au Serena ?
— Oui.
— Prenez un verre au bar. Je viens dès que possible.
— C’est Mark, transmit Malko à « Wild Harry ». Il est retardé.
L’Américain s’ébroua, vida son dernier Pimm’s et se leva.
— No big deal. Je vais me coucher. Je suis fatigué. Je vais prendre un taxi et Hawo ramènera la voiture.
— Je peux très bien attendre Mark seul, protesta Malko.
— No way lâcha « Wild Harry » d’un ton définitif.
Il glissa de son tabouret et s’éloigna vers le lobby, titubant légèrement. Un vieux bison atteint dans ses œuvres vives. Hawo eut un sourire triste.
— Il n’est pas bien, ce soir. Il ne supporte pas la mort d’Amin.
L’orchestre avait cessé de jouer et l’ambiance n’était pas d’une folle gaîté. Hawo et Malko se transportèrent au bar où il commanda une seconde bouteille de Taittinger aussitôt mise à contribution. Hawo semblait presque aussi perturbée que « Wild Harry » et enchaînait les bulles sans beaucoup parler.
Une demi-heure plus tard, le portable de Malko sonna à nouveau.
— Impossible de trouver un avion ce soir, annonça Mark Roll, vous décollez demain matin à cinq heures et demie. Les « Blackwaters » viennent vous chercher à l’aéroport. Je serai au Serena à quatre heures. Bonne nuit.
C’était sûrement de l’humour kenyan...
— Je ne pars que demain matin, annonça Malko à Hawo. Je vais aller me reposer un peu.
La Somalienne esquissa un sourire, désignant la bouteille de Taittinger encore aux trois quarts pleine.
— On ne va pas la laisser perdre ! Je n’ai pas sommeil et Harry doit déjà dormir à poings fermés.
— Ce n’est pas très gai, ici, remarqua Malko. Tant pis, nous aurons tous les deux d’autres occasions de boire du Champagne.
— Mais non, s’insurgea Hawo, on va la finir en haut !
Elle se leva et rafla la bouteille sous le regard effaré du barman, puis se dirigea vers le couloir menant aux ascenseurs. Malko n’eut que le temps de signer sa note. Hawo l’attendait devant l’ascenseur, la bouteille de Champagne à bout de bras. Dès qu’ils furent dans la cabine, elle posa ses lèvres sur celles de Malko, légèrement, et dit d’un ton espiègle.
— Vous ne comprenez rien ! Je n’ai pas seulement envie de Champagne.
Son regard était vrillé dans celui de Malko, avec une expression encore plus précise que les mots.
— À Mombasa, remarqua-t-il, vous n’étiez pas dans les mêmes dispositions.
— Je ne suis pas une machine, rétorqua Hawo. J’obéis à mes pulsions.
À peine dans la chambre, elle posa la bouteille sur la table, prit sa longue robe à deux mains, et la fit passer par-dessus sa tête d’un geste gracieux. Ne gardant qu’un slip de dentelles blanches et ses escarpins. Puis, elle se retourna vers Malko, noua ses bras dans sa nuque et dit simplement.
— Ce soir, j’ai très envie de vous. C’est peut-être le Champagne.
Sans ôter son slip, elle commença à caresser Malko, puis à le déshabiller tout en couvrant son visage et sa poitrine de baisers. Lorsqu’elle constata le résultat de ses câlins, elle se débarrassa prestement de son slip, gagna le lit et s’y allongea sur le ventre, offrant sa croupe cambrée, les jambes légèrement écartées. Malko n’eut qu’à soulever son bassin pour s’enfoncer en elle de toute sa longueur. Hawo bougeait à peine et cela lui rappela l’épisode de Mogadiscio. Sans même s’en rendre compte, il commença à donner des coups de reins violents. Prêt à exploser.
— Attends ! murmura Hawo.
Il s’immobilisa et sentit la main droite de la jeune Somalienne se refermer autour de la racine de son sexe, l’arrachant de son ventre. Elle bougea imperceptiblement et, d’un coup, le pouls de Malko s’envola. D’un geste précis et déterminé, Hawo venait de poser l’extrémité de son membre raidi sur la corolle de ses reins.
Il ne put résister à cette invite muette. D’un coup puissant, il alla de l’avant et son membre pénétra d’un trait dans les reins de la Somalienne. Il la sentit s’aplatir sous lui et se mit à la labourer sans retenue.
Lorsqu’il se répandit tout au fond, Hawo poussa un cri étranglé qui ressemblait à du plaisir.
Ils restèrent un long moment imbriqués l’un dans l’autre, puis Hawo lança d’une voix joyeuse.
— Maintenant, j’ai envie de Champagne.
Malko s’arracha à elle et aller chercher la bouteille de Taittinger et deux flûtes dans le minibar. Quand ils eurent bu, il ne put s’empêcher de demander.
— Harry sait ?
— Oui, je pense, répondit sans hésitation Hawo.
— Cela lui est égal.
La jeune femme secoua la tête.
— Non, mais notre relation n’est pas basée sur le sexe. Bien sûr, nous faisons parfois l’amour mais Harry aime aussi beaucoup le Pimm’s... Alors, Parfois, je m’offre un fantasme.
— Et cela ne le gêne pas que cela se passe avec moi.
— Non, il vous respecte. Vous lui ressemblez.
Elle tendit sa flûte vide à Malko et dit :
— Je veux encore faire l’amour avec vous. Venez, nous sommes tout poisseux.
Elle vida sa flûte pour l’entraîner sous la douche. Au bout d’un moment, elle s’agenouilla en face de lui et le prit dans sa bouche. S’enfuyant dans la chambre dès qu’elle l’eut remis en forme. Gette fois, ils firent l’amour beaucoup plus longtemps, plus lentement aussi, avec des pauses où Malko demeurait fiché au fond du ventre de Hawo, sans bouger. Exactement jusqu’à trois heures et demie du matin.
Malko regarda la côte kenyane qui s’estompait dans la brume. Il était à peine sept heures du matin et une agréable brise tempérait la chaleur.
Le « Mac Arthur » avait appareillé une demi-heure plus tôt et fonçait vers l’est, coupant l’Océan Indien en biais. Le navire des « Blackwater » ressemblait plus à un rafiot rouillé qu’à un navire de guerre, mais un hélicoptère à turbine était amarré sur la plage arrière et un canon Gatling offrait à l’avant une puissance de feu redoutable.
Malcolm s’approcha de lui.
— Vous devriez aller vous reposer. Pour l’instant, il n’y a pas grand-chose à faire.
Il le mena jusqu’à une cabine exiguë située juste sous le pont. Là, les vibrations des deux gros diesel étaient plus sensibles. Malko s’allongea sur sa couchette, adressant au ciel une dernière prière avant de s’endormir pour qu’il parvienne à déjouer l’attaque des Shebabs.
Mokhtar Ali « Robow » étala son tapis de prière à l’avant du « Burah Océan » et se prosterna dans la direction approximative de la Mecque. Le chalutier fendait l’océan à 13 nœuds, la mer était belle, la brise légère, mais le Cheikh des Shebabs aurait donné n’importe quoi pour être ailleurs : il avait horreur de la mer, comme la plupart des Shebabs qui vivaient sur la terre ferme. Déjà, sur le MV Faina, son bras droit, Hasbir Farah, avait souffert mille morts. Il se prosterna longuement, priant pour le succès de son entreprise et pour ne pas être malade comme un chien...
Depuis leur départ de Hobyo, il n’avait pratiquement rien mangé. L’odeur du gas-oil lui retournait le cœur.
Il se redressa, roula son tapis et se dirigea d’un pas incertain vers l’échelle menant à la cabine qu’on lui avait attribuée, juste derrière la dunette. La seule idée de redescendre lui soulevait le cœur.
Un peu partout, sur le pont, la quinzaine d’hommes composant l’équipage, prenaient le soleil : pêcheurs de profession, ils n’étaient pas sensibles au mal de mer. Deux d’entre eux avaient démonté leur Kalach et la nettoyaient.
Mohktar Ali Robow gagna le bastingage, regardant le sillage où dansaient les deux « navires d’assaut », des barques rigides de huit mètres de long, pouvant accueillir chacune sept ou huit hommes. Avec leur moteur de 75 chevaux, ils dépassaient les 30 nœuds.
Ensuite, il se força à redescendre dans la cabine où le radio, un Somalien, veillait près de l’AIS. Là, l’atmosphère était visqueuse, brûlante, horrible.
— Il y a du nouveau ?
Cela faisait deux jours qu’ils avaient quitté la côte somalienne et ils se trouvaient désormais le long des côtes d’Arabie Saoudite, à la sortie du détroit d’Oman.
— Pas encore, assura le radio.
— Pas d’ennemis en vue ?
— Non.
Grâce à l’AIS, ils pouvaient repérer les navires de guerre et modifier leur course en conséquence. Ne possédant pas d’émetteur, ils ne pouvaient pas se faire repérer.
Le chef Shebab regarda l’écran, sans rien y comprendre. Il aurait donné cher pour être plus vieux de quelques heures. Comme il allait remonter, le radio poussa une exclamation.
— Reste, mon frère !
Un point venait d’apparaître dans le coin gauche de l’écran. Un navire. L’opérateur cliqua sur la souris pour l’identifier. Un code apparut et il se jeta sur le livre posé à côté de lui, répertoriant tous les navires munis d’un AIS. Il regarda longuement et releva la tête.
— Inch Allah ! C’est lui ! fit-il d’une voix étranglée.
Mokhtar Ali « Robow » en oublia son mal de mer. Penché sur l’écran, il demanda.
— Il est loin ?
— 50 miles environ, il se dirige vers le sud. Nous sommes par son travers arrière.
— Combien de temps faut-il pour le rattraper ?
— Deux heures peut-être. Afin d’être assez près pour lancer les barques. Ensuite, une demi-heure. Il ne va pas très vite... Environ 16 nœuds.
Mokhtar Ali « Robow » n’en pouvait plus d’excitation : l’opération qu’il avait conçue des mois plus tôt était sur le point de se réaliser. Il adressa une prière muette au ciel.
— Je vais prévenir mes hommes, dit-il, en se dirigeant vers le pont.
Deux équipes devaient s’emparer du Venus Star. La première, composée de pirates professionnels, monterait à l’assaut et prendrait possession du navire gazier. Ensuite, l’équipage neutralisé, les six hommes de Mokhtar Ali « Robow » géreraient la suite. L’un d’eux était un marin et saurait guider le gros navire vers son objectif : le port saoudien de Dahran, là où se trouvaient les plus grandes installations pétrolières du monde. Grâce aux informations transmises par les affidés d’Al Qaida sur place, ils savaient exactement ce qu’ils devaient faire. Dès qu’ils auraient atteint le port pétrolier, ils déclencheraient les charges explosives qui transformeraient le super-gazier en une bombe d’une puissance inouïe, dont le souffle dévasterait toute infrastructure saoudienne.
Le commando était dirigé par un Shebab, Adam Salad Adam, qui ne survivrait pas. Mokhtar Ali « Robow », lui, resterait sur le chalutier, et, ensuite, de retour en Somalie, convoquerait Al Jeezirah et d’autres chaînes de télé pour répandre la nouvelle de son exploit.
Longtemps, il avait hésité entre faire exploser le super-gazier dans le port de Dahran ou le jeter contre un navire de guerre américain. Dans ce dernier cas, il craignait que les dégâts ne soient pas assez importants. Personne n’avait pu lui donner de garanties...
Une fois sur le pont, il rejoignit ses hommes regroupés à l’avant, à l’écart des pirates.
— Prions ! lança-t-il. Allah nous a envoyé notre cible ; dans très peu de temps, nous allons l’attaquer et, Inch Allah, en prendre possession. Pour la plus grande gloire de Dieu.
Malko avait dormi comme un loir, épuisé par la fatigue nerveuse. Réveillé par un tangage violent, il s’était levé pour monter sur le pont, découvrant une immensité vide, avec une mer déjà bien formée. Le « Mac Arthur » plongeait son étrave dans les vagues qui inondaient le pont avant régulièrement. Il gagna la dunette, où se tenait l’homme de barre et Malcolm.
— Où sommes-nous ?
Le Sud-Africain lui désigna la carte à côté de la barre.
— Sur le « rail » emprunté par les navires sortant du détroit d’Ormouz, et partant vers Le Cap.
— Où est le « Venus Star » ?
Malcolm désigna l’écran radar.
— À environ 150 miles. Nous allons croiser sa route dans cinq heures environ.
Grâce au GPS du super-gazier, il connaissait sa position en temps réel à quelques mètres près.
— Et les pirates ? demanda Malko.
— Rien en vue, mais ils n’ont pas d’émetteur AIS et au radar, ce n’est pas évident de les repérer. Il y a des chalutiers partout dans le coin, yéménites, saoudiens ou omanais. On ne peut les identifier qu’à vue.
Un marin tendit à Malko un café et il le prit avec plaisir.
Les paquets de mer frappaient le pare-brise sans arrêt, pourtant la mer était belle. Il redescendit prendre une douche, en se cognant un peu partout, inquiet. Pourvu que les pirates ne les prennent pas de vitesse.
Malko jeta un coup d’oeil à sa Breitling et sursauta : il avait dormi plus de quatre heures. Il se hâta de remonter sur le pont, interpellé aussitôt par Malcolm.
— Nous avons le « Venus Star » dans notre récepteur AIS.
Ils gagnèrent la dunette et le Sud Africain lui montra le cap qu’il fallait garder pour rejoindre le « super-gazier » : 260 et la distance qui les séparait encore : 32 miles nautiques. Les données étaient actualisées toutes les vingt secondes...
— Nous filons à 32 nœuds, annonça Malcolm. Nous devrions l’apercevoir d’ici quarante minutes.
— Que faites-vous ensuite ?
— Nous allons rester dans son sillage, à quelques miles et attendre que les pirates se manifestent. L’escorter, en quelque sorte.
— Vous allez entrer en contact avec lui ?
— Oui, je pense.
Malko n’avait plus envie de redescendre. Il resta à écarquiller les yeux vers l’avant, regardant de temps en temps où la distance entre les deux navires diminuait à vue d’œil. Soudain, l’officier radar poussa une exclamation. Malko se rapprocha de l’aiguille qui balayait le cadran rond et l’homme lui montra un point en haut à gauche, beaucoup plus petit que le « Venus Star ».
— Il y a un autre navire dans les parages, expliqua-t-il, qui n’est pas équipé d’AIS ou qui ne l’a pas activé. Il navigue dans la même direction que le « Venus Star », à une dizaine de miles derrière lui. À peu près à la même vitesse.
— Vous pouvez l’identifier ?
— Non. Je peux seulement le surveiller au radar. Il n’a pas l’air de se rapprocher. Ce peut être un des innombrables boutres qui naviguent dans le coin ou...
— Des pirates, compléta Malko.
Dans très peu de temps, ils allaient le savoir.
Le « Buruh Océan » avait ralenti et l’activité était fébrile sur le pont de l’ancien chalutier russe. On avait ramené à la hauteur du chalutier les deux barques à la traîne et les pirates étaient en train d’y prendre place, y descendant par deux échelles plaquées à la coque du chalutier. Sept hommes par engin : un chargé du moteur et six de l’assaut. Armés de Kalachnikovs et de RPG7.
Les bouteilles d’air comprimé étaient déjà en bas.
Adam Salad Adam se laissa glisser le dernier le long de l’échelle, pas rassuré ; il n’avait vraiment pas le pied marin.. Il ne fut rassuré qu’en se laissant tomber dans le canot secoué par la houle. Très vite, les deux embarcations s’éloignèrent du « Buruh Océan ».
L’homme de barre de la première barque avait un petit compas lui indiquant le cap à suivre pour rattraper le « Venus Star ». Comme ils étaient très bas sur l’eau, ils ne le voyaient pas encore, mais le super-gazier ne se trouvait qu’à une dizaine de miles devant eux. Vingt minutes de mer.
Adam Salad Adam se tassa à l’arrière, mal à l’aise. Les deux barques « tapaient » de façon effroyable dans la houle et le Shebab se demanda comment ils allaient pouvoir aborder un navire aussi énorme que le « Venus Star ». En dépit du soleil radieux, il grelottait.
C’est le cri de joie d’un des pirates qui attira son attention. Il se souleva à demi et aperçut devant lui un énorme navire noir qui semblait très bas sur l’eau.
Le « Venus Star ».
Ds arrivaient par son arrière et déjà, l’homme chargé de lancer le harpon, s’activait autour de sa bouteille de gaz comprimé. Les autres vérifiaient leur armement. Le silence était absolu. Plus la coque noire grandissait à l’horizon, plus le Shebab se sentait mal à l’aise : cela semblait impossible qu’ils arrivent à grimper à bord de ce mastodonte !
Désormais, ils étaient derrière lui, et, à cause de la houle, le perdaient parfois de vue. Il se demanda si les marins du « Venus Star » les avaient repérés. Ce n’était pas certain : très bas siir l’eau, ils étaient presque invisibles, à cause de la forte houle.
Les deux barques naviguaient désormais côte à côte, moteurs à fond, rebondissant sur les vagues. Tous leurs occupants étaient trempés, mais n’avaient d’yeux que pour le monstrueux navire qu’ils étaient en train de rattraper. Bientôt, ils furent assez près pour déchiffrer l’inscription du tableau arrière :
« Venus Star. MONROVIA »
La première barque accéléra, s’écartant du sillage du super-gazier. Adam Salad Adam la vit arriver à hauteur du navire dont le pont semblait vide. Il devait filer 16 nœuds environ, traçant son sillon dans la mer démontée.
Soudain, un des pirates se leva, braqua son lance-harpon à 45° sur le super-gazier et lâcha l’air comprimé. Le Shebab vit le harpon décrire une courbe gracieuse et retomber sur le pont. Aussitôt, l’homme de barre changea violemment sa course, venant se coller contre l’énorme coque noire.
Celui qui avait lancé le harpon tirait sur la corde afin de s’assurer que le crochet était bien pris. Les deux échelles dé spéléologue tapaient contre la coque. Le cœur battant, Adam Salad Adam vit un des pirates se mettre debout dans une position acrobatique sur l’avant de la première barque et attraper l’échelle. Plaqué contre la coque, il se mit à grimper comme un singe, la Kalach accrochée dans le dos. Déjà, un second lui succédait.
Aucun signe de vie sur le pont du super-gazier.
Le premier pirate enjamba le bastingage et disparut. En moins de deux minutes, tous étaient à bord : l’embarcation s’écarta pour laisser la seconde s’approcher du « Venus Star ». Adam Salad Adam leva les yeux et eut le vertige en voyant l’énorme mur noir et lisse, qui semblait ne jamais finir. On l’aida et, comme les autres, il finit par attraper les filins de l’échelle, grimpant maladroitement, mais ivre de fierté.
Dans quelques minutes, ses hommes seraient maîtres de l’énorme super-gazier et pourraient l’emmener où bon leur semblerait.
Il se retourna et aperçut derrière eux une petite tache blanche, à une dizaine de miles : un autre navire, beaucoup plus petit que le « Venus Star ».