Mark Roll faisait la gueule. N’arrivant pas à admettre que son plan ne fonctionne pas.
— À Mombasa, avança-t-il, vous pourriez insister pour aller porter l’argent là-bas.
Malko lui jeta un regard ironique.
— Anna Litz insistera pour venir aussi. Vous êtes prêt à prendre cette responsabilité ?
Silence. Lourd. Le chef de station botta en touche.
— Vous n’avez encore rien dit aux Allemands ?
— Non.
— O.K., vous pouvez quand même aller à Mombasa. Là-bas, il y a une chance de trouver une filière. Sinon, nous reviendrons à la suggestion de Harold.
Malko s’inclina. Après tout, un aller-retour à Mombasa, ce n’était pas le bout du monde. Surtout avec la pulpeuse Anna Litz.
— Bien, accepta-t-il. J’attends Anna Litz qui vient ici avec l’argent. Harold a mis à notre disposition un chauffeur et une voiture.
Cette fois, ils étaient cinq, les deux Allemands du BND, Paul, un grand Noir prêté par Harold Chestnut, Anna Litz et Malko. Dans une vieille Range Rover qui ressemblait à une épave. Le 4x4 s’arrêta à l’entrée de la sente menant au bureau d’Ali Moussa et les Allemands du BND accompagnèrent Anna Litz et Malko juqu’à la porte du Somalien. On ne se promenait pas dans Eastleigh sans protection.
Seuls l’Allemande et Malko montèrent. Le Somalien, avant de compter les billets, ferma soigneusement sa porte à clef. Puis, il ouvrit le sac souple et renversa les liasses de billets de cent dollars sur son bureau. Il se mit à les compter, passant son pouce à toute vitesse sur les liasses avec une dextérité de prestidigitateur. Il releva la tête, la dernière liasse comptée. La sienne — 10000 dollars — se trouvait à l’écart.
— Voilà comment nous allons procéder, annonça-t-il, tendant à Malko un bristol avec un numéro de téléphone et un prénom : Andrew.
— En arrivant à Mombasa, vous appelez Andrew et vous suivez ses instructions.
— Qui est Andrew ? demanda Malko.
— Un ami de ceux qui ont pris le bateau. Ils ont confiance en lui. Dès qu’il aura l’argent, il me préviendra. Je donnerai alors l’ordre par e-mail de relâcher le bateau.
— Que va devenir l’argent ?
Ali Moussa eut un geste évasif.
— Il parviendra très vite à ceux à qui il est destiné. Ce n’est pas votre problème.
— Nous pourrons vérifier ce qui se passe, nous sommes en liaison avec le « Moselle », souligna Malko.
Ali Moussa arbora un sourire plein de réprobation.
— Nous ne sommes pas des voleurs. C’est seulement une taxe pour préserver les intérêts de la Somalie...
Il se leva et alla prendre un grand sac en plastique transparent dans lequel il enfourna les liasses de billets. Ensuite, il en ferma le rabat et le « verrouilla » avec un autocollant sur lequel il inscrivit quelques mots en arabe et il signa.
— De cette façon, ils sauront que l’argent a été vérifié par moi.
Malko récupéra les deux millions de dollars, sous le regard inquiet d’Anna Litz, tandis que les 10000 dollars disparaissaient au fond d’un tiroir.
Cinq minutes plus tard, ils étaient dehors.
— Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? demanda la jeune Allemande.
Malko se dit que c’était le moment de lancer un ballon d’essai.
— Désormais, tout est calé, répondit-il, vous n’avez plus besoin de moi. La remise de la rançon à Mombasa est une formalité. Les pirates n’ont pas intérêt à manquer de parole. Ce sont des businessmen. À leur façon. Avec vos deux agents du BND, vous pouvez faire un aller-retour...
La jeune femme le fixait, comme frappée par la foudre.
— Comment ! fit-elle d’une voix étranglée, vous ne voulez plus venir avec moi ?
Malko arbora un sourire innocent.
— Vous n’êtes pas seule...
Elle secoua la tête, prête à taper du pied.
— Je veux que vous veniez ! Vous me l’avez promis. Das ist nicht korrekt !
Dans sa rage, elle reparlait allemand. Malko lui prit le bras. Gentiment.
— O.K. Je viendrai avec vous. Mais je ne serai pas très utile.
— Si, fit Anna Litz. Sans vous, j’aurais horriblement peur. Ce pays me fait peur. Les Noirs me font peur. J’ai hâte d’être revenue en Allemagne.
Ils regagnèrent la Range-Rover. Il n’y avait plus qu’à mettre Harold Chestnut au courant et à le lancer sur la piste de l’honorable Ahmed Mohammed Omar. La « clef » de Mogadiscio.
Harold Chestnut attendait Malko au bar du Serena. Devant un Pimm’s. En apprenant les dernières nouvelles, il sourit.
— Ce n’est pas une corvée d’aller à Mombasa avec cette ravissante blonde. Et puis, vous glanerez bien quelques infos là-bas. Je suis sûr que les pirates y ont une importante tête de pont. Vous allez en avion, bien sûr ?
— Oui.
— Bon, je vais voir avec Paul si je peux vous procurer un peu de quincaillerie sur place. On ne sait jamais. C’est plein de malfaisants et il suffit qu’on sache ce que vous apportez pour avoir envie de vous le prendre. Enfin, j’espère que Ali Moussa n’a pas bavardé.
— C’est-à-dire ?
« Wild Harry » eut un sourire entendu.
— Il suffirait qu’il vous balance à des voyous qui vous piquent les deux millions de dollars. Il prendrait bien 20 %. Ça vaut la peine. Je vais m’occuper de ça. On vous appellera de la part de Paul.
Anna Litz ne quittait pas des yeux le sac de cuir posé à ses pieds, contenant la rançon, tandis que l’Embraer des Kenyan Airways prenait de l’altitude, au-dessus d’un paysage qui ressemblait à la Suisse. Quarante-cinq minutes de vol jusqu’à Mombasa, le grand port qui desservait toute l’Afrique centrale. Et accessoirement, une des bases en Afrique d’Al Qaida qui y avait préparé des attentats anti-israéliens. La jeune femme se tourna vers Malko, rayonnante.
— Vous ne pouvez pas savoir comme je suis contente que vous veniez. Heinrich et Ludwig sont ravis eux aussi. J’ai l’impression que le Serena est plein de prostituées...
— Assez pour les satisfaire, reconnut Malko.
— C’est comment, Mombasa ? enchaîna-t-elle.
— Horrible, autant que je m’en souvienne !
— Il y a des hôtels ?
— Il y avait... Le « Four Seasons » a fermé depuis trois ans.
— Où va-t-on alors ?
— Au Serena Beach. Vingt-cinq minutes de taxi, mais cela vaut mieux que d’avoir des cafards dans les draps. Ce soir, ce sera trop tard pour appeler « Andrew ». On ne se promène pas de nuit avec deux millions de dollars. On appellera demain matin.
Ils somnolèrent jusqu’à l’arrivée. Un tout petit aéroport flambant neuf et ensuite, une route étroite bordée d’abominables bidonvilles, encombrée de charrettes à bras, de cyclistes, de taxis. La chaleur était poisseuse, très différente de Nairobi et Anna Litz déboutonna son chemisier, laissant apercevoir un soutien-gorge blanc bien rempli.
— J’ai chaud ! murmura-t-elle.
Lorsqu’ils arrivèrent au Serena Beach, ils crurent entrer dans une pension de famille du quatrième âge... Un cadre magnifique, en bordure de l’océan Indien, mais des groupes de touristes plus qu’amortis qui mâchouillaient leur bouillie. Un Noir athlétique les conduisit à un bungalow face à la mer. L’air était délicieusement tiède. Une brise agréable soufflait de l’Océan Indien, faisant bruisser les cocotiers, on n’entendait que le bruit du ressac. Pas une lumière sur l’eau. Des petits singes, aux testicules étrangement bleus, couraient partout, pas farouches pour un sou.
Malko inspecta d’un coup d’œil le bungalow : une chambre avec un grand lit à baldaquin protégé par une moustiquaire et une seconde avec un petit lit, sans moustiquaire...
— J’avais demandé une suite avec deux chambres ! fit-il, je vais leur dire de prendre deux bungalows, ce sera plus confortable...
— Non, non, protesta Anna Litz, je ne veux pas me retrouver seule. J’ai vu les singes, en arrivant. J’ai affreusement peur des singes.
— Bien, conclut Malko, résigné, je coucherai dans cette pièce, dans ce cas...
— J’ai faim, dit la jeune Allemande.
Cinq minutes plus tard, ils redescendaient et gagnaient la réception. Horreur, il n’y avait qu’un menu, servi dans une ambiance crépusculaire avec des gens âgés qui pariaient à voix basse.
— On va aller ailleurs, suggéra Malko. Je connais un très bon restaurant à Nyali, le même qu’à Nairobi, le Tamarind. Il faut prendre un taxi, mais ce sera plus gai...
Visiblement, Anna Litz l’aurait suivi au bout du monde. Une demi-heure plus tard, il débarquaient au Tamarind, dans le quartier chic de Mombasa, juste avant le Nyali Bridge. Une grande salle éclairée aux chandelles, donnant sur un bras de mer, une clientèle élégante et, même un orchestre.
— C’est superbe ! s’extasia Anna Litz.
— Les langoustes étaient délicieuses ! soupira Anna Litz, le regard dans le vague.
Ils avaient partagé inégalement une bouteille de Taittinger Comtes de Champagne, la jeune femme en vidant les trois quarts. Malko profitait de cette détente inespérée. Après un coup d’œil à sa Breitling Bentley, il annonça :
— Demain, dès neuf heures, je téléphone à « Andrew ».
Anna Litz se rembrunit, inquiète.
— Qu’est-ce qui va se passer ?
— On va le rencontrer, probablement. Et lui remettre l’argent...
— Comme ça, sans un papier ? Sans garantie ? J’en suis responsable...
— Je sais, reconnut Malko. L’autre solution, c’est d’exiger de le donner directement aux pirates. Sur le « Moselle ». Mais c’est beaucoup trop dangereux... Nous risquerions de devenir otages à notre tour...
Elle médita sa réponse en silence, visiblement contrariée. La chanteuse noire chantait du blues et Malko se leva, entraînant la jeune Allemande sur la piste.
— Demain sera un autre jour...
C’était un slow langoureux et ils n’étaient que trois couples à danser. Très vite, Anna Litz s’abandonna à la musique. Sans retenue. Se fondant à Malko d’une façon très sensuelle.
Ils dansèrent un long moment, jusqu’à ce que la chanteuse fasse une pause. Ensuite, dans le taxi les ramenant au Serena, Anna Litz somnola. Ce n’est qu’en regagnant le bungalow qu’elle se serra soudain contre Malko.
— Il y a des singes !
— Les singes dorment la nuit, assura Malko.
Il faisait une chaleur étouffante dans le bungalow : ils avaient oublié de mettre la clim. Il gagna sa chambre et avait commencé à se déshabiller lorsqu’il entendit un cri perçant. Dix secondes plus tard, Anna Litz surgit, les yeux hors de la tête, en slip et soutien-gorge blancs et se jeta dans ses bras.
— Il y a une énorme bête dans le lit ! lança-t-elle.
Malko ne profita qu’un court instant du contact de son corps tiède et la suivit. À travers la moustiquaire, il aperçut un gros lézard noir terrifié, immobile sur le drap blanc, cherchant à passer inaperçu... Un gekko. Totalement inoffensif.
Il écarta la moustiquaire et le chassa, après avoir ouvert la porte du bungalow.
— Voilà, conclut-il. Ils n’aiment pas la clim.
Appuyée à un des montants du baldaquin, Anna Litz le fixait, incroyablement sexy avec son soutien-gorge très échancré.
Semblant oublier sa tenue involontairement provocante.
— Eh bien, bonne nuit ! fit Malko.
Il n’eut pas le temps de parcourir cinquante centimètres. Anna Litz s’était collée à lui, écrasant sa bouche contre la sienne. Elle n’interrompit son baiser que pour dire d’un ton suppliant :
— Ne partez pas !
Malko n’en avait plus tellement envie. Pendant de longues minutes, ils flirtèrent, soudés l’un à l’autre, puis il dégrafa le soutien-gorge, découvrant deux seins en poire. Anna Litz ne se défendait pas. Lorsque Malko effleura son sexe par-dessus sa culotte, elle commença à haleter, puis, d’elle-même, s’en débarrassa. Ensuite, elle se laissa tomber en arrière sur le lit, ce qui eut pour effet d’arracher une partie de la moustiquaire. Fiévreusement, elle acheva de déshabiller Malko, faisant jaillir un membre déjà prêt qui ne demandait qu’à servir.
Malko, sans même la caresser, s’enfonça en elle de toute sa longueur, la clouant au lit qui se mit à grincer au rythme de ses coups de reins. Accrochée des deux mains à ce qui restait de la moustiquaire, Anna Litz le recevait, cuisses grandes ouvertes. Au bout d’un certain temps, elle poussa une sorte de couinement extasié puis ses jambes retombèrent... Encore raide, Malko la retourna et la prit alors en levrette, appuyé au bois du lit, s’enfonçant encore plus loin en elle.
Ce décor « Back to Africa » ajoutait à l’érotisme de la situation.
Il n’osa pas la sodomiser, mais lorsqu’il se répandit en elle, la jeune femme poussa un cri rauque.
Ils restèrent allongés l’un sur l’autre, puis Anna Litz dit d’une voix gênée.
— J’ai honte ! Je ne vous connais pas...
— Vous ne me connaissiez pas, corrigea Malko. Moi non plus, d’ailleurs, mais je vous ai trouvée très attirante tout de suite.
Elle tourna la tête.
— Vous ne direz rien aux deux autres. Sinon, ils le mettront dans leur rapport. Ils diront que je suis une putain...
— Les putains se font payer, corrigea Malko.
Elle rit. Un rire étouffé et joyeux.
— Il y a plusieurs semaines que je n’avais pas fait l’amour, avoua-t-elle. En Allemagne, j’étais si tendue avec cette affaire que je ne voulais pas le faire avec mon copain. Je ne comprends pas ce qui s’est passé...
— C’est l’Afrique, conclut Malko.
Il venait de composer sur son portable le numéro d’Andrew lorsqu’il sentit quelque chose ramper sur lui. Ce n’était pas un lézard mais la tête blonde d’Anna Litz qui s’approchait de son ventre. Il ferma les yeux de plaisir en sentant sa bouche l’envelopper et commencer à le faire grossir. La jeune femme s’appliquait, agenouillée sur les draps : ils avaient définitivement fait connaissance...
Une voix fit soudain « allô ».
— Andrew ? demanda Malko.
— Yes. Who are you ?
— Je suis un ami de Moussa Ali. J’ai quelque chose pour vous...
Un court silence, puis Andrew lança.
— You come at noon, Royal Castle Hôtel.
Il avait déjà raccroché. Malko ne put s’empêcher de lancer à Anna Litz.
— Nous avons le rendez-vous.
La jeune femme fit « hon-hon » sans s’interrompre. Cette première bonne nouvelle éveilla les instincts les plus sulfureux de Malko. Après s’être dégagé de la bouche d’Anna Litz, il vint se placer derrière elle, admirant pour la première fois la croupe inouïe. Ensuite, il s’enfonça doucement dans le ventre d’Anna Litz et demeura immobile. Surprise, la jeune femme tourna la tête.
— Ça ne va pas...
— Si, dit Malko. Vous savez ce dont j’ai envie...
Anna Litz eut un soupir résigné.
— Oui... Vous êtes tous les mêmes, les hommes...
Faites ce que vous voulez.
Elle rehaussa encore un peu son bassin, comme pour lui faciliter la tâche. Malko la contempla un moment sans bouger : le rêve absolu du sodomite. Lorsqu’il effleura la corolle bistre, il put alors mesurer l’immensité de l’hypocrisie de la jeune femme. Il s’enfonçait dans ses reins comme dans du beurre. Ce qui n’en était pas moins délicieux. Cette docilité le rendit fou et il se mit à la chevaucher sauvagement, ses genoux dans le creux des siens, comme à l’arrivée d’un concours hippique, les deux mains crochées dans les épaules de la jeune Allemande, qui criait et soupirait à son rythme... Lorsqu’il explosa, il crut que le ciel lui tombait sur la tête, tant la sensation était violente.
— Vous aimez cela ! soupira-t-elle, avec une certaine complicité. La plupart des hommes le font seulement pour avoir un trophée... C’est fou : il y a deux jours, je ne vous connaissais pas, et maintenant...
— C’est la vie ! conclut Malko en gagnant la salle de bains.
Le séjour à Mombasa commençait plutôt bien, mais le plus dur restait à faire...
Le taxi défilait entre deux rangées de bidonvilles et de bâtiments détruits : comme on agrandissait la route de Mombasa, on détruisait systématiquement les baraques au toit de tôle ondulée érigées le long de la route.
Anna Litz prit la main de Malko.
— J’ai peur.
— De quoi ?
— Je ne sais pas.
Ils arrivaient au pont de Nyali lorsque le portable de Malko sonna : c’était « Wild Harry ».
— Je ne vous ai pas oublié, dit l’Américain. Quelqu’un vous attend à la terrasse du Royal Castle avec un cadeau pour vous. Il a votre signalement.
— Tiens, remarqua Malko, j’ai justement rendez-vous là avec « Andrew ».
« Wild Harry » pouffa.
— Pas étonnant : c’est le seul endroit de Mombasa à peu près potable. Les crevettes au piri-piri ne sont pas mauvaises. O.K., take care ...
Ils entraient dans Mombasa. Le plus grand port d’Afrique de l’Est ressemblait à une vieille ville coloniale anglaise, avec ses buildings décrépis, ocres ou jaunâtres, délavés, pas entretenus, au milieu de quelques bâtiments modernes. Une circulation intense, surtout des minibus et des taxis.
Ils remontèrent N’Krumah Road, qui se prolongeait par Moi avenue, coupant Mombasa d’est en ouest. Le Royal Castle, un bâtiment blanc sale de quatre étages, ressemblait à un dinosaure de la colonisation, avec sa grande terrasse, rafraîchie par des ventilateurs. Quelques étrangers y étaient attablés, surtout des « backpackers »... Deux ou trois putes, plutôt affriolantes. Des garçons en chemise verte assuraient un service à l’indolence très tropicale. Malko baissa les yeux sur sa Breitling. Onze heures vingt : ils étaient en avance. Ils s’installèrent à une table, en face du bar intérieur.
Il venait de finir son expresso quand un jeune Africain moustachu en polo rouge s’approcha de leur table, souriant.
— Mister Malko ?
— Yes.
— Hâve a good stay in Mombasa.
Déjà, il s’éloignait, après avoir déposé sur la table une boîte à chaussures. Malko la soupesa discrètement : ce n’était pas des chaussures... Il la prit et se dirigea vers les toilettes, abandonnant Anna Litz à la concupiscence des « backpackers ». Lorsqu’il ouvrit le paquet, il ne fut pas déçu. C’était un très beau « Glock 28 » avec trois chargeurs scotchés à la crosse. « Wild Harry » avait de bons amis à Mombasa.
Il glissa l’arme sous sa chemise, après avoir fait monter une balle dans le canon et regagna la terrasse. Anna Litz semblait nerveuse.
— Il est en retard...
— Nous sommes en Afrique, objecta Malko. Encore une demi-heure. À midi et demi, Malko rappela « Andrew » qui répondit tout de suite.
— Vous êtes où ?
— Pas loin de vous.
Il y avait bien une quinzaine d’Africains installés à la terrasse.
— Pourquoi ne venez-vous pas ?
— Qui est l’homme qui vous a apporté quelque chose ? demanda Andrew d’une voix méfiante... Vous ne me tendez pas un piège ?
— Non, assura Malko, c’est quelqu’un qui m’a apporté quelque chose pour ma sécurité.
— Vous avez ce qui est prévu ?
— Non, pas ici. Je voulais vous voir avant.
— Ce n’est pas la peine. Revenez quand vous l’aurez.
— Quand ?
— Vous êtes au Serena, non ? Dans deux heures. Mais il n’y aura pas de troisième rendez-vous. Nous ne voulons pas d’embrouilles.
— Je serai là dans deux heures, promit Malko.
Un aller-retour dans la voiture de l’hôtel. Désormais, Anna Litz serrant contre son cœur le paquet scellé contenant les deux millions de dollars, n’en menait pas large. Cette fois, ils n’étaient pas installés à la terrasse du Royal Castle depuis trois minutes que le portable sonna.
— You go to Al Nasser Hôtel, ordonna la voix d’Andrew. Your driver knows...
Le chauffeur connaissait. C’était vers la sortie nord de la ville, en plein quartier Somali. Le chauffeur se gara dans une petite rue et désigna une façade jaune.
— Al Nasser Hôtel.
Cela ne payait pas de mine. Le vacarme était insoutenable, avec le ballet des minibus et leurs racoleurs hurlant à pleins poumons. Les haut-parleurs d’une mosquée se mirent à psalmodier un appel à la prière. Malko arriva devant le Nasser Hôtel. Un espace était dégagé en face de son entrée, délimité par des fauteuils en plastique. Certains étaient occupés par des Somaliens, en train de boire du thé ou de méditer. Il regarda autour de lui : n’importe qui pouvait être « Andrew ». Ici, l’ambiance était nettement moins rassurante qu’au Royal Castle. Anna Litz ouvrait des yeux comme des soucoupes.
— Qu’est-ce qu’on fait ?
Malko n’eut pas le temps de répondre : son portable sonnait.
— That’s me, fit Andrew. You cross the boulevard and you take the road besides the Koboil station.
Malko se lança dans la circulation, contournant la station-service : en face, c’était le marché somalien : un entrelacs de ruelles bordées de petits commerces, remplies d’une foule compacte. Anna Litz sur ses talons, il se glissa dans la ruelle, entre les postérieurs démesurés de deux marnas. Les cheveux blonds d’Anna Litz faisaient taire les conversations sur leur passage. Depuis le départ des Britanniques, ils n’avaient jamais vu de Blancs ici. Une odeur pestilentielle s’élevait des halles voisines où l’on débitait de la viande couverte de mouches énormes de toutes les couleurs.
C’était tout simplement un souk.
Malko se retourna : on ne voyait plus l’avenue ; il était noyé dans la foule. Il continua, sans savoir où il allait. La ruelle était de plus en plus étroite, c’était le coin des marchands de tissus. Soudain, son pouls grimpa à la verticale. Il venait d’apercevoir dans la foule plusieurs jeunes gens qui venaient dans sa direction. Pas vraiment le profil des clients du souk : jeunes, barbus, les traits creusés, la peau très sombre, habillés à la somalienne.
Il s’arrêta, le pouls à 150. Anna Litz n’avait encore rien remarqué.
— On est arrivés ? demanda-t-elle.
— Non, fit Malko. On retourne.
Il était en train de faire demi-tour lorsqu’il aperçut sur ses talons d’autres jeunes gens qui se préparaient à faire la jonction avec les premiers. Automatiquement, sa main se glissa sous sa chemise, saisissant la crosse du « Glock 28 ». Une très bonne arme, mais, dans cette foule, après avoir vidé un chargeur, il aurait le choix entre se faire égorger ou être lynché. Il était tombé dans un piège ! Les deux millions de dollars allaient changer de mains. Mais pas forcément au profit des pirates.
Quelque part, il y avait eu une « pollution ». Anna Litz vit son expression et pâlit.
— Qu’est-ce qui se passe ?
— Nous sommes dans la merde ! fit Malko, sauf si vous êtes prête à abandonner les deux millions de dollars. On nous a attirés dans un piège.
— Jamais ! lança-t-elle. J’en suis responsable.
Le cri d’une chatte à qui on veut arracher ses petits. Malko lui jeta un regard presque amusé. Visiblement, elle ne savait pas ce que c’était que de se faire violer par une centaine de Somaliens.
— Bien, soupira-t-il. On assure.
Tirant le « Glock 28 » de sous sa chemise, ij fit face au groupe le plus proche déjeunes gens. Même en les abattant tous, il avait à peine une chance sur un million de sortir vivant de ce piège.
Amèrement, il se dit que le proverbe allemand « Nachrichtung dienst ist Herrendienst » était juste. Si sa galanterie ne l’avait pas poussé à accompagner Anna Litz à Mombasa, il n’en serait pas là.
Il leva lentement le Glock à la hauteur de sa ceinture, serrant le précieux paquet sous son bras gauche et se dirigea vers les jeunes gens.
— Restez près de moi ! recommanda-t-il à Anna Litz.
Protection totalement illusoire : ils allaient être massacrés tous les deux.