CHAPITRE XV

Le Presidente brossa longuement sa moustache et la vérifia d’un doigt léger. Elle était souple et soyeuse comme du vison. Satisfait, il rejeta sa tête en arrière et s’endormit dans le fauteuil d’osier. Du moins crut-il s’endormir. Il y eut en lui un lent balancement. Ses pensées devinrent confuses et il prit pour du sommeil la mollesse qui l’envahissait. Mais au bout d’un instant, il s’aperçut qu’il continuait de réfléchir et poussa un soupir.

— Sirella ! appela-t-il.

Elle se tenait près de lui dans le jardin de l’hôtel, sous la tente à rayures bleues et blanches d’une balancelle.

Elle semblait rêvasser, mais en fait son regard demeurait farouchement braqué sur la plage dont les cris leur parvenaient par bourrasques.

— Oui, père ?

— Tu ne trouves pas cela étrange, toi ?

Sirella abandonna sa pose languissante et se pencha en avant.

— De quoi parles-tu, père ?

— Du départ de la dame…

Giuseppe rouvrit les yeux et contempla le ciel au bleu impétueux. Deux hirondelles s’y poursuivaient.

Sirella ne dit rien. Les doutes de son père lui paraissaient normaux. Elle s’étonnait seulement qu’il ne les eût pas exprimés plus tôt.

— Hier tantôt, quand il est venu nous rejoindre sur la plage, il était tout chaviré. Te souviens-tu comme son visage était pâle ?

Elle s’en souvenait d’autant mieux qu’elle ne parvenait pas à chasser de son esprit l’expression hagarde et le nez pincé de Philippe.

— Il nous annonce que sa compagne s’est noyée. Et puis voilà qu’elle surgit avec un air… Je ne sais pas si tu as remarqué ses yeux ? Ils étaient presque blancs.

Au lieu de poursuivre, il se dressa brusquement et se dirigea vers le hall de l’hôtel. Sirella lui demanda où il allait mais il haussa une épaule sans se retourner et disparut. À cet instant, comme dans une pièce de Feydeau, où les personnages entrent et sortent sans se rencontrer, Philippe parut sous la pergola. Il cherchait Sirella.

— C’est fait ? demanda-t-elle violemment.

Il secoua la tête.

— J’ai eu un tas d’embêtements. Je finirai tantôt.

Elle se sentit malade de déception.

— Mon père a des doutes, dit-elle.

— À notre sujet ?

— Non, à propos du départ de la dame ! Il se met à le trouver bizarre. Je ne sais pas où il est allé mais il s’est précipité dans l’hôtel au beau milieu d’une phrase.

Philippe regarda ses ongles terreux avec répulsion.

— Il est en train de demander si on a revu Lina à l’hôtel entre son retour supposé de la plage et son soi-disant départ, assura-t-il.

Il était amer et fataliste.

— J’ai l’impression de courir dans du coton, murmura Philippe. Le destin me rattrape. J’ai beau m’escrimer, tenter de détourner le cours des événements, ils sont plus forts que moi.

— Je vais vous dire, déclara Sirella, vous n’avez pas envie de lutter.

— Si je n’avais pas envie de lutter, aurais-je entrepris cette chose insensée ?

— Vous n’avez pas envie d’aller jusqu’au bout. En ce moment, vous vous demandez si vous terminerez ce que vous avez à faire dans la cabine !

Il lui jeta un œil surpris. Il était peiné, mais il admettait qu’elle voyait juste.

— On dirait que vous me méprisez un peu, in ni pas à cause de ce que j’ai fait, mais parce que je ne me suis pas acharné à dissimuler mon acte.

Elle rougit.

— Vous avez une volonté de fer, poursuivit-il. Vous ressemblez à une petite fille, et vous avez l’énergie de ces jeunes révolutionnaires qui allaient semer des bombes sous les roues des carrosses !

— Je veux que vous soyez heureux, murmura-t-elle.

Elle eut instantanément les yeux brillants de larmes. Elle pensait au vieux plâtre, chez le médecin de la veille. Un plâtre sur lequel on pouvait encore deviner, écrit au vin rouge, ces deux mots qui contenaient à la fois un aveu et une abdication : « Sono infelice. »

— Il y a bien d’autres termes pour dire qu’on est malheureux en italien, ajouta Sirella.

— C’est tout de même beau que nous nous soyons rencontrés, dit Philippe.

— Oui, c’est très beau.

— J’aurais aimé vous connaître à l’époque où vous alliez en classe, Sirella.

Il l’imagina. Ce lui fut facile. Elle n’avait pas dû changer beaucoup depuis ce temps-là. Embellir, ça sûrement. Il devinait le genre de métamorphose qui avait pu s’opérer deux ou trois années plus tôt. Une autre image succéda à celle de Sirella écolière : celle de Lina. Lina enfant. Elle ne lui avait jamais parlé de sa prime jeunesse. Il savait seulement qu’elle était née dans une petite rue des Buttes-Chaumont et il eut envie d’aller y musarder, de contempler les boutiques qui, dans ce quartier, résistaient mieux contre l’assaut du formica et du néon et de suivre les étroits trottoirs afin de mettre, au hasard, ses pieds dans les pas de la morte.

Pourquoi Lina ?

La Lina de la cabine ne le touchait pas, le laissait monstrueusement indifférent ; par contre, il s’ouvrait à une autre Lina qu’il n’avait jamais connue ni eu envie de connaître. Une Lina sans rapport avec celle qui se maquillait longuement devant des coiffeuses de palace et qui cherchait désespérément à lire son âge dans les yeux de son amant.

— Je voudrais vous parler, Signor !

Le Presidente ne savait pas être grave pour de bon. Quelque chose continuait de friser au coin de son œil. Il adoptait cet air recueilli des pères formulant une demande en mariage alors que tout est déjà convenu.

Philippe entra dans le jeu.

— Mais comment donc !

Ils s’éloignèrent de Sirella et allèrent s’asseoir sur la balustrade bordant le jardin.

— Signor, je ne vous cacherai pas que je suis inquiet au sujet de la dame.

— Allons donc ! plaisanta Philippe.

— On ne l’a pas revue à l’hôtel depuis qu’elle partit pour la plage hier après-midi. Et l’on me dit que vous avez fait porter ses bagages à la gare.

Une seule attitude était permise. Philippe l’adopta. Il se croisa les bras et demanda :

— Où voulez-vous en venir, Presidente ?

Giuseppe cilla et se racla la gorge.

— Je suis inquiet, bafouilla le brave homme.

— C’est-à-dire ?

— Je trouve curieux qu’après votre dispute dans la cabine on n’ait pas revu la dame !

— Vous vous imaginez que je l’ai tuée ?

Ferrari eut un geste affolé.

— Oh ! Signor, ne me faites pas dire…

— Mais si, explosa Philippe, justement je veux vous faire dire ce que vous ruminez. Vous interrogez les gens de l’hôtel et vous m’assaillez de sous-entendus, je préférerais que vous me disiez le fond de votre pensée !

Le Presidente respira profondément.

— Vous nous annoncez qu’elle s’est noyée et elle arrive en vous regardant comme si vous étiez la Mort en personne, Signor. Elle vous entraîne dans votre cabine. Au bout d’un moment vous nous annoncez qu’à la suite d’une fâcherie elle a décidé de prendre le train. La dame n’est pas revenue à l’hôtel et vous avez fait porter ses bagages à la consigne ?

— Exact.

Le Presidente jouait les enquêteurs avec beaucoup d’autorité.

— Le bulletin de consigne vous a été remis à vous, n’est-ce pas ?

Philippe se vit perdu.

— Toujours exact, Presidente, après ?

— Donc la dame n’a pas pu récupérer ses bagages.

Quand il avait foncé sur le mur, malgré sa détermination, Philippe avait eu, au suprême instant, un élan de refus intégral. Il éprouva quelque chose d’identique à cette minute. Le regard perçant du Presidente n’avait rien de tendre. Il contenait toute la réprobation d’une honnêteté en révolte.

— Hier soir, je suis allé à la gare retirer les bagages et mettre Lina au train.

Il bluffait, dans un dernier sursaut d’autodéfense.

— Hier soir vous êtes sorti avec Sirella ! objecta Ferrari.

— Mais je l’ai quittée un instant pour aller à la gare !

L’œil de Giuseppe cilla. Il ne demandait qu’à être rassuré.

— D’ailleurs elle va vous le dire elle-même, dit vivement Philippe, surpris agréablement par la facilité de sa victoire.

— Sirella ! appela-t-il.

Elle s’approcha, pâle et rigide, avec les yeux grands ouverts.

— N’est-ce pas que je vous ai quittée un quart d’heure dans la soirée d’hier ?

Elle n’hésita pas et fit un geste affirmatif.

— Excusez-moi, soupira le Presidente.

— Vous me soupçonniez de quoi ? demanda Philippe.

Le bonhomme secoua la tête. Il éleva la main à la hauteur de sa moustache rutilante, mais s’abstint de la toucher.

— Je ne le sais pas au juste, Signor. Vos relations avec la dame paraissaient si bizarres ! On sentait en vous regardant vivre que cela pouvait très mal finir.

— Depuis quand éprouviez-vous cette impression ?

Le Presidente hésita.

— Depuis le premier jour, je crois bien. Vous ne sembliez pas heureux ensemble.

— Pas heureux, murmura Philippe.

Ce mot, dit par le Presidente, prenait un aspect plus redoutable que lorsqu’il l’utilisait lui-même. Il se tourna vers Sirella. Il la trouva plus jeune que d’ordinaire et eut honte de la mêler à ce crime stupide. Mais il refaisait sa vie, vaille que vaille, en trébuchant, en faisant bien des faux pas. Il irait jusqu’au bout de la route.

— Vous prenez un verre, Presidente, ça chassera vos idées biscornues ?

Ferrari cligna de l’œil.

— Avec plaisir. J’ai besoin d’un petit remontant, car je viens de passer un vilain moment.

Sirella refusa de les accompagner au bar. Ils se juchèrent sur les hauts tabourets, devant le comptoir d’acajou qui ressemblait à une embarcation.

— La voiture sera prête à quatre heures, avertit Giuseppe. Désirez-vous partir ce soir ?

La vie d’hôtel ne lui déplaisait pas. Il souhaitait que les choses traînassent le plus possible.

Philippe songea à ce qui lui restait à faire dans la cabine. La plus sale besogne de son existence.

— Nous verrons, soupira-t-il en vidant son verre.

Un groom s’approcha de lui.

— Un monsieur et une dame vous demandent, Signor, prévint le chasseur.

Il désignait un couple qui attendait dans le hall.

— Moi ? s’étonna Philippe.

Il posa son verre et suivit le groom. Il avait beau détailler le couple, il était certain de ne connaître ni l’homme ni la femme. Des gens d’une quarantaine d’années, dont la distinction frappait immédiatement. Lui était grand, presque chauve, avec un regard clair et pénétrant qui pourtant se dérobait très vite. Il portait un pantalon de flanelle blanche, une chemise blanche et un blazer gris orné d’un écusson. Sa compagne, légèrement plus jeune que lui, ne manquait pas de charme. Sa chevelure blonde donnait plus de feu à ses yeux fauves. Elle manquait de poitrine et mille rides très fines donnaient à son visage aristocratique ces menues craquelures des faïences anciennes.

Sa robe de toile brodée avait dû coûter une fortune et provenait sans aucun doute de Paris ou de Rome !

Philippe leur adressa un signe de tête.

— Donato Ciggli, se présenta le visiteur.

Philippe déclina son nom.

— Voici Mme Ciggli, fit l’homme.

Philippe eut une nouvelle courbette. Il attendit des explications, mais de leur côté, les visiteurs restaient silencieux et en quatre secondes la situation fut intolérable.

— Madame n’est pas là ? demanda Donato Ciggli.

L’ahurissement de Philippe fit froncer les sourcils à son interlocuteur.

— J’ai l’impression, murmura-t-il avec une pointe de dédain, que Madame ne vous a pas parlé de nous ?

— Mon Dieu, balbutia Philippe.

Il devait avoir l’air stupide. L’incompréhension et la surprise le rendaient gauche.

— Je pense que nous devrions nous retirer, murmura sèchement la Signora Ciggli.

— N’y aurait-il pas un malentendu ? demanda Philippe.

Il trouvait ses visiteurs antipathiques. Leur morgue et leur froideur l’irritaient sourdement.

— C’est nous qui avons repêché votre épouse, hier après-midi, révéla Ciggli.

Le jeune homme fit un effort.

— Oh ! bien sûr, pardonnez-moi.

— Et la signora nous avait priés à déjeuner pour aujourd’hui, ajouta la femme blonde. Je conclus d’après votre étonnement qu’elle a oublié son invitation…

Elle devait penser des choses très désagréables et tenait à le faire sentir.

Philippe se ressaisit.

— Je vous demande de l’excuser, dit-il ; elle a trouvé en rentrant de la plage un télégramme l’informant que sa mère était au plus mal et elle est partie par le train de nuit.

Il s’aperçut, en proférant ce mensonge, de son insuffisance. Une pareille incorrection exigeait une excuse à sa mesure. L’émotion causée par une mauvaise nouvelle peut-elle faire oublier une invitation à quelqu’un de bien élevé ? Le savoir-vivre ne se relâche jamais.

— Lina est une femme très émotive, fit-il. Dans son affolement… Mais qu’à cela ne tienne, je suis ravi de vous connaître. Allons prendre un apéritif.

Les époux se regardèrent, se demandant s’ils allaient déjeuner avec cet inconnu. La femme secoua la tête.

— Dans ces conditions, monsieur, je pense qu’il vaut mieux annuler le déjeuner.

Son mari opina.

— Nous sommes désolés pour votre femme, dit-il, mais je croyais qu’elle n’avait plus sa mère ?

Il poursuivit, d’une voix qui frisait l’insolence :

— En ramenant la Signora dans mon canot, hier, elle nous a dit textuellement : « J’ai bien failli finir comme ma pauvre mère qui s’est noyée dans l’Oise en voulant baigner son chien. »

Philippe rougit.

— Il s’agissait de sa grand-mère.

Combien de temps encore lui faudrait-il inventer des bobards pour se sortir des mauvaises passes ? Le plus fort c’est qu’il ne tentait même pas d’être convaincant. Il mentait du bout des lèvres, par politesse ! Et le plus fort c’est que ses interlocuteurs le croyaient.

— Acceptez au moins de prendre un verre, insista-t-il.

Ils le suivirent au bar en rechignant. Philippe frémit en constatant que Giuseppe s’y trouvait toujours. S’il entendait leur conversation, il découvrirait que Philippe mentait et ses doutes renaîtraient.

Il pria les Ciggli de s’asseoir, s’excusa et courut à la terrasse. Il espérait y trouver Sirella et comptait la charger de distraire son père, mais la jeune fille avait disparu. Quand il revint au bar, il vit clairement à l’expression de ses visiteurs que ceux-ci le prenaient pour un fou.

Un silence crispé s’établit lorsqu’ils eurent commandé les consommations.

— Vous habitez la côte adriatique ? demanda enfin Philippe.

— Non : Rome. Je suis architecte.

Giuseppe les regardait avec une impudence tranquille, son verre de Cinzano à la main.

— Venez-vous quelquefois à Paris ?

— Cela nous arrive, répondit la femme.

— En ce cas, je vais vous laisser notre adresse, nous serions heureux de vous y accueillir.

— Puis-je vous poser une question ? demanda Ciggli.

Ce fut sa femme qui parla.

— Nous nous demandons ce qui a pu advenir à votre femme, déclara-t-elle.

Philippe se sentit défaillir.

— Mais je vous l’ai dit… Elle a pris le train…

Il entendit tinter le glaçon dans le verre du Presidente.

— Je parle d’hier, sur la mer. Lorsque nous l’avons repêchée, elle se trouvait très loin de la côte. C’est à se demander comment elle avait pu nager jusque-là.

Philippe sourit niaisement.

— Elle est intrépide !

— Beaucoup trop ! décréta noblement Ciggli.

— Vous vous prénommez Philippe ? demanda la femme.

Une vague dangereuse roulait à nouveau vers lui. Pourrait-il une fois de plus la subir victorieusement ?

— En effet. C’est Lina qui vous l’a dit ?

— Lorsque nous l’avons repêchée, elle hurlait votre nom, fit l’Italien.

— Elle était à demi inconsciente, enchaîna la Signora Ciggli. Elle criait : « Non, Philippe ! Je t’aime. »

Le français de l’Italienne était comique à cause de l’accent, mais il n’amusa pas le jeune homme.

Il considéra le visage bronzé du Signor Ciggli, son front chauve piqueté de taches de rousseur.

— Oui, ç’a dû être terrible, soupira-t-il.

— Décidément sa journée a été fertile en émotions, conclut Ciggli. Ce télégramme pour finir… Comment se fait-il que vous ne l’ayez pas accompagnée ? Je suis peut-être indiscret ?

— Je suis en voiture et j’ai des affaires à régler à Milan.

— Vous êtes en taxi, nous a dit la Signora.

« Je vais craquer, songea Philippe. Lui envoyer mon verre à travers la figure… Je n’en peux plus. Cet affreux gamin du matin, puis l’interrogatoire du Presidente, et maintenant ces snobs romains tombés de la planète Mars… Non, c’est trop ! »

— Elle vous en a dit des choses en peu de temps ! soupira-t-il.

— Elle se trouvait très loin de la plage, Signor. Nous avons eu tout loisir de bavarder !

Était-ce une menace ? Lina leur avait-elle laissé entendre dans quelles circonstances elle avait failli se noyer ?

Philippe était environné de périls. Il se rappelait un film sur la guerre du Pacifique relatant l’avance d’une patrouille américaine dans la jungle. À chaque pas la menace couvait. Le suspense venait de ce qu’on ignorait à quel moment allait surgir le danger, et comment il allait se produire. Tomberait-il des arbres unis par des lianes en forme d’algues ou au contraire jaillirait-il des hautes herbes perfides ?

La jungle dans laquelle se déplaçait présentement Philippe était plus redoutable encore. Il se demandait qui de Ciggli ou de sa femme allait pointer un doigt accusateur sur lui et lui dire en substance : « Hier, vous avez voulu assassiner votre femme en l’abandonnant en pleine mer, et maintenant vous venez nous raconter quelle est partie sans crier gare ! Avez-vous fini de bluffer ? »

Il voulut boire, s’aperçut que son verre était déjà vide et se mit à téter l’eau produite par le cube de glace afin de pouvoir leur dérober son regard paniqué.

Le Presidente descendit de son tabouret et quitta le bar, mais avant de passer la porte il marqua un temps d’arrêt et regarda Philippe.

Le silence se prolongeant, les Ciggli se levèrent.

— Vraiment, vous ne voulez pas déjeuner ?

— Une autre fois, dit la Signora avec un sourire qui humilia Philippe.

Il les raccompagna jusqu’à la porte-tambour. Lorsqu’il tendit la main à l’architecte la Signora loucha sur ses ongles terreux.

— C’est un accident ? demanda Ciggli en montrant le plâtre.

— Oui.

— Cela ne vous empêche pas de faire du pédalo, n’est-ce pas ?

Voilà, l’événement se produisait au moment précis où il croyait le danger presque conjuré.

Chose curieuse, il conserva tout son calme et ce fut d’un ton enjoué qu’il répondit :

— Ce n’est pas la jambe que j’ai de cassée, monsieur Ciggli.

— Hier nous sommes passés non loin de vous avec notre canot, vous étiez en compagnie de votre épouse. Je vous ai remarqué à cause du plâtre !

Ciggli eut un signe de tête et sa femme oublia de tendre la main à Philippe.

Le couple s’éloigna d’une démarche raide.

« Il faut que j’achève tout de suite ma besogne de la cabine », songea Philippe.

La salle à manger de l’hôtel était comble et un joyeux brouhaha s’en échappait. Il passa devant la cloison vitrée sans regarder à l’intérieur.

Il avait peur de retrouver les yeux inquisiteurs de Giuseppe.

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