CHAPITRE V

Il chanta « Santa Lucia » ; il chanta « O sole mio » et bien d’autres canzonettes. Le Signor Presidente avait retrouvé tout son entrain. Lorsqu’il eut épuisé son répertoire, il attaqua « Paris, c’est une blonde », plusieurs tons trop bas et dans un français si écorché que Lina éclata de rire. Giuseppe s’interrompit alors et se tourna vers ses passagers. Il souriait, mais son regard était plein de gravité. Il posa une question à Philippe qui y répondit par un haussement d’épaules.

— Que dit-il ? demanda sa compagne.

— Il demande pourquoi les Français ne chantent pas.

Le Presidente dit encore que c’était dommage parce que chanter rend heureux et qu’ensuite c’est parce qu’on est heureux qu’on chante. Philippe traduisit. Lina approuva.

— Il a raison, Philippe. Pourquoi n’essaierions-nous pas ?

— On va fabriquer, objecta le garçon. Chez eux, ça coule naturellement. Ils s’en foutent de chanter juste ou pas ; ils sont sans complexes. Nous, nous allons tout de suite faire un numéro. Nous avons trop le sens critique !

Elle se mit à fredonner un vieux succès d’Edith Piaf. Lina ne chantait pas très bien, mais sa voix était juste. En souriant, Philippe reprit au refrain. Il possédait une voix beaucoup plus belle que celle du Presidente, beaucoup plus académique surtout. Lorsqu’il était jeune, Philippe avait pris des cours de chant chez un ancien baryton de l’Opéra-Comique et, pendant quelques mois, il avait envisagé de faire une carrière dans le bel canto. Mais il manquait de persévérance. Tout au long de sa vie, et dans tous les domaines, malgré ses qualités, il avait renoncé à ses entreprises.

Ravi, le Presidente écoutait en dodelinant la tête. Sirella ne bronchait pas. Mais quand Philippe cessa de chanter, pour la première fois depuis leur départ elle se retourna furtivement et lui adressa un demi-sourire plein de contentement. Le jeune homme en fut tout remué.

— Pourquoi n’as-tu jamais chanté ? questionna Lina d’une voix enamourée.

— J’ai chanté, rectifia-t-il. Mais il y a si longtemps… Ma voix est en friche maintenant.

— Pas du tout. Continue !

Il se fit prier parce que cela l’ennuyait. Il n’éprouvait aucune satisfaction à pousser la romance convenablement.

— On m’avait toujours dit que les hommes chantaient en se rasant, poursuivit Lina, mais toi tu échappes à la règle. Je ne t’avais jamais entendu. C’est un de tes mystères, Philippe.

Elle lui caressa la jambe d’un geste tendrement provocant.

— Je n’ai pas de mystères, s’insurgea le garçon. Si la plupart des hommes chantent en se rasant, ils ne se rendent pas compte qu’en même temps ils rasent les autres en chantant. J’ai horreur de faire du bruit, voilà tout.

Lina insista et il consentit à interpréter le grand air de Figaro. Au début, il ferma les yeux, non pour se concentrer, mais pour fuir l’attention amoureuse de Lina. Il aurait chanté plus volontiers pour les deux Italiens. Avec Giuseppe et sa fille, on pouvait tout se permettre, y compris les fausses notes. Mais la personnalité de sa compagne l’oppressait. Lorsqu’il se risqua à rouvrir les yeux, il vit ceux de Sirella qui le fixaient dans le rétroviseur. Elle essaya de les lui dérober, comme elle l’avait fait naguère, mais la fascination qu’il exerçait sur elle était trop forte et le pudique regard fauve revint se poser dans le petit rectangle de glace comme un oiseau qui s’enhardit. Alors Philippe chanta pour elle. Elle le comprit et rougit.

~

Ils firent halte dans la région de Martina Franca et déjeunèrent dans une albergo modeste. Sirella commanda des spaghetti ainsi que son père ; ils les mangèrent assez vilainement, suivant la méthode italienne qui consiste à aspirer les pâtes, la bouche presque au ras de l’assiette. Le Presidente dégustait bruyamment en produisant un bruit de succion. Bien qu’elle fût plus mesurée, Sirella usait du même procédé.

Ses lèvres étaient barbouillées de sauce tomate et, quand elle avait la bouche trop pleine, elle tirait sur les interminables spaghetti avec ses doigts pour les rompre.

Lina, qui avait le cœur sensible, adressa une grimace à Philippe.

— Le repas des fauves, murmura-t-elle.

La jeune fille s’arrêta de mastiquer. Elle vit que la Française l’observait et devina sa répulsion. Alors elle posa sa fourchette, essuya violemment sa bouche avec sa serviette et quitta la table. Son père crut qu’elle se rendait aux toilettes et ne réagit pas immédiatement. Mais, ne la voyant pas revenir, il s’excusa et sortit.

— Un peu névrosée sur les bords, la fille du Presidente, remarqua Lina.

— Tu as une façon de te ficher d’elle, soupira Philippe.

— J’ai horreur des gourdes, même si elles sont jeunes et jolies. C’est comme les enfants, ça me tape sur les nerfs.

Il ne dit rien et acheva son escalope du bout des dents. Giuseppe revint, l’air très ennuyé.

— Excusez ma petite fille, dit-il. Elle est trop intimidée pour prendre ses repas en votre compagnie. Je me suis efforcé de lui inculquer les bonnes manières, mais mes bonnes manières et les vôtres, ça fait deux ! C’est une enfant fière. Elle a honte de sa gaucherie…

Il s’assit et but son verre de chianti pendant que Philippe traduisait à sa maîtresse.

Lorsqu’il se tut, le Presidente poursuivit :

— Dorénavant, elle mangera des sandwiches dans la voiture.

— Mais c’est ridicule ! s’insurgea Philippe. Va la chercher, Lina. Parle-lui. Tu la regardes depuis le départ avec des yeux de croque-mitaine !

Lina écarta une mèche blonde qui dansait devant son beau regard ironique.

— Tu ne veux tout de même pas que j’aille m’agenouiller devant cette idiote en la suppliant de venir bâfrer ses nouilles à ma table !

— Les idiotes, ça s’apprivoise, Lina.

— Je ne suis pas dompteuse. Le jour où ça m’amusera je mettrai une veste à brandebourgs et des bottes cirées.

— Tu es ignoble !

— Répète !

Le regard clair de Lina venait de s’assombrir. Il était presque mauve soudain.

— Si ma fille importune la Signora, je peux lui dire de prendre le train pour rentrer à la maison ? proposa le Presidente d’un ton lugubre.

Philippe haussa les épaules.

— Pas question ! répondit-il.

— Qu’est-ce qu’il a dit ? interrogea Lina.

— Rien !

— Il a parlé de train, treno, c’est le train, n’est-ce pas ?

Philippe repoussa son assiette.

— C’est marrant tout de même, que tu restes banquise sous ce soleil, Lina.

Il quitta la table et sortit. Le taxi était stationné sous un frêle toit de cannisse qui le zébrait d’ombres rectilignes. Sirella avait repris sa place et pleurait en silence. Il s’approcha, passa sa main valide par la portière et la posa sur les cheveux de Sirella.

Elle sursauta et recula pour fuir le contact.

— Mademoiselle, murmura-t-il dans un souffle.

Il avait parlé français et ce « Mademoiselle » la calma mieux que n’auraient su le faire les plus suaves paroles. Elle le regarda à travers ses larmes. Philippe vit qu’elle avait une peau d’une incroyable douceur.

— Vous vous souvenez de moi ? demanda-t-il.

Sa question la surprit. Elle eut un froncement de sourcils.

— Un jour, sur le port… Nous écoutions la même musique, moi dans ma voiture et vous près de votre panier de noix de coco. C’était le matin de mon accident. Je vous ai regardée, je vous ai souri ; mais vous avez détourné les yeux. Peut-être que si vous aviez répondu à mon sourire je n’aurais pas eu cet accident.

— Pourquoi ? demanda-t-elle.

C’était le premier mot qu’elle proférait. Il aima sa voix. C’était une voix grave et ferme.

— Ce serait trop long à vous expliquer. Quand l’accident s’est produit, je n’étais pas dans mon état normal. Je me sentais triste à mourir… Oui, à mourir, comprenez-vous ?

Il ne sut pas si elle avait compris ou non le sens profond de cette confidence ; en tout cas, il vit qu’elle réagissait.

— Pourquoi avez-vous quitté la table ?

— Parce que je mange mal et que la dame se moquait de moi !

— C’est faux, mentit le jeune homme.

— Si, s’obstina Sirella. Elle m’en veut d’être ici. Mon père me disait qu’elle était gentille et joyeuse, mais ce n’est pas vrai. Je veux rentrer à la maison !

Il rit, ce qui surprit la jeune fille.

— Vous savez ce que ça me rappelle, Sirella ? Lorsque j’étais tout petit garçon, je suppliais mon père de m’emmener à la pêche avec lui. Je ne le voyais jamais partir, car il se levait avant l’aurore ; mais je le voyais revenir et j’étais impressionné par son attirail et les poissons qu’il rapportait. Je l’ai tant imploré qu’un jour il a accepté que je l’accompagnasse. Il m’a réveillé alors qu’il faisait encore nuit. Je me souviens du café au lait tiède dans le silence cafardeux de notre petit appartement ; et puis des rues vides et glacées de l’aube ; aussi d’un train de banlieue qui sentait le charbon et dont les banquettes collaient. Il y avait des mégots par terre. Des types mal réveillés qui crachaient. J’ai somnolé. Nous sommes descendus dans une petite gare dont je ne me suis jamais rappelé le nom. Le jour gris se levait, avec son emballage de brouillard. Nous avons suivi un petit chemin plein d’ornières et bordé de cabanes rafistolées avec des boîtes de conserves aplaties. Et soudain il y a eu la rivière. C’aurait pu être très beau ; c’était très laid : une eau sale, une berge pelée jonchée de vieux papiers… Alors je me suis mis à pleurer et j’ai dit : « Je veux rentrer à la maison », un peu comme vous venez de le dire.

Elle essuya sa dernière larme et sourit.

— Et votre papa, qu’a-t-il fait ? demanda-t-elle.

Philippe hocha la tête.

— Il m’a dit : « Eh bien ! rentre, mon garçon, et fiche-moi la paix. » C’était tellement énorme que je me suis arrêté de pleurer.

— Et après ?

— Après, le soleil s’est levé. Des papiers gras sous le soleil, ça fait moins sinistre. L’eau s’est mise à scintiller, papa à attraper du poisson, bref j’ai tout de même passé une bonne journée. Vous venez ? insista-t-il.

— Non !

— Pour me faire plaisir ?

— Non.

Il n’insista pas et rejoignit les deux convives. Giuseppe s’était mis à lever le petit doigt en tenant sa fourchette, ce qui ne l’empêchait pas d’entonner de formidables morceaux d’osso-buco. Lina piquait des feuilles de salade dans son assiette en évitant de le regarder.

— Alors, demanda-t-elle, comment ça se passe avec ta chère petite protégée ?

— C’est une conne, dit Philippe. Tu as raison.

Lina s’attendait si peu à cette déclaration qu’elle poussa une exclamation faussement indignée.

— Phil ! Je t’en prie !

Philippe cacha son hypocrisie derrière le menu.

— Je paierais cher le droit de la gifler, poursuivit-il, comprenant qu’il tenait le bon bout. Cette horrible petite pimbêche n’a même pas daigné m’accorder un regard. Tu sais ce que nous allons faire, Lina ? L’oublier ! Considérons-la comme un objet. Ce n’est pas la fille du Presidente, c’est sa valise ! Tu entends, chérie ? Sa valise !

Lina s’amusait beaucoup.

— Tu exagères ; dans le fond tu es beaucoup plus impitoyable que moi, Phil.

Philippe la regarda par-dessus le menu.

« Je te déteste, Lina », pensa-t-il.

Puis, tout haut.

— Pour moi, ce sera une pêche Melba. Et toi ?

~

Il y eut un changement d’atmosphère au cours de l’après-midi. Ce furent les deux Italiens qui se turent tandis qu’au contraire les Français parlèrent abondamment, riant de tout et de rien. Philippe s’appliqua à ne pas regarder Sirella, ainsi qu’il l’avait préconisé. Mais il savourait sa présence comme on savoure un délicat parfum. Elle lui apportait une félicité inconnue. Et la perspective de ce long voyage avec elle le grisait.

En fin de journée, Giuseppe s’arrêta à l’orée d’un maigre boqueteau de pins parasols dont les silhouettes sombres se découpaient sur le ciel mauve. Le Presidente qui s’était délecté de son mutisme parla avec sa vivacité coutumière. Il expliqua qu’au cœur de cette pinède s’élevait une vieille chapelle consacrée à il ne savait plus quelle sainte. Les filles laissées pour compte y venaient en pèlerinage et la légende voulait qu’elles se mariassent dans l’année à condition de verser quelques lires à la sainte.

Lina décida d’y aller.

— Tu tiens à te marier ? la plaisanta Philippe.

Cette question avait déjà été abordée par le couple. D’un commun accord, ils l’avaient repoussée, comprenant qu’une régularisation de leur liaison ne leur apporterait rien d’exaltant.

Elle hocha la tête.

— Qui sait ? murmura-t-elle.

Un sentier poudreux, bordé de chardons, serpentait en direction de la pinède. Ils le prirent tous les trois. Philippe regretta que Sirella restât seule, mais, fidèle à sa tactique, il fit comme s’il trouvait la chose naturelle.

La chapelle était nue, avec seulement un bénitier de marbre à l’entrée. Une grille isolait le chœur où scintillaient des statues dorées dans une lumière sous-marine. Les fidèles jetaient leur argent à travers les barreaux, comme on jette des cacahuètes aux singes d’un zoo et le dallage du chœur disparaissait sous un tapis de pièces et de menus billets. Giuseppe expliqua à ses clients que des filous s’emparaient parfois de l’argent au moyen d’une canne à pêche dont l’extrémité était enduite de poix et leur montra un sévère avis signé de l’évêque du diocèse, promettant l’excommunication à toute personne se livrant à ce genre de pêche miraculeuse.

Des graffiti couvraient les murs ; il s’agissait pour la plupart d’initiales entrelacées dans des cœurs impies ou de prénoms des deux sexes gravés dans le plâtre comme pour servir de pense-bête à la sainte marieuse.

La chapelle sentait la résine. Des fleurs achevaient de se décomposer le long de la grille.

— C’est vraiment le témoignage de la ferveur populaire, observa Philippe.

Il se tut, car une voix retentissait derrière lui en un ronron invocateur. S’étant retournés, ils avisèrent Sirella, agenouillée sur les dalles, le visage enfoui dans ses mains, et qui priait à perdre haleine.

Giuseppe lui coula un regard attendri.

— En voilà une qui est pressée de trouver un mari, remarqua Lina.

Lorsqu’ils sortirent, la jeune fille continua de prier.

— Tu devrais prendre une photo de cette chapelle, fit Lina, c’est une chose vraiment pittoresque.

Elle sortit de son grand sac de raphia l’appareil photographique. Philippe se mit à mitrailler le bâtiment avec application. Il avait horreur de faire de la photographie parce qu’il jugeait cela bête et facile, néanmoins il réussissait, sans presque le vouloir, de très bons clichés.

— L’intérieur aussi ? demanda-t-il.

— Surtout l’intérieur !

Il rentra, se demandant si la lumière de la chapelle était suffisante.

Sirella avait abandonné son attitude fervente pour s’approcher de la grille qui barrait le chœur. Le front entre deux barreaux, elle regardait fixement la statue dorée de cette sainte complaisante qui favorisait les unions.

— C’est à votre amoureux que vous pensez, Signorina ?

Elle poussa une petite exclamation de frayeur et se tourna vers lui. Il avait posé l’appareil photographique sur le support métallique de son bras cassé et la chose était si anachronique qu’elle ne put retenir un sourire.

— Je n’ai pas d’amoureux, répondit-elle ; et aussitôt son visage reprit sa gravité coutumière.

Philippe plongea la main dans sa poche, en ressortit une pincée de monnaie qu’il proposa à Sirella.

— Alors lançons un défi à la sainte, dit-il. Si, n’ayant pas d’amoureux, vous vous mariez dans l’année, c’est qu’elle est vraiment stupéfiante.

Elle ne broncha pas.

— Allons, jetez ! ordonna Philippe.

Elle hésita, prit délicatement une piécette dans la main de Philippe et la lança à travers les barreaux. La pièce roula sur le sol et, après avoir décrit une large courbe, ressortit du chœur. Elle tomba en cascade sur les marches usées et s’immobilisa aux pieds de Sirella.

— Ce n’est pas une pièce, c’est un boomerang, marmonna le jeune homme.

Sirella ramassa la pièce et la rendit à Philippe.

— Vous voyez, la sainte n’en veut pas, fit-elle.

— Vous êtes très jeune, dit-il, vous avez le temps !

Il lança sa poignée de monnaie au pied de la statue. Cette largesse fit sursauter Sirella.

— Tout ça ! murmura-t-elle.

Il fut ravi par son petit visage effaré où se lisait la plus entière désapprobation. Et tout à coup il eut comme un vertige. Quelque chose se passa en lui qu’il ne put contrôler et qui ressemblait à son besoin d’anéantissement de l’autre fois. Il passa son bras valide sur l’épaule de Sirella et voulut l’embrasser. Il agit si prestement qu’elle ne réalisa pas tout de suite. Mais lorsque ses lèvres s’approchèrent de celles de la jeune fille, Sirella fit un saut en arrière. Il y eut un craquement d’étoffe. Sa robe venait de craquer sur l’épaule car Philippe la tenait fortement dans sa main crispée.

Elle sortit en courant. Hébété, il la vit s’immobiliser sur le seuil de la chapelle dans la dure lumière. Son ombre souple s’étalait dans un grand rectangle de soleil.

Il attendit, le cœur battant. Il se demandait pourquoi il s’était permis ce geste de butor. Un court moment cela lui avait paru quasi naturel comme s’il n’y avait eu qu’eux deux au monde.

Il sortit, mécontent, se demandant si elle allait se plaindre. Il fut rassuré en la voyant sagement assise dans l’auto, tandis que Lina et le Presidente admiraient le panorama tourmenté qui s’étendait au-delà de la pinède.

— En route ! jeta-t-il hargneusement.

— Tu as pris tes photos ? questionna Lina.

Elle avait cueilli une fleur violette, asséchée par l’été.

— Impossible, la lumière n’est pas suffisante, j’ai du Kodachrome II.

Ils reprirent leurs places. Cette halte avait redonné au Presidente tout son tonus. À nouveau, il parlait et chantonnait.

— Tiens ! remarqua soudain Lina, la gourde a déchiré sa robe.

Philippe, qui faisait semblant de somnoler pour ne pas avoir à parler, feignit de découvrir la chose et s’en désintéressa ostensiblement.

— Demande-lui ce qui lui est arrivé ! ordonna sa compagne.

— Qu’est-ce que ça peut nous ficher ? grommela-t-il.

— Demande-lui ! insista-t-elle sèchement.

Flairait-elle quelque chose ? Il connaissait trop Lina pour croire que cet accroc à la robe de Sirella pouvait l’intéresser une seconde.

— Mon amie demande comment vous avez déchiré votre robe, Signorina ?

— Tu as déchiré ta robe ! sursauta Giuseppe.

Il regarda l’épaule dénudée de sa fille.

— Une robe toute neuve !

Elle ne répondit pas tout de suite. Philippe se dit quelle allait peut-être parler de son geste audacieux et il attendit calmement.

— C’est en me relevant, fit-elle d’une voix feutrée. J’ai mis un pied sur le bas de ma robe et elle a craqué.

— Comme quoi la prière n’est pas toujours récompensée, décréta le Presidente qui aimait faire montre d’un certain scepticisme à l’occasion.

Philippe traduisit à Lina ; mais elle avait à peu près compris les explications de la fille et parut s’en satisfaire. Une heure plus tard, elle déclara qu’elle était lasse et qu’il fallait chercher un bon hôtel pour la nuit.

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