Pour ma part, ne possédant pas, hélas ! la sérénité du Gros, il m’est impossible de trouver le sommeil.
Dans le feu de l’action et devant les exigences de l’instant on perd de vue la gravité de la situation. Mais pendant une période d’accalmie, la réalité se dégage et montre son sale visage. Les périls blafards se dressent comme des spectres à la lueur d’un falot. Ils sont tous là, hideux, menaçants, funèbres, qui me défriment avec les trous noirs de leurs orbites vides. Comme je me sens perdu dans ce formidable pays, immense et surpeuplé, qui craque de trop de vie impossible à contenir et que l’on sent inflexible et dur. Depuis longtemps l’alerte a dû être donnée. On nous cherche. Notre piste sera facile à trouver, car nous avons été très remarqués dans les ruelles de Chou Far Ci…
Non, les gars, croyez-moi, cette entreprise est vouée à l’échec. Comment peut-on espérer passer inaperçu dans un pays dont les habitants n’ont pas la même couleur de peau que vous ?
Je suis en pleine moulinette farceuse lorsque j’entends s’ouvrir la trappe. C’est la ravissante, l’inoubliable Vao Dan Sing qui vient se coucher, la chère âme. Cette présence de choix me change un peu les idées. De noires, elles deviennent grises avec une légère pointe de rose sur les bords et le pourtour. Je me ferais bien un gala d’adieu avec elle, franchement. Le précaire, ça stimule les glandes, mes fifilles. L’homme qui vit à la seconde la seconde, il a besoin de jouir de la vie en totalité. Seulement cette môme ne m’a pas paru d’un accès fastoche et en ma qualité d’homme traqué auquel on a bien voulu accorder le droit d’asile, je ne peux pas me permettre des voies de fait. Gentleman avant tout, votre San-A., mes belles ! Tringleur ardent, ça oui, mais les belles manières avant tout.
J’entends la môme qui s’allonge sur sa couche. Je l’imagine dans la position horizontale, avec pas plus de fringues sur le dossard qu’au moment de sa naissance. Ça doit être du sujet de premier choix. Je passe en revue les grands trucs de mon répertoire, ceux qui m’ont valu des certificats de bonnes éconduites, des médailles d’or et des citations à l’ordre des bien armés. Ça me fulgure dans la gamberge toutes ces astuces plumardières.
J’en découvre des nouvelles, encore jamais appliquées. Je suis en état de grâce, quoi !
Comme dit l’autre, avec un jeu pareil, je ne peux pas me permettre de passer.
Doucettement je me lève et je gagne la pièce voisine. La gosse lit un rouleau de papier peint à la faible lueur d’une lampe à huile. En m’apercevant elle fronce les sourcils et, d’instinct, remonte jusqu’à son menton sa couverture de soie.
— Que faites-vous ? me demande-t-elle.
— Un peu d’insomnie, lui réponds-je. Ça vous ennuie de bavarder un instant avec moi ?
— Je suis couchée, objecte-t-elle.
— Ça n’a jamais empêché personne de parler, songez même qu’à l’Opéra dans Faust, Marguerite envoie son grand air couchée, vous savez : Anges purs, anges radieux.
Mais il n’est peut-être pas venu jusqu’en Chine le machin du père Gounod ?
Elle me regarde sans ciller, puis ses yeux se détournent.
— C’est gentil ce que vous faites pour nous, votre père et vous, chambré-je. Je voudrais pouvoir vous prouver ma reconnaissance un jour…
— Nous le faisons pour mon cousin, coupe-t-elle.
En voilà une, je vous jure que j’aimerais trouver son mode d’emploi ! Il est aussi vain d’espérer la séduire que d’espérer dénicher cette fichue base. Il doit y avoir une façon de baratiner les petites Chinetoques et je ne l’ai pas trouvée. Enfin quoi, dans un bled qui va sur son milliardième habitant, les nanas doivent pas rester vierges, ou alors le Saint-Esprit a installé à Pékin sa maison mère !
Dans les bouquins de mon enfance, les Chinois parlaient toujours avec des fioritures à chaque phrase. Des fois que je devrais essayer, non ?
— Vao Dan Sing, balbu-siège[7] avec ma voix mouillée pour pénombre rose avec accompagnement de guitares espagnoles en fond sonore ; Vao Dan Sing, depuis que j’ai ouvert les yeux sur le monde, jamais il ne me fut donné d’admirer beauté plus parfaite que la vôtre ! L’aube dont la brume s’irise, le cygne qui glisse sur l’eau verte entre les nénuphars, la rose emperlée de rosée, les cimes blanches et inviolées des montagnes dans la triomphale lumière du soleil, le mystérieux sourire de la Signora Mona Lisa, tout cela n’est que cendres grises à côté de votre éblouissante perfection !
J’attends en me demandant s’il est bon de lui en faire un paquet ou si elle va le consommer tout de suite. Alors la belle Vao éclate de rire. C’est la première fois et c’est beau. Ses dents nacrées brillent à la lueur de la loupiote.
— C’est dans votre pays qu’on s’exprime de cette manière ! pouffe-t-elle. Je n’ai jamais rien entendu de plus drôle !
Je suis un peu vexé, pourtant j’ai réussi à l’amuser et, je vous le répète dans chacun de mes chefs-d’œuvre, le rire est le plus sûr chemin qui conduise au dodo d’une nana.
La femme que vous faites rire vous appartient déjà un peu, car vous avez commencé à lui faire du bien ; or, les frangines ont la reconnaissance de la rate.
— Dans mon pays, attaqué-je vaillamment, on fait des choses absolument insensées.
— Par exemple ?
— Par exemple, quand un garçon comme moi rencontre une fille comme vous, il oublie séance tenante sa date de naissance et son numéro de téléphone pour ne plus penser qu’à elle.
— Vraiment ?
— Tout ce qu’il y a de vraiment. Vous êtes si sensationnelle, Vao, que vous méritez le voyage. Je me ferais bouddhiste pour obtenir un seul baiser de vous.
— Un quoi ? demande-t-elle.
— Ça, dis-je en posant mes lèvres sur les siennes.
— Mais c’est affreux, s’indigne-t-elle.
— Pas tellement, Vao. Faut s’y habituer, c’est comme l’opium. Quand on insiste, ça devient intéressant. Vous allez voir.
Elle essaie de me repousser, mais mollement, si bien qu’à nouveau je peux l’embrasser. Cette fois, je ne me contente pas du baiser de collégien pubère. C’est le grand mimi hydraté, avec contrôle des incisives, bouillon de culture interchangé et exploration de la membrane muqueuse.
Elle suffoque, pourtant mon petit doigt me chuchote qu’elle aime mieux ça qu’un flan à la vanille, Vao. Elle découvre le comportement occidental et ça lui donne des idées d’expansion. Je suis en train de précipiter le péril jaune, les mecs. Si la môme manque de discrétion, les friponnes petites Chinoises pousseront leurs guerriers à foncer nach l’Europe. Ils traversent l’Inde mystérieuse, le Pakistan, l’Afghanistan, la Turquie. Je le vois d’ici, l’itinéraire ! Ils couperont par la Bulgarie, histoire de vérifier si Loren est à Sofia, ils traverseront la Yougoslavie (et si Tito n’est pas content il en prendra pour son Belgrade). Ensuite, ce sera la chère Italie et, enfin la France, de bas en haut, de gauche à droite, la France réputée éternelle. Comment qu’elles s’engageront alors dans l’intendance, les filles du ciel, pour se faire grimper jusqu’au septième par les dégourdis de la VIe car vous pensez bien qu’on changera de slips (et de république pour la circonstance, vu qu’on se sera oubliés dans les uns et dans les autres).
Bref, pour vous en revenir à mon sujet d’élite, la voilà qui découvre the french becco et qui en redemande. Généreux de nature, je lui en redonne en lui consentant même une avance sur ses prochaines attributions.
Elle est fraîche comme la campagne, cette gosse. Et quel délicat parfum, quelle douce couleur de peau, quel velouté !… Je m’imagine avec elle à mon bras ou moi au sien à la terrasse du Fouquet’s. Faudrait un service d’ordre pour écarter les draguemen fureteurs. Y aurait tellement de regards brûlants braqués sur elle que j’aurais pas besoin de lui acheter un manteau de fourrure.
La voilà qui pousse un curieux petit soupir. J’en prends de l’émoi dans tout l’hémisphère austral. J’aime bien les gonzesses sonorisées, moi, elles portent à l’incandescence. Les silencieuses, ça plonge dans l’indécision. On a toujours l’impression, au plus fort de la chasse à courre, qu’elles se demandent si elles ont bien fermé le gaz avant de venir. Tandis qu’une expansive, une qui fait le point au fur et à mesure et qui assure la retransmission en direct, ça vous survolte le transistor à tête chercheuse.
Les mademoiselles-dents-serrées-à-laine-fraîche sont trop préoccupantes pour qu’on s’abandonne carrément.
Vao Dan Sing re-soupire.
Un vieux proverbe de Félicie assure que « Cœur qui soupire n’a pas ce qu’il désire ». Immediatly, je décide d’envoyer une commission d’enquête sur place pour s’assurer des aspirations de Vao. Au premier contact, je m’aperçois qu’elles sont grandes. Sans plus tergiverser, j’entreprends mon travail de propagande et de propagation. Je lui fais : la chenille processionnaire, le médius caverneux, le contre-écrou inversé, le plissement alpin, la pelle-bêche-tête-bêche, le pointillé langoureux, le bourgeon sensoriel, le grand hypoglosse surmené, les fingers en gold, le petit excavateur télescopique et, pour conclure, l’homme de gros mognon. J’évite la brouette chinoise par prudence, cette fifille pouvant fort bien l’avoir expérimentée avec un technicien du cru. Elle en oublie son anglais, Vao Dan Sing ! Elle interjectionne et onomatope plus qu’en chinois. C’est une frénétique dans son genre. Une goulue ! Y a ramdam monstre dans la soupente ! Je suis promu Ka tsa no va donneur par exclamations ! On m’acclame ! On m’élit ! On met l’eau ! On m’accapare ! on m’exclusife ! Bravo, San-Antonio, ça c’est de la prouesse ! Merci pour l’Europe unie ! Vive la France ! Et la fête continue. Défilé aux lampions, chandelles romaines, feu d’artifesse, oh ! la belle bleue ! Vive Monsieur le maire !
Quand j’actionne les rétrofusées pour l’alunissage, la môme Vao ne sait même plus qu’elle est chinoise. Elle a le regard en lanterne, la bouche en ouverture de boîte à lettres, les membres flasques et le système nerveux au rechapage. Bien entendu, les âmes chagrines vont encore prétendre que j’en remets, que j’exagère, que je tricolorise du radada. J’ai lu accidentellement la prose (je trouve pas d’autres qualificatifs) d’une ulcérée de la jarretelle qui, dans un article (je continue à ne pas trouver d’autres mots) publié par un bulletin (c’est pourtant vrai que j’exagère puisque j’appelle ça un bulletin) extrêmement confidentiel déclare que j’en remets pour rassurer le lecteur sur sa propre virilité. Textuel !
Je crois qu’elle ferait mieux d’analyser ses urines plutôt que mes écrits, la Madame Pudeur en question. Et pour lui prouver que mon vocabulaire n’est pas indigent, je tiens à lui dire qu’elle est une ratée de sommier, une refroidie du rez-de-chaussée, une virtuose du solo de mandoline, une passée-outre, une pas-réussie, une chagrineuse, une punisseuse, une embêcheuse de paiser en rond, une déglandée, une courroucée, une sèche, une qui voudrait qu’on l’inculque en couronne, une pionne à toute faire, une patibulaire, une pas tubulaire, une… Oh ! et puis, flûte, de quoi je m’occupe, laissons donc les araignées tisser paisiblement leur toile sur le siège de sa vertu.
Donc, Vao Dan Sing est apparemment satisfaite de ma démonstration. Après un long temps d’immobilité, elle se met à me caresser les cheveux de ses longs doigts effilés. Sa petite poitrine bien drue s’apaise.
— Vous êtes un grand fou, murmure-t-elle, tout comme la première midinette venue.
Elle se penche au-dessus de moi et enfouit sa tête dans le creux de mon épaule.
— J’ai bien peur de ne plus pouvoir vous oublier, chuchote-t-elle.
J’aimerais lui roucouler des gentillesses, mais en anglais, c’est pas possible ! Dans la vie, y a deux sortes de frangines : celles à qui l’on dit qu’on a un rendez-vous urgent après l’amour, et celles avec lesquelles on recommence. Vao Dan Sing appartient à la seconde catégorie. Ce que je ne peux lui dire en français, je le lui fais en français. Elle est d’accord. Une passionnée, les gars ! Ce vertige ! Cette culbute dans les abîmes de la passion ! À la fin (la vraie), elle se met à pleurer d’émotion. Chez les Chinoises paraîtrait que c’est plutôt rarissime. Elle sanglote, elle hoquette et me bredouille des délicatesses dans sa langue maternelle (que je commence à bien connaître de l’intérieur). Et puis, tout de go, elle se jette sur moi, me prend la tête à deux mains et murmure :
— Oh ! my darling, il faut que vous partiez très vite cette nuit même…
C’est si peu en rapport (même sexuel) avec l’instant de qualité que je viens de vivre que j’en écarquille les châsses comme des bouches d’égout. Enfin quoi, je vous fais juges, mes petites poules. Quand on vient de faire vibrer une mademoiselle depuis Dunkerque jusqu’à Tamanrasset et qu’elle a les yeux bordés de reconnaissance, on s’attend plutôt à ce qu’elle vous retienne par les basques de votre slip, non ? Au contraire, ma Chinetoque bien fourbie (au point que j’ai l’impression d’avoir fait les cuivres) me demande de calter.
— Mais, tendre trésor de la Chine millénaire, que je lui rétorque, si nous partons maintenant nous allons nous faire cueillir par la première patrouille venue. Vous voulez donc notre mort ?
— Au contraire, susurre la douce enfant, je veux vous sauver.
— Expliquez-vous, ma belle déesse citronnée.
Elle hésite, son sourire a disparu, ses yeux en virgule sont devenus fixes.
— Vous couriez un grand danger, mon cousin Lang Fou Ré n’est pas l’ami que vous supposez.
Je fais la grimace.
— Sans blague ? m’exclamé-je en anglais.
— C’est un agent du Grand Poû La Gha. Comme il parle français, on l’a enfermé avec votre gros ami afin de lui tirer les vers of the nose…
Je comprends tout. Y compris pourquoi nous nous évadâmes sans trop d’encombres.
— Pourquoi cette ruse, les moyens de pression ne doivent pas manquer pour faire parler un homme ? m’étonné-je.
Vao secoue sa belle nuque fine et souple comme une tige d’arum.
— On a craint sans doute que vous ne parliez pas ou que vous ne disiez pas tout ! Vous comprenez pourquoi il faut partir ?
Je serre les poings. J’avais déjà refilé toute ma sympathie à Lang Fou Ré, plus un début d’amitié.
— Quel salaud ! dis-je en français, parce que vraiment il n’y a que dans la langue de Cambronne qu’on puisse exprimer certains sentiments très intenses.
« Merci du tuyau, ma jolie, reprends-je en lui octroyant la galoche de la reconnaissance à titre posthume. Je ne sais pas trop ce que nous allons faire, mais nous allons le faire !
— Je pars avec vous ! décide-t-elle dans un élan.
C’est du fanatisme ou je ne m’y connais pas, admettez ! Les tourmentés de la ceinture de chasteté que je vous causais un peu plus haut pousseraient une frime contrite, marrie et ronchonneuse s’ils étaient là !
Elle veut racheter la vilenie du cousin, Vao. Elle en a honte cruellement qu’il appartienne au Grand Poû La Gha, le camarade Lang, et qu’il joue les faux derches avec nous. Elle se donne totalement cette fifille. Pas de demi-mesure : la ferme et les chevaux en même temps que la vertu, voilà comment qu’elle est !
— Ce serait de la folie, Vao, mon amour, je lui réponds.
— C’en serait une bien plus grande encore si vous partiez seuls !
J’hésite. Non, décidément, je ne peux pas accepter un tel sacrifice. Elle se condamnerait en faisant cela.
— Je ne veux pas, chérie, insisté-je en m’efforçant de rester ferme sur les prix. De toute manière, nous sommes perdus, alors à quoi bon vous entraîner avec nous dans la mort !
Bien dit, non ? On se croirait dans une tragédie antique.
— Vous cherchez à quitter la Chine si j’ai bien compris ? demande-t-elle.
— Oui, mais pas tout de suite, Vao.
— Comment cela ?
— Mettons que nous ayons un petit travail à y accomplir auparavant.
Elle fronce les sourcils.
— Un petit travail ?
— Heu, dis-je après m’être mordu la lèvre supérieure en m’aidant pour ce faire de ma mâchoire inférieure, un travail d’information. Nous sommes des journalistes français, mon petit cœur. Nous avons décidé de tenter une grande enquête sur votre pays…
— Si vous enquêtez trop longtemps, jamais vous ne pourrez publier votre reportage, prophétise la ravissante enfant. Avez-vous au moins des amis dans le pays, des endroits où vous pourriez vous réfugier en cas de besoin, des appuis ?
Je secoue la tête lamentablement.
— Hélas ! non, belle Vao, vous êtes, avec votre foutu cousin, les seules personnes que nous connaissions.
— Alors, vous voyez bien que vous avez besoin de moi, dit-elle d’une voix âpre.
Elle se lève, décidée, ardente, somptueuse comme une amazone.
— Allez chercher votre ami, mais surtout ne faites pas de bruit ; il faut que nous sortions sans réveiller Lang Fou Ré.
Je secoue la hure du Gravos après l’avoir saisie par le menton.
— Ohé, Grosse pomme, soufflé-je, rouvre tes jolis yeux sanguinolents.
Il obéit, lape à vide comme toujours en pareil cas et murmure d’une voix aussi fluide qu’un seau de goudron.
— On est déjà à Villeneuve-Saint-Georges ?
— Presque.
Il s’assied en geignant, se masse les lampions entre le pouce et l’index, ce qui produit un curieux petit bruit de girouette surmenée par le Mistral, et murmure :
— Je rêvais que je rentrais de la Côte d’Azur avec ma Berthe et qu’on se tapait un morceau de calendos dans le train…
— Viens, mec, tranché-je, c’est pas le moment de potasser la clé des songes, on les met !
— Qu’est-ce qui se passe ?
— Il se passe que ton ami Lang Fou Ré est un salopard et qu’il appartient aux services secrets chinois. Si on reste sous sa tutelle, d’ici pas longtemps et peut-être avant, on va se retrouver au paradis.
— Lui, t’es dingue, proteste Bérurier, toujours généreux dans ses sympathies. Y’a pas plus chouette que ce gars-là. Il nous l’a prouvé, je crois !
— Du bluff, Béru. Du bluff. C’est une manœuvre.
— Comment que tu le sais ?
— La cousine ! Je lui ai fait son gala de l’Union et ça l’a tellement chavirée qu’elle m’a mis au parfum ! Elle va essayer de nous sauver la mise. Alors si tu peux te déplacer sans casser la vaisselle ni renverser les tables, c’est le moment !
Il branle le chef.
— Pas d’accord. San-A., déclare-t-il. Si Lang Fou Ré nous double, je tiens à lui mettre mes poings sur les z’i avant de filer.
— Les représailles sont un luxe qui n’est pas dans nos prix, tranché-je. Allez, ouste, arrive !
On s’engage dans le roide escadrin. La belle Vao est en bas qui nous attend. Je passe le premier, Béru suit en soufflant fort. À mi-parcours, il rate un échelon et achève sa descente en chute libre.
Ça fait un bruit terrible. Un sac de farine tombant d’un troisième étage sur un plancher vermoulu. Les lames de bois peuvent pas résister et le Gros se retrouve déguisé en homme-tronc. Je l’aide à l’extraire de sa fâcheuse position. À cet instant, le camarade Lang Fou Ré surgit, les carreaux encroisillonnés de sommeil.
— Que se passe-t-il ? demande l’agent du Grand Poû La Gha.
En une seule enjambée je suis sur lui.
— Ça ! dis-je simplement.
Mon crochet au menton le décolle du sol. Il fait un vol plané et s’abat à la renverse, les bras en croix, plus K.O. qu’un cheminot venant de prendre une ruade de locomotive dans le tarin.