CHAPITRE XI LES BONS MOMENTS

The banlieue of London is here.

Les maisons sont plus continues. On voit des tobus, des buildinges, des néons, des publicités et des policemen.

J’aime Londres. Une des plus belles villes du monde. J’y suis bien. Après Paname, c’est la ville où je me sens le plus chez moi. J’y trouve tout ce qu’on peut attendre d’une grande ville : de l’espace, du mystère, un grouillement ordonné, du pittoresque, une certaine notion de la vie, des senteurs de friture, des silhouettes cocasses — voire extravagantes — du vice, de la couleur, une reine, de la pluie, des cabines téléphoniques rouges, des chapeaux melons, des œillets, des vieilles dames, des chiens à poil ras, la colonne Nelson, des filles impudiques, les plus baths clochards de l’univers, des pubs, des Anglais, des Indous, des maisons dignes de ce nom et la vraie figure du courage. Car l’Anglais est courageux. Certains autres peuples sont téméraires, intrépides, fougueux, batailleurs… Le rosbif, lui il fait pas d’esbroufe. Il ne trémole pas. Son courage lui a été livré en même temps que la coloration de ses joues ou que la longueur de ses dents. C’est un appendice, un composant chimique, un réflexe.

Depuis le barrage je n’ai plus parlé. Et pourtant j’en ai longuet à bonnir, mes lapin ! le moment étant venu de le faire, je laisse tomber un négligent :

— Où allons-nous, comme ça, mignonne ?

Miss Molly file un coup de patin qui diminue sensiblement la distance séparant mon pique-bise du pare-brise.

— Comment, s’exclame-t-elle, vous ne savez pas où vous allez ?

— Si, réponds-je, seulement j’ignore où ça se trouve, car voyez-vous, mon petit cœur, je me rends chez vous !

— Chez moi ! s’effare la toute belle.

— Ben, où voulez-vous que j’aille ? Traqué et sans argent, je ne puis descendre au Ritz.

Elle secoue sa tête blonde. Faut que je vous le répète, mes petits lecteurs et lectrices chéries : cette fillette possède un minois qui ferait se mettre à l’envers un régime de bananes vertes. Maintenant que je peux la détailler aux lumières de la grande ville, je découvre le charme velouté de sa carnation, la couleur vert-sauvage-pailletée-d’or de ses yeux, la délicatesse de son pif et la grandeur engageante de sa bouche. Je vous l’ai toujours confié, moi, San-A. j’adore les mômes qui ont une grande bouche car j’aime mes aises.

— Voyons, ma petite Molly, continué-je, ne me dites pas que vous logez à l’Armée du Salut, sinon je vais descendre faire la quête.

— Mais j’habite chez mes parents dans Bloomsbury !

Aïe, aïe, aïe ! Un os ! Je n’avais pas songé à cette éventualité.

— Vous n’êtes pas domiciliée à Swell-the-Children ?

— Rot qui est un ami de mon frère m’y a trouvé cet emploi à l’« Happy-Birthday-to-you », et là-bas je loge dans une pension de famille…

— Bougez-pas : le gars Harryclube avait bien un point de chute à Londres, lui ?

— Il possède un petit appartement dans Chelsea, oui.

— Où il vivait seul ?

— En principe !

— Eh ben, vous voyez, petit loup que ça m’arrange mes bidons. Conduisez-moi chez lui dare-dare.

— Vous comptez ?

— Oui, je compte !

Elle fait la moue. (Et si elle fait l’amour aussi bien qu’elle fait la moue, vous pouvez d’ores et déjà prendre des tickets d’appel, mes fieux !).

— L’ennui, c’est que je n’en possède pas la clé.

— Ne vous tracassez pas, Molly. Pour calculer le nombre d’endroits où j’ai pénétré sans clés, il faudrait six mois de boulot à une machine électronique.

— Vous ne pensez pas qu’en découvrant l’as… le… heu, la mort de Rot, la police n’aura rien de plus pressé que de perquisitionner à son domicile londonien ?

— Probablement, seulement elle ne le découvrira pas tout de suite. J’ai besoin d’une quarante-huitaine d’heures de liberté et je les aurai.

Cessant d’ergoter, Molly Rex obéit. Pendant qu’elle conduit, je me défais de mes fards et de mon foulard. Puis, saisi d’une intuition, j’explore la boîte à gants. En dix secondes, j’y ai déniché un petit trousseau de clés.

— Tenez, baby, exulté-je en les agitant devant le nez de la mignonne, je vous parie tout ce que vous voudrez contre n’importe quoi qu’il s’agit des clés de l’appartement. Je n’aurai pas à malmener la serrure.

Elle fait un geste indécis. Elle paraît soucieuse, la gosse. La perspective de se retrouver dans un appartement en compagnie d’un meurtrier commence à lui filer des langueurs.

Nous longeons Hyde Park, sous les frondaisons duquel des couples se dégustent. Ensuite ce sont les lumières de Sloane St, puis l’animation de King’s Road.

— Quelle est l’adresse du regretté Rot Harryclube, mon trésor ?

— Chelsea Manresa Road, je ne me rappelle plus le numéro de sa maison, mais je la reconnaîtrai.

Effectivement, elle vire à droite et va stopper devant une petite construction d’un seul étage, peinte en ocre, avec un entourage blanc aux fenêtres, une porte vernie noire agrémentée de cuivre bien fourbi et un escalier extérieur conduisant directement à l’étage. Le rez-de-chaussée, situé en contrebas de la rue, est protégé par une grille élégante.

— Pas mal, apprécié-je, j’adore ce style. Cette petite grille noire aux motifs dorés est un ravissement.

— Si vous aimez les grilles, vous ne tarderez pas à être satisfait, riposte l’aimable enfant.

— Pas de mauvais présage, Molly, j’ai lu mon horoscope avant de quitter la France, par chance il est au beau fixe !

— Bon, eh bien, bye-bye !

Je me gratouille le conduit auditif, croyant avoir mal entendu.

— Vous dites, ma poule ?

— Je vous dis au revoir. Je rentre à la maison.

— Vous avez vu ça dans l’émission enfantine du dimanche matin à la tévé. Sans blague, vous me croyez assez poire pour vous souhaiter le bonsoir ?

— Mes parents m’attendent.

— Vous leur téléphonerez que vous avez un rabe de travail et que vous ne rentrerez que demain !

Elle s’apprête à objecter, mais je lui montre le révolver qui, à nouveau, habite dans ma poche.

— Soyez gentille et tout ira bien.

— Je crois pourtant vous avoir donné une fameuse preuve de ma bonne volonté tout à l’heure…

— Ça m’a rendu exigeant. Venez !

Elle met la main sur la poignée chromée de sa portière. À cet instant j’avise la silhouette caractéristique d’un poulaga dans une cabine téléphonique blottie à l’entrée d’une impasse. Le cher bobby téléphone, à sa bien-aimée, peut-être ? On dirait une scène composée par un metteur en scène de cinoche. La cabine rouge, le grand diable de flic avec son casque, dans la mauvaise lueur de l’ampoule. Le gouffre sombre de l’impasse. Les énormes poubelles amoncelées, les maisons basses, la brume légère…

— Surtout, imploré-je, restez dans vos bonnes dispositions, Molly. Voyez comme tout est paisible, on ne va pas déclencher la guerre dans un aussi joli quartier, n’est-ce pas ?

Elle descend de voiture de son côté, moi du mien. Je la fixe intensément. La jeune fille rentre la tête dans les épaules, puis, courageusement, se met à gravir l’escalier.


— Il avait du goût, le bougre !

L’appartement du défenestré est un ravissement. Tout en anglais de style bateau : acajou et cuivre. Des fauteuils moelleux, des tentures opulentes, de délicats objets, une cheminée en marbre rose avec, dans l’âtre, la grille à boulets traditionnelle, c’est le plus confortable des pied-à-terre. Il se compose d’un salon-salle-à-manger, d’une kitchenette et d’une chambre avec bain. Après mon séjour dans la geôle de Swell-the-Children, je ressens une douce euphorie à me trouver dans ce lieu ouaté.

Un beau miroir encadré d’ébène me renvoie ma bouille mal rasée. Je suis grisâtre de crasse et depuis mon stage dans la bergerie d’Honnissoy je pue le suint et le fumier.

— J’ai fichtrement besoin d’un bon bain, dis-je.

La môme Molly a un petit rire juvénile :

— Je n’osais pas vous le suggérer.

— Je sens que je vais m’offrir ça pour célébrer mon évasion. Venez avec moi, petite fille.

— Où ça ?

— Mais… dans la salle de bains. Vous n’imaginez pas que je vais vous laisser en liberté pendant que je barboterai dans l’eau tiède.

— Vous êtes fou ! s’indigne la prude Anglaise.

— Au contraire, je parle le langage de la raison.

Je cueille une revue d’art sur un meuble.

— Allons, suivez-moi et ne tremblez pas, je n’ai jamais été arrêté pour atteinte aux bonnes mœurs.

Nous pénétrons dans la salle de bains.

— Vous n’avez vraiment pas confiance en moi ? reproche Molly.

— Plus exactement, je trouverais insensé que vous vous ayez confiance en moi, rectifié-je. Tenez, asseyez-vous sur ce tabouret, face au lavabo, et lisez cette revue pendant que je prends mon bain.

Ayant dit, je ferme la porte à clé et jette la clé dans la baignoire. Les robinets se mettent à cracher en cataracte. Le gars San-A. se dessape.

Curieuse situation, vous ne trouvez pas ? Mézigue, à loilpé dans cet étroit local, avec une ravissante jeune fille toute habillée à portée de main… Je voudrais pas vous paraître libidineux — encore que je m’en tartine la prostate de votre opinion — mais j’éprouve une certaine oppression. Tout en me savonnant, je m’exorbite sur sa chute de reins, à Molly. Elle a des hanches qui vous démangent le creux de la main. J’ai beau essayer de m’accaparer la gamberge en évoquant le traité de Westphalie et le mariage raté de Louis XV avec la petite infante d’Espagne, d’autor, ma pensée, se met à lui vagabonder autour du valseur, comme une mouche autour d’un chou à la crème. J’envisage ce que je lui bricolerais, comme séance, si elle se mettait à être coopérante.

— C’est intéressant ce que vous lisez ? croassé-je.

— Passionnant, glousse la môme. Il s’agit d’un article sur la meilleure manière de neutraliser les vers à bois dans le mobilier ancien.

Vous me croirez si vous voudrez, comme dirait Béru, mais sa voix achève de me zigouater le bulbe. V’là le camarade Popaul qui gardavouse de telle sorte que je ressemble plus à une cafetière qu’à une statue grecque. Franchement, je voudrais pas être incorrect. Moi, vous me connaissez : la discrétion avant toute chose. Faut immédiatly que j’adopte le dispositif d’urgence. Primo, se changer les idées.

— Il y a longtemps que vous travailliez avec Rot Harryclube ?

— Six mois. Plus exactement, c’est dans son journal que je travaillais.

— Vous n’êtes donc pas au courant de ses activités ?

— Journalistiques ?

— Non : privées !…

— Absolument pas.

— Était-il très lié avec le défunt lord-maire ?

— Vous ne manquez pas de toupet, dit-elle.

Why ? interrogé-je (mais en français).

— Dire le défunt lord-maire, alors que vous l’avez tué !

— Répondez à ma question, au lieu de me faire de la morale.

Elle hausse les épaules.

— Il le voyait pour ses articles sur les questions municipales, oui.

Et le juge Stance Assofy, il le voyait ?

— Pour ses articles sur les affaires pénales…

Ça ne mène pas à grand-chose. En tout cas, pour ce qui est de mon casse-noisettes à contrepoids ça ne solutionne rien. Oh ! ce gourdin, m’sieur le C.R.S. ! Je vais pas pouvoir m’évacuer de la baignoire dans cette position. Ça relève de l’infirmité ! Je suis paré pour les joutes ! Le pauvre Henri II devait avoir un zig de mon acabit en face de lui lors de son fatal tournoi !

Que faire ! Rendre la clé à la fille et lui dire d’aller m’attendre ? Trop imprudent. Ou alors m’asperger d’eau froide ? Tiens, faut risquer l’expérience. Employer toutes les thérapeutiques. Je me dresse hors de la baignoire et que surprends-je ? L’œil attentif de Molly (Molly, je voudrais bien en faire autant !) dans la glace du lavabo. Elle faisait semblant de lire, la friponne, mais pendant que je savonnais, elle, elle se rinçait l’œil.

D’attentif, son œil que je vous cause devient stupéfait lorsqu’elle me panoramise le corpus délicieux. Dans la seconde qui suit, le même œil, toujours, passe de la stupéfaction à la langueur.

On m’avait bien raconté que les Anglaises… Mais à ce point, non, je vous jure, je pouvais pas me douter. La môme largue sa revue. Elle saura jamais comment exterminer les vers à bois, mais il n’importe. Elle se retourne, quitte le tabouret, tombe à genoux. Et la suite, mes amis, je vais carrément m’abstenir de vous la raconter. J’suis pas Nu et Nère, moi, je fais pas de politique et j’ai pas envie de poivrer une interdiction, que pour lors me faudrait aller vendre mes polars sous le manteau à la sortie des naïtes-cleubes. Excusez mon autocensure, mais on n’est jamais si bien desservi que par moi-même. Toujours est-il que j’ai raison de préférer les nanas à grande bouche plutôt que celles qu’ont un orifice de fume-cigarette en guise de clapoir. Bref, je ne donne pas de précision, mais dénouez votre cravate et suivez mon regard.

Ou se met à si tellement frénétiser, elle et émoi, qu’au bout de cinq minutes Molly bascule toute loquée dans la baignoire, qu’au bout d’une demi-heure elle en ressort en tenue d’Ève et qu’au bout d’une heure on saccage le pucier du pauvre Rot Harryclube.

Ah, mes fils, quelle aventure !

On a bien raison de dire que dans un triangle isocèle deux des côtés sont égaux. J’ai l’occasion de vérifier la chose pendant que je lui pratique, précisément, le coup du triangle isocèle. Une petite terrible, cette Molly. Une bousculeuse de respect humain ! Une dévoreuse de sensations ! Une crieuse de bonheur ! Elle appelle, sa maman, la chère âme, non au téléphone comme elle en avait primitivement l’intention, mais à pleine voix. De la manière qu’elle clame, réclame et s’exclame, Maâme sa vioque doit l’entendre depuis son quartier de Bloomsbury, à travers le grondement de la circulation. Elle doit tendre l’esgourde, la dame Rex mère. Se dire que fifille vient d’être renversée soit par un autobus à impériale, soit par un Casanova imberbe. Le contrôle de son self, elle l’envoie chez Plumeau, la demoiselle Molly. Le calme angliche, elle s’en souvient plus. Faut la voir se consacrer à l’entente cordiale ! On est déjà en train de se le creuser en catimini le tunnel sous la Manche. On jette le pont de nos bras par-dessus le Chanel, comme diraient Coco et Apollinaire. T’en veux, t’en as ! Remettez-nous la rincelette du patron ! L’essuyer c’est la doper ! Oh ! pardon : elle leur accorde un régime de ses faveurs aux assassins de lord-maires. On vient de dissiper le malentendu pouvant subsister à propos de l’affaire Jehanne d’Arc. D’effacer le coup foireux du Drap d’Or sans demander l’avis privé d’Henri VIII, ni le consentement de Charles XI ! Bouvines Quoi ? Qu’est-ce que ça veut dire ? Elle n’a jamais existé cette première guerre de 14 (1214). Je suis devenu le Monsieur Loyal de Philippe-Auguste. Je donne l’accolade à Jean Sans Terre par personne intér- et super- posée.

Je dénie Waterloo ; je mets en doute Sainte-Hélène ! J’acclame Mers-El-Kébir ! Français-Anglais ; English-French ! Bravo Larousse ! La corne m’use mais ne se rend pas.

Appuyé sur un coude (maintenant y a plus que là-dessus que je peux m’appuyer) je considère ce délicat joyau de la nature alangui à mon côté.

— Et alors, petite sirène ?

Elle répond d’un mot. Mais quel mot en l’occurrence :

— Fantastic-que[20].

— Merci.

Je lui vote un mimi-goulu pour lui rendre compte de ma gratitude. Il est rare qu’un Anglais (ou une Anglaise) s’abaisse à faire un compliment. Quand ça se produit, faut le recueillir soigneusement et le mettre dans une vitrine car c’est de la pièce de musée. En général, l’Angliche, il punit l’auteur d’un exploit. Mordez le père Churchill par exemple. Dès qu’il a eu terminé la guerre, on l’a saqué en vitesse. Et papa Ike ? Il lui ont pas dit merci, mais go home ! C’est pas en France qu’on verrait des trucs pareils. Chez nous on a la reconnaissance du ventre et celle du sang. Les Ricains, par exemple on leur permet de se mettre un drapeau à l’intérieur de leur Ambassade. Et pourtant, leur Ambassade, elle se tient à deux pas de l’Élysée. Ça pourrait gêner, ces cinquante étoiles près des deux nôtres. Pas du tout, v’lan. Magnanimes, qu’on est. L’ambassadeur huèce peut faire claquer sa bannière étoilée dans son bureau au vent de son aspirateur.

Mais je me répands, les gars, excusez-moi. Je crois que ça doit être glandulaire, cette manie toujours de me mettre à tartiner quand une idée m’empare.

Je reviens à la situation. Tableau suggestif : un homme, une femme, en tenue de radada dans un beau plumard à baldaquin style colonial.

Maintenant que je me suis baigné et mis à jour, va tout de même falloir que je passe aux choses sérieuses.

Je ne me suis pas pointé à Londres, au mépris des barrages policiers, pour enfiler des perles. La preuve !

Comme j’essaie de mobiliser mes cellules grises, voilà le bigophone qui turlute. Sur le moment je crois que c’est la lourde, tant la sonnerie est vibrante. Mais sa régularité rectifie mon erreur d’interprétation.

— Il ne faut pas répondre ! murmure Molly en vagissant dans le creux de mon épaule.

Je m’arrache du plume pour choper l’appareil couleur acajou posé sur une table basse. C’est téméraire, mais, vous ne l’ignorez pas, votre cher San-A. est l’homme des actions et des exactions osées.

— Hello ! fais-je d’un ton engageant.

Une voix à l’accent cockney lance rapidement :

— Salut, Rot, ici Hébull-Degohom. Heureux de vous savoir de retour, je peux rappliquer ?

— O.K, boy ! réponds-je au milieu d’une quinte de toux, afin de sucrer au maxi mon accent français.

Je me hâte de raccrocher.

Sans charre, mes petites poules, je crois que la chance est avec moi, ce soir. Car, figurez-vous, si je me suis pointé à London, c’est uniquement pour essayez d’y rencontrer cet étrange individu. Je pensais à lui lorsque le turlophone a carillonné, et voilà qu’il se jette dans mes bras, le chérubin.

— Qu’est-ce que c’est ? demande Molly.

— De la visite, ma gosse. Il faut qu’on se mette dans une tenue décente.

Je lui caresse la chute de rein qu’elle a douce et harmonieuse, il me semble vous l’avoir déjà signalé.

— Vous connaissez le dénommé Hébull-Degohom ?

— Non, qui est-ce ?

— Un monsieur qui devrait faire du théâtre car il a des dons. Pendant que je le recevrai, vous resterez dans la chambre, n’est-ce pas, chérie ? Il se peut que vous entendiez un certain remue-ménage, mais que cela ne vous surprenne pas.

Elle fait la grimace.

— Que va-t-il se passer ?

— Des tas de choses. Le moment est venu de vous répéter que je suis innocent de tous les forfaits dont on m’accuse. Il est venu également de le prouver.

Je me refringue. Le revolver est toujours dans ma poche.

— Ne commettez pas d’acte irréparable ! débite ma ravissante partenaire.

Elle a dû lire ça dans un bouquin de Mme Christie.

— Au fait, vous avez raison, approuvé-je en jetant le flingue sur un canapé, mes poings et ma vaste intelligence me suffisent.

Je roule les manches de ma limace et fais jouer mes pectoraux. La mise en condition, c’est tout le secret de l’athlète. Molly me regarde gymnastiquer complaisamment.

— Vous savez, darling, me dit-elle, quand je vous regarde vivre je finis par me dire que vous êtes probablement innocent, en effet…


Je laisse retomber le rideau de la chambre.

— Vous pouvez rallumer, mon cœur : c’est lui et il est seul.

Effectivement, je viens de voir radiner Hébull-Degohom au volant de sa vieille Morgan. Il a remisé son teuf-teuf derrière la bagnole d’Harryclube et, sans l’ombre d’une hésitation, a traversé la rue pour pénétrer dans la maison (en anglais : in the house).

— Alors c’est bien compris : vous m’attendez ici en écoutant la radio, hé ?

— Promis, répond-elle en m’envoyant un baiser.

— Et plus nous ferons du chahut, plus vous montez le son ?

— Comptez sur moi, chéri.

Driiiing !

La sonnerie de la lourde se plante comme une fléchette dans le silence de l’appartement.

Molly appuie sur le contact du poste à transistor. Aussitôt, une musique endiablée retentit. Satisfait, je passe dans la partie studio et me dirige vers la porte.

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