Chapitre XVI

Malko plongea à l’extérieur de la 505 par la portière ouverte, au moment où le second projectile tiré par Eya Karemba fracassait le rétroviseur. Il roula sur lui-même, tirant le Colt 45 de sa sacoche et l’armant du même geste.

Le policier noir arrivait en courant. Il aperçut Malko à terre et le crut blessé. Il s’arrêta et le prit dans sa ligne de mire pour l’achever.

Cette erreur de jugement sauva la vie de Malko. Il allongea le bras, visant le Noir, et tira.

Une fraction de seconde avant Karemba. Une tache rouge apparut sur le front du policier, qui éclata sous l’impact, projetant des morceaux de chair et d’os. Il tomba en arrière, appuyant sur la détente de son pistolet nickelé. Le projectile du Colt de Malko traversa son crâne, et ressortit par la nuque, emportant un bon morceau de cerveau et des débris de boîte crânienne… Malko s’était déjà relevé d’un bond. Tapi derrière une voiture, le second policier en saharienne tira et le manqua. Malko plongea au volant de la 505. Des gens couraient dans tous les sens ; au contraire, des enfants s’approchaient, intrigués par les coups de feu. Malko tira au jugé, à travers les débris de la lunette arrière.

Effrayé, le policier en saharienne s’abrita derrière une voiture en stationnement, permettant à Malko de prendre du champ. Zigzaguant dans la circulation, il atteignit le carrefour de Rawdon Street. Une balle fracassa le coffre qui s’ouvrit. Presque aussitôt, une odeur d’essence se répandit dans la 505. Le réservoir était touché…

Malko remonta Rawdon Street, et tourna dans Siaka Stevens, filant vers le palais de Justice. Personne ne le suivait, mais sa voiture attirait l’attention, avec son coffre ouvert, son pare-brise et sa lunette arrière en miettes. Heureusement qu’on était en Afrique… Alors qu’il atteignait le cotton-tree, il y eut un « plouf » sourd à l’arrière de la 505. Des flammes rouges jaillirent de sous la voiture.

Malko écrasa le frein et s’éloigna en courant. Il n’avait pas parcouru cent mètres dans Pademba Road qu’une explosion secoua le quartier. Il se retourna : une colonne de fumée noire montait de Siaka Stevens. Les gens se précipitaient vers le lieu de l’explosion, ne lui prêtant aucune attention. Il ralentit sa course, en proie à des pensées pas vraiment gaies.

La CIA ne lui fournirait pas un second véhicule et il avait abattu un policier du CID. Même si ce dernier agissait pour le compte de Karim Labaki, le Libanais… Malko allait se faire tirer à vue. Il revit le cadavre horriblement mutilé d’Eddie Connolly et ne regretta pas son coup au but. Mais les vrais problèmes commençaient. Pademba Road lui paraissait interminable et sa chemise était collée à ses épaules par la transpiration.

Bill Hodges allait être déçu : le problème n’était plus d’attaquer Karim Labaki, mais de sortir vivant de Freetown.


* * *

Dans les moments graves, Wild Bill Hodges retrouvait tout son calme. Mâchonnant une allumette, il avait écouté le récit de Malko sans se troubler. Kofi, le Ghanéen, était invisible et ils se sentaient en sécurité dans la pièce aux volets clos. La Range Rover avait disparu… À l’abri. Dans une ville où il n’y avait ni taxis ni voitures de location, ce n’était pas une situation d’avenir…

— Il faut trouver une voiture, dit Malko. L’irlandais approuva chaudement.

On va en voler une…

— Où ?

— Devant le Gem. Il y a toujours des types qui viennent changer de l’argent chez le Libanais. Ils laissent leur voiture en double file, avec la clef dessus. J’y vais. Vous êtes trop repéré. Attendez-moi ici… Et empêchez cette salope de Yassira de se tirer.

Yassira baissa la tête. Son visage tiré rappelait ses ébats amoureux de la nuit. Quant à Bambé, occupée à peler des oranges pour préparer du jus, elle semblait vivre tout ça très bien. Wild Bill ne garda que son vieux parabellum et disparut avec une audace incroyable… Malko le vit monter dans un poda-poda qui passait. Priant pour qu’il ne se fasse pas coincer.

Il compléta le chargeur du Colt 45. Pensant à la tête éclatée de Karemba. On commençait à régler les comptes. Le tueur du Libanais et Hussein Forugi avaient payé. Maintenant, il devait s’attaquer aux terroristes.


* * *

— On y va !

Bill Hodges avait surgi, en haut de l’escalier, congestionné, couvert de sueur. Il regarda autour de lui. Yassira avait disparu. Malko ne s’en était même pas rendu compte.

L’irlandais vira au violet.

— Où est-elle, cette salope ?

— En bas, fit Bambé. Elle ne veut pas partir…

Wild Bill dégringolait déjà l’escalier. Ce n’était vraiment pas le moment de faire des scènes de ménage… Malko rattrapa l’Irlandais au moment où celui-ci s’apprêtait à dévisser la tête de Yassira et les sépara. Écarlate, l’Irlandais n’abandonnait pas ses mauvaises intentions.

— Je vais lui casser toutes les dents.

Kofi surgit soudain et s’interposa. De sa voix douce, il s’adressa à l’Irlandais.

— Votre amie désire rester ici… Il vaut mieux l’y laisser. Il ne faut jamais forcer les gens à faire ce qu’ils ne veulent pas.

Malko crut un moment que l’Irlandais allait lui faire sauter la tête. Mais Bill Hodges se calma d’un coup. Frottant furieusement ses tatouages comme pour les faire disparaître, il grommela :

— Si cette morue veut rester, après tout, qu’elle crève ! On aurait pu s’en servir comme bouclier. Bon, on y va…

Malko échangea un regard avec Kofi. Le Noir était impassible, arborant un léger sourire. Si Malko n’avait pas assisté à la scène de la nuit, il aurait pu croire à la fable du Bon Samaritain… Ils traversèrent la cour. Yassira et le Ghanéen les regardaient partir. Celui-ci semblait comblé : il venait de conquérir sa huitième épouse…

Wild Bill monta dans ce qui avait été une Volvo jaune qui semblait ne plus tenir que par la peinture… Le hayon arrière restait fermé grâce à des fils de fer et les pneus avant étaient aussi lisses que la joue d’un bébé. L’Irlandais prit le volant recouvert de fourrure synthétique, après avoir jeté à l’arrière un sac contenant les armes.

Dès que le moteur tourna, le malheureux véhicule se mit à trembler comme un paludéen tandis qu’un épais panache de fumée noire s’échappait de l’arrière. Le diesel faisait le bruit d’une vieille machine à coudre.

— J’ai pas eu le temps de choisir, s’excusa l’irlandais.

Avec ça, ils ne risquaient pas de passer inaperçus. Au moment d’y prendre place, Malko se tourna vers Bambé.

— C’est trop dangereux. Tu vas rester ici ? La Noire secoua la tête.

— Non, je vais avec toi…

D’un bond elle prit place à l’arrière et se recroquevilla sur la banquette. Malko ne pouvait quand même pas la jeter dehors de force. Il monta à son tour et Bill Hodges passa la première.

— Maintenant qu’on a une voiture on va aller jusqu’à Station Hill, proposa-t-il et on terminera à pied. Jamais les gardes palestiniens ne laisseront approcher ce débris. Il faudra passer par-dessus le mur qui clôture le parc en contrebas de la piscine. C’est un peu acrobatique, mais c’est l’endroit le moins gardé.

Malko ne répondit pas ils se lançaient dans une folle entreprise. Karim Labaki disposait de gardes du corps et avait la possibilité d’appeler la police. Même s’ils réussissaient leur mission et s’emparaient d’une des Mercedes de Labaki, leur sort ne serait guère enviable. Malko, en dépit des risques, s’était rallié à l’idée de ne pas quitter Freetown sans tout avoir tenté pour neutraliser les deux terroristes. Bill Hodges devait ruminer les mêmes sombres pensées car il ne desserrait plus les lèvres. La Volvo les amena cahin-caha jusqu’à l’unique feu de la ville, en face du building « chinois ». Ils stoppèrent au rouge à côté d’une superbe Mercedes grenat aux vitres teintées, avec une plaque SLO[41], conduite par un chauffeur en livrée…

— Tiens, c’est la voiture du vice-Premier ministre, remarqua l’Irlandais.

Malko revit soudain le chauffeur qui avait proposé la Mercedes de son patron ministre, comme poda-poda, devant l’ambassade US. C’était peut-être la solution à un de leurs problèmes.

— S’il est tout seul, on ne pourrait pas backchicher le chauffeur pour qu’il nous emmène chez Labaki ?

Bill Hodges poussa un bramement de joie.

Holy Virgin ! Foutue bonne idée !

Il sauta à terre et se planta devant le capot de la Mercedes grenat.

Le feu passant au vert, les voitures suivantes se mirent à klaxonner, et le chauffeur du vice-Premier ministre dut se ranger sur le côté. L’irlandais se pencha à sa glace ouverte, vérifia que le véhicule était vide et engagea aussitôt les négociations, observé anxieusement par Malko. D’abord, le chauffeur secoua négativement la tête… La vue du premier billet de 20 leones ralentit son mouvement. Au cinquième, il souriait. Dès qu’il eut la liasse en main, il descendit lui-même pour ouvrir la portière… L’Irlandais courut jusqu’à Malko.

— Il est pressé, il va chercher son patron qui se trouve chez le Président à Spur Road. Heureusement, c’est dans sa direction. Montons. Il va nous déposer.

Malko rafla le sac d’armes et prit place à l’arrière avec Bambé, tandis que l’Irlandais montait devant. La Mercedes grenat redémarra. Aussitôt son chauffeur brancha son gyrophare, prenant Hilicot Road d’assaut, doublant toutes les voitures et chassant les piétons dans le fossé… Visiblement, il voulait leur en donner pour leur argent…

À l’embranchement de King Harman Road et de Mereweather, ils aperçurent des soldats et deux jeeps formant une chicane, barrant la route.

Shit ! Un barrage, s’exclama l’irlandais.

Malko sentit son estomac se contracter. Contre des soldats armés de fusils d’assaut, ils n’avaient aucune chance…

Son angoisse ne dura pas longtemps. Le chauffeur du vice-Premier ministre avait enclenché sa sirène et fonçait. Les soldats s’écartèrent respectueusement et les plus abrutis allèrent jusqu’à saluer… Malko retomba sur ses coussins. Si la situation n’avait pas été aussi tendue, il serait mort de rire…

Mais les choses ne seraient pas toujours aussi simples. Les Africains étaient très respectueux du pouvoir, mais avec des Libanais et des Palestiniens ce n’était pas la même chose… En haut de Spur Road, la Mercedes tourna dans le chemin plein d’ornières menant à la villa de Karim Labaki. Le chauffeur sifflotait, inconscient de la tension qui régnait dans le véhicule… Pour lui, conduire des Blancs chez le richissime Libanais, c’était parfaitement dans l’ordre des choses…

Ils abordèrent la descente menant au portail. Le chemin se terminait en impasse, au bord de la falaise. Seuls ceux qui se rendaient chez Karim Labaki l’empruntaient. Malko aperçut les grands murs verts entourant la propriété. Le bruit caractéristique d’un hélicoptère lui fit lever la tête. Rien en vue. La Mercedes avait atteint la grande grille de la résidence de Karim Labaki.

De l’autre côté, Malko vit l’hélicoptère vert polonais dont les rotors tournaient déjà, juste en face de la maison, entouré de plusieurs hommes armés…

Le chauffeur, immobilisé devant la grille, donna un puissant coup de sirène, surmontant le grondement de l’hélicoptère. Les gardes palestiniens regardèrent la voiture, puis se concertèrent, indécis… Les secondes s’écoulaient, interminables. Ils étaient assourdis par le bruit des rotors… Si les Palestiniens posaient la moindre question, ils étaient cuits… Discrètement, Bill Hodges avait posé sur le plancher de la voiture un riot-gun chargé…

Le chauffeur donna un second coup de sirène. Impérieux. Malko vit un des Palestiniens faire un geste en direction de ses compagnons. Malko les examinait avec soin ; aucun ne ressemblait à Nabil Moussaoui.

Deux d’entre eux, Kalachnikov à l’épaule, coururent à la grille et commencèrent à l’ouvrir sous l’œil courroucé du chauffeur qui prenait son rôle très au sérieux. La plaque officielle les rassurait. Pourtant l’un d’eux s’approcha pour parler au chauffeur. Il n’en eut pas le temps… Ce dernier avait déjà appuyé sur l’accélérateur et fonçait vers l’auvent protégeant l’entrée de la résidence.

Sans se formaliser, le Palestinien referma la grille. La voiture grenat venait de temps à autre et les vitres noires l’avaient empêché de distinguer ses occupants…

— Ça va, patron ? demanda le chauffeur hilare, en se retournant.

— Parfait ! dit Malko.

Un peu en contrebas, ils étaient protégés de la vue des Palestiniens. L’hélicoptère commença à s’élever dans un rugissement de tonnerre, soulevant un nuage de poussière rougeâtre. Les Palestiniens se détournèrent pour ne pas être asphyxiés.

Malko, Bill Hodges et Bambé descendirent. Le chauffeur démarrait déjà, faisant demi-tour en face du garage pour ressortir. Une douzaine de Mercedes s’alignaient dans la cour, ainsi qu’un gros camion. Malko essaya la porte. Fermée. Impossible de la forcer, elle était blindée. Il aurait fallu un bazooka…

Il appuya sur la sonnette. S’ils n’entraient pas, les Palestiniens allaient venir leur poser des questions et les ennuis commenceraient… Il attendit, le cœur battant. Le ronflement de l’hélicoptère s’éloignait au-dessus de la mer. Le chauffeur donna un coup de klaxon pour se faire ouvrir la grille. Sans se presser, un des Palestiniens s’approcha, lui fit signe de descendre sa glace et se pencha pour lui parler. Malko était trop loin pour entendre ce qu’ils disaient, mais ils étaient sur le fil du rasoir…

La porte s’ouvrit sans qu’il ait rien entendu. Il aperçut dans la pénombre deux yeux noirs, un visage mal rasé et une voix demanda en anglais :

— Qui êtes-vous ?

Un Libanais, élégant dans une chemise mexicaine, l’air soupçonneux, les cheveux calamistrés. Malko aperçut derrière lui un somptueux hall en marbre de Carrare, deux grandes consoles en bois précieux de style Louis XIV faisaient face à deux sofas recouvert de soie bleue. Le tout étant visiblement l’œuvre de celui qui avait décoré le reste de la résidence Claude Dalle.

— J’ai rendez-vous avec Karim Labaki, fit Malko.

Le Libanais le toisa.

— Cela m’étonnerait ! Je suis son secrétaire particulier et je n’ai pris aucun rendez-vous ce matin. D’ailleurs Mr Labaki n’est pas là… Qui vous a laissé entrer ?

Il fit un pas en avant, passant devant Malko, afin d’alerter les hommes de garde.

Juste pour se heurter au canon du riot-gun de Bill Hodges, appliqué contre son oreille. Ce qui le repoussa à l’intérieur. Il blêmit, soudain muet. Malko entra, entraînant Bambé et referma la porte, grâce à un énorme verrou.

— Qui, que voul…

Le Libanais ne s’attendait visiblement pas à cette attaque brutale.

— Voir Mr Labaki, fit Malko. Vite.

À son tour, il avait tiré le Colt 45 de sa sacoche, ignorant combien de personnes se trouvaient dans la maison. Le Libanais regarda les deux armes, secoua la tête et dit d’une voix blanche :

— Mais vous êtes fous ! Que voulez-vous ? Il n’y a rien à voler ici…

D’un revers, Bill Hodges le frappa à toute volée avec la crosse du riot-gun. Projeté contre une console dorée, le Libanais, la joue ouverte, glissa le long du mur, du sang dégoulinant sur toute sa mâchoire. Bill le releva et le colla au mur, le riot-gun sur la gorge.

— Où est-il ?

— Dans… Dans sa salle de bains…

— Conduis-nous.

— Combien y a-t-il de gardes dans la maison ? interrogea Malko.

Le Libanais, tamponnant sa joue, cracha un peu de sang et balbutia :

— Personne, ils sont dehors. Il n’y a que moi et la masseuse. Et puis le personnel africain…

— Dépêchons-nous, dit Malko.

Comme un automate, le secrétaire les guida dans un couloir aux murs couverts de tableaux. Au bout du troisième coude, ils s’arrêtèrent devant une porte blanche, close.

— C’est là.

Malko tourna le bouton de la porte qui s’ouvrit sur une salle de bains en marbre bleu, absolument splendide, avec des glaces partout. L’une d’elles lui renvoya l’image d’un homme plongé dans un bain de mousse, au fond d’une baignoire dorée. Seule sa tête et le bras gauche dépassaient de la baignoire. Une jeune Noire, assise sur un tabouret, était en train de lui faire les ongles. Vêtue d’une blouse transparente qui laissait deviner un corps admirable…

Karim Labaki se figea. Malko vit son regard aller du riot-gun à son visage, ses yeux se fermer presque complètement, ses traits se durcir. Puis sa mâchoire avança et il aboya :

— Qu’est-ce que vous foutez ici ?

Il avait du sang-froid, c’est le moins qu’on puisse dire… Tranquillement, Bill Hodges avança vers la baignoire et plongea le canon du riot-gun dans la mousse à l’endroit approximatif où se trouvait le ventre du Libanais.

— Sois poli ou je te fais sauter les couilles…

L’Africaine se leva avec un petit cri, et Malko la repoussa doucement dans un coin de la pièce, avant de s’approcher de Karim Labaki.

— Mister Labaki, dit-il, je suis venu pour une raison précise. Je veux les deux terroristes que vous hébergez.

— Foutez le camp ! explosa le Libanais, je ne sais pas comment vous êtes entrés ici, mais si vous ne partez pas, je sais comment vous allez en ressortir. Morts.

Son visage de gargouille était convulsé par la rage. Il se hissa à demi hors de la baignoire, découvrant un corps musculeux et empâté, où la mousse s’accrochait à des touffes de poils noirs. Ses petits yeux allaient de Malko à Bill Hodges avec une haine indicible. Au moins égale à celle de l’Irlandais. Ce dernier se pencha en avant.

— Enculé, fit-il, motherfucker d’Arabe. C’est moi qui vais te crever tout de suite. Tu te souviens de Yassira ? C’est moi qui la baise. Et Seti ? La petite que tu as fait tuer ? Je vais te faire sauter la tête.

Il écumait. Malko se rendit compte qu’il ne se contrôlait plus. Et qu’il allait tuer le Libanais. Celui-ci le réalisa aussi et tourna la tête vers Malko.

— Il est fou votre copain ! Calmez-le. Je ne sais pas de quoi il parle.

Sa voix n’était plus qu’un croassement. Il avait peur. Vraiment. Souvent confronté à la violence, il savait la reconnaître… Malko saisit le canon du riot-gun et l’écarta.

— Nous avons à parler, mister Labaki. Allons dans votre bureau.

Sous le regard grinçant de haine de Bill, le Libanais sortit de sa baignoire et s’enveloppa dans un peignoir blanc monogrammé de fils d’or. L’autre porte donnait dans sa chambre, d’un luxe inouï, une moquette haute laine d’un blanc immaculé servait d’écrin à un magnifique lit corolle King Size habillé de soie mauve. Le tout signé Claude Dalle. Dans un coin, un empilement de télés Akaï et de magnétoscopes. Plus une radio émettrice. La moquette épaisse sur laquelle étaient jetés des tapis étouffait le bruit des pas… Malko ferma à clef. Toutes les portes étaient en bois de fer, incrochetables.

Ils pénétrèrent dans le bureau. Somptueux. Des boiseries partout et une grande baie vitrée dominant les collines, avec vue sur la baie de Freetown. Des lampes en cuivre rappelaient le Liban, des photos partout, de Labaki avec tout ce qui comptait en Sierra Leone. Plus une avec Nabil Beri, le leader chiite d’Amal.

— Regardez ! cria l’Irlandais.

Il brandissait une photo de Khomeiny en train de serrer la main de Karim Labaki qui semblait minuscule à côté de lui.

— Salope !

Il jeta la photo à terre et la piétina dans un bruit de verre brisé. Karim Labaki ne broncha pas. Le téléphone sonna et il décrocha, écouta quelques secondes avant de raccrocher. Il se tourna alors vers Malko.

— Ce sont mes gardes. Ils se sont réveillés trop tard et je les punirai. Je sais maintenant comment vous êtes entrés ici. Seulement, la sortie ne sera pas aussi facile. Vous feriez mieux de poser vos armes et de vous rendre… Nous pourrions trouver un terrain d’entente…

Bill Hodges fit un pas vers lui, avant que Malko ne puisse répondre, les yeux fous…

— Il n’y a pas de sortie pour toi, salope…

Karim Labaki tourna la tête vers Malko.

— Je voudrais vous montrer quelque chose.

— Allez-y, dit Malko, sans le quitter du canon de son arme.

Le Libanais prit une clef sur son bureau et marcha vers une des boiseries. Il écarta le panneau, découvrant un gigantesque coffre-fort. Il l’ouvrit légèrement, interdisant de voir à l’intérieur. Puis, d’une voix très calme, il annonça :

— J’ai ici plus de deux millions de dollars. Et des diamants qui en valent trois fois autant. Prenez-les et partez.

Au même moment, des coups violents furent frappés à la porte et une voix cria :

— Mister Labaki, on a prévenu le CID ! Ils arrivent.

Le Libanais eut un éclair de joie dans le regard, mais ce fut sa seule réaction. Indécis, Bill Hodges ne bougeait plus. Malko sentit que la situation allait lui échapper. Il n’était pas venu faire un hold-up, mais récupérer des terroristes. Il sentait que le Libanais reprenait du poil de la bête et gagnait du temps. Dans une demi-heure au plus, la résidence serait cernée et Malko se trouverait dans une situation impossible.

Karim Labaki insista d’une voix volontairement douce :

— Prenez ces dollars et fichez le camp. Je vous accompagne dehors. C’est un regrettable malentendu… Je ne connais aucun terroriste.

Malko fit un pas vers le coffre, posa la main sur la lourde porte. Les traits de Karim Labaki se détendirent imperceptiblement.

— Vous êtes un homme intelligent, fit-il.

Au Liban, tous les conflits pouvaient se régler avec de l’argent… Seuls les imbéciles mouraient. Malko le fixa de ses yeux dorés, froids comme la mort et rabattit la porte à toute volée.

Sur la main du Libanais.

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