N’krowo

« Papa » ne mourut pas – pas encore.

Le grand fourgon à barbaque de l’aéroport l’emporta.

Les Minton gagnèrent leur ambassade dans une conduite intérieure américaine.

Newt et Angela montèrent dans une conduite intérieure immatriculée à San Lorenzo pour aller chez Frank.

L’unique taxi de San Lorenzo nous mena, les Crosby et moi, à l’hôtel Casa Mona. C’était une grande Chrysler 1939 qui avait l’air d’un corbillard, avec des strapontins. Sur les flancs de la voiture, on lisait l’inscription Castle Transportation Inc. Le taxi appartenait à Philip Castle, le propriétaire du Casa Mona, le fils du grand philanthrope que j’étais venu interviewer.

Les Crosby et moi étions troublés. Notre consternation s’exprimait par des questions auxquelles nous exigions des réponses immédiates. Les Crosby voulaient savoir qui était Bokonon. L’idée que quelqu’un puisse s’opposer à « Papa » Monzano les scandalisait.

De mon côté, sans raison précise, je m’aperçus qu’il me fallait savoir sur-le-champ qui étaient les Cent Martyrs de la Démocratie.

Les Crosby furent les premiers à obtenir une réponse. Comme ils ne comprenaient pas le dialecte san-lorenzien, je me fis leur interprète. Crosby posa à notre chauffeur la question fondamentale qui le tourmentait :

— Qui est-ce, ce merdeur de Bokonon, d’abord ?

— Homme très méchant, répondit le chauffeur. (En réalité, il avait dit : Ohmtré amesh-a.)

— C’est un communiste ? demanda Crosby quand il eut entendu ma traduction.

— Oh oui !

— A-t-il des disciples ?

— Comment ?

— Il y a des gens pour le trouver bien ?

— Oh non, monsieur ! dit pieusement le chauffeur. Personne il est fou autant.

— Pourquoi est-ce qu’on ne l’a pas capturé ? demanda Crosby.

— Il est difficile trouver, dit le chauffeur. Très malin.

— Enfin, il doit y avoir des gens qui le cachent et qui lui donnent à manger, sinon on l’aurait attrapé depuis longtemps !

— Personne il cache pas lui ; personne il le nourrit pas. Tout le monde trop malin pour le faire.

— Vous croyez ?

— Sûr, fit le chauffeur. Si quelqu’un il donne à manger à ce vieux fou, ou un endroit pour dormir, il est bon pour le croc. Personne il en veut pas, du croc.

Il avait prononcé le dernier mot : « N’krowo. »

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