Zah-mah-ki-bo

Le général Franklin Hoenikker ne se montra pas au dîner.

Il téléphona et insista pour ne parler à personne d’autre qu’à moi. Il veillait au chevet de « Papa » ; « Papa » souffrait atrocement. Au téléphone, Frank avait l’air d’avoir peur et de se sentir seul.

— Écoutez, lui dis-je, je crois qu’il vaut mieux que je rentre à mon hôtel. Nous pouvons discuter plus tard, quand la crise sera passée.

— Non, non, non. Restez où vous êtes ! Je veux pouvoir vous contacter immédiatement !

Il s’affolait à l’idée que je puisse lui échapper. Comme j’ignorais pourquoi il s’intéressait tant à moi, je commençai à m’affoler, moi aussi.

— Vous ne pourriez pas me donner une petite idée de la raison pour laquelle vous tenez à me voir ? demandai-je.

— Pas au téléphone.

— Est-ce au sujet de votre père ?

— Non, de vous.

— Quelque chose que j’ai fait ?

— Quelque chose que vous allez faire.

J’entendis une poule glousser dans le lointain à l’autre bout du fil, puis une porte qui s’ouvrait, et les sons d’un xylophone en provenance d’une autre pièce. C’était le même morceau, Quand le jour se lève. Puis la porte se referma et je n’entendis plus la musique.

— J’aimerais bien que vous me laissiez entrevoir si peu que ce soit ce que vous attendez de moi, dis-je. Afin, comment dire, de m’y préparer.

— Zah-mah-ki-bo.

— Quoi ?

— C’est un mot bokononiste.

— Je ne connais pas de mots bokononistes.

— Julian Castle est là ?

— Oui.

— Demandez-lui, dit Frank. Il faut que je raccroche.

Il raccrocha. J’allai demander à Julian Castle ce que signifiait zah-mah-ki-bo.

— Désirez-vous une réponse simple ou exhaustive ?

— Commençons par une réponse simple.

— Le fatum. L’inévitable destinée.

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