Blackout

Trois heures après le dîner, Frank n’était toujours pas rentré. Julian Castle s’excusa : il retournait à la Maison de l’espoir et de la pitié dans la jungle.

Assis sur la terrasse, Angela, Newt et moi regardions en dessous de nous les lumières de Bolivar. Sur le toit de l’immeuble administratif de l’aéroport Monzano, une grande croix lumineuse mue par un moteur tournait sur elle-même, balayant de piété électrique toute la rose des vents.

Il y avait dans l’île d’autres endroits illuminés, au nord. Les montagnes nous empêchaient de les voir directement, mais nous distinguions dans le ciel leurs halos. Je demandai à Stanley, le majordome de Frank Hoenikker, d’identifier la source de ces aurores.

Il les montra du doigt, dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. « Maison de l’espoir et de la pitié dans la jungle, palais de « Papa » et Fort Jésus. »

— Fort Jésus ?

— C’est le camp d’entraînement de nos soldats.

— Placé sous l’invocation de Jésus-Christ ?

— Oui. Pourquoi pas ?

À ce moment, nous vîmes au nord un autre halo lumineux qui grandissait rapidement. Avant que j’aie pu demander ce que c’était, je m’aperçus qu’il s’agissait de phares d’auto qui franchissaient une crête. Les phares venaient vers nous. Ils appartenaient à un convoi.

Le convoi se composait de cinq camions militaires de fabrication américaine. Des soldats se tenaient derrière des mitrailleuses pivotantes fixées sur le toit des cabines.

Le convoi fit halte dans l’allée, devant la maison de Frank. Les soldats mirent immédiatement pied à terre et commencèrent à creuser des trous d’hommes et des abris de mitrailleuses. Accompagné du majordome, j’allai demander à l’officier du détachement la raison de ces travaux.

— Nous avons reçu l’ordre de protéger le prochain président de San Lorenzo, dit l’officier en dialecte insulaire.

— Il n’est pas là, l’informai-je.

— Je ne veux pas le savoir. Mes ordres sont de creuser des abris ici. C’est tout ce que je sais.

J’allai porter la nouvelle à Angela et à Newt.

— Croyez-vous qu’il y ait vraiment du danger ? me demanda Angela.

— Je ne sais pas, je ne suis pas d’ici, dis-je.

À ce moment-là, il y eut une panne générale d’électricité. Toutes les lumières de San Lorenzo s’éteignirent.

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