Cercle d’acier

— Quand Bokonon et McCabe, il y a des années de cela, se sont emparés de ce misérable pays, ils en ont chassé les prêtres. Puis, Bokonon, cyniquement et par jeu, a inventé une nouvelle religion.

— Je sais, dis-je.

— Quand il est devenu évident qu’aucune réforme gouvernementale ou économique ne soulagerait la misère du peuple, la religion est apparue comme le seul espoir. La vérité était l’ennemie du peuple, car la vérité était effroyable, et Bokonon s’est donc attaché à fournir au peuple des mensonges toujours meilleurs.

— Comment en est-il venu à se faire déclarer hors la loi ?

— C’est lui qui en a eu l’idée. Il a demandé à McCabe de le décréter hors la loi, ainsi que sa religion, afin de donner plus de piment et de piquant à la vie religieuse du peuple. Il a d’ailleurs écrit un petit poème à ce sujet.

Castle me récita ce poème, qu’on ne trouve pas dans les Livres de Bokonon :

J’ai fait mes adieux au gouvernement

Et j’ai donné mes raisons :

Une bonne religion

Doit être une trahison.

— C’est également Bokonon, dit Castle, qui a proposé le croc comme châtiment du bokononisme. Il en avait eu l’idée au musée de Madame Tussaud, dans la Chambre des horreurs. (Il me fit un clin d’œil vampirique.) Ça aussi, c’était pour pimenter l’affaire.

— A-t-on exécuté beaucoup de personnes de la sorte ?

— Pas au début, pas au début. Au début, on se contentait de faire croire au peuple qu’il y avait eu des exécutions. On faisait circuler des rumeurs, mais personne n’avait vraiment connu quelqu’un qui fût mort de cette façon. McCabe s’est donné du bon temps en accablant de menaces sanguinaires les bokononistes – c’est-à-dire tout le monde. Puis, Bokonon a pris le maquis. Confortablement installé dans la jungle, il passait ses journées à écrire, à prêcher et à manger les bonnes choses que lui apportaient ses disciples. McCabe réunissait les chômeurs – c’est-à-dire pratiquement tout le monde – et organisait de grandes chasses à l’homme pour trouver Bokonon. Tous les six mois environ, McCabe annonçait triomphalement que Bokonon était entouré d’un cercle d’acier qui se resserrait impitoyablement sur lui. Et puis tôt ou tard, les responsables de ce cercle impitoyable venaient au rapport : dépité, apoplectique, McCabe apprenait d’eux que Bokonon avait accompli l’impossible. Il s’était échappé, évaporé, il vivait, il prêchait encore. Miracle !

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