Pourquoi Hazel n’a pas eu peur

Nous fûmes sept à descendre à San Lorenzo : Newt et Angela, l’ambassadeur Minton et sa femme, H. Lowe Crosby et la sienne, plus moi. Quand nous eûmes franchi la douane, on nous mena en groupe jusqu’à une tribune érigée en plein air, sur laquelle on nous fit monter.

Nous y fîmes face à une foule très calme.

Cinq mille San-Lorenziens au moins nous fixaient du regard. Les indigènes étaient couleur de Blédine. Tous étaient maigres. On ne voyait pas une seule personne grasse. Tous avaient des dents qui manquaient. Nombreuses étaient les jambes torses ou enflées.

Pas un regard qui fût clair.

Les femmes avaient les seins nus et pitoyables. Les hommes portaient des pagnes lâches impuissants à dissimuler des pénis semblables à des balanciers d’horloges campagnardes.

Il y avait beaucoup de chiens, mais pas un qui aboyait. Il y avait beaucoup d’enfants, mais pas un qui pleurait. Çà et là, quelqu’un toussait. C’était tout.

Devant la foule, une fanfare militaire se tenait au garde-à-vous. Elle ne jouait pas.

Devant la fanfare, une garde d’honneur brandissait deux drapeaux, les Stars and Stripes et le drapeau de San Lorenzo. Celui-ci représentait les galons en chevron d’un caporal des U.S. Marines sur champ bleu roi. Les étamines pendaient maigrement dans l’air immobile.

Je crus entendre, très loin de là, le heurt sourd d’une masse contre un gong d’airain. C’était une illusion. C’était la pulsation de la chaleur qui résonnait dans mon âme, la chaleur tenace et cuivrée du climat de San Lorenzo.

— Je suis bien contente que le pays soit chrétien, murmura Hazel Crosby à l’oreille de son mari ; j’aurais un peu peur.

Derrière nous se trouvait un xylophone.

Sur l’instrument, un motif étincelant dessinait quatre lettres en grenats et en strass : Mona.

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