XIX

Veyrenc s'arrêta sur le quai, à une quinzaine de mètres de Voisenet, qui fumait une cigarette illicite dans un des lieux publics les plus éventés de Paris.

— Il fume, Voisenet ? demanda Veyrenc.

— Non. Peut-être qu'il l'a volée à son fils.

— Il n'a pas de fils.

— Alors je ne sais pas.

— Tu as connu Balzac ?

— Non, Louis. L'occasion ne s'est pas présentée.

— Eh bien tu regardes Voisenet, tu vois Balzac. Il n'a pas ses sourcils froncés, il n'est pas encore aussi gros, mais ajoute une moustache noire et tu vois Balzac.

— Alors Balzac n'est pas mort, tout compte fait.

— Tout compte fait non.

— C'est réconfortant.


Estelle accueillit les trois policiers sans surprise. Tant que durerait leur problème, elle verrait ce policier aux mèches rousses tous les soirs. Elle commençait à en prendre l'habitude, et l'habitude commençait à tourner en un désir vague. Quand leur affaire serait résolue, ils s'envoleraient, et lui avec. Elle choisit de reculer, de se montrer moins disponible ce soir.

— Je vais changer, dit Voisenet. Je vais prendre le cochon de lait farci. Ça vaut le coup ?

— De l'avis de Danglard, certainement, dit Veyrenc.

— Que doit-on penser de l'avis de Danglard à présent ? demanda Adamsberg. Néanmoins, pour le cochon de lait, je suis d'accord, et pour cela seulement. Vous avez eu quelques échos, Voisenet, quant à Danglard ? On dit que le poing de Noël s'abattant sur sa table a fait quelque bruit.

Voisenet baissa la tête, posa la main sur son ventre. Veyrenc se leva pour aller jusqu'au comptoir passer la commande. Il n'avait pas échappé à l'attention d'Adamsberg qu'Estelle avait peu regardé le Béarnais. Elle reculait un pion, Veyrenc en avançait un autre.

— Il a cru bien faire, je suppose, dit Voisenet.

— Peu m'importe ce qu'il a cru, lieutenant. Sans l'intervention de Mordent et Noël, j'écopais d'un blâme. C'est ce que vous croyez, vous, qui m'importe.

— Il avait forcé sur le vin, sûrement.

— Cela n'explique rien, il force toujours sur le vin.

— Il a cru bien faire.

— Et il a mal fait.

Voisenet demeurait tête baissée et Adamsberg s'arrêta là. Il n'avait pas à torturer le lieutenant, pris entre l'arbre et l'écorce.

— Parce que, rebondit Voisenet, vous avez trouvé de quoi prouver qu'il a mal fait ? Vous avez vu les archives ?

— Complètes. Ces « mauvais garçons » avaient formé une bande à l'orphelinat. Qui portait un nom.

Veyrenc tira le dossier de sa sacoche et le posa devant le lieutenant. La Bande des recluses. Claveyrolle, Barral, Lambertin, Missoli, Haubert & Cie.

Voisenet ne vit pas Estelle lui apporter son cochon de lait, ne la remercia pas même d'un signe de tête. Son regard ne quittait pas l'étiquette.

— Nom de Dieu, dit-il finalement.

Il semblait à Adamsberg que chacun en appelait à Dieu ou à sa Sainte Mère en découvrant ces recluses de soixante-dix ans d'âge.

— Du Diable, corrigea-t-il. L'ancien directeur disait que le diable était entré dans leur âme. À Claveyrolle, Barral et aux autres.

— Qu'est-ce qu'ils foutaient avec des recluses ? Il s'agit de vraies recluses ? Je veux dire, des araignées, ou bien des femmes ?

— Quelles femmes ? demanda Adamsberg.

— Ces femmes, vous savez, au temps jadis, qui se cloîtraient pour offrir leur vie à Dieu. Les recluses.

— Non, on parle bien des araignées. Mangez avant de regarder les photos. Veyrenc va d'abord vous résumer cela, il a lu tout le dossier dans le train.

— Comment le sais-tu ? Tu dormais.

— C'est vrai.

Veyrenc exposa l'ensemble des faits à Voisenet, qui mangeait mécaniquement, sans paraître saisir le goût de son plat, concentré sur le récit du lieutenant. Il n'avait pas même touché à son verre de madiran.

— À présent buvez un peu, Voisenet, je vous montre les photos.

Qui, une fois de plus, claquèrent sur la table comme de sinistres cartes à jouer. Voisenet obéit et but quelques gorgées. Son regard s'affola devant les petits amputés, le gosse sans testicule, celui sans joue, l'autre au bras hideux. Puis il repoussa les clichés, finit son verre d'un coup et le reposa bruyamment sur la table.

— Alors vous aviez raison, commissaire, dit-il. Il y a bien eu une affaire de recluses. Dans le temps. Qui revient aujourd'hui, rampant sur ses huit pattes. Les descendantes des recluses d'hier. Je veux dire, leur retour, dans les mains d'une ancienne victime.

— Oui, Voisenet.

— Ou de plusieurs anciennes victimes, dit Veyrenc. Ou de toutes ensemble.

— Il y a quelque dix ans, dans un bistrot de Nîmes, Claveyrolle a parlé du petit Louis. Celui à la jambe amputée. Le petit Louis l'avait menacé. Claveyrolle s'était foutu de sa gueule, comme au bon vieux temps, mais Louis lui avait répondu de faire gaffe, qu'il n'était pas seul.

— Les victimes auraient constitué une bande à leur tour ?

— Pourquoi pas ?

— D'accord, mais Landrieu, le troisième, n'a rien à faire avec la Bande des recluses. On a un étoc, là.

Étocs. Ces rochers immergés sur lesquels s'éventrent les bateaux. Voisenet avait été élevé en Bretagne.

— Pas forcément, dit Adamsberg. Claveyrolle et sa bande faisaient le mur. Ils ont très bien pu connaître Landrieu dans les nuits de Nîmes. C'est probable, même. Donc cette jeune fille violée, Voisenet ? Justine Pauvel ?

Le lieutenant soupira, massa son front, revivant les deux heures si difficiles passées avec cette femme.

— Chez les flics, dit-il, on est un peu formés pour cela, hein ? Pour savoir parler avec des femmes violées, et surtout les amener à parler. Mais pas assez, commissaire, vraiment pas. J'ai mis plus d'une heure à passer ses défenses. Elle s'était figée, bloquée, murée. Et pourtant j'ai suivi la formation, et pourtant je crois que je peux être délicat. Je respecte profondément les femmes, mais je ne suis jamais payé de retour. Ça doit être mon physique, ça doit être ça.

— Qu'est-ce qu'il a, votre physique ? demanda Veyrenc.

— Pas assez délicat, justement. Ça a dû jouer contre moi, avec cette femme.

— Ou ce fut simplement parce que vous êtes un homme, Voisenet, dit Adamsberg, touché par le jugement que Voisenet venait d'assener sur lui-même.

— On aurait dû envoyer une femme, dit Voisenet. Cela aussi, on nous l'apprend. Broyée, cette Justine, broyée. Enfin, elle a fini par parler tout de même. Parce que si elle avait accepté de me rencontrer, c'est bien qu'elle le souhaitait, d'une manière ou d'une autre. Qu'est-ce que j'avais fait ? Je m'étais bien habillé, comme vous le voyez, et j'avais apporté des fleurs, et un gâteau, délicat aussi : une mousse aux fruits. Ça paraît idiot mais ça a peut-être aidé. Encore qu'elle ne supporte aucun homme, aucune approche, c'est vrai. Elle est demeurée terrifiée et honteuse, car justice ne lui a pas été rendue. Cela aussi, on nous l'apprend. Mais j'ai menti, j'ai dit qu'on lui rendrait justice. C'est cela qui l'a apaisée.

— On le fera peut-être, lieutenant.

— Ça m'étonnerait.

— Elle a une idée de son violeur ?

— Elle jure n'avoir pu reconnaître personne, ni être capable de décrire quiconque. Car si seulement il n'y en avait eu qu'un. Ils s'y sont mis à trois. Trois. Elle avait seize ans, elle était vierge.

Voisenet s'interrompit, massa de nouveau son front, sortit un médicament de sa veste.

— Mal au crâne, dit-il. Elle, c'est tous les jours, il paraît.

— Mangez, dit Veyrenc en lui tendant une assiette de fromage qu'il venait de lui préparer.

— Merci, Veyrenc. Désolé, mais ce ne sont pas des choses faciles.

— Ils étaient trois ? reprit Adamsberg. Phénomène de bande ?

— Oui. Dans une camionnette, le traquenard classique. Un qui conduit, deux qui choisissent la proie. Le chauffeur s'arrête pour demander son chemin, les deux autres sautent sur la fille et l'embarquent. Elle m'a confié un article sur son « parrain », dans le cas où cela m'intéresserait de l'interroger encore. Ce Claude Landrieu, notre témoin spontané. Apparemment, elle ne sait pas encore qu'il est mort. Il s'agit d'une simple interview où l'homme témoigne du « choc terrible » qu'il a ressenti. Sans intérêt pour nous.

— Avec une vue de sa boutique, je suppose ? demanda Adamsberg.

— Bien sûr, pourquoi se priver d'une publicité gratuite ?

— Montrez-moi cela, lieutenant. Je trouve curieux qu'elle vous l'ait donné.

Sans comprendre, Voisenet sortit l'ancien article de son portefeuille. Veyrenc servit la seconde tournée de madiran et, cette fois, Voisenet prit une gorgée avec plaisir. Il allait mieux.

— Vous vous êtes attaché, Voisenet, dit Veyrenc.

— Un peu.

Adamsberg se concentrait sur la vieille coupure de presse, sur le gros visage d'un Landrieu vieilli, photographié dans sa chocolaterie de luxe, où un serveur en blouse s'affairait face à une file de clients. Il fronça les sourcils, rouvrit le dossier du Dr Cauvert, en sortit les photos des neuf garçons de la Bande des recluses, prises depuis leur entrée à l'orphelinat jusqu'à leurs dix-huit ans. Veyrenc le laissait faire, sans poser de question.

De longues minutes plus tard, le commissaire releva la tête, souriant, l'expression presque belliqueuse, comme revenant d'un combat. Il n'avait pas dû percevoir les mouvements ordinaires autour de lui et regarda son verre plein avec surprise.

— C'est moi qui me suis resservi ? demanda-t-il.

— Non, c'est moi, dit Veyrenc.

— Ah bien, je n'ai pas dû m'en rendre compte.

Il posa ses deux longues et larges mains sur la table, l'une sur la coupure de presse, l'autre sur les photos du dossier Cauvert.

— Bravo, Voisenet, dit-il.

Il leva son verre vers le lieutenant, qui accepta sans comprendre.

— Ici, Claude Landrieu, dit-il. Cela, on le sait. Autour de lui, sa boutique, son serveur, ses clients. Le journal date de trois jours après le viol. La photo aussi.

— Elle ne porte pas de date.

— Le viol a eu lieu un 30 avril. Le 1er mai, la boutique n'est pas ouverte, mais la gendarmerie, oui. Landrieu y court avec la liste des fréquentations de sa « filleule ». Le journal date du 2 mai. La photo aussi. Sur le comptoir, observez bien : des brins de muguet, encore tout frais. Oui, la photo est bien du 2 mai. Ce n'est pas forcément ce qu'aurait voulu Landrieu.

— Pourquoi ?

— Parce qu'ici, dit Adamsberg en désignant un visage parmi les clients, c'est Barral. Et ici, c'est Lambertin.

Veyrenc secoua la tête et attrapa la photo.

— Je ne vois pas, dit-il. Les derniers clichés de Barral et de Lambertin datent de leurs dix-huit ans. Comment peux-tu les identifier sur ces visages de quinquagénaires ? Voisenet ?

Veyrenc passa au lieutenant la coupure de presse et les photos des jeunes Barral et Lambertin. Adamsberg but une gorgée de madiran, patient, serein.

— Non, dit Voisenet en rendant les photos à Adamsberg. Je ne vois pas non plus.

— Mais servez-vous de vos yeux, bon sang. Je vous dis que ces deux gars ne sont pas là pour acheter des chocolats. Ce sont Barral et Lambertin.

Ni Veyrenc ni Voisenet ne contrèrent. Ils savaient que l'analyse visuelle du commissaire était singulière.

— Admettons, dit Voisenet, s'animant à nouveau. Qu'est-ce qu'ils foutent là dans ce cas ?

— Deux jours après le viol ? dit Adamsberg. Ils viennent aux nouvelles. Savoir comment s'est passé le « témoignage spontané » de leur ami Landrieu chez les flics.

— Et pourquoi ne pas se voir la veille, le 1er mai ? C'était congé.

— Mais pas discret. Plus malin de faire la queue au magasin et d'échanger un simple clin d'œil. C'est ainsi qu'ils se donnaient rendez-vous. Par un signe, par un mot, dans la boutique.

— Pour quoi faire ?

— Partir en virée se faire une fille. Justine Pauvel a été violée par le « vieil ami de la famille », un type en qui elle avait confiance depuis l'enfance. Elle est montée dans sa camionnette sans se poser de question. Violée par Claude Landrieu, Barral et Lambertin.

— Alors elle sait.

— Bien sûr qu'elle sait, au moins pour son « parrain ». Et c'est bien pour cela qu'elle vous a confié cet article. Elle n'a jamais pu le dire. Ce qui n'exclut pas le désir de vengeance. Autre point : cette photo nous montre que, plus de trente ans après, la Bande des recluses ne s'était pas dissoute. Outre Claveyrolle et Barral, on y ajoute Lambertin et Landrieu.

— Vrai, approuva Veyrenc.

— Ni dissoute, ni bonifiée. Les jeunes blaps de l'orphelinat ont grandi. Fini le jeu des recluses glissées dans les frocs des souffre-douleur. Les blaps devenus grands se tournent vers l'agression sexuelle, dès leurs dernières années d'orphelinat.

— Comment ? dit Voisenet. Ils étaient isolés de la section des filles.

— Pas dans la cour, précisa Veyrenc, où filles et garçons étaient séparés par un haut grillage, un grillage classique de type simple torsion. Soit ils s'exhibaient en érection. Soit ils passaient leur sexe à travers une maille du grillage et éjaculaient sur une fille qui avait eu l'imprudence de s'en approcher. Soit ils couvraient les murs de graffitis pornographiques. Un gardien les a arrêtés dans le dortoir des filles, mais une seule fois. Ils arrachaient les couvertures.

— Et qui dit qu'il n'y a pas eu d'autres intrusions ? dit Adamsberg. Des viols ? Que les jeunes filles ont gardés secrets, comme le font quatre-vingts pour cent des femmes violées ? La Bande des recluses s'est convertie en la Bande des violeurs. Et ne s'est pas séparée après La Miséricorde. Les coups, ils ont continué à les monter ensemble. Comme dans leur enfance.

— Mais où cherche-t-on le tueur ? dit Veyrenc. Et qui veut des cafés ?

Les mains d'Adamsberg et Voisenet se levèrent. La journée avait été longue et lourde, pour tous. Une fois de plus, Veyrenc alla passer la commande au comptoir.

— Où ? répéta Veyrenc en se rasseyant. Parmi les garçons mordus par les recluses ? Ou parmi les femmes violées, que nous ne connaissons pas, à l'exception d'une seule ?

— Parmi toutes et tous, Louis.

— Et pourquoi les femmes violées utiliseraient-elles du venin de recluse, vu l'extrême complexité du procédé ? Cet effort s'explique pour les garçons mordus. Venin contre venin. Mais pour les femmes violées ? Un coup de flingue et tout est dit.

— Il y aurait bien une possibilité, dit Voisenet. Mais vous allez dire que je fais mon zoologue, ou mon Danglard.

— Allez-y tout de même, lieutenant.

— Il faut descendre dans les pensées les plus primaires et profondes des êtres humains.

— Descendez, dit Adamsberg.

— Je ne sais pas par où commencer. C'est très enchevêtré, les pensées primaires.

— Alors commencez par « Il était une fois ». Veyrenc dit qu'il y a une touche légendaire, avec ces recluses.

— Ah très bien, cela me va. Il était une fois le venin animal. Il a toujours eu une place très à part dans l'imaginaire des hommes. On lui a prêté des tas de qualités magiques, bénéfiques et prophylactiques et il fut beaucoup utilisé, en pharmacopée par exemple, selon le principe paradoxal que ce qui tue peut guérir.

— Je ne saisis pas « prophylactique », dit Adamsberg.

— Tout ce qui empêche la maladie, tout ce qui protège contre elle.

— D'accord.

— Les bêtes à venin, qu'il s'agisse de serpents, de scorpions ou d'araignées, étaient tenues pour des ennemis jurés de l'homme. Les croiser était signe de mort. Mais si un homme parvenait à les vaincre, il « retournait le sort ». Il devenait plus fort que le venin, plus fort que la mort, invincible. Si je vous emmerde, dites-le-moi surtout.

— Pas du tout, lieutenant, dit Adamsberg.

— J'ajoute qu'il existait un lien inconscient entre ce venin, ce liquide animal projeté par la bête, et le sperme humain. Particulièrement pour les serpents qui se dressent avant de mordre, pire encore pour les serpents cracheurs. On pourrait imaginer qu'une femme violée, souillée par le sperme de son agresseur, ait l'idée de lui renvoyer une vengeance de même nature. Pour elle, le venin du serpent serait le liquide le plus approchant du sperme détesté.

— Juste, dit Veyrenc.

— Mais je vais serrer sur l'araignée. Dans cette idée de vaincre le venin toxique et de se fortifier en le dominant, l'araignée abattue devenait alors une bête qui portait chance et qui protégeait. On a fabriqué des décoctions d'araignées pour soigner des quantités de maladies — parfois on les faisait carrément avaler au patient —, particulièrement les fièvres intermittentes, les hémorragies, les saignements de l'utérus, l'arythmie, la démence sénile, l'impuissance.

— L'impuissance ?

— C'est très logique, commissaire, j'ai parlé de ce lien qui se noue entre le fluide venimeux et le fluide spermatique.

— Mais pourquoi ne pas soigner l'impuissance avec le sperme réel des animaux ?

— Parce qu'il est vécu comme équivalent au nôtre, ni plus ni moins. Il faut un fluide supérieur. L'homme s'incline néanmoins devant les grands animaux, s'ils sont dangereux. On n'a pas manqué d'utiliser des couilles de taureau. Je reviens à l'araignée ?

— Revenez, Voisenet.

— Il n'y a pas si longtemps encore, porter une araignée vaincue sur soi, dans un médaillon ou dans une coque de noix pour les pauvres, ou cousue dans un habit, protégeait contre les maladies, les mauvais sorts ou les dangers de la guerre.

— Vrai ?

— Vrai. Imaginons une femme violée qui devient maître de l'araignée : elle devient alors maître de la liqueur venimeuse, elle domine le sperme offensif. Ainsi peut-elle vaincre, ainsi peut-elle tuer, par l'araignée et grâce à l'araignée.

— Pour avoir l'idée d'y recourir, Voisenet, il faudrait une femme sacrément désaxée.

— Le viol désaxe.

— Mais aujourd'hui, Voisenet ? En notre temps ? Qui croirait encore à ces trucs ?

— « Notre temps », commissaire ? Mais quel temps ? Civilisé ? Rationnel ? Apaisé ? Notre temps, c'est notre préhistoire, c'est notre Moyen Âge. L'homme n'a pas changé d'un pouce. Et surtout pas dans ses pensées primaires.

— Juste, dit Veyrenc.

— Et quand les petits blaps attaquaient avec leurs recluses, c'était déjà, au fond, une agression sexuelle. La loi du dominant, l'injection du venin, de la liqueur animale.

— Onze victimes de morsures, résuma Adamsberg, et on ne sait combien de femmes violées. Et nous ne sommes que cinq.

— Cinq ? dit Voisenet.

— Vous, Veyrenc, Froissy et moi. Ajoutez Retancourt.

— Pas Retancourt.

— Si, Voisenet. Elle collabore, sans y croire mais sans s'opposer. Cinq.

— La partie n'est pas gagnée.

— Mais elle est commencée, lieutenant.

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