Chapitre 13
Dehors, dans la nuit profonde mais qui, déjà, approchait vers l'aube, la neige tombait et le vent soufflait d'énormes flocons. Trébuchant dans l'épais tapis blanc, les assistants quittaient le Palais de justice. Des lanternes se balançaient aux portières des carrosses.
Angélique s'en alla, silhouette solitaire, à travers les rues ténébreuses de Paris. En sortant du Palais, un remous l'avait séparée de la religieuse.
Machinalement, elle reprenait le chemin de l'enclos du Temple. Elle ne pensait à rien ; elle aspirait seulement à retrouver sa petite chambre et à se pencher sur la bercelonnette de Florimond.
Combien de temps dura cette marche trébuchante ?... Les rues étaient désertes. Par ce temps affreux, les malandrins mêmes se terraient. Les tavernes étaient peu bruyantes, car c'était la fin de la nuit, et les ivrognes qui n'avaient pas regagné leur logis ronflaient sous les tables ou confiaient leurs malheurs à quelque fille à moitié endormie. La neige recouvrait la ville d'un silence morne.
En s'approchant de l'enceinte fortifiée du Temple, Angélique se souvint que les portes devaient être closes. Mais elle entendit les sons étouffés de l'horloge de Notre-Dame de Nazareth et compta cinq coups. Dans une heure, le bailli ferait ouvrir. Elle franchit le pont-levis et alla se blottir sous la voûte de la poterne. Des flocons de neige fondue coulaient sur son visage. Heureusement, la confortable robe de grosse laine du costume de religieuse, avec ses multiples jupes, la vaste coiffe, le manteau à capuchon, l'avaient bien protégée. Mais ses pieds étaient glacés. L'enfant s'agitait en elle. Elle posa ses mains sur son ventre et l'étreignit avec une colère soudaine. Pourquoi cet enfant voulait-il vivre, alors que Joffrey allait mourir ?...
À cet instant, la draperie mouvante de la neige s'écarta, et une forme monstrueuse bondit sous la voûte en haletant.
Le premier mouvement de frayeur passé, Angélique reconnut le chien Sorbonne. Il lui avait posé les pattes sur les épaules et lui léchait le visage de sa langue râpeuse. Angélique le caressa, scrutant l'ombre où continuait la danse serrée des flocons. Sorbonne, c'était Desgrez. Desgrez allait venir et, avec lui, l'espoir. Il aurait une idée. Il lui dirait ce qu'il fallait faire encore pour sauver Joffrey. Elle entendit le pas du jeune homme sur le pont de bois. Il avança avec précaution.
– Vous êtes là ? chuchota-t-il.
– Oui.
Il s'approcha. Elle ne le voyait pas, mais il lui parlait de si près que le parfum de tabac de son haleine lui rappelait atrocement les baisers de Joffrey.
– Ils ont essayé de m'arrêter alors que je sortais du Palais de justice. Sorbonne a étranglé l'un des exempts. J'ai pu m'enfuir. Le chien a suivi votre piste et m'a guidé jusqu'ici. Maintenant, il vous faut disparaître. Vous avez compris ? Plus de nom, plus de démarches, plus rien. Sinon vous allez vous retrouver dans la Seine un matin, comme le père Kircher, et votre fils sera doublement orphelin. Quant à moi, j'avais prévu le dénouement épouvantable. Un cheval m'attend à la porte Saint-Martin. Dans quelques heures, je serai loin.
Angélique se cramponnait à la veste trempée de l'avocat. Ses dents claquaient.
– Vous n'allez pas partir ?... Vous n'allez pas m'abandonner ? Il prit les minces poignets de la jeune femme et détacha les mains crispées.
– J'ai tout joué pour vous et j'ai tout perdu, sauf ma peau.
– Dites-moi encore... Dites-moi ce que je peux faire pour mon mari ?
– Tout ce que vous pouvez faire pour lui...
Il hésita, puis parla précipitamment :
– Allez trouver le bourreau et donnez-lui trente écus pour qu'il l'étrangle... avant le feu. Comme cela, il ne souffrira pas. Tenez, voilà trente écus. Elle sentit qu'il lui glissait une bourse dans la main. Sans ajouter un mot, il s'éloigna. Le chien hésitait à suivre les traces de son maître. Il revenait vers Angélique, et levait vers elle de bons yeux pleins d'amitié. Desgrez siffla. Le chien pointa les oreilles et disparut en galopant dans la nuit.