Chapitre 17

– Quel nom lui donnerez-vous, ma fille ?

– Cantor.

– Cantor ! Ce n'est pas un nom chrétien.

– Je m'en moque, dit Angélique. Donnez-moi mon enfant.

Elle reprit des bras de la sage-femme le petit être rouge, encore humide, et que la virago qui venait de l'accueillir sur cette triste terre avait entortillé dans un lambeau de drap sale.

La journée n'était pas encore achevée : minuit n'avait pas sonné à l'horloge fleurdelisée du Palais de justice, et l'enfant du supplicié venait de naître. Le cœur d'Angélique s'était brisé. Son corps avait été meurtri, ses entrailles arrachées. Son sang avait coulé de toutes parts, de son cœur comme de ses entrailles. Angélique était morte en même temps que Joffrey. Avec le petit Cantor, une autre Angélique venait elle aussi de naître, une femme nouvelle où ne survivraient qu'à grand-peine quelques-unes des étranges douceurs et naïvetés de l'ancienne Angélique.

La sauvagerie et la dureté qui palpitaient chez la fillette indisciplinée de Monteloup retrouvaient forme en elle, s'élançaient comme un fleuve noir par la brèche ouverte de sa tendresse et de son épouvante.

De la main elle repoussa sa voisine, créature frêle et brûlante qui délirait doucement. La troisième femme, rejetée contre le bord du lit, protesta. Celle-ci avait une hémorragie lente qui durait depuis le matin. L'odeur fade de son sang, qui imprégnait la paillasse, soulevait le cœur.

Angélique attira à elle une seconde couverture. La troisième occupante du lit protesta encore, faiblement.

« De toute façon, ces deux-là sont pour mourir, pensa la jeune mère. Alors autant que mon enfant et moi nous essayions d'avoir chaud, et de nous en tirer vivants. »

Les yeux ouverts, un peu hagarde, dans l'ombre putride, elle voyait luire, à travers les courtines déchirées du grabat, la clarté jaune des lampes à suif.

« Quelle chose bizarre ! » se disait-elle. Car Joffrey était mort, mais c'était Angélique qui était en enfer.

Dans cet antre nauséabond, où l'odeur des déjections et du sang avait l'épaisseur d'un brouillard, elle entendait des pleurs, des gémissements, des plaintes, comme au sein d'un cauchemar. Les vagissements aigres des bébés ne cessaient point. C'était comme une psalmodie sans fin, qui s'intensifiait parfois, puis s'étouffait et s'élevait de nouveau à l'autre bout de la salle.

Le froid était glacial malgré les braseros roulants placés aux carrefours des couloirs, car leur chaleur se dispersait dans les courants d'air.

Angélique apprenait de quelle expérience lointaine est née la terreur des pauvres pour l'hôpital.

N'est-ce pas l'antichambre de la mort ?

Comment survivre dans cet amoncellement de maladies et d'ordures, où les convalescents étaient mêlés aux contagieux, où les chirurgiens opéraient sur des tables souillées, avec des rasoirs qui, quelques heures plus tôt, avaient servi, dans leurs boutiques, à faire la barbe aux clients de leur quartier ? L'aube approchait. On entendait sonner les cloches annonçant la messe. Angélique se souvint des morts de l'Hôtel-Dieu, qu'à cette heure même les religieuses alignaient devant le porche et qu'un tombereau devait conduire aux Saints-Innocents. Un tiède soleil d'hiver passerait peut-être sur la façade gothique de l'antique hôpital, mais les membres des pauvres morts cousus dans leur linceul ne se ranimeraient pas.

Perché au-dessus de la Seine, ce grand chemin d'eau qui ravitaille Paris et lui sert d'égout, l'Hôtel-Dieu, baigné par les brouillards du fleuve, abordait le jour comme un navire chargé d'une cargaison maudite.

Une main tira les courtines du lit. Deux infirmiers en souquenilles tachées jetèrent un regard sur les trois femmes qui occupaient le grabat, puis se saisirent de la dernière, la femme à l'hémorragie, et la posèrent sur un brancard. Angélique vit que la malheureuse était morte. Sur le brancard, il y avait aussi le cadavre d'un enfant.

Angélique reporta son regard sur le bébé qu'elle tenait contre elle. Pourquoi ne criait-il pas ? Était-il mort lui aussi ? Non, il dormait, les poings fermés, avec une expression paisible, amusante chez un nouveau né. Il n'avait pas l'air de se douter le moins du monde qu'il était l'enfant de la douleur et de la déchéance. Son visage ressemblait à un bouton de rosé, et son crâne était couvert d'un léger duvet blond. Mais Angélique sans cesse le secouait, craignant qu'il ne fût mort ou en train de mourir. Alors, il soulevait les paupières sur ses prunelles troubles et bleutées, puis il se rendormait.

Dans la salle, les religieuses se penchaient sur les lits des autres accouchées. Elles étaient certes dévouées et témoignaient d'un courage qui ne pouvait s'alimenter qu'en Dieu. Mais la mauvaise hygiène de l'organisation les mettait en face de problèmes insolubles.

Cramponnée au désir ardent de vivre, Angélique se contraignit à boire le contenu d'un bol qu'on lui tendait.

Puis, essayant d'oublier sa voisine fiévreuse et la paillasse sanglante, elle chercha la force dans le sommeil. Des visions mal définies passaient sous ses paupières closes. Elle pensait à Gontran. Il marchait quelque part sur une route de France ; il s'arrêtait auprès d'un pont pour payer le péage, et, afin de ménager sa bourse, il faisait le portrait du douanier...

Pourquoi pensait-elle à Gontran, devenu pauvre compagnon du tour de France, mais qui, au moins, marchait sous le ciel pur ? Gontran était comme ces chirurgiens qui, dans une des autres salles, se penchaient sur un corps douloureux avec la volonté passionnée d'y surprendre le secret de la vie et de la mort. Dans ce demi-rêve détaché des contingences terrestres où elle flottait, Angélique découvrait que Gontran était parmi les hommes les plus précieux du monde... de même que ces chirurgiens... Tout cela se brouillait un peu dans sa tête. Pourquoi les chirurgiens étaient-ils de pauvres barbiers, des gens de boutique qu'on n'estimait guère, alors que leur rôle était si grand ?... Pourquoi Gontran, qui portait un monde en lui et le pouvoir de susciter l'enthousiasme des rois eux-mêmes, n'était-il qu'un pauvre artisan besogneux, déclassé ?... Pourquoi penser à tant de choses inutiles, alors qu'il fallait réunir toutes ses forces physiques pour s'évader de l'enfer ?...

*****

Angélique ne resta que quatre jours à l'Hôtel-Dieu. Farouche et dure, elle exigeait pour elle les meilleures couvertures, interdisait que la sage-femme aux doigts sales la touchât et touchât son enfant. Elle prenait deux bols de nourriture au lieu d'un sur les plateaux. Un matin, elle arracha le tablier propre qu'une religieuse venait de mettre sur sa robe et, le temps que la pauvre novice courût chercher la supérieure, elle avait fait avec ce linge des bandes de charpie pour emmailloter le bébé et pour se panser elle-même.

Aux remontrances, elle opposa un mutisme farouche et posa sur ses interlocutrices un regard vert, dédaigneux, implacable, qui les impressionna. Il y avait une bohémienne dans la salle, qui déclara à ses compagnes.

– M'est avis que cette fille aux yeux verts est une devineresse !

Elle ne parla qu'une seule fois, lorsqu'un des administrateurs de l'Hôtel-Dieu vint lui-même, en tenant un mouchoir parfumé sous son nez, lui faire des reproches.

– On m'avertit, ma fille, que vous vous opposez à ce qu'une autre malade partage ce lit que la charité publique a bien voulu vous accorder. Il semble même que vous en avez déjà jeté deux sur le sol, trop faibles pour se défendre. N'avez-vous pas regret d'une telle attitude ? L'Hôtel-Dieu se doit d'accueillir tous les malades qu'on lui présente, et les lits ne sont pas assez nombreux.

– Alors vous feriez mieux de coudre tout de suite dans leur linceul ces malades qu'on vous envoie ! répondit brusquement Angélique. Dans les hospices qu'a fondés Monsieur Vincent, chaque malade a son lit ! Mais vous n'avez pas voulu qu'on vienne réformer vos indignes méthodes, parce qu'il aurait fallu que vous rendiez des comptes. Où vont tous les dons de la charité publique dont vous me parlez, et les deniers de l'État ? Il faut croire que les cœurs sont bien peu généreux et l'État bien pauvre pour qu'on ne puisse acheter assez de bottes de paille pour changer tous les jours les malheureux qui se souillent et que vous laissez pourrir sur leur fumier ! Oh ! Je suis sûre que lorsque l'ombre de Monsieur Vincent revient rôder à l'Hôtel-Dieu, elle en pleure de douleur !

Derrière son mouchoir, l'administrateur ouvrait des prunelles stupéfaites. Certes, depuis quinze ans qu'il gérait certains services de l'Hôtel-Dieu, il avait eu affaire parfois à des mauvaises têtes, à des poissardes fortes en gueule, à des prostituées ordurières. Mais jamais, de ces couches misérables, ne s'était élevée une réponse aussi nette dans un langage aussi châtié.

– Femme, dit-il en se redressant de toute sa dignité, je comprends à vos paroles que vous avez assez de vigueur pour reprendre le chemin de votre maison. Quittez donc cet asile dont vous n'avez pas voulu reconnaître les bienfaits.

– Je vais le faire volontiers, répondit Angélique, mordante. Mais auparavant j'exige que mes vêtements, que l'on m'a ôtés quand je suis arrivée ici, et qu'on a entassés pêle-mêle avec toutes les loques des varioleux, des vénériens et des pestiférés, soient lavés devant moi dans une eau pure, sinon je sortirai en chemise de l'hôpital et j'irai crier sur le parvis Notre-Dame que les oboles des grands et les deniers de l'État passent dans les poches des administrateurs de l'Hôtel-Dieu. J'en appellerai à Monsieur Vincent, la conscience du Royaume. Je crierai si fort que le roi lui-même demandera à vérifier les comptes de votre établissement.

– Si vous faites cela, dit-il en se penchant avec une expression cruelle, je vous ferai saisir et enfermer avec les fous.

Elle trembla, mais ne détourna pas son visage. Le souvenir la traversa de la réputation que la bohémienne lui avait faite...

– Et moi, je vous dis que si vous commettez cette nouvelle infamie, tous les vôtres mourront dans l'année qui vient.

On ne risque rien à leur déclarer cela, se disait-elle en s'étendant de nouveau sur sa paillasse sordide. Les hommes sont si bêtes !...

*****

L'air des rues de Paris, qu'elle avait trouvé jadis si puant, lui parut pur et délicieux lorsqu'elle se retrouva enfin libre, bien vivante et vêtue d'effets propres, hors du repoussant édifice.

Elle marchait presque allègrement, tenant son enfant dans ses bras. Une seule chose l'inquiétait : elle avait très peu de lait, et Cantor qui, jusque-là, s'était montré d'une sagesse exemplaire, commençait à se plaindre. Il avait pleuré toute la nuit, tirant avidement sur un sein vide.

Au Temple, il y a des troupeaux de chèvres, se dit-elle. J'élèverai mon enfant au lait de ces bêtes. Tant pis s'il a l'esprit d'un petit chevreau. Et Florimond, qu'était-il devenu ? Certainement la mère Cordeau ne l'avait pas abandonné. C'était une brave femme. Mais il semblait à Angélique qu'elle avait quitté son premier-né depuis des années !

Près d'elle, les gens passaient, tenant des cierges. Un parfum de crêpes chaudes s'évadait des maisons. Elle se dit qu'on devait être le 2 février. Les gens fêtaient la présentation de Jésus au Temple et la purification de la Vierge, en s'offrant les uns aux autres des cierges, selon une coutume qui avait fait donner à ce jour le nom de Chandeleur.

« Pauvre petit Jésus ! » pensa Angélique en baisant le front de Cantor tandis qu'elle franchissait la porte du Temple.

Comme elle s'approchait de la maison de la mère Cordeau, elle entendit pleurer un enfant. Son cœur bondit, car elle eut l'intuition que c'était Florimond. Trébuchant sur la neige, une petite silhouette lui apparut que des gamins poursuivaient à coups de boules de neige.

– Sorcier ! Eh ! petit sorcier ! montre-nous tes cornes !

Avec un cri, Angélique se précipita, saisit l'enfant d'un bras et, le serrant contre elle, s'engouffra à l'intérieur de la cuisine où la vieille femme, assise près de l'âtre, épluchait des oignons.

– Comment pouvez-vous laisser ces vauriens le martyriser ?

La mère Cordeau passa le revers de sa main sur ses yeux, que les oignons faisaient larmoyer.

– Hé là ! Hé là ! ma fille, pas tant de cris ! Je m'en suis bien occupée de votre petit pendant que vous étiez partie, et pourtant je n'étais pas plus sûre que ça de vous revoir un jour. Mais je ne peux tout de même pas l'avoir sur le dos toute la journée. Je l'ai mis dehors pour qu'il prenne l'air. Qu'est-ce que vous voulez que j'y fasse si les gosses l'appellent « sorcier » ? C'est tout de même bien vrai que son père a été brûlé en place de Grève, n'est-ce pas ? Faudra bien qu'il s'y habitue. Mon gamin n'était pas beaucoup plus grand que lui, allez, quand on a commencé à lui jeter des cailloux en l'appelant « Cordaucou ». Oh ! le beau mignon ! » s'exclama la vieille en lâchant son couteau et en s'avançant d'un air extasié pour admirer Cantor.

Dans la pauvre chambre, qu'elle retrouvait avec un sentiment de bien-être, Angélique posa ses deux enfants sur le lit et s'empressa de faire une flambée.

– Moi, je suis content, répétait Florimond en la regardant de ses brillants yeux noirs.

Il s'accrochait à elle.

– Tu ne vas plus t'en aller, maman ?

– Non, mon trésor. Regarde le joli bébé que je t'ai rapporté.

– Moi, je l'aime pas, déclara aussitôt Florimond en se blottissant contre elle d'un air jaloux.

Angélique démaillota Cantor et l'approcha du feu. Il étira ses petits membres et bâilla.

Seigneur ! Par quel miracle avait-elle pu concevoir un enfant aussi dodu, parmi tant de tourments ?

Quelques jours encore, Angélique vécut assez paisiblement dans l'Enclos. Elle avait un peu d'argent et elle espérait le retour de Raymond.

Mais, un après-midi, le bailli du Temple, qui était chargé de la police particulière de ce lieu dit privilégié, la fit appeler.

– Ma fille, déclara-t-il sans ambages, il me faut vous signifier de la part de M. le grand prieur d'avoir à quitter l'Enclos. Vous savez qu'il n'accueille sous sa protection que ceux dont la réputation ne peut nuire en rien au bon renom de sa petite principauté. Il vous faut donc vous en aller.

Angélique ouvrit la bouche pour demander ce qu'on lui reprochait. Puis elle songea à aller se jeter aux pieds du duc de Vendôme, le grand prieur. Enfin elle se souvint des mots du roi :

– Je ne veux plus entendre parler de vous !

On savait donc qui elle était ! On la redoutait peut-être encore... Elle comprit qu'il était inutile de demander aux jésuites de la soutenir. Ils l'avaient aidée loyalement lorsqu'il y avait quelque chose à défendre. Mais maintenant les jeux étaient faits. On tiendrait à l'écart ceux qui, comme Raymond, s'étaient compromis dans cette pénible affaire.

– C'est bon, fit-elle les dents serrées. Je quitterai l'Enclos avant la nuit.

– Je sais que vous avez payé votre loyer, dit le bailli qui se souvenait du pourboire qu'elle lui avait glissé lors de l'affaire de Kouassi-Ba. On ne vous demandera pas le « denier de sortie. »

Revenue chez elle, elle mit ce qui lui restait dans un petit coffre de cuir, enveloppa les deux enfants chaudement, et chargea le tout sur la brouette qui avait déjà servi à son premier déménagement.

La mère Cordeau était aux Halles. Angélique laissa sur la table une petite bourse.

« Quand je serai un peu plus riche, je reviendrai et me montrerai plus généreuse », se promit-elle.

– On va se promener, maman ? interrogeait Florimond.

– On retourne chez tante Hortense.

– On va voir Baba ?

C'était le nom qu'il donnait naguère à Barbe.

– Oui.

Il battit des mains. Il regardait de tous côtés avec ravissement. Poussant sa brouette à travers les rues, où la fange se mêlait de neige fondue, Angélique contemplait les deux petits visages de ses enfants serrés l'un près de l'autre dans la couverture. Le destin de ces êtres frêles pesait sur elle comme du plomb.

Au-dessus des toits, le ciel était clair, débarrassé de nuages. Pourtant, cette nuit, il ne gèlerait pas, car, depuis quelques jours, le temps s'était adouci et les pauvres se reprenaient à espérer, près des âtres sans feu.

*****

Rue Saint-Landry, Barbe poussa un grand cri en reconnaissant Florimond. L'enfant lui tendit les bras et l'embrassa avec fougue.

– Mon Dieu, mon angelot ! balbutia la servante.

Ses lèvres tremblaient, ses gros yeux se remplissaient de larmes. Elle regardait fixement Angélique, comme elle aurait regardé un spectre sorti de la tombe. Comparait-elle la femme au visage dur et amaigri, plus pauvrement vêtue qu'elle-même, à celle qui avait déjà sonné à cette même porte quelques mois auparavant ? Angélique se demanda avec curiosité si, de sa mansarde, Barbe avait vu le feu brûler en place de Grève ?...

Une exclamation étouffée, venant de l'escalier, la fit se retourner. Hortense, un flambeau à la main, paraissait figée d'horreur. Derrière elle, sur le palier, Fallot de Sancé apparut. Il était sans perruque, vêtu d'une robe de chambre et coiffé d'un bonnet brodé. Car, ce jour-là, il avait pris médecine. Ses lèvres tombèrent d'effroi à la vue de sa belle-sœur.

Enfin, au bout d'un silence interminable, Hortense réussit à lever un bras raidi et tremblant.

– Va-t'en ! dit-elle d'une voix blanche. Mon toit a déjà trop longtemps abrité une famille maudite.

– Tais-toi, sotte ! répliqua Angélique en haussant les épaules.

Elle s'approcha de l'escalier et leva les yeux vers sa sœur.

– Moi, je m'en vais, dit-elle. Mais je te demande d'accueillir ces petits innocents, qui ne peuvent te nuire en rien.

– Va-t'en ! répéta Hortense.

Angélique se tourna vers Barbe, qui serrait dans ses bras Florimond et Cantor.

– Je te les confie, Barbe, ma bonne fille. Tiens, voilà tout ce qui me reste d'argent pour leur acheter du lait. Cantor n'a pas besoin de nourrice. Il aime le lait de chèvre...

– Va-t'en ! Va-t'en ! Va-t'en ! criait Hortense dans un crescendo aigu.

Et elle se mit à trépigner.

Angélique marcha vers la porte. Le dernier regard qu'elle jeta en arrière ne fut pas pour ses enfants, mais pour sa sœur.

La chandelle que tenait Hortense tressautait et projetait des ombres affreuses sur son visage convulsé.

« Pourtant, se dit Angélique, ne l'avons-nous pas vue ensemble, la petite dame de Monteloup, ce fantôme aux mains tendues qui passait dans nos chambres ?... Et nous nous serrions d'effroi l'une contre l'autre, dans notre grand lit... »

Elle sortit et referma la porte. Un instant, elle s'arrêta pour regarder l'un des clercs qui, perché sur un escabeau, allumait la grosse lanterne devant l'étude de Me Fallot de Sancé.

Puis, se détournant, elle plongea dans Paris.

FIN

1 « Le passage, s'il vous plaît. »

2 Qui était l'emblème du surintendant Nicolas Fouquet.

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