Chapitre 10

La cloche du portail s'agita violemment et le moine portier vint dire qu'une troupe d'hommes en armes demandait à être reçue à l'abbaye.

– Ne leur ouvrez pas, supplia Angélique, sinon je suis perdue. C'est moi qu'ils poursuivent.

– La Révoltée du Poitou, dit Albert à mi-voix.

Elle jeta sur eux un œil hagard. L'inhumanité lui était trop familière pour qu'elle vît dans ces moines, au regard froid, autre chose que des ennemis. Ils allaient livrer la réprouvée.

Elle glissa à genoux, les yeux levés sur le visage marmoréen du Père abbé et ses lèvres répétaient ardemment le vieux cri du Moyen Age qui, tant de siècles, avait suspendu sur le seuil des églises, la chasse cruelle des hommes.

– Asile !... Asile !...

Il eut un geste apaisant de la main et s'éloigna tel un fantôme dans sa robe blanche, jusqu'à la voûte du porche.

Peu après, il revenait. Il avait dû renvoyer les soldats à l'hôtellerie. Ceux-ci fatigués par leur poursuite dans la neige n'étaient pas en état de donner assaut à la solide abbaye qui avait résisté à bien des guerres. Ils s'étaient éloignés, sans insister, d'autant plus que le père portier leur avait crié en guise d'encouragement que l'aubergiste avait des barriques de bon vin des Charentes, rare en ces temps troublés.

Le silence régnait à nouveau à l'intérieur du monastère. Angélique était toujours à genoux, à bout d'épuisement. Ce fut Albert qui se pencha pour prendre cette petite chose grelottante, aux yeux noirs et vifs comme ceux d'un animal des bois, qu'elle serrait contre elle.

– Relevez-vous, madame.

Le Père abbé lui tendait la main. Une main maigre mais d'une vigueur peu commune. Elle se releva.

– Il y a peu de commodités à l'abbaye pour vous recevoir, madame.

Il avait une voix basse, monocorde, et comme désincarnée, une voix habituée à psalmodier.

– Je ne peux vous proposer que deux endroits à peu près confortables, les cuisines pour vous y restaurer, l'étable pour y dormir.

Il dut y avoir sur le visage marbré de froid d'Angélique une expression extasiée à l'énoncé de ces lieux modestes, car quelque chose qui ressemblait à un sourire effleura le visage austère du Supérieur.

– Allez en paix, conclut-il. Votre frère vous conduira.

Devant la vaste flambée des cuisines, sa lourde robe trempée fumant autour d'elle, Angélique frotta les petits pieds glacés d'Honorine et lui fit avaler un bol de lait chaud. Puis elle la dévêtit et l'enveloppa dans une chaude couverture. Les Frères convers, en robes noires, la servaient dans le silence exigé par la règle. On n'entendait que le claquement doux de leurs sandales et les crépitements du feu auquel ils avaient ajouté deux gros fagots. Les vêtements d'Angélique furent bientôt secs, mais elle refusa toute nourriture, tant elle était à bout de forces.

Elle tomba dans le foin et dans le sommeil, comme on s'évanouit. Ce furent les mains d'Albert de Sancé qui couchèrent la petite Honorine dans une mangeoire, berceau rustique, bien garnie de paille et de foin. Avant de s'éloigner, il ramena encore du foin autour de sa sœur endormie.

Au-dehors, la neige continuait à tomber avec douceur. Blanc manteau sur l'abbaye, sur la forêt immobile, blanc linceul sur les pendus de la Pierre aux Fées...

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