— Regardez, on voit encore des morceaux de verre sur le sol.
Je remue, de la pointe du soulier, les débris blancs et rouges. Et me tiens le raisonnement suivant : si Patricia a enfilé des bas, elle a dû mettre également un porte-jarretelles. De quelle couleur peut bien être ce porte-jarretelles ? Je décide qu'il est blanc. Aussi je tire mon carnet pense-bébête de ma fouille et note, consciencieusement : « porte-jarretelles blanc ».
— Vous avez trouvé un indice ? s'inquiète la jeune fille.
— A vérifier, élude-je. Bien, l'automobile de notre chauffard débouchait d'où ?
Elle pivote au centre de la toile d'araignée constituée par une jonction de petites voies vésimales.
— Il arrivait d'ici, dit-elle avec décision.
— Vous êtes sûre ?
— Voyez, on aperçoit les traces de son coup de frein.
Je lis la plaque bleue : « Impasse de la Biche ». Et je biche. Pas à cause de la biche, mais de l'impasse. Tu suis la trajectoire de mon esprit, Lavedu ? Une tomobile qui débouche d'une impasse, arrive fatalement d'une maison située dans ladite impasse, non ? Ce qui revient à dire — ô mon lecteur surmené — que Blumenstein fils (ou le personnage qui lui ressemble) quittait l'une des propriétés que j'aperçois quand il a télescopé Patricia.
— Venez, marchons un brin jusqu'au fond de ce chemin fleuri.
Et te lui chope une aile.
Est-ce un effet de sa bonté ou de mon désir, mais il me semble qu'elle presse avec le bras ma main contre son sein, lequel est ferme, tiède et bien constitué pour son âge. En avançant, je m'efforce de plaquer ma hanche contre la sienne. Bon, tout ça, tu connais. Et t'es au courant de ce qui en découle ? Tu ne seras donc pas trop surpris d'apprendre que j'atteins le fond de l'impasse en marchant au pas de l'oie.
Cinq propriétés. Deux de chaque côté, une au fond. Celle du bout exceptée, les quatre z'autres sont relativement modestes.
La celle de l'extrémité doit faire un petit hectare en pelouse. La construction s'élève sur une légère éminence du terrain. De forme classique, plutôt sobre. Rectangulaire, perron, terrasse, portes-fenêtres, premier étage mansardé. Le portail à double battant est grand ouvert et une belle allée de ciment rosé monte doucettement jusqu'à la demeure.
— Chère petite collaboratrice, murmure-je, notre homme roulait vraiment vite ?
— Très vite, assure Patricia.
— A combien, à peu près ?
— Plus de cent, j'en suis convaincue.
Alors, pas de doute, il arrivait de la propriété du fond. S'il était sorti d'une des quatre autres entrées latérales, il n'aurait pas eu le temps de prendre une pareille vitesse sur une si faible distance. Je dirais même qu'il est parti depuis l'esplanade de la maison et a bénéficié de la déclivité de cette large allée pour mettre la gomme.
Elle est tout émoustillée, la chérie. Toute flagoreuse, épanouche, bistaillée. Une pure merveille.
— Ce que c'est excitant ! s'écrie-t-elle. Qu'allez-vous faire ?
— Téléphoner.
— A qui ?
— Aux occupants de cette masure.
— Pour leur dire quoi ?
— Je ne sais pas encore.
— Et d'où allez-vous téléphoner ?
— D'un bistrot quelconque.
— Vous savez, il n'y en a pas dans le voisinage, venez plutôt à la maison.
La corvée. Présentations à papa-maman ! Baise-pogne ! Mes hommages, madame, très honoré, monsieur. Whisky. Quel beau temps ! L'année dernière, souvenez-vous, il tombait de la merde ! Que de temps perdu, de salive asséchée.
— Oh, non, je ne voudrais pas importuner vos parents.
— Ils ne sont pas là !
Pour le coup, je fais tilt. Et j'accepte. Il est de quelle couleur, le porte-jarretelles à Patricia ? Bleu, sinon blanc. Bleu très pâle.
Sa crèche est opulente, marmoréenne, pleine de pièces comme un Jean de grand couturier. Un larbinuche fourbit, sans entrain excessif, les portes vitrées de la réception. Patricia m'entraîne au premier étage, par un large escalier qui se prend pour Chambord. Son appartement à elle se situe au fond d'un large couloir plein de meubles rares et de tableaux chiatoires façon École hollandaise sur lesquels des mecs vêtus de noir, avec de grands cols blancs, admirent des faisans morts devant de monumentales cheminées décorées de pots d'étain.
Son domaine échappe à la solennité de la demeure. C'est moderne, pimpant. Murs tapissés de peau de Suède, meubles en cuir et acier, moquette bouclée, lit circulaire, salle de bains salon, dressinge-roume où tu pourrais loger une famille de Portugais. Au mur, dans des cadres nickelés, des posters représentant des Adonis à poil et bandant mou, aux regards défaillants. Assez impudique.
Je déteste les photos d'hommes nus. Le plus beau garçon du monde, le mieux chibré, le plus harmonieux, a l'air ridicule quand il est flashé en costar d'Adam.
— Ça vous excite ? demande-je à Patricia en désignant sa galerie des pafs.
— Non, c'est pour faire chier maman.
— Vous êtes en suif avec elle ?
— Elle est la fille d'un marchand de meubles, mais comme elle a épousé un type à particule, elle se prend pour la reine d'Angleterre et je tente l'impossible pour l'en dissuader. A quatorze ans je me suis fait inscrire aux Jeunesses Communistes, à dix-sept j'ai violé le chauffeur, à dix-huit j'ai posé pour des publicitaires. Mais ce qui la contrarie le mieux, c'est que mon appartement soit moderne au milieu de ses antiquités. Notez que, personnellement, je préfère le Louis XIII au Knoll ; pourtant, tant qu'elle se lamentera sur mes goûts dégénérés, je continuerai de subir ce décor d'ensemblier.
M'est avis qu'une belle ambiance familiale règne dans cette maison.
Elle me montre une sorte de banane rouge posée à la verticale sur une pomme verte.
— Si vous voulez téléphoner.
— C'est un appareil, ce machin ?
— Le cadran est sous la pomme. L'avantage est qu'il mobilise les deux mains alors que sur un appareil traditionnel, une seule suffit pour composer un numéro. Avez-vous remarqué que, désormais, tout est ainsi ? Voyez les montres digitales par exemple, impossible de leur arracher l'heure sans appuyer sur un bouton. Des chiffres apparaissent, qu'il faut lire très vite, car ils ne s'inscrivent qu'une seconde au cadran. Et encore ne peut-on les distinguer que si l'on se trouve à l'ombre…
Elle rit. Pas sotte, cette moukère. Aussi fine que belle.
— Je dois chercher le numéro de ces gens sur l'annuaire.
— Il y en a un dans le petit meuble, sous la télé ; pendant que vous cherchez, je vous sers quelque chose ? que voulez-vous prendre ?
Je m'enhardis vilain. Plaisanterie de carabin. La grosse astuce sauvage :
— Vous, je bredouille.
Elle sourit et s'éclipse.
Le 4 de l'Impasse de la Biche est au nom de M. et Mme Hônisoa Quimal y Panse. Des étrangers, probable. Avec un blaze de ce calibre, je les vois mal originaires de l'Indre-et-Loire.
Je vais pour composer le bigophe de ces braves gens, lorsqu'une idée m'arrive sans klaxonner dans le parking à astuces.
Pas mauvaise, me semble-t-il, et même, pour peu que tu me pousses dans mes derniers retranchements, je la jugerais assez géniale sur les bords.
J'entends chantonner dans les environs.
— C'est vous, Patricia ?
— J'arrive.
Elle revient, en effet. Tu crois qu'elle coltine un plateau chargé de boissons alcoolisées ? Des clous. Elle a les mains nues.
Le reste aussi. TOUT le reste.
— Mais vous êtes réellement blonde ! je bégaie.
Corps admirable, seins fantastiques, fessier époustouflant, cuisses phénoménales, triangle de panne en or fin ciselé. Stop. Et pourtant, malgré ma béante admiration, je ressens une confuse nostalgie car j'eusse aimé bénéficier du porte-jarretelles, des bas… Je suis un progressiste, moi, Santonio ! J'aime progresser, mais doucettement, à la va-comme-je-te-brosse. Ô rage, ô désespoir, ô sole mio ! Pourquoi cette féerie vivante m'a-t-elle privé de la joie langoureuse de la dévêtir de mes propres mains ? quel démon ridicule l'a incitée à brûler les plus émouvantes étapes de notre cheminement ? Allons, réponds, je te parle ! Tu ne sais pas ? Moi non plus.
Je déplore. Certes, le lot de consolation n'est pas un lot à réclamer, certes, il va m'emmener haut et loin dans les azurs infinis, mais quand même…
Elle se tient immobile et souriante devant moi. De face. De vraiment face ! De merveilleusement face. Et de fesse aussi, pour peu que je me donne la peine de la contourner.
Son délicat nombril me fait de l'œil. J'avance une main, la retire. Non, pas tout de suite, pas déjà, pas ainsi. Compensons par l'art de l'attente divine cette frustration vestimentaire, comme l'écrirait, j'en suis absolument certain, M. Georges Druon de la Comédie française. Jugulons nos élans chamaux. Réprimons la bête, la bébête, l'abbé bête. Faisons taire un instant la grande voix orageuse de la viande en transe et en transit temporaire. Oh, certes, oui bien sûr, réprimons-nous. Immolons-nous dans la patience. La chaste est ouverte !
— Vous avez téléphoné ? demande-t-elle, espérant qu'oui et qu'ainsi donc on est peinard pour se débigomer le trombone à coulisse.
— Non, réflexion faite, ma sublime collaboratrice, c'est vous qui allez appeler.
— Chic ! que faudra-t-il dire ?
— Que vous avez eu ce matin un accident. Un chauffard… La voiture avec un chien… Il ne s'est pas arrêté… Mais vous venez de trouver un témoin qui assure que le véhicule sortait du 4 de l'impasse de la Biche… Et que…
Ma voix s'enroue, s'enraye, s'en va.
Plus moyen de parler consciemment. Je me débobine, ma pensée met les bouts.
Je crois que je vais devoir en faire autant.
Poum ! Je suis à quatre pattes. Jeannot Lapin ! Claoup, claoup, claoup ! Je lui écarte les fuseaux horaires. Ma bouche se plaque contre son méridien de Greenwich. Dans ma fureur érotique je la soulève. Telle l'otarie charriant un ballon à la pointe du museau, je promène Patricia dans la pièce à la pointe du mien, me gaffant de pas la blesser avec mes chailles. D'un coup de nuque je la bascule sur le pucemard, très bas. A moi, le bonheur. Dieu que c'est bon ! J'ai une grande bouffée : Patricia. Ma grande bouffée blonde ! Vraiment blonde et délectable. Je m'engage la tête la première.
Elle adore ! Hurle immédiatement sa joie. Se propose de plus en plus largement, que si ça continue, je vais finir par m'en faire un bonnet.
Minute de pudeur.
Ouf !
Y a eu la crouminioune psalmodiée. Le tohu-bohu géant. Et l'enfourchement cosaque par toute la troupe ! Sans autre. Mais alors le grand magistral déploiement. Chaque rubrique étant traitée à fond. Du grand art, que dis-je : du grand dard ! Elle reprend ses sens qu'elle avait déposés sur la moquette, me sourit comme si j'étais un vieil ami de la famille qu'elle n'aurait pas vu depuis longtemps. Certaines femmes sont ainsi. Les grandes baiseuses, généralement : une fois la séance achevée, elles se dédoublent, vous considèrent autrement. Vous n'êtes plus le julot qui vient de leur court-circuiter les glandes, mais un personnage sans rapport sexuel avec le panard qu'elles ont pris. Moins qu'un complice, pas même un témoin.
— Et si on le donnait, ce coup de fil ? propose-t-elle.
Comme quoi, les coups se suivent mais ne se rassemblent pas !
— O.K., mon chou.
Je compose moi-même le numéro. Ça se met à grelotter à l'autre bout. Quatre sonneries que je juge caverneuses. Et puis on décroche. Une voix de femme, basse, langoureuse, marquée d'un accent étranger que je dirais oriental.
— Allô, j'écoute ?
Je passe la banane à Patricia. La chiotterie, avec ces combinés gadgets, c'est qu'ils ne comportent pas d'écouteurs annexes.
Toujours ce beau progrès qui te détricote la vie sous prétexte de l'embellir.
Elle plonge, ma splendeur dénudée. Calmement, à voix réfléchie.
Dit bien tout, comme cela doit l'être. L'accident. Un type au volant d'une grosse Lancia bleu marine, ayant un chien gris et blanc à son côté. Il ne s'est pas arrêté. Alors elle a fait du porte-à-porte pour essayer de découvrir d'où il venait et elle a déniché un témoin qui affirme l'avoir vu sortir du 4 de l'impasse de la Biche. Pourrait-elle avoir l'identité de l'impudent personnage ?
On l'a écouté sans l'interrompre. Et maintenant on lui parle. Et Patricia fait « Hmmm, hmmm, bien, d'accord. Dans dix minutes… ».
Puis raccroche.
— Au rapport ! m'écrié-je.
— La dame en question prétend ne pas être au courant, mais elle dit qu'elle va se renseigner auprès de son mari lequel est présentement entre les mains de son masseur et qu'il faut rappeler dans dix minutes.
Là-dessus, la belle amoureuse sort en emportant le plus beau cul que le Créateur ait jamais accroché au bas du dos d'une enfant d'hommes. Je ferme les yeux. Il est un tantisoit peu moulu, le Sana. Tu parles d'une amazone, cette gosse. Elle te fourbe un matou en moins de rien. Je devrais être satisfait à son succès essoré à cette inervention au monde, rouler les mécaniques, intérieurement. Les hommes, pour leur plupart, une conquête constitue une espèce de capital. Chaque victoire semble les enrichir. Il m'arrive 'ît'^'ÔîîWSîi. <&. ^S SSî^ <^îîîkªîîgîîîfôif& La voilà. Elle a changé de toilette. Elle porte une robe de Sonia Rykiel blanche et grise avec des bottes grises. De la voir loquée, l'envie d'elle me reprend. On est franchement bizarres, nous autres, les seigneurs du braque, tu ne trouves pas ? Elle demande : — Les dix minutes sont écoulées ? — Pas encore, vous avez fait vite. — J'avais hâte de vous rejoindre. — Vous avez remis vos bas ? — A vous de le deviner. — Je parie pour… Elle hausse les épaules. — J'ai gagné ou perdu ? — Vous le saurez plus tard. — Pourquoi ces cachotteries, Patricia ? — Parce que. Elle s'assoit en prenant bien garde, la garce, de ne pas croiser trop haut ses jambes. — Vous devez me prendre pour une salope, non ? — Quelle idée ? — Je le vois à votre expression, à votre attitude. Vous me prenez pour un paillasson, n'est-ce pas ? Je vous ai vu Jfe vcrns sa escamoté lejilaisir de me conquérir. Elle éclate de'me. — ConquênÔ \ qwAYî- \çtCTKa^. Si vous saviez ; à quel point je trouve ridicule les niaiseries des garçons, leur soi-disant cour empressée. Le flirt, les madrigaux Je vous ai ^œec^sS^œ-rSi^e^e^ mal ! Merveilleusement bien, docteur, vous soignez et guérissez la bandaison avec un art par ^Z^^W^^^ tette Tp'enTqu'on n'est pas sur la même longueur roª8 n'éprouªel pour m. personne nue ªqu on ressent pZ ªn table.ª. Vos m'admirci ptetiquement. Ble^e : uî.rppebuecl^l^e>ïd^doÑ…,rc.nsªl.e l'avoir réussie et de ne pas en être satisfait. — Bonjour, madame, ici mademoiselle de la Grabotte, alors ? Elle fronce les sourcils. — Ah bon, un instant, je vais prendre de quoi noter… Puis, plaçant sa main sur l'émetteur de sa banane : — Elle reconnaît que mon télescopeur sortait de chez eux et va me donner ses coordonnées. Vite, je tire mon carnet. — J'écoute, madame ! Il me semble percevoir la voix soyeuse de sa correspondante. Elle s'efforce de parler en articulant bien chaque syllabe. — Philippe Dauphin ; 16 chemin du Roi-Soleil, à Saint-Germain-en-Laye. Que fait-il, ce garçon, dans la vie ? Architecte ? Bien, je vous remercie, madame. Elle abandonne sa banane. — Et voilà le travail. — Bravo et merci. — Le programme, maintenant ? — Très simple : je vais aller rendre visite à ce monsieur. — Avec moi ? — Mon Dieu non, pourquoi vous mobiliserais-je davantage, Patricia ? Elle a un sourire plein d'amertume et de détresse. — C'est vrai, pourquoi ? Car en somme vous avez obtenu de moi tout ce que vous souhaitiez. Je me sens rougir comme un homard qui apercevrait une langouste à poil dans un court-bouillon. — Ne parlez pas ainsi ! Tu sais, je crois pas me gourer, mais il y a des larmes au fin fond de ses prunelles. D'humiliation. Les pires ! Les plus salées ! Celles qui creusent les sillons les plus profonds. — Allons, emmenez-moi avec vous, j'ai mis des bas ! J'éclate de rire car la feinte est chouette. — Puis-je vous demander la couleur de votre porte-jarretelles, chérie ? Elle secoue la tête, butée. — Vous ne la connaîtrez que si vous m'emmenez avec vous. Que veux-tu que je fasse devant un tel cas de force majeure, de force motrice ? Je l'emmène. Hélas !