CHAPITRE D'OCCASION, MAIS EN PARFAIT ETAT. CONVIENDRAIT A PETIT ROMANCIER DEBUTANT AUX DONS CERTAINS

Le bonheur de l'humanité est un leurre.

Et le leur c'est le nôtre.

Et Lenôtre a fait de beaux jardins.

Prends-moi pour qui tu voudras. Et même — oui, même — pour ce que tu voudras, mais je compose ce ravissant poème tout en pédalant à fond la caisse en direction du Vésinet.

En banlieue, on dort tôt. A onze plombes tombées, ce sont les fenêtres des premiers étages qui brillent. Les rez-de-chaussée baignent dans l'ombre !

— Tu commences par quoi t'est-ce que ? demande Bérurier d'une voix où rôdent des sommeils.

— Patricia.

— Tu la crois mouillée dans cette béchamel ?

— Faut voir.

C'est le larbin du morninge qui vient voir à la grille si j'y suis. Comme j'y suis, effectivement, il me demande ce que je désire.

— Voir Mlle Patricia d'urgence.

— Mais, Monsieur et Madame reçoivent ! objecte l'homme à tout faire.

— Ravi de l'apprendre, donc nous tombons bien.

— Ils ne peuvent abandonner leurs invités.

— C'est mademoiselle que je souhaite rencontrer. Vous me reconnaissez, je suppose ?

— Vous êtes venu dans la journée, oui.

Bérurier qui n'aime pas les parlementations prolongées s'arrache à la bagnole.

— Y renaude, ton saint-cyrien ? questionne le Valeureux, faisant implicitement allusion aux gants blancs que porte le valet car tu sais combien les bourgeois sont d'un contact polluant, ainsi que le fait si justement remarquer l'éditorialiste de l'Humanité.

Est-ce l'hirsuterie du Gros qui impressionne notre molosse ? Toujours est-il qu'il cède à nos instances, comme Rodrigue à son devoir, et nous guide jusqu'à la demeure.

Des ronrons de conversations, des bruits de verrerie entrechoquée, des rires. La fête bat son plein. Fin de repas mondain. L'heure que les nanas se racontent leurs gynécos et les messieurs leurs clandés.

Un instant s'écoule et un grand gros gonzier folichon comme un cageot de tomates gâtées nous déboule sur le poil, l'œil mécontent, la lèvre déjà tortue par des projets de râleries.

— Eh bien, messieurs, que signifie ?

— Navré de vous importuner, monsieur de la Grabotte, nous souhaiterions parler à mademoiselle votre fille.

— Elle n'est point t'ici !

Ça m'échappe :

— Où est-elle ?

— Ah, ça, monsieur, commencez par vous nommer avant que de me poser des questions, dont l'indiscrétion frise l'impudence.

— Commissaire San-Antonio !

Ça le calme à peine, un petit peu pourtant à cause de l'effet de surprise. Il sourcille. Sa bouille éclairée par le repas fin ne me revient pas. D'ailleurs, si elle me revenait je ne saurais qu'en faire.

— Ça ne m'explique pas l'objet de votre visite nocturne, monsieur.

— Patricia a eu un léger accident, ce matin. L'homme qui l'a télescopée est impliqué dans une affaire criminelle et le témoignage de votre fille est essentiel.

— Patricia ! Vous la connaissez donc ?

— J'ai déjà eu le plaisir de lui parler.

— Entr' aut' plaisirs, jette perfidement Bérurier, lequel, oncque ne saura jamais pourquoi, croit le moment opportun pour éplucher et croquer quelques cacahuètes qui garde-mangeaient au fond de sa vague.

— Au diable si je comprends quelque chose à ce que vous me dites, gronde le père de la Grabotte, j'ignore tout de cette histoire d'accident et je…

Il se tait, comme un qui vient de prendre un coup de corne de taureau dans les bijoux de famille.

— Mon Dieu, mais alors, ce serait peut-être ça !

— Ça, quoi, Monseigneur ? s'inquiète Alexandre-Benoît en crachant un bout de coque de cacahuète sur le gilet de notre hôte.

— Ma fille est actuellement en observation à l'Hôpital Américain. Elle présentait soudain certains troubles…

— Voulez-vous dire qu'elle a perdu la mémoire, monsieur ? demande-je.

— Exactement. Comment le savez-vous ?

— Rassurez-vous, elle va la recouvrer incessamment.

Je m'incline sèchement et quitte le hall avant que le bonhomme soit revenu de ses émotions.

* * *

Impasse de la Biche.

Nous l'arpentons à pas feutrés.

Ce soir, la grande grille closant la propriété du fond est fermée. Comme elle est haute et garnie de piques, je renonce à l'escalader, préférant faire appel à mon ami sésame.

Un parc, t'as remarqué combien cela sent bon, la nuit ? Des odeurs capiteuses de mousse et de branchages…

— T'es chargé, Gros ?

— A bloc, répond mon pote en pressant sa poitrine comme pour un début de crise cardiaque.

— Je vais m'arranger pour entrer dans cette carrée. Toi, tu attends. Si tu perçois du suif ou si je tarde trop à revenir, tu déclares la guerre à ton tour.

— Banco. Tu penses qu'il peut y avoir du grabuge ?

Je m'éloigne sans répondre.

Bien sûr, il y a le perron et sa double porte pontifiante. Seulement moi, pour les visites subreptices, je préfère les entrées de service. Je suis un modeste de l'effraction, en somme.

Justement, sur la face ouest (ou sud, ou est, voire peut-être même nord, impossible de te certifier, j'ai oublié ma boussole dans le tiroir de ma cravate) de la maison, est une porte de fer, avec des vitres dépolies derrière le motif forgé qui représente des roseaux.

Cric cric-crac crac, te v'là chez toi, mon biquet. Des relents de cuisine.

De bonne cuisine, façon truc-muche à l'armoricaine. Il s'agit d'une office. Je trouve la réception sans coup férir. Tout est éteint, désert.

Un escalier garni de moquette. Premier étage. Obscur, à l'exception d'un rai de lumière au beurre noir sous une porte.

Moi, les raies, tu sais comme j'en raffole ? De l'arrêt d'autobus à la raie culière, en passant par le rai de lumière. Mon vice !

Je fonce vers la clarté. Elle s'étale sur un tapis rouge. J'entends un bruit très faible, comme de source. Me penche afin de zyeuter par ce providentiel trou de serrure sans lequel on ne pourrait garder aucune femme de chambre à son service. Ressens un choc. Suis surpris. Indigné, confusément. Bouillonnant d'une colère animale que tu partageras avec moi, je l'espère et y compte bien, quand tu sauras que je vois une dame couchée à même le sol, avec un fort coussin oriental sous la nuque et un second sous les reins, en train de se faire pourlécher le trésor par un chien blanc. La pitié prend le pas sur la rage : faut-il que cette pauvre créature (je cause de la dame) soit infiniment veuve ou célibataire, inexpugnablement refoulée pour ainsi confier au lapage d'un canin ce que les canines d'un chaud lapin apprécieraient foutrement. La belle est labiale ! Le label de la bête ! L'Abel Caïn-caha ! La belle jardinée. Faut-il qu'elle soit pleinement organique pour éprouver du bonheur à cette déshonorance animale ? Pour jouir d'une souillure aussi pauvrette. Si encore elle appelait le clébard Alfred, Gaston, Jules ou Manuel, on pourrait la croire aux prises avec de délicieuses réminiscences.

Mais non, elle l'appelle Médor, simplement, tristement Médor.

Je tourne le pommeau de la porte. Entre. Le chien cesse de déguster sa maîtresse pour me faire front. Et elle, énamourée, le supplie :

— Continue, Médor ! Continue, mon chéri !

Le Médor, chien avant tout, s'avance vers moi. Loulou de Poméranie, ce sagouin, ça ne t'étonne pas, j'espère ?

Les pires viceloques de toute la gent canine. Il me jappote contre, sans trop y croire.

La donzelle est une grande merveilleuse brune, très brune entièrement. Pas de la première jeunesse, mais loin de la dernière. De la fraîcheur, si tu vois. Maturité, comestibilité, velouté, grain de beauté bien placé, fermeté, salacité, amen ! Bref, si j'avais l'habitude de finir l'écuelle des clebs, je lui sauterais dessus à genoux joints (juillet, août, septembre) ; seulement moi, merci, très peu, il m'arrive d'avoir un comportement de caniche, certes, mais c'est toujours un rôle de composition, jamais un de décomposition. Tu le comprends ? M'approuves ?

Merci, garde la monnaie pour ta peine.

— Navré d'interrompre les prouesses de votre amant, chère madame…

Elle se redresse du buste, les bras écartés pour maintenir son équilibre ; et les jambes aussi, par manque de présence d'esprit. Le genre d'étourdie qui laisse le magasin ouvert en allant faire des courses.

Elle paraît étonnée de ma présence, un peu inquiète, mais pas vraiment terrorisée, sans doute parce que, grâce au ciel et à m'man qui m'a dûment fignolé, je ne possède pas une bouille qui guérit les hoquets récalcitrants.

Le loulou poméranien frétille de la quouette, en signe de bienvenue.

— Vous avez là un petit compagnon très affectueux.

— Médorrr est un amourrr, me roule-t-elle les « r » d'une voix langoureuse, suave, saupoudrée de loukoum et parfumé de senteurs orientales.

Pas de doute : un tympan aussi exercé que le mien identifie le timbre de la personne qui a répondu à l'appel de Patricia.

Je constate que la chambre, d'un exquis mauvais goût, capiteux, capitonné, froufroutant et tout, est tapissée de photographies de chiens. Une vraie salingue, cette grand-mère : elle baise à courre. Ameute les meutes. La bouillave, pour elle, ça démarre au son du cor : taïaut, taïaut… Beaucoup de races sont représentées : basset haount, fox-terrier, dalmachien, saint-bernard, épagneul breton, etc.

— La galerie de vos séducteurs, je suppose, chère madame ?

— J'adorrrre les chiens, avoue-t-elle.

Elle ajoute, en appuyant fort avec l'œil :

— Les hommes aussi, d'ailleurrirs.

Comblé de l'apprendre. Donc, un garçon en parfait état de fonctionnement a également sa chance avec elle ?

— Et lequel de ces casanovas à quatre pattes a-t-il eu vos préférences ?

Elle me montre spontanément un poster géant qui occupe un panneau complet de la chambre et déclare :

— Flick !

Rien d'étonnant : c'est un braque !

— Il était étourrrrdissant, s'enthousiasme la dame nue et lui, il me faisait vrrrraiment l'amour.

— Compliment, un sacré bonhomme. Vous avez des enfants ?

— Non.

— Dommage, j'eusse aimé les connaître…

— Vous êtes un cambrioleurrr ? demande-t-elle, sans la plus légère nuance d'angoisse.

— Pas le moins du monde, chère madame, en ai-je l'apparence ?

Elle sourit, fait la moue :

— Existe-t-il encorne des apparrrences, de nos jourrrs, et peut-on s'y fier ? qui êtes-vous ?

— Mon nom est San-Antonio, et je suis policier.

Elle referme instinctivement les jambes, transformant sa belle moule angora en triangle de panne.

— Je sais que cerrrtains policiers se perrrmettent bien des choses, mais j'ignorrrrais qu'ils pénétrrrraient de nuit chez les gens, parrr effrrraction.

Elle se relève. Elle a tort car la nouvelle position adoptée permet à ses fesses de tomber, et elles tombent dru, comme des poires mûres par vent d'orage. Décidément, elle bascule dans la vioquerie, la chérie. Avec un je-ne-sais-quoi d'encore très comestible, voire de tentant. Elle doit, en dehors de son chenil, connaître des trucs pas mal pour les longues soirées à la campagne. C'est la damoche idéale quand tu déboules seulâbre, par une fin d'après-midi d'automne, dans une hostellerie de province dont elle est la patronne. Tu lui offres un glass lorsque la serveuse est allée se torchonner et tu lui places les premières atteintes derrière le rade en l'affirmant qu'elle est follement désirable.

La voici qui cramponne une vague robe de chambre très vague et floue comme la notion de Dieu dans la cervelle d'un premier communiant, la passe négligemment, en prenant soin de laisser le devant largement écarté.

Elle s'assoit sur le lit, me désigne un pouf tendu de soie broutée, tout proche du plumard, et murmure :

— Je vous écoute, car je suppose que si vous êtes ici sans intention de dérrrober quoi que ce soit, c'est pour me dirrre quelque chose ?

— Erreur, douée madame, c'est vous qui allez me dire quelque chose.

— Grand Dieu, qu'aurrrais-je à dirrre à un policier ?

Son cador blanc, privé, revient à la charge et lui file son bouchon de radiateur dans l'entrejambe.

Madame lui flatte le couvercle mais refuse la caresse :

— Laisse, Médonrrr-grrrrand fou, plus tarrrrd !

Déçu, l'animal se rabat alors sur ma braguette.

— Ah, non ! exclame-je, secteur réservé aux dames, mon loulou. J'aime bien les truffes, mais pas dans mon slip.

Comprenant que mon calbute est un lieu où la main de l'homme (la mienne exceptée) n'a jamais mis les pieds, le clébard va piquer un roupillon sur la descente d'Ulysse : qui dort bouffe !

— Vous connaissez, je crois, un certain Philippe Dauphin, chère madame ?

Elle pouffe.

— C'est la deuxième fois qu'on me parrrie de ce garrrçon aujourrrrrd'hui.

C'est un jeune arrrrchitecte qui trrrrravaille pourrrr mon marrrri.

Comme tu le remarqueras en me lisant, elle ajoute davantage de « r » à certains mots parce que tu penses bien que je vais pas m'amuser à les compter en le retranscrivant. Déjà beau que je me donne cette peine.

— Vous le fréquentez beaucoup ?

— Moi ? Pas du tout. Je l'ai vu quelques fois ici, il amenait des plans et en discutait avec mon époux.

Elle s'abstient de rouler les « r » dans la phrase ci-dessus, étant donné que celle-ci n'en comporte pas. Faute de « r », elle roule un peu les « 1 », mais je ne vais pas t'entrer dans les menus détails, sinon, à quelle heure tu sortiras de ce polar ?

— Quels travaux exécute-t-il ?

— Je n'en sais fichtrrre rien.

— Dans quelle brrrranche travaille votre mari ?

Là, c'est moi qu'ai roulé les « r » par contagion, car rien ne se contracte plus rapidement qu'un accent, à part la vérole et le rhume de cerveau.

— Les Laborrrratoires Punta…

Je réagis bien. C'est-à-dire que je parviens à ne marquer aucune réaction. Laboratoire ! Mot magique. V'là la connection avec feu le professeur Klapusky.

— Vous êtes espagnole ?

— Mon époux l'est, moi je suis égyptienne de naissance.

Bon : laboratoire et espanche. Le chauffeur du professeur était espago. Je te répète que ça enchaîne, mec. Je sais quand la carburation s'opère harmonieusement. Y a pas de coup à férir. Le moulinet dévide son fil sans heurt. C'est de la bonne marchandise.

Je pressens des choses qui tourniquent dans mes profondeurs mentales. Une tortillance de vers en paquet dans une boîte à idée percée de petits trous.

Un grouillement d'idées inabouties, de pressentiments vagues, de fulgurances pas suffisantes pour éclairer la scène. Tout ça clignote. Mais j'arrive pas à coordonner en plein. C'est comme si t'essayais de lire la bible à la lumière d'un phare tournant d'ambulance. Des bribes, des brimborions. Rien, quoi ou presque…

— Il y fait quoi, votre bonhomme dans son laboratoire, merveilleuse descendante de Néfertiti ?

Elle roucoule en trémoussant le fion.

— Oh, comme vous êtes excitant, beau policier. Mon marrri ? Il fait des rrrecherches…

— Et il trouve ?

— Il trrrouve, il exploite, tout ça, ce sont ses prrroblemes, moi je ne m'occupe de rrrrien.

— Où est-il en ce moment ?

— Un dîner d'affairrrre.

— Il va rentrer ?

— Naturrrrellement. Pas encorrrre. Si vous étiez dans la même humeurrre que moi, nous aurions le temps de fairrrre des choses terrribles. Je vois à votre nrrregarrrrd que vous aimez les choses terrribles en amourrr, vrrai ou faux ?

— Gagné !

— Alors, j'ai drrrroit à un gage ?

Avant que j'eusse eu le temps d'interposer, elle m'est tombée à genoux devant le pouf et, suivant l'exemple de son molosse d'alcôve, me file le pif contre le paf. Pouf !

Je me recule. Trop promptement. Un pied du pouf se prend dans le tapis et je tombe maladroitement à la renverse. La dame d'Egypte (tu parles d'une plaie !) me saute dessus à cheval, tête-bêche. Je découvre un panorama en friche. Pas tentant pour une livre égyptienne. Elle a le Nil marécageux, Mémère. Le delta du Pô, on dirait plutôt. Et puis la chair de ses cuissots trembille comme une voile quand tu vires de bord. Et y a aussi son prosibe en forme de sacs pas remplis, t'imagines ? Bref, je regrette de ne pas être resté devant mon Dubonnet. Vorace comme tu la sais, elle m'inspecte la housse à flûte, la mère Moulapine. Ce coup de main pour te décapsuler un futal ! Vzzzzloup ! Servez chauve ! Le goumi farceur ! Elle me virgule son éteignoir sur le cierge magique, pas qu'il dégage trop de fumée. Son arrière-train de marchandise vient, à la reculette, solliciter ma bouche de ma haute bienveillance. Je ne la lui accorde pas. Cette personne me colle de l'émoi dans la partie sud, et de l'effroi dans la partie nord, comment expliques-tu ça, tézigue-pâte ? Je fais de louables efforts pour dégager mon buste. Lui refoule inexorablement le popotrain à deux mains. Le côté : « non madame, pas ce soir, ma maman m'attend ». Mais elle est obstinée comme toutes les vieilles femelles en rut. Elle veut, et par conséquent, elle insiste. « Toto, mange ta soupe ! » Merde, ça va pas aller de la sorte toute la vie, non ? Alors faudra toujours subir ? Du premier biberon à l'extrême-onction ? Se soumettre par peur ou lassitude ? Bouffer de force des panades, de l'huile de foie de morue, des leçons de grammaire, des culs, des cons, des couleuvres, des pages d'histoire, de la soupe à la grimace ? Oh, mais c'est que je veux plus, moi ! Je garde la fin de mon appétit pour bouffer, la terre qui blanchira mes os. Marre, à la fin, d'être sans cesse partant, éternel volontaire enrôlé de force dans le régiment des soumis. J'ai des droits à être moi-même, non ? Je les ferai valoir, juré, décidé, obligé. Avant qu'il claque aux vents des épopées, les étendards de la révolte commencent par germer à l'ombre des cœurs meurtris.

Une naissance, c'est tout petit, et ça passe inaperçu. Seulement elle se transforme en présence, la naissance. Alors je réponds présent, moi, Santonio. C'est mon heure, mon bonheur, ma bonne heure, j'ai l'heur de vous le dire à tous, toi, les autres, monstres empaffés qui allez dans la carrière aux aînés en file indienne achever de vous faire mettre, enquiller profond dans l'oigne le chibre féroce de la tradition de misère, allez, boum ! je te fous un point à la ligne, que tu puisses respirer.

La vioque, plus je la pousse, plus elle m'agresse des miches. Veut coûte que coûte me l'emplâtrer sa figasse à crinière, sale morue ! J'arc-boute à l'extrême. Mais c'est lourd une vieille garce apesantie sur ton poitrail. Et c'est neutralisant, la manière péremptoire qu'elle t'investit Dudule, l'arrache à sa tanière pour lui faire exécuter un gentil numéro de cirque, tout droit sur ses pattes de derrière.

Je me mets à gueuler ferme après la dabuche. L'ordonne de filer de moi d'urgence. Que j'étouffe et qu'elle va s'étouffer aussi avec mon pilon à clitos en pleine turgescence. Seulement, ces bougresses flasques, les insultes les survoltent, pis qu'une vieille tantouze traitée de tantouze par un camionneur dont le tee-shirt chlingue la ménagerie en grève.

Ça lui flanque des roucoulances, mes « vieille salope, espèce de truie, fumière, charogne vivante, putain faisandée » et autres trucs de ce genre qui me partent de l'esprit inventif sans que j'aie à les chercher.

Tout à coup, je me mets la bramante en sourdine ; le niveau sonore à zéro.

Tu sais quoi ? Un petit machinchose de rien du tout que je viens d'apercevoir au plafond. Un trou ! Moins grand que celui que la mère Hônisoa Quimal y Panse me présente d'autorité. Un trou comme pour fixer la suspension, et puis on n'a pas fixé de suspension et pas rebouché le trou, tu mords ? Et mon extraordinaire instinct m'avertit que quelqu'un regarde par ce trou. Je le sens habité, voilà la vérité. Il constitue une sorte de présence ; le prolongement d'une présence, comme c'est le cas d'un périscope. Et vite, ayant réalisé, je détourne mon regard. Je reviens à mes moutons. A mon chaton, le gros minou de la mère Bouffemi qu'elle voudrait m'en laisser les restes après Médor, l'horreur. Que pourquoi je finirais pas l'écuelle à son glouton, du temps qu'elle y est ? Canigou, je préférerais, parole ! D'ailleurs je connais des restaurateurs qui ont assis leurs réputations dessus, en le servant à leurs clilles nappé de crème fraîche et de champignons de Pantruche ; dans un plat d'argent, tout passe.

L'Egyptienne m'entonne le Chant des Pyramides. Faut que j'agisse vite. Une idée… Au lieu de tenter en vain de la refouler, je la laisse me bloquer sa poilerie sur le pif. Je coule ma main droite sous ses blagues à fesses, jusqu'à la poche de mon veston. Mon briquet. C'est pas galant, je conviens.

Tu vois, je fais noisette honorable, ne cherche pas à biaiser en levrette. Est-ce qu'on leur cause de Jeanne d'Arc en Egypte, tu crois ? Sûrement. Simplement, ils l'appellent Nasser au lieu de Jeanne. Du pouce j'actionne le cambuteur. Ça gaze ! Et ça enflamme ! Je sens la chaleur dans ma main. Je rapproche un peu de son baquet. Elle se rend pas compte tout de suite de l'imminence, ayant par nature le feu au cul. Mais lorsque la flamme lui mord le prose, elle s'écrie :

— Chérrrrri, mais qu'est-ce que vous me faites de si bon !

— Ça, je réponds en déplaçant mon briquet.

Via que son vieux grognard se met à cramer. Un faux mouvement de ma part, je le jure sur l'honneur. Ça fouette la barbe en flammes dans la pièce. Le brûlis agricole. La vieille bondit en hurlant vers sa salle de bains où elle est assurée de trouver une borne d'incendie. Changement de pompier, pour lors.

En ce qui me concerne la part, moi je trace hors de la chambre. J'ai repéré un deuxième escalier au fond du couloir. Il mène au second étage, tu l'auras deviné avec cette sagacité que t'as fini par contracter à ma lecture. Je grimpe quatre à quatre en me renfouillant Coquette qui me bat la breloque.

J'avise une rangée de portes. Heureusement que j'ai le sens de l'orientation. Quel topographe j'eusse fait si je m'étais mis topographe ! Faut dire qu'entre les deux niveaux, t'as pas de mal à retapisser la carrée située au-dessus de celle que je viens de quitter. J'y cours, en tourne le loquet. Fermaga. Toc-toc.

— Qui est là ? demande une voix masculine.

— Ouvrez !

— Mais…

— Police !

On ouvre. Je me trouve devant un type en pyjama, maigre, un peu voûté, il a de longs cheveux noirs qui lui pendent de chaque côté du visage, un nez tout biscornu, l'œil flétri, la bouche en guidon de course.

— Qui êtes-vous ? lui demande-je.

Gaïtano, le valet de chambre. C'est votre piaule, ici ? Ben, oui, je donnais…

Je considère le plancher recouvert d'une carpette à bon marché. M'accroupis et l'arrache. Le trou est là, bien net dans le méchant parquet.

— C'est pour remplacer la télé ? demande-je au valeton.

Il se trouble et bredouille.

— Mais, ça y était…

— Vous regardez tous les jours votre patronne assouvir ses passions ?

Il hausse les épaules, détourne son regard de navrance. Tu remarqueras, sur les publicités des montres, les modèles représentés indiquent toujours 10 h 10, parce que c'est la position la plus optimiste des aiguilles, et puis ça compose le « V » de victoire. Jamais tu les verras marquer 8 h 20. La bouille à Gaïtano marque continuellement 8 h 20, et même 7 h 25 quand il est contrit comme en ce moment.

Je lui souris.

— Une vraie salope, hein, la vieille ? Je parie qu'elle vous viole aussi à l'occasion ?

Il se racle la gorge.

— Qu'est-ce que vous me voulez ?

— Il y a longtemps que vous travaillez dans cette maison ?

— Oui…

Je voudrais poursuivre, mais une détonation claque dans le parc. Un coup de feu. Il résonne dans le silence nocturne, longuement. Je bondis, pensant à mon Béru de faction sous les frondaisons.

— Attendez, monsieur, attendez, il faut prendre garde ! s'écrie le domestique.

Tout en parlant, il ouvre une armoire de bois blanc.

^K^^^^^

clou- Eh bon, dites donc, vous êtes paré pour attendre les "T^efas.murmure temateur en me braquant.

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