J'ai dit hélas et ne m'en dédis point.
Parce qu'alors tu vas voir. Dieu de Dieu ! Si un jour je tombe en arythmie définitive, tu comprendras pourquoi. La tête sous l'oreillette, à force d'à force de trop tirer sur Lacordaire ! La chandelle par les Dubout ! Pauvre Sana, toujours lancé à cent quatre-vingts à l'heure dans les pires aventures malgré la speed limit. Le jour qu'on lui aura remonté la fermeture Eclair de son suaire, cézig, tu pourras faire cuire des œufs au bacon sur sa tronche, le temps qu'elle refroidisse, tant tellement il l'aura chauffée à blanc au cours de sa cavalcade.
— Qu'allez-vous lui dire ? demande ma compagne.
— Je n'ai que l'embarras du choix, ma belle amie.
Le chemin du Roi-Soleil se trouve en limite de cette forêt de St-Germain, célèbre par son pendu et sa fête des Loges. Quelques voitures occupées par des couples stationnent dans le chemin ombreux. La plupart du temps, on n'aperçoit que le buste du conducteur et la chevelure de sa compagne exécutant un numéro de yoyo. Les maisons y sont rares. Aussi faut-il parcourir une assez longue distance avant de parvenir au 16. La propriété s'entoure d'un mur assez haut, couronné de tessons de bouteilles, à l'ancienne mode (mon tesson, nos voleurs !). Un portail rouillé est grand ouvert. La demeure est une construction de meulière, assez banale, avec des ornements de faïence autour des fenêtres. J'avise trois voitures devant la façade : la Lancia bleu foncé à l'aile cabossée, une 504 fatiguée et une Volvo break. Nulle plaque de cuivre. Pas le moindre bruit.
Je range ma tire dans l'alignement des autres et ouvre la portière de ma compagne.
— Si vous voulez bien m'accompagner, belle princesse.
Elle descend en tenant le bas de sa robe plaquée contre ses cuisses, la jolie gueuse.
D'une perfidie, ces gonzesses ! C'est pas encore tout de suite que je la saurai la couleur de son porte-jarretelles. Pourquoi les nanas se montrent-elles si sadiques avec nous autres ? Pour nous aguicher le mental, tu crois ?
Mon index enfonce un bitougnot de sonnette électrique si poussiéreux que je doute de son efficacité. Tu sais, le genre de bouton noir qui est devenu grisâtre et comme poreux. Aucun son ne se produit et personne ne vient.
Alors je tourne le pommeau de cuivre piqué de vert-de-gris. Ça fouette le renfermé, dans cette casemate. Le salpêtre pas dérangé, la pierre humide, le plâtre endetté. Effectivement, la maison n'est pas reluisante. Si elle ne comportait pas quelques meubles sans intérêt, elle ferait masure abandonnée. Une petite réception aux carreaux disjoints. Une banquette au cuir crevé et une méchante glace à trumeau qui a très mauvais tain la parent de leurs atours.
— Quelqu'un ? je demande civilement, toujours très poli, toujours comme il faut, tu penses, élevé par ma Félicie, avec des principes de bon aloi, catéchisme, communion privée, costume du dimanche, grande toilette deux fois par semaine, lectures surveillées et tout et tout.
Silence !
Non, pas silence. Faut s'entendre sur la langue française, merde, qu'à force de tirer sur les mots par paresse d'en inventer d'autres, on finit par les disloquer, les malheureux. Personne ne me répond, voilà ce que j'entends par silence, sinon, on perçoit du bruit. Un bruit fait par plusieurs animaux qui grognent et rognent et chienlitent de concert (faute de conserves).
Je me dirige vers une porte à deux battants disjoints, moulures rapportées mais ça tu t'en branles, et l'ouvre.
Le spectacle est, deux points : inattendu, stupéfiant, confusionnant, choquant, intéressant, plus tout ce tu voudras et que tu pourras rajouter au crayon dans la marge après que t'auras appris ce dont il s'agit.
Figure-toi une pièce parquetée, qui fut un salon, probablement (d'ailleurs un joli lustre-rouet subsiste au plaftard) et dont les volets sont fermés.
Mais le jour entre abondamment par leurs fentes supérieures, éclairant la scène. Ici, pas de meubles : uniquement des matelas jetés au sol, une demi-douzaine, placés l'un à côté des autres de manière à composer un îlot capitonné. Et sur ce terre-plein moelleux (grâce à la maison Simmons), partouzent cinq personnes en tenue d'Eve ou d'Adam selon la physionomie de leur hémisphère austral.
Je te dis cinq, mais la chose n'apparaît pas au premier coup d'œil, étant donné la manière dont ils sont entrelacés, ces chérubins. De même, pour déterminer les hommes et les femmes, il faut chausser ses besicles et bien avoir en mémoire les planches d'anatomie potassées au cours de ses études.
Si tous les gens du monde voulaient bien se becter le scroumoulard, à l'instar de ces cinq valeureuses personnes, tu parles d'une chaîne d'amitié que ça donnerait, mon frère ! Tête-bêche, béchamel, méli-mélo et poils partout ! Vive la mariée ! Trois gonzesses, deux julots. C'étaient ces messieurs-dames qui grognaient comme des ours bruns qu'arriveraient pas à dévisser le couvercle du pot de miel. Et qui poussent des soupirs nasaux étouffés par des pilosités foisonnantes. Et qui aspirent, refoulent, défoulent, s'agitent, claquent, pressent, caressent, fessent, détergent, pompent, grondent, tomadent des pieds, de la bouche et du cul, en grande superbe frénésie. Valeureux occupants de la brave vieille planète harassée.
Gardiens des traditions françaises. Sur l'instant, on voudrait apporter sa contribution, intervenir, aider, pousser, prêter main-forte, bite forte, s'employer, s'abandonner à l'altruisme intégral. En premier de cordée, t'as tu sais qui ? Le fils Michu-Blumenstein, à qui une grosse rouquine aux nichons rampants détartre vigoureusement la tubulure. Une autre demoiselle dont je peux pas distinguer le visage puisqu'elle s'est fait un loup avec le sexe de la rouquemoute, fougnasse le moulapaf de celle-ci. Elle est elle-même dégustée par un abonné au gaz qui me reste invisible pour la raison invoquée par sa partenaire. La cinquième personne est la seule à se singulariser puisqu'elle s'est placée à califourchon sur la partie inférieure du gars, jouant les voltigeuses équestres avec un brio d'écuyère à café. Elle fait du trot assis à l'anglaise, ce qui lui brimbale la laiterie et nous regarde survenir avec l'amabilité d'une commerçante bien disposée envers sa clientèle, ce qui est de plus en plus rare à l'époque de maintenant.
— Dépêchez-vous ! nous presse-t-elle, soucieuse d'en terminer au plus vite avec sa position de fourgon de queue fourgonnant.
Et elle nous appelle aussi de la main, cette douce camarade.
J'entends un cri, en provenance de derrière moi. Me voilà bousculé.
C'est la belle Patricia qui ne peut résister à l'appel de cette sirène. Les sens en feu, comme on dit dans les foyers catholiques, elle se précipite sur le matelas et se trousse devant la cavalière. Jambes écartées, ce qui ne facilite pas la descente aux enfers de son slip.
L'autre califourcheuse plonge sous la robe plissée de ma camarade, comme un photographe d'autrefois sous le chiftir noir de son appareil à pieds. C'est Patricia qui va prendre le sien, de la manière que ça décarre. Tout ce monde, ça ressemble à une grosse chenille ondulatoire. Au petit train fantôme. Ça s'évertue en cadence. Chacun chope son plaisir où il le trouve, en procurant celui de son prochain. Dans un sens, c'est beau. L'oignon fait la force. Maintenant, Patricia a décarré. Elle drive la tronche de la centauresse à travers l'étoffé de sa robe, bien l'axer sur son compucteur.
Et moi, dans l'affaire ?
Eh ben, moi rien. Je ne me sens pas une âme de participant. Le boulot me reprend, mon fieu. Oui, même au plus fort de la partouzette, j'ai le souci de ma mission !
Je contemple le fils Michu. Se peut-il que ce soit vraiment là le pensionnaire disparu de Franck Rèche ?
J'ai hâte de lui parler.
Et cela va être possible car sa biberonneuse vient de lui dégager les cumulus. Il se redresse, légèrement envapé par le dégagement de fumée de son conclave intime.
Titube.
S'approche, avec aux lèvres ce sourire évasif, mi-gêné mi-content du gus qu'on vient à l'instant d'éponger.
— Vous ne participez pas ? me demande-t-il.
Il se baisse, ramasse une boutanche de whisky coiffée d'un verre posé à la renverse sur le goulot. Une rasade tsoin-tsoin. Me tend le verre.
— A la vôtre !
Lui-même, sans attendre que j'écluse, porte la bouteille à sa bouche et se met à tétiner.
Bonne idée, ce coup de picole. Ça délie la langue. Favorise les bonnes relations. Je me flanque un cul sec façon Russe blanc en exil. Blaouf !
Et puis voilà.
Voilà, voilà, voilà, voilà.
Voilà, voilà.
Voilaaaaaaaaaaaaaaaa.