On porte à ma frappe. Je les yeux l'ouvre. Soutête ma lève de l'oreiller.
Qu'est-ce que je raconte ? Mande pardon, la coterie, mais j'ai du mal à me réveiller. Où suis-je ? Ah ! moui : chez les dinguches. Fait-il soleil ?
Regard vers la fenêtre : il le fait ! Chouettos ! Toujours ça de pris en passant. Se chauffer les osselets, c'est la préoccupation majeure des bipèdes penchants que nous sommes.
— Entrez !
On peut pas : j'ai bouclavé. Je me lève, en pyjama de soie à la russe, boutonnage sur l'épaule. Ouvre ! C'est une gonzesse sans signifiance. Mal coiffée, mal foutue, des boutons rosés, couronnés de blanc, plein la gueule, avec, entre, pour parachever, des multichiées de points noirs. Si t'embrasses ce machin, dans un moment d'inattention, recta tu vas au refil.
— Qu'est-ce qu'il y a pour votre service, ma ravissante ?
Elle considère les poils de ma poitrine, comme si elle était vache et que ce soit du foin dans un râtelier. Puis son regard me descend au niveau de mon triboulet à performances conjuguées. Elle l'évalue à travers l'étoffé de mon pyje et un sourire rêveur met de la grâce sur sa tarte aux myrtilles.
— On vous demande au téléphone.
J'enfile prestement ma robe de chambre (de préférence à la jeune messagère dont le berlingot m'a l'air solidement arrimé, à moins qu'un manœuvre portugais ivre mort la croise, par une nuit sans lune, dans une ruelle déserte) et je la suis au bout du couloir, jusqu'à une pièce marquée Bureau des infirmières.
Dans ce local fonctionnel, une personne blonde classe des fiches dans une boîte apte à héberger un godemiché pour sœur supérieure. Un combiné téléphonique trop mûr gît sur le bureau, comme un fruit au pied de son arbre. Je m'en saisis et assure la personne en ligne que je suis en mesure de l'écouter pour peu qu'elle veuille bien me parler.
La voix qui se précipite dans mon conduit auditif, en dérapage contrôlé, filerait la colique à une meute de bas-rouges en train de faire un brin de conduite à une chienne en chaleur. Elle est comme le tonnerre dans la montagne. Rocailleuse, puissante, ample, avec des chutes de pierres après chaque mot.
— C'est vous le dénommé San-Antonio, ex-commissaire ?
— C'est extrêmement moi, en effet, chère madame.
Le mugissant hurle :
— Ici ce n'est pas une dame mais l'adjudant Pautouflet de la gendarmerie nationale.
— Veuillez excuser ma confusion, brigadier, elle est la conséquence de votre voix efféminée. De quoi s'agit-il ?
— Efféminée ! tonitrue l'auroch enrhumé, que tu croirais entendre jouer du cor des Alpes dans les prairies oberlandes. Efféminé, moi !
— Vous, je ne puis le prétendre, n'ayant pas le bonheur de vous connaître, mais votre voix veloutée n'est pas sans évoquer les accents d'une jeune fille timide récitant du Verlaine au bord d'une source.
Un silence d'homme terrassé.
Puis la voix reprend :
— En somme, vous vous foutez de ma gueule ?
— Voyons, monsieur le sous-brigadier, pourquoi moquerais-je un homme appartenant à un corps d'élite ?
Décidément, je me suis réveillé déconneur, ce morninge. Guilleret, quoi.
L'autre respire fort, et par le nez, comme tous les hommes qui sentent des aisselles.
— Je suis adjudant, déclare-t-il d'un ton fatigué.
— N'en concevez aucune amertume, brigadier, ce sont des choses qui arrivent. En quoi puis-je vous être inutile ?
Il aboie, féroce :
— César Pinaud, vous connaissez ?
Du coup je n'ai plus envie de plaisanter. Mon fondement se fripe et mon cœur rétrograde en seconde sans passer par la troisième.
— Plus que parfaitement ; c'est l'un de mes collaborateurs parmi les plus précieux. En quoi vous concerne-t-il ?
— Il me concerne en ce qu'il a eu cette nuit un accident au volant d'une voiture volée, répond le fracassant adjudant.
La tuile.
— Grave ? articule-je avec peine.
— Pour l'automobile et la maison d'un cantonnier, ça oui. Quant à lui, il est pas mal contusionné. Et je ne parle pas de la personne qui l'accompagnait, vu qu'elle est morte !
Du coup, l'univers me chavire. J'essaie de récupérer un peu d'oxygène de quoi dire deux trois mots.
— J'arrive, où êtes-vous ?
— Où voulez-vous que soit un adjudant de gendarmerie, sinon à la gendarmerie !
Cette fois, c'est lui qui prend l'avantage. M'ayant cueilli à froid, il en profite.
— Et vous aurez remarqué, continue-t-il, que les gendarmeries sont signalées généreusement par des panneaux aux lettres blanches sur fond bleu. La mienne se trouve à la sortie de Savorgnaz en allant sur la Suisse, à droite.
Il raccroche.
La blonde classeuse me contemple en caressant les flancs de sa boîte comme s'il s'agissait d'un sexe de déménageur.
— Des ennuis ? me demande-t-elle d'un ton prêt à me les faire oublier.
— Pas exactement, mais ça y ressemble.
Je dépose le combiné sur sa fourche.
Bérurier en écrase, le prose à l'air, la tronche sous son oreiller. Ses ronflements partent de là-dessous comme les appels d'une équipe de spéléologues bloqués par les eaux d'infiltration. A son côté, Charlotte, la cheftaine, nue également. Elle a des loloches impressionnants comme des potirons. Elle tient en dormant le sexe béruréen dans sa dextre, comme si, du fond de l'inconscience, elle redoutait que le Gros se fasse la malle avant de lui avoir casqué sa dernière échéance d'extase.
— Debout, là-dedans ! hurlé-je.
Les deux fauves s'agitent, grognent, pataudent dans des langueurs épaisses.
La daronne ouvre un châsse. Bérurier agite l'oreiller avec ses oreilles (un oreiller, c'est normal, non ?). En moins de cinq minutes, ce couple d'une nuit s'arrache aux louches enchantements terrasseurs de l'après-amour.
Charlotte se fourgonne la toison en bâillant. Le majestueux se lève sans y croire. Il a le regard en bandoulière et titube jusqu'au lavabo dissimulé par un paravent. Il bute dans icelui et le paravent choit. Sa Majesté s'en fout et lice-broque dans le lavabo. Le jet dru, éclabousseur, paraît intarissable. L'émission est scandée par des pets d'une régularité hallucinante que mon compagnon libère à intervalles de quatre secondes (ces détails à l'intention des fins esprits qui me dénigrent en me prétendant scatologue, alors que je suis tout bêtement béruriste).
Le gros se retourne, balançant son goupillon à grandes volées, comme un employé des wagons-restaurants appelant pour le premier service, afin d'en exprimer les ultimes gouttes.
— Qu'heur'til ? demande-t-il.
Je m'aperçois que la question ne m'est point encore venue. C'est Charlotte qui fournit la réponse, car, en femme pudique qui n'aime pas se dévêtir entièrement, elle a conservé sa montre à son poignet.
— Sept-heures moins dix, annonce la commère. Il va falloir qu'on se dépêche, gros loup, car je prends mon service à la demie. Je vous propose, puisque nous sommes pressés, de faire tout simplement le « taureau en folie »…
J'apporte la déception dans ce sanctuaire de l'amour fou.
— Mes amis, les ébats seront pour plus tard. Alexandre-Benoît et moi-même devons partir immédiatement. Rendez-vous dans cinq minutes, Gros.
— Du grabuge ? s'inquiète l'Informe qui sait interpréter les ombres de mon visage, comme d'autres les taches d'encre.
— De premier choix.
Sans en dire davantage, je retourne dans ma chambre pour m'y raser rapidement et me vêtir. Mais les sons qui m'arrivent de la piaule voisine, m'indiquent que l'ogresse a eu gain de cause et que Sa Majesté cède au coup qui est dû.
Eh ben, je vais t'en annoncer une bien bonne : l'adjudant Pautouflet ne ressemble pas du tout à sa voix. C'est un grand gaillard sympathique, à tête de baroudeur, au regard loyal et à la moustache ambitieuse.
Il me regarde entrer d'un air à la fois prudent et intéressé. Ma physionomie doit lui plaire car il oublie mes turpitudes téléphoniques pour me tendre un grande paluche solide.
— On m'avait dit que vous étiez un plaisantin, heureusement, déclare-t-il.
Et il rit.
Sa voix bourrasqueuse constitue une sorte d'infirmité. Quand il fait la cour à sa bergère, celle-ci doit se farcir les baffles aux boules quiès pour supporter la décharge de décibels. P't'être que ça lui provient de sa cage thoracique, à moins que ce ne soit son larynx, non ? Qu'est-ce que t'en penses, l'artiste ? Tu dis que tu t'en fous ? Et moi donc, alors ! Je te causais de ça par excès de franchise, mais si tu savais l'a quel point je m'en tamponne !
— Puis-je connaître les circonstances de… heu… cet accident, mon adjudant ?
— Tiens, remarque Pautouflet, vous ne me rétrogradez plus ?
Il rit comme quand les trompettes sonnaient la charge à Waterloo.
— Au cours de la nuit, nous avons été appelés à propos d'un accident de la circulation. Une voiture avait raté un virage et percuté une maison de cantonnier. L'un des occupants était mort sur le coup, l'autre blessé. Nous sommes arrivés sur les lieux. Effectivement, la femme ne respirait plus, quant au conducteur, il souffrait d'un traumatisme crânien.
— La femme ! m'exclamé-je.
— Oui, la femme, une dénommée…
Il lorgne un feuillet posé sur son burlingue.
— … Catherine Mancini, profession, infirmière…
On s'entre-examine, Béru et moi. Y a des contes de Noël plus glandus que cette histoire, je sais bien, mais ils sont en minorité.
— C'est la gonzesse de la clinique, dit le Mastoche.
— Quelle… gonzesse ? feule l'adjudant. Mais on ne lui répond pas.
— Où se trouve Pinaud ?
— Aux urgences, à l'hôpital d'Annemasse.
— Dans quel état ?
— Sonné, mais ses jours ne sont pas en danger, d'ailleurs il peut parler ; c'est lui qui nous a décliné son identité car il ne possédait pas de papiers sur lui.
Pinuche sans papiers, voilà qui est bizarre. Un précautionneux, Pépère. Poussant la prudence jusqu'à clore la poche où il range son larfeuille à l'aide d'une épingle de sûreté (un flic, tu penses !).
— Au début, il avait perdu connaissance. Nous nous sommes basés sur le numéro minéralogique de l'automobile pour établir son identité, c'est ce qui nous a permis de découvrir qu'il s'agissait d'une voiture volée. Le propriétaire est un électricien de Thonon-les-Bains qui fait actuellement des travaux à la clinique du docteur Rèche. Hier, il a laissé son cabriolet Fiât au parking de la clinique car il est rentré chez lui avec la fourgonnette de son entreprise, ayant du matériel à transporter. Il a déposé plainte pour vol, bien entendu. Son véhicule est foutu.
— Y a-t-il eu des témoins de l'accident ?
— Non.
— Qui vous a alerté ?
— Un routier qui passait par là peu de temps après qu'il se soit produit.
— Il faut absolument que je voie Pinaud.
Là, l'adjudant se ferme.
— Je crains que ça ne soit pas possible, cher monsieur. Il se trouve en état d'arrestation et il est gardé à vue par un de mes hommes en attendant son incarcération.
— Écoutez, Pautouflet, nous travaillons pour la même maison, pratiquement.
— Ce n'est pas mon avis. Car vous avez quitté la police, n'est-ce pas ?
Le moyen de lui dire que la Paris Détective Agency n'est qu'une façade ?
Une branche occulte de la maison mère ? N'ai-je pas fait solennellement au Vieux le serment ne jamais révéler la collusion entre nos deux crémeries ?
— En égard à mon passé dans les rangs de…
— N'insistez pas. Ce Pinaud a dérobé une voiture et il a tué quelqu'un en le pilotant. Il ne m'appartient pas de vous autoriser à le voir.
Un coup de genou du Mammouth. Je le regarde. Il me cligne de l'œil pour me déconseiller d'insister.
Dans les cas difficiles, il est toujours bon de faire appel à lui. Sa jugeote paysanne a du bon.
Dès lors, comprenant qu'une judicieuse idée s'est fourvoyée dans la jungle de son cerveau, je prends congé de l'adjudant assez fraîchement, manière de lui marquer combien je réprouve son manque d'esprit coopératif, comme on dit dans les offices de management et autres.
Une fois dehors, le Gravos murmure :
— C't'un buté, tu l'aurais jamais fait tourner cosaque. Moi, j'y vais voir le Pinuche.
— Et tu espères qu'on te laissera approcher son chevet ?
— Dis, on vend encore des blouses blanches dans les merceries, non ? Et des brocs à injonction dans les pharmacies. Je te vas me pointer dans sa turne, loqué en infirmier sous prétesque d'y filer un lavement dans l'oigne. Je demanderai au pandore de garde de se retirer un moment. Mon ton autoritaire lui permettra pas de refuser, et j'aurais toute longitude pour questionner la Vieillasse sur le quoi t'est-ce qu'il s'est passé. Toi, pendant ce temps, tu pourrais p't'être tuber au Dabe qu'il usasse de son autorité pour que les gendarmes d'ici s'écrasent, non ?
Je me penche sur lui et chuchote :
— Du temps que tu y es, Béru, ôte-moi d'un doute : de nous deux, qui est le chef ? Toi, ou moi ?
Il hausse ses montagnesques épaules.
— On se complète, assure-t-il, toi t'as le pouvoir et moi l'intelligence.
C'est comme ça qu'on fait les bonnes équipes.
C'est un café comme les ultimes se meurent. Une façade en bois vermoulu. Un bout de terrasse cernée par des fusains en caisse dépeinte. Du papier peint décoloré sur les murs. Des tables de bois cirées par l'usage prolongé. Une odeur de vinasse et de sciure mouillée. Et puis un patron en tricot déchiré, blanc de paresse et pas rasé, qui lit le Dauphiné Libéré derrière un rade de cuivre.
Autour de moi, y a de gentils Savoyards qui causent avec leur bel accent où le suffixe « ín » remplace la préposition « én ». C'est jour de marché. Le vin blanc coule à flots. Des bérets basques assurent la jonction Alpes-Pyrénées. Des casquettes paysannes qu'on ne quitte que lorsqu'on vient d'en acheter une autre, masquent de leur visière brillante d'usure des regards enfoncés, pleins d'une gentillesse malicieuse. La belle France rurale, qui sent le chou, la vache et la luzerne… Je ferme les yeux pour mieux m'ouvrir à ce ronron roulant. La vie qui passe, qu'on renifle au passage, qu'on reconnaît, qu'on aime, qu'on voudrait fixer, mais qui passe… Et puis le monstre monde imbécile s'étend de nouveau par-dessus cet instant de félicité. Je voudrais tuer l'hydre. Mon sang bouillonne. Qu'y faire ? Oh ma fureur : je t'embrasse sur la bouche !
Tiens, l'obscurité se fait. Non ! C'est Bérurier qui, de retour, se tient dans l'encadrement de la porte pour me chercher du regard. Et son regard me trouve. Il avance, content, ricaneur, gras. S'abat sur une chaise de paille dont la plainte se perd dans le brouhaha du café.
— Alors, ç'a été avec le gendarme ? demande-je vivement.
Il rigole.
— J' sus tombé sur un mec qu' était pas très intelligent, mais qui, par contre était très con, assure-t-il.
Le taulier a moulé la régionale du Dauphiné et s'approche, l'œil aussi atone que le nombril qu'on aperçoit par les deux boutons manquants de sa limouille.
— Pour m'sieur ? il demande.
— Vous avez du Crépy ? s'inquiète le Phénoménal.
Acquiescement teinté de respect du troquetier.
— Alors trois bouteilles, décrète le Gros. L'autre qui déjà accomplissait un demi-tour à gauche, gauche… stoppe.
— Pourquoi trois ? il fait.
— Parce que j'ai très soif, répond mon ami.
— Vous attendez du monde ?
— Si j'attendrais du monde, c'est pas trois boutanches que je vous commanderais, m'sieur l'Haut-Savoilliard, riposte l'Infâme, vexé.
Médusé, le blafard au tricot en cours de détricotisation soulève une trappe percée au beau milieu du bistrot, juste devant son rade, et entreprend de descendre à sa cave. Je lorgne le trou béant, brutalement proposé aux gens valides, en me demandant la somme qu'on me verserait si je percevais cent balles par jambe cassée.
— Ç'a été comme sur Déroulède, murmure Alexandre-Benoît, vexé de n'être point harcelé de questions. Que j' te rassure : la Pine se porte comme un prince charmant, si t'expectores un œil au beurre noir, la lèvre fendue, six points de soudure au front, un déboîtement de la canicule gauche et une fluctuation du genou. Toujours est-ce qu'il m'a raconté tout le bigntz.
« Croye-moi ou vas te faire emmancher, mais c'est du pas banal. T'ouvres grand tes mélangeurs à ondes courtes ? Bien. Hier soir, donc, suivant selon tes instructions, la Banane est allée secouer une guindé au parkinge de la clinique. Y s'est offert un mignon cabriolet, l'vieux voyou. T'imagines César jouant les play-boys scouts ? De quoi se la rouler dans du sucre pour s'en faire une sucette, non ? Brèfle, il a attendu la décarrade du savant et s'est mis à y filer le dur. Bon, bien, paraît que le Klapusky, au lieu de regagner Genève, l'est été à Thonon-les-Bains. Ce que j'oublille de te préciser, c'est qu'il avait un chauffeur. Une fois à Thonon, y s'est fait arrêter dans une maison dont au sujet de laquelle le Rincé a noté l'adresse ! Il a fait le pet pendant un bon quart d'heure, pensant que le professeur allait gerber de nouveau. Mais c'est seulement son comac qu'est ressorti. L'était accompagné d'une gonzesse. Y z'ont pris la tire et ont fait demi-tour. Pour lors, Pinaudère a décidé de les suivre. Il leur a fait la courette pendant une flopée de kilomètres ; et puis le gusman de la Mercedes, je t'ai causé qui s'agissait d'une grosse Mercedes ? Non ? Ben y s'agissait d'une grosse Mercedes. Le gusman de la Mercedes, donc, s'est mis à accélérer. Pépère a enfoncé le champignon, pas se laisser décoller. Et tout à coup soudain, dans un virage, voilà que le gars de la Mercedes branche un phare de recule. Un vrai projo qu'arrosait pire que sur un plateau de téloche. La Guenille, tu le connais ? Il en a chope plein les carreaux et a perdu le self-contrôle de sa pompe. Faut dire que dans une courbe, c'est pas bonnard. Poum ! il a quitté la route pour se payer une masure, heureusement en délabrance. J'dis heureusement, parce que le mur de terre de la baraque a déclaré forfait. La pauvre Pine était dans le coltard, sur le moment. Pas tout à fait cependant. Y s' rappelle avoir entendu un bruit de moteur. Quéqu'un, selon lui, s' s'rait approché de sa carriole, aurait ouvert la portière et lui aurait propulsé un féroce coup de goume sur la bouille. Là, notre César est parti aux questches pour de bon. Il a rebranché son disjoncteur beaucoup plus tard et il a eu la strupréfraction d'apprendre qu'une fille cannée se trouvait à son côté. Naturliche il a ergoté, mais comme il se trouvait dans une voiture somme toute volée, hein ? »
Trois quilles vertes s'alignent brusquement sur notre table.
Béru se tait, ému. D'une main frémissante il caresse leurs ventres frais.
— T'as déjà goûté ça, l'ami ? il me demande.
L'ami répond que oui. Et puis aussi que oui, il adore ce vin qui frise sur la langue comme un poil de cul. Et encore que oui, il va en écluser quelques godets. Et enfin que oui, il les boira à la santé du pauvre, du brave, de l'ineffable Pinaud.
— Donc, reprend Béru, le savant est mouillé jusqu à l'os dans cette vilaine affaire.
— Plus profondément encore, ma Vieille. Ça t'ennuierait de prendre ces bouteilles et de les boire dans la bagnole obligeamment mise à notre disposition par le docteur Rèche ?
— T'as le feu aux meules, brusquement ? rechigne Bérurier.
— Pas moi : la situation. Ça urge à s'en faire pipi dessous, gars. Il faut absolument que je voie Klapusky avant qu'il sache que Pinaud n'est pas mort.