23.
Les chats ne font plus le moindre bruit, comme s’ils avaient eux aussi écouté le récit de l’écrivain.
Lucy se ressert une tasse de thé.
– Je comprends mieux votre côté parano, monsieur Wells. J’ignorais que cela avait été aussi compliqué pour vous d’exister en tant que romancier. En tout cas, comme je vous l’ai déjà dit, vos ouvrages m’ont fait du bien à un moment-clef de mon existence.
– Cela me ravit. Je suis d’autant plus touché que vous correspondez exactement au genre de femme dont je pourrais tomber amoureux…
– Mais vous êtes mort !
– Personne n’est parfait…
– De toute façon c’est impossible car j’en aime un autre, vous le savez bien, qui est mon unique grand amour.
– À ce sujet… j’ai réfléchi. J’ai une proposition à vous faire.
– La dernière fois que vous m’avez proposé quelque chose, c’était pour me demander d’aller enquêter sur le terrain en échange de votre réincarnation. On a vu le résultat. Merci bien.
– Écoutez-moi. Je suis sérieux. Vous trouvez la vérité sur ma mort et moi je retrouve votre grand amour.
Lucy ne cache pas sa surprise.
– Et vous comptez faire comment ? Je vous rappelle qu’un détective et un ministre de l’Intérieur ont tous deux échoué dans cette mission.
– Je vais me faire aider par mon grand-père policier qui était un excellent enquêteur. Il m’a recontacté dans l’invisible et s’est dit prêt à m’aider. Je présume que, dans l’au-delà, il peut avoir accès à des informations que n’ont jamais pu recueillir votre détective ou votre ministre.
Lucy prend une profonde inspiration, tout en caressant le chat qui a bondi sur ses genoux, comme pour lui demander conseil.
– Vous feriez vraiment ça pour moi ? reprend-elle au bout d’un moment.
– Je serai heureux de vous aider.
– OK. Qu’on soit bien d’accord : j’enquête sur votre mort, vous enquêtez sur l’amour de ma vie, et nous y mettons toute notre énergie chacun de notre côté pour aboutir à un résultat.
– Je vous promets que je n’abandonnerai pas avant de savoir s’il est bien vivant et, le cas échéant, où il se trouve.
– Pour ma part, je ferai tout ce qu’il faut pour trouver votre assassin, mais je ne prendrai plus le moindre risque, c’est clair ?
– Je suis vraiment désolé pour hier. Je ne connaissais pas encore bien les règles de l’invisible et j’ignorais donc que vous attiriez les âmes errantes comme la lumière attire les papillons.
– Je ne veux plus la moindre blessure, la moindre égratignure, la moindre course-poursuite, la moindre menace physique ou verbale. Même pas un ongle cassé ou une tendinite.
– Mon intérêt est que vous viviez confortablement le plus longtemps possible.
– Alors, comment voulez-vous que je procède ?
– Tout d’abord, je vais vous indiquer l’adresse d’un site du darknet où, pour une somme modique, vous pourrez vous procurer une fausse carte de police qui vous aidera à entrer partout et à interroger les suspects. Ensuite, je vais vous donner l’adresse du laboratoire d’analyses de mon ami Vladimir Krausz. Vous lui demanderez d’analyser l’éprouvette que vous avez récupérée. Nous travaillerons en parallèle, des deux côtés du monde.
Lucy, en guise de réponse, s’approche d’une photo de Samy Daoudi. Elle ferme les yeux et se laisse envahir par les meilleurs souvenirs qu’elle a de lui. Elle gonfle sa poitrine, puis pousse un long soupir plein d’espoir.