66.
– Comment ça, tu l’as perdue ?! Tu veux me faire croire qu’après avoir reçu son « cocktail de bienvenue », elle est arrivée à ouvrir sa cellule, voler la voiture d’un de tes gars, et en plus les semer dans le trafic parisien ? Tu te rends compte de ce que tu me racontes, Christophe ? Tu m’avais promis que je n’entendrais plus parler d’elle ! Tu réalises le risque que tu me fais courir ? Alors, si cela ne te dérange pas, tu vas me la retrouver, et vite !
Dolorès et Lucy volent au-dessus de Samy qui peste dans son smartphone.
– Eh bien voilà, maintenant tu es fixée sur la vraie personnalité de ton amoureux…
– Je n’arrive pas à y croire. Tu penses que c’est lui qui est derrière tout ça ?
– Si tu doutes encore, permets-moi de te dire que tu n’es pas naïve mais carrément conne. Tu l’as entendu ! Il a dû faire appel à des amis à lui qui sont impliqués dans une sorte de réseau de traite des Blanches pour se débarrasser de toi !
Samy, pendant ce temps-là, continue de hurler dans son smartphone :
– Pas question de renoncer ! Je t’ai demandé ça comme un service personnel et toi tu as complètement foiré. Il faut la retrouver car elle connaît mon adresse, et elle a beau être un peu gourde, elle va finir par piger ce qui lui est arrivé.
– Là, tu vois, à cet instant précis, si j’étais incarnée, je saisirais le premier objet contondant venu pour le lui écraser sur la figure. Et après je l’achèverais à coups de talon…
– Vouloir tuer est une réaction primitive. Crois-moi, ce n’est pas la solution, il nous rejoindrait dans l’invisible. Écoute, Lucy, c’est à nous deux d’inventer une vengeance plus adaptée grâce à notre connaissance des deux côtés du monde.
La sœur de Samy, Sonia, surgit.
– Qu’est-ce qui se passe ? Pourquoi tu cries, Sam ?
– J’ai demandé à Christophe de récupérer Lucy dans son réseau et cet imbécile l’a laissée filer. Maintenant elle est dans la nature.
– Je te l’ai dit, tu n’aurais pas dû prendre de risques, tu aurais mieux fait de t’en débarrasser vraiment au lieu de vouloir simplement l’éloigner.
– Ce n’est pas si simple, elle était vraiment amoureuse de moi.
– Et alors ? Ne me dis pas que tu l’étais toi aussi ?
– Ce n’est pas ça, tu ne peux pas comprendre ! Elle semblait si heureuse de me revoir que c’en était émouvant.
– Ton côté sentimental te perdra… Tu vois ce qui se passe : elle est dans la nature en possession d’une montagne d’informations sur nous. Tu imagines, si elle nous balance aux flics ?
Le smartphone bipe, signalant l’arrivée d’un message.
– C’est Christophe, dit Samy. Il me dit qu’il avait par précaution cousu sur ses vêtements une balise électronique. Ils ont donc pu retrouver sa trace, elle est dans une clinique. Ses hommes de main devraient rapidement lui mettre la main dessus.
Lucy et Dolorès réagissent immédiatement.
– Il faut avertir Gabriel qu’il est en danger, dit Dolorès.
Elles volent à toute vitesse pour rejoindre le laboratoire de Krausz, traversent le toit, les plafonds, et arrivent dans la chambre de Gabriel.
– Vite, Gabriel, vous devez partir !
– Il reste encore quelques minutes avant que tout « notre » sang soit nettoyé.
– On n’a pas le temps. Vos poursuivants arrivent.
Il éteint la pompe et enlève l’aiguille de la perfusion.
– Comment ont-ils pu me retrouver ici ?
– Ils avaient installé une puce, lui explique Dolorès, dans les vêtements laissés à votre disposition.
– Je vois que la clinique vous a apporté de nouveaux vêtements. Mettez-les vite et déguerpissez.
Gabriel-femme enfile le survêtement et les chaussures de sport, et quitte sa chambre ainsi vêtu.
– Vous allez où, mademoiselle Filipini ? demande Ghislaine, surprise de la voir déjà repartir.
– J’ai une urgence, je dois filer. Ah, encore une chose, des hommes risquent de venir et de demander à me voir, c’est un ex que j’ai éconduit, avec peut-être quelques amis à lui. Ne tentez même pas de discuter et chassez-les. S’ils insistent, appelez la police, je ne veux vraiment plus le voir.
Comme Ghislaine ne semble pas convaincue, Gabriel-femme cherche un argument, puis, se souvenant d’une formule à la mode, il poursuit :
– Cet homme est un pervers narcissique.
L’expression semble résonner très clairement dans l’esprit de Ghislaine, qui lui fait un signe de connivence.
– Bravo Gabriel, vous semblez avoir acquis un peu de psychologie féminine en entrant dans mon corps.
– Je prends ça pour un compliment. Et maintenant, où vais-je pouvoir trouver refuge ?
– Chez moi. Maintenant que vous vous êtes débarrassé de la puce, il ne pourra pas vous retrouver. Il n’a aucun moyen de savoir où j’habite.
Gabriel-femme est déjà dans la Porsche et fonce dans les rues parisiennes, craignant de croiser Samy ou ses hommes de main.
Arrivé chez Lucy, Gabriel-femme s’effondre dans le divan. Les chats viennent vers lui en miaulant, mais certains, après un premier élan spontané, marquent un temps, comme méfiants.
– Ils ne sont pas dupes. Ils reconnaissent mon apparence et mon odeur, mais perçoivent que l’esprit qui se trouve dans mon corps n’est pas le mien, explique Lucy.
Les chats se frottent contre sa jambe et poussent de petits miaulements.
– Ils ont faim, il faut les nourrir.
Gabriel se lève et, sur les indications de Lucy, sort des croquettes, ouvre les boîtes de pâtée et allume la fontaine à eau pour les treize félins. Il repère une chaîne hi-fi, l’allume et sélectionne l’Adagio pour cordes de Samuel Barber.
Enfin, il s’accorde ce dont il rêvait : un bain.
Il redécouvre le bonheur de s’immerger dans de l’eau tiède, qui doit lui rappeler inconsciemment sa phase de gestation dans le ventre de sa mère.
Ah, si seulement je pouvais revivre une deuxième fois la même vie, songe-t-il. Rien que pour bien la comprendre à l’aune des connaissances que j’ai acquises récemment… Et aussi pour la savourer vraiment, au lieu de la traverser comme un passager de train qui circule à travers de splendides décors en oubliant de les observer…
Il inspire et sent diverses fragrances. Il se réjouit d’avoir retrouvé son odorat, ferme les yeux et laisse venir à lui en un diaporama rapide des images de son passé qu’il associe à des parfums : sa prime enfance (l’odeur du lait de sa mère quand il la tétait), ses jeux avec son frère (l’odeur ignoble quand il pétait pour rigoler), son père qui l’invite dans son laboratoire (l’odeur du soufre et du potassium chauffés sous le bec Bunsen), sa mère qui lui tire les cartes (son parfum à la rose et l’odeur de ses vieilles cartes de tarot usées), l’école où il racontait ses histoires de monstres aux filles à la fois horrifiées et attentives (elles sentaient le parfum bon marché avec un arrière-fond de patchouli et de bubble-gum), la fac de criminologie où il a vu son premier cadavre (l’odeur épouvantable qui en émanait, mélangée à l’odeur de formol censée la camoufler, qui lui avait fait se dire à l’époque que le pire dans la mort était la puanteur qu’elle dégageait). Il se souvient d’autres moments précis : la première fois qu’il a fait l’amour (il avait passé beaucoup de temps à renifler la peau de sa compagne et avait jugé que c’était ce qu’il y avait de meilleur). L’un de ses premiers reportages (il se déroulait dans un sous-marin et Gabriel avait respiré l’odeur des embruns iodés, puis l’air vicié dans le volume de l’habitacle). Il se souvient de son premier saut en parachute (l’odeur de sa propre sueur avant de se jeter dans le vide). La première fois qu’il a fait de la plongée sous-marine, découvrant ainsi la sensation fantastique, déjà, de voler (l’odeur de l’embout de plastique de la bouteille). Sa rencontre avec son éditeur (l’odeur de son après-rasage à la bergamote). Sa première visite à l’imprimerie pour assister à la fabrication de son livre (les odeurs caractéristiques de l’encre industrielle, celles de l’huile chaude des rouages des grandes presses rotatives Cameron et des feuilles de papier fraîchement imprimées). Il se rappelle que, lorsqu’il a tenu pour la première fois entre ses mains son roman publié, il l’a longtemps reniflé et a ressenti l’envie de se suicider pour que sa vie s’arrête à cet instant tant attendu.
D’autres effluves surgissent dans sa mémoire : des odeurs de chocolat chaud, de nuques de femmes, de fougères, de beignets sur la plage, d’oignons frits dans sa cuisine… Puis son dernier anniversaire, l’odeur des bougies mélangées à la crème du gâteau, le parfum de Sabrina, celui d’autres de ses ex-fiancées présentes ce jour-là, l’odeur du champagne puis du vin rouge, l’odeur du café, l’odeur des draps propres (avec un relent de lessive à la lavande) dans lesquels il s’était couché pour la dernière fois, et enfin le matin où, devant chez le fleuriste, il n’avait pas senti la moindre odeur. Il songe que l’odorat est le premier sens et aussi le plus puissant, car c’est lui qui permet au nouveau-né de reconnaître l’odeur de sa mère, et la perte de ce sens signifie la fin.
Alors, il jouit de l’avoir temporairement retrouvé. Il saisit un à un les flacons colorés à sa portée et les renifle : shampooing, baume démêlant, masque hydratant, gel douche, savon liquide moussant. Il verse cette dernière substance et, au contact de l’eau qui coule du robinet, des nuages de mousse blanche savonneuse se forment.
Gabriel-femme inspire profondément.
Depuis le salon, l’adagio de Samuel Barber monte, apportant encore plus de solennité au moment.
Il enfonce sa tête sous l’eau.
Il se souvient de la seconde où il a vu Lucy entrer dans la salle d’attente de Frédéric Langman, son saut par la fenêtre, son premier vol, l’instant où il a compris qu’il était mort. Il a un frisson. Il se remémore le moment où il a vu son corps depuis le plafond de sa chambre. La seconde où l’un des réanimateurs a annoncé que c’était fichu. Il se rappelle son enterrement, la découverte du nécrophone et son entrée dans le corps de Lucy.
Et si… toutes ces étranges secondes n’étaient que des hallucinations ? S’il était dans un rêve un peu plus élaboré que ceux qu’il fait habituellement ? Il a soudain un énorme doute sur sa propre existence, son passé, son présent.
Non ! Cela ne peut pas être un songe.
Il s’était lui-même fixé pour règle de ne jamais recourir dans ses romans à « Ce n’était qu’un rêve » ou « Il y avait un frère jumeau caché ». Cela aurait été tricher. Trop facile, donc indigne d’un auteur exigeant. Il reprend sa réflexion.
Donc ce n’est pas un rêve.
Donc c’est sa vraie vie passée.
Donc c’est sa vraie mort récente.
Donc il est vraiment, temporairement, réincarné dans un corps de femme. Aussi bizarre que cela puisse paraître.
Il sort la tête de l’eau, telle une île affleurant à la surface mousseuse de la baignoire.
Et me voilà devenu celle que je voulais approcher.
Il se savonne et, tout en se passant le gant sur le corps, prend un plaisir étrange à caresser chaque centimètre carré de cette peau lisse beaucoup plus sensible que son ancien épiderme d’homme.
Volupté. Extase. Joie d’être à nouveau vivant. Une voix résonne dans sa tête :
– Quand vous aurez terminé, avant de sortir, vous passerez un jet d’eau froide sur mes jambes et sur ma poitrine. C’est bon pour la circulation et ça raffermit. Si vous apercevez un bouton, surtout ne le percez pas avec les ongles. Et puis, vous ne le savez peut-être pas, mais cette longue chevelure met du temps à sécher : il faudra utiliser le sèche-cheveux. Mais à bonne distance, pour ne pas risquer de brûler mes cheveux.
Il ne l’écoute déjà plus, augmente la température du bain et joue avec ses orteils dans l’eau moussante. Un immense sourire s’affiche sur son visage.
– Vous ne ressentez plus l’effet de la drogue ? poursuit Lucy.
C’est à ce moment-là qu’une douleur irradie au niveau de son ventre. Il pense d’abord que ce sont des effets secondaires de la drogue, mais il se rend compte que c’est une douleur différente, loin de sa tête et très localisée. Il envisage alors une gastro-entérite ou une indigestion – il a déjà connu cette sensation après avoir mangé des aliments périmés. Il sort du bain, se sèche et voit une marque de sang sur la serviette. Il pense aussitôt à une blessure, mais Lucy lui apporte l’information qui lui manquait :
– Bienvenue dans le monde des femmes.
Il n’ose comprendre.
– J’aurais dû vous avertir que mon cycle démarrait aujourd’hui.
– Vous voulez dire que j’ai mes… règles ?
– Les tampons sont dans le placard au-dessus du lavabo. Je vais vous guider pour que vous le placiez comme il faut. Mais pour ça détendez-vous, car il ne faut surtout pas forcer.
Elle lui explique en détail la manœuvre, mais il doit s’y reprendre à trois ou quatre fois avant de réussir à introduire convenablement cet objet étranger dans son corps.
Quand il a enfin réussi, la sonnette de l’entrée retentit.
– Qui ça peut être ? s’inquiète Dolorès.
– Allez voir, Gabriel !
Gabriel-femme en profite pour s’habiller prestement.
– Ce sont d’autres sbires de Samy ? s’interroge Dolorès. Comment ont-ils pu le retrouver si vite s’il n’a plus la puce ?
– Non, ce ne sont pas des gangsters, ce sont des clients.
– En groupe ?
– Le dimanche soir, je fais des séances de spiritisme collectives.
Dolorès rejoint Gabriel devant la porte et reconnaît des membres du gouvernement.
– Mais c’est le ministre de l’Intérieur ! Comment il s’appelle déjà ?
– Valladier. C’est un ami.
– Et les autres ?
– Tu ne les reconnais pas ?
– Attends, j’hallucine, il est accompagné par le Premier ministre Brocard !
– Il m’avait dit qu’un jour il me l’amènerait, mais je n’y croyais pas vraiment.
– Manquerait plus qu’il ramène le président de la République !
– Bon, il va falloir que je réintègre mon corps pour gérer la situation.
– Non, c’est impossible pour l’instant.
– Et pourquoi donc ?
Dolorès affiche une mine navrée.
– Si ce n’est pas fait lentement et avec le consentement clair des deux parties, deux esprits peuvent se retrouver à cohabiter dans un même corps. Il y a alors un risque de schizophrénie chronique. De manière générale, mieux vaut attendre au moins 24 heures avant de procéder deux fois de suite à ce genre de manipulation un peu traumatisante.
Lucy a encore le souvenir de son passage dans l’aile psychiatrique de l’hôpital où tous voulaient la brûler pour sorcellerie.
Dolorès remarque que les deux politiciens sont accompagnés de silhouettes féminines.
– Le mieux serait que tu réintègres ton corps tranquillement demain, insiste Dolorès.
– Mais le ministre de l’Intérieur et le Premier ministre sont là et Gabriel ne sait pas comment faire !
– Dans ce cas, il faut que l’on aide Gabriel à sauver les apparences.
La sonnette d’entrée retentit une nouvelle fois. Gabriel-femme se tient devant la penderie, entouré de chats, et il fait défiler toutes les robes en se demandant laquelle il pourrait mettre.
– Quand même, c’est le Premier ministre ! J’ignorais que tu avais autant d’influence…, s’émerveille Dolorès.
– Tu sais, la plupart des gouvernants ont leur astrologue ou leur médium attitré, parce qu’ils ont compris qu’ils n’arriveraient jamais à diriger efficacement un pays s’ils ne comptaient que sur leur seule intelligence. Et puis une fois arrivés au sommet, ils finissent tous par intégrer l’idée qu’il existe nécessairement des forces invisibles qui influent sur le monde visible.
67. ENCYCLOPÉDIE : RASPOUTINE
Parmi les grandes figures de médiums ayant influé sur des politiciens se trouve en bonne place Grigori Raspoutine.
Né aux alentours de 1869 dans une famille de moujiks (paysans russes) à Pokrovskoïe, en Sibérie orientale, il développa très jeune un fort charisme et impressionnait par sa stature, sa force, son regard bleu intense, mais aussi son penchant pour l’alcoolisme et ses nombreuses conquêtes féminines ; ses maîtresses disaient de lui qu’il avait un sexe de plus de 30 centimètres de long avec un grain de beauté à sa base. Lorsqu’il était saoul, il n’hésitait pas à l’exhiber pour impressionner son entourage.
Alors qu’il était poursuivi par une foule qui voulait le lyncher pour sorcellerie, Raspoutine fut sauvé in extremis par la police et amené dans un monastère spécialisé dans la réinsertion des pervers et des criminels. Il devint mystique, à la grande surprise des moines, et apprit par cœur des chapitres entiers des Saintes Écritures. Il pouvait se priver de nourriture et de sommeil durant des semaines, rester à genoux à réciter des prières pendant des nuits entières.
Raspoutine était doué de facultés de guérison : on racontait qu’il avait rendu la vue à un aveugle et permis à une femme stérile d’enfanter des jumeaux. Il prétendait aussi pouvoir parler aux animaux et savait, de fait, dompter les chevaux les plus rétifs.
Après son séjour chez les moines, il voyagea dans toute la Russie et fut invité dans les salons huppés de Saint-Pétersbourg. La bourgeoisie locale s’ennuyait, et ce spécialiste des sciences occultes les émerveilla en leur parlant de la communication avec les morts, en organisant des cérémonies de tables tournantes à la manière des sœurs Fox.
Or Alexis, le fils du tsar Nicolas II, souffrait d’hémophilie, aussi appelée « maladie des rois ». La tsarine Alexandra Féodorovna, à court de solutions, invita Raspoutine à son chevet dans l’espoir qu’il accomplisse un miracle. Et, de fait, l’enfant soigné par le moine aux longs cheveux et aux grands yeux bleus sembla rapidement aller mieux après sa visite. Raspoutine fut donc invité à s’installer au palais pour soigner toute la famille grâce à ses mystérieux pouvoirs.
Il avait la confiance du couple impérial – dont il profitait pour coucher avec les domestiques. Mais cette confiance ne s’arrêtait pas à la médecine : le tsar et la tsarine lui posaient des questions sur l’avenir du pays, lui demandaient conseil sur la politique militaire à suivre, la valeur ou la loyauté de leurs ministres. Si bien que son influence sur toute la politique du pays ne cessait de croître.
En 1911, il déclara : « Dieu a placé la famille impériale et la Russie sous ma seule sauvegarde. Si je venais à disparaître prématurément, le tsar, la tsarine et leurs cinq enfants périraient à leur tour dans la douleur. »
Quand la Première Guerre mondiale éclata, la France et l’Angleterre demandèrent à leur allié russe d’ouvrir un front à l’est pour soulager le front ouest. Raspoutine conseilla au tsar de refuser. Dès lors, un complot contre lui fut monté par les services secrets occidentaux avec le soutien des aristocrates qui tous détestaient ce sorcier beaucoup trop influent.
Le 29 juin 1916, alors que Raspoutine quittait une église, il fut poignardé par une espionne déguisée en mendiante, mais il se remit facilement de ses blessures.
Le 29 décembre 1916, profitant d’une fête au palais de la Moïka, le prince Felix Youssoupov introduisit une grande quantité de cyanure de potassium dans un gâteau. Raspoutine consomma l’aliment, mais le poison censé agir de manière fulgurante ne lui procura aucune gêne et il passa le reste de la soirée à chanter et à jouer de la guitare. À bout de patience, Youssoupov alla chercher un revolver, revint dans la salle à manger et tira une balle dans le cœur du médium. Alors que Youssoupov examinait le corps qui ne respirait plus, brusquement l’œil gauche de Raspoutine s’ouvrit, il se releva d’un bond et se précipita sur Youssoupov pour l’étrangler. Ce dernier parvint difficilement à se dégager et courut chercher quatre de ses complices en criant : « Il est encore en vie ! » Tous descendirent armés de revolvers, mais s’aperçurent que leur victime était parvenue à quitter le palais. Les conjurés suivirent les traces qui prouvaient que leur proie rampait dans la neige. Ils le retrouvèrent et lui tirèrent trois balles supplémentaires pour l’achever. Puis ils l’enveloppèrent dans son manteau, le ligotèrent, l’emmenèrent et le jetèrent du haut d’un pont dans le fleuve Neva gelé. Le cadavre fut retrouvé le lendemain avec de l’eau dans les poumons, preuve que Raspoutine s’était libéré de ses liens, avait nagé, mais, épuisé, s’était finalement noyé.
Ses admirateurs vinrent par la suite recueillir un peu de l’eau entourant son cadavre pour acquérir ses pouvoirs. Quant à son pénis, il fut récupéré pour être exhibé au musée de Saint-Pétersbourg dont il est encore de nos jours une des attractions principales.
La Russie s’engagea dans la Première Guerre mondiale aux côtés des Français et des Anglais, jusqu’à la révolution de 1917 où la prédiction de Raspoutine s’accomplit : le tsar Nicolas II, la tsarine, leurs cinq enfants et quelques proches furent assassinés par des révolutionnaires.
Edmond Wells, Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu, tome XII.