84.

Leurs deux corps nus se séparent pour rouler chacun de leur côté. Le parfum de leurs ébats imprègne encore les oreillers. Au milieu des draps froissés, Lucy reprend son souffle, alors que Thomas est radieux.

– Si c’est le prix à payer pour que je renonce à mes projets…

Mais la jeune femme semble préoccupée.

– Qu’est-ce qui ne va pas ?

– Quelque chose ne tourne pas rond. Jusque-là, j’étais connectée à Gabriel et je sentais toujours son esprit, même lorsqu’il était loin. Or là, je ne le perçois plus du tout.

– Tu m’as pourtant expliqué qu’un mort ne peut pas complètement disparaître…

– Exact. Soit c’est une âme errante, soit il se réincarne. Là, cela ne semble être aucune de ces deux possibilités. C’est comme s’il avait quitté notre espace-temps. Serait-il possible qu’il lui soit arrivé quelque chose de grave dans l’invisible ? Je veux en avoir le cœur net. Je vais demander à ma Hiérarchie ce qu’il se passe.

Elle se met en position du lotus sur un coussin du lit, ferme les yeux, se concentre. Ses cornées s’agitent sous ses paupières. Après plusieurs minutes, elle rouvre les yeux.

– Je n’arrive même pas à contacter Dracon.

– Si tu m’interdis de contacter les morts avec mon nécrophone et que toi tu n’y arrives plus non plus, cela signifie que nous sommes…

– … déconnectés du monde invisible.

– … comme les gens normaux.

Cette idée lui est d’autant plus désagréable qu’elle vivait en permanence connectée aux âmes errantes et aux informations de sa Hiérarchie. Elle a le sentiment d’être abandonnée. Thomas la prend dans ses bras.

– On peut vivre sans communiquer avec les morts, tu sais. Tu me demandes de renoncer à leur parler et tu n’en es pas capable ?

– Je sais, ce n’est pas logique, mais c’est plus fort que moi.

– La plupart des personnes non connectées à l’au-delà se portent très bien.

– Ce silence m’inquiète. Je me fais du souci pour ton frère.

Elle se blottit contre lui.

– Il doit y avoir une raison pour que la Hiérarchie m’ait déconnectée. Qu’allons-nous faire maintenant ?

– Vivre dans la matière avec les vivants, propose-t-il en déposant un doux baiser sur son épaule.

– Cela me semble soudain tellement « limité »…

Thomas essaie de la rassurer.

– Ce n’est peut-être qu’une coupure temporaire ?

Lucy n’est pas convaincue et semble de plus en plus préoccupée. Thomas comprend que si la situation perdure, elle va perdre son emploi.

– Demain, nous irons sur la tombe de mon frère ; s’il y a bien un endroit où l’on peut le trouver, cela doit être là.

– Pourquoi demain ? Viens, on y va tout de suite.

Thomas n’ose pas la contredire. Ils s’habillent prestement et se mettent en route.

Arrivée devant l’inscription « Je suis vivant et vous êtes morts », Lucy s’assoit, ferme les yeux et se concentre. Des chats sauvages l’observent de loin.

L’attente s’éternise.

Le vent se lève et disperse les feuilles des arbres. Thomas reste assis à côté d’elle et attend. Enfin, au bout d’un quart d’heure, Lucy rouvre les yeux.

– Alors, tu les as joints ?

– Oui. J’ai parlé à Dracon, mon intercesseur.

– Et qu’est-ce qu’il t’a dit ?

– De ne plus me mêler de cette affaire et de ficher la paix aux morts.

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