Chapitre douze

Éloïse t'appelle encore, Franck. C'est de plus en plus difficile de supporter ses pleurs. Sans cesse, elle me répète que c'est de ma faute.

Non, c'est de la mienne, ma chérie. J'aurais dû veiller sur vous. Tout est si… douloureux pour moi… J'aimerais tant être près de vous. Rien n'a plus de sens ici…

Il fait noir et froid autour de nous. Pourquoi c'est comme ça ? Qu'est-ce qui se passe, Franck ? Avons-nous fait le mal ? J'ai froid… J'ai froid… Il… Il y a comme des présences, autour de nous. Des… Seigneur !

Suzanne ! Qu'est-ce qui vous arrive ? Suzanne !

Un hurlement. Noir. De l'eau, partout. Ma sueur. Des halètements. Les trains. Bolides en fusion qui s'arrachaient les entrailles. Au creux de l'obscurité, tous mes membres tremblaient, endeuillés de froid. Un cauchemar…

La voix jaillit.

— Mon Franck ! Qu'est-ce que tu as ?

Une balle dans ma poitrine. Cette voix… Non ! Pas possible ! Je palpai l'interrupteur. Elle se dressait devant mon lit, en robe de chambre, les mains le long du corps. La petite au livre de Fantômette. Ses yeux brillaient d'une lueur argentée, ses cheveux, impeccablement coiffés, ruisselaient sur ses épaules. Elle s'approcha encore.

— Tu vas mourir ?

Je protégeai mes pupilles de la lumière aveuglante. Ma montre. Trois heures du matin… Ce terrible rêve, à la saveur du réel. Suzanne en danger. Des présences, autour d'elle et Éloïse… Je secouai la tête.

— Qu… Quoi ?

— La maladie, dans ton ventre. Elle va te tuer ?

La morsure du sel, sur les rétines. Les perles qui gouttent du front.

— Comment es-tu…

… Entrée… J'avais laissé la porte déverrouillée, avec la volonté secrète de la voir apparaître, pour que, chose impossible, elle m'accompagne jusqu'à ce que je m'endorme. Et là, elle surgissait des ténèbres, au cœur des rails, aussi raide qu'un santon de crèche. Je coupai l'alimentation de mon réseau et m'assis sur le lit, sonné par un réveil trop brutal. Ma poitrine vibrait sous la cavalcade de mon cœur.

— Tu… tu ne peux pas venir la nuit chez moi, comme ça !

— Maman est au boulot. J'aime pas rester toute seule.

— Je… Ta mère… Demain, il faut que j'attrape ta mère. Ça doit cesser… Que… Que vont penser les gens ? Imagine ! Imagine un peu si quelqu'un te voit venir ici ! Je pourrais avoir de gros ennuis !

Elle pointa un doigt accusateur.

— C'est toi ! C'est toi qui as laissé ouvert ! Tu m'invites et maintenant, tu me demandes de partir ?

Je regroupai mes mains le long de mon caleçon, la tête baissée.

— Ce n'est pas ça mais… Tu as une maman. C'est à elle de s'occuper de toi… Et les enfants ne doivent pas se promener la nuit ! C'est dangereux !

Elle se musela, fixe, face à moi. Elle portait de jolies bottines cirées. Des bottines rouges avec une robe de chambre, drôle d'idée.

Je voulus poser une main sur son épaule, mais elle s'écarta, le visage fermé.

— Écoute, murmurai-je. Je vais te raccompagner jusqu'à ton appartement, d'accord ?

Pas de réponse. Mais que cherchait cette fichue gamine ? Sa mère m'entendrait, ça oui ! Après un bâillement diabolique, je me dirigeai vers la cuisine les pieds traînards. Je percevais ses pas de souris, derrière moi. Alors que je nous servais du lait, une parole me revint brusquement à l'esprit.

Je m'accroupis, lui tendant un verre :

— Tu as dis que j'étais malade, tout à l'heure. Pourquoi ?

Elle tourna la tête, refusant le lait.

— Tu n'as pas arrêté de faire des cauchemars, confia-t-elle. Tu as beaucoup raconté… C'est quoi, cette histoire de chêne et de frêne ?

— Tu m'as… regardé dormir ? J'ai parlé du chêne et du frêne ?

— Oui ! C'est quoi ?

— Un secret, entre ma femme et moi, que je ne veux pas partager…

— J'en sais plus que tu ne le crois.

L'enfant qui veille sur l'adulte, le monde à l'envers. Que devais-je y voir ? Tout le symbolisme sur le désordre de ma vie ? Ou, en définitive, se reflétait-il, dans ces yeux humides, les faiblesses d'un père déchu ?

— Personne ne doit savoir que je suis malade, d'accord ? Tu pourras garder le silence ? J'ai juste été piqué par un méchant moustique et je vais guérir, parce que je prends un traitement.

Elle cracha dans ses mains.

— Juré !

— Très bien. Maintenant… Descendons chez toi…

Elle secoua vivement la tête.

— Non, non ! Pas maintenant ! Je…

Elle observait partout autour d'elle.

— … je dois te guérir ! Sinon, tu vas mourir ! Je le sais !

Je haussai les épaules, bien que lisant sur son visage une panique incroyable.

— Mais non, je ne vais pas mourir. Je te l'ai dit. J'ai des médicaments, tout va bien se passer.

Elle tournait avec cette impatience rude des félins en cage.

— Je sais ! Je sais comment te guérir ! Le sang… Ton sang qui est malade. Tout va partir de là. Il faut tout arrêter ! Vite, très vite ! Si on ne fait rien, il se propagera partout en toi. Il te tuera, il te tuera et tu me laisseras seule !

Elle soliloquait, allait, venait, allait encore, dans le mouvement perpétuel de ces savants fous qui cherchent sans trouver.

— Cesse de bouger comme ça, tu vas me rendre dingue !

— Tu vas mourir… C'est Éloïse qui l'a dit ! Elle t'appelle, Franck, elle t'appelle à elle mais je refuse que tu m'abandonnes ! Tu ne dois pas partir, tu comprends ? Une solution… Une solution… Vite ! Vite ! Le sang… Tout va venir du sang…

La tornade brune se mit à ouvrir les armoires, la porte du réfrigérateur, les tiroirs.

— Mais arrête donc ! Et arrête de prononcer le nom de ma fille ! Arrête, je t'en prie !

— Le sang ! Le sang malade !

Elle se jeta sur la lumière, éteignit. Noir complet.

Bruits de ferraille. Un chuintement. Un souffle. La morsure de l'acier sur mon bras. La douleur qui me plie en deux.

Du bruit, sur le sol. Flop, flop. Du liquide poisseux qui roulait sur mon coude. Je me relevai, lançai mes doigts vers le mur. L'interrupteur.

Rouge. Rouge partout. Une fente, sur le poignet. Verticale, entre deux veines. L'œil du flic conclut à une blessure superficielle. Pas de suture nécessaire. Coup de chance.

La gamine avait disparu, le couteau à large lame traînait sur le sol, sanglant de vie. J'enroulai un mouchoir autour de mon poignet, appuyai de toutes mes forces de l'autre main.

Et je pleurai, pleurai sans retenue, abattu par ces questions sans réponse.

Elle m'avait saigné. Pourquoi ? Violence instantanée. Comportement imprévisible. Peur de la solitude. Livrée à elle-même, la nuit, le jour. Sans père, mère absente. Comment ne pas déraper ? Après m'être pansé, je dévalai au rez-de-chaussée, en furie contre cette génitrice irresponsable. Porte sept. Fermée.

— Ouvre, petite ! Ouvre cette porte !

Mais on ne m'ouvrit pas. Je remontai en grommelant, les poings serrés. La fillette était malade et personne ne s'occupait d'elle. Demain, la mère affronterait ma colère.

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