Je le tenais enfin.
— Ça alors, annonça-t-elle l'œil rivé au carreau, il y a des hommes en tenue militaire qui entrent dans les maisons. Ce serait trop vous demander de me dire ce qui se passe ?
— Ne… n'y prêtez pas attention ! Continuez, je vous en prie ! L'histoire !
— Pas avant vos explications ! Il semblerait qu'ils veulent aussi venir chez moi !
— Et merde !
Je me jetai dehors, la rage aux lèvres. Deux types au pas dur se précipitèrent vers moi.
— Commissaire principal Lallain, antenne grenobloise, entama le plus grand, en costume bleu et cravate rayée. Et voici le médecin-major Bracks.
— Merde ! Que fiche l'armée ici ? envoyai-je sans tendre la main.
— On préfère garder au maximum le contrôle de l'information ! répondit Bracks sur un ton sans ambiguïté. Ordres du ministère ! Cette population va être conduite dans le service de parasitologie de l'hôpital militaire de Grenoble, sous notre escorte !
Loin, très loin dans le ciel, il y eut un craquement d'orage. L'air se saturait d'une moiteur électrique.
— Je vois le genre ! rétorquai-je d'une voix sèche. Excusez-moi, mais je retourne là-dedans terminer mon interrogatoire !
— Minute ! intervint le flic. Il va falloir que vous me détailliez tout le dossier, Sharko, et très vite !
Mes nerfs commençaient à se tendre. J'entraînai le duo un peu à l'écart.
— Pas le moment de me saouler avec de l'administratif, OK ? Faites votre boulot de ramassage, je termine le mien ! Ces gens sont en train de crever, on a plus urgent que de palabrer !
Odette Fanien nous observait au travers de sa fenêtre, les poings sur la poitrine.
Entourés de blouses et de treillis, les villageois s'engouffraient dans les ambulances alignées en une longue procession blanche. Hommes, femmes, même des enfants. Des sanglots étouffés roulaient sur la plaine, mêlés aux lamentations sinistres des plus malades. L'endroit n'était plus qu'une chape de gémissements, un camp morbide d'où éclataient sans mesure des prières violentes et des hurlements d'incompréhension.
— Un putain de merdier ! cracha Lallain en desserrant sa cravate et ôtant sa veste.
Un médecin voulut franchir le seuil d'Odette Fanien. Je me précipitai sur lui.
— N'entrez pas là tout de suite, bordel ! Je m'en occupe !
Il grogna un coup avant de passer à la maison voisine.
— Écoutez, Lallain. Laissez-moi terminer cet interrogatoire en paix avant d'embarquer Fanien, OK ? Après, je vous raconterai tout ce que vous voudrez !
— D'accord, Sharko. Mais magnez-vous ! On n'a pas notre journée.
M'isolant, j'appelai Leclerc et lui communiquai un nom, Crooke, avant de retourner dans ce pavillon minuscule, recroquevillé dans les profondeurs des Alpes. Là où m'attendait la fin de l'histoire…
Et la naissance d'un monstre…