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Cependant, Baumgartner essaie de garer son automobile devant un grand hôtel de bord de mer situé à Mimizan-Plage, au nord-ouest des Pyrénées-Atlantiques, en marge du territoire qu'il sillonne ordinairement ces temps-ci. L'hôtel n'a pas l'air formidable mais il est difficile de trouver quelque chose en cette saison, d'ailleurs cet établissement lui-même est comblé: son vaste parc de stationnement regorge d'immatriculations allogènes, Baumgartner a bien fait de réserver.

Il roule donc très lentement le long des allées du parking, croisant des couples et des familles vêtus d'effets courts et colorés, en marche vers les bains de mer. Le soleil cogne sur le panorama, le goudron brûle et les enfants qui vont pieds nus sautillent en protestant. Toutes les places de ce parc sont occupées, aucune ne se libère, tout cela traîne en longueur, Baumgartner pourrait s'énerver mais il a tout son temps, chercher un emplacement lui permet au contraire d'occuper ce temps. Il évite soigneusement de garer sa voiture sur les emplacements dont un marquage au sol, pictogramme de fauteuil roulant, précise qu'ils sont réservés aux handicapés. Non que Baumgartner soit spécialement civique ni spécialement sensible au sort de ces personnes, non, confusément c'est juste histoire de ne pas risquer de se retrouver handicapé lui-même par retour d'on ne sait quoi, sous l'effet d'on ne sait quelle contagion.

Cette question de stationnement résolue, Baumgartner extrait sa valise du coffre de la Fiat et se dirige vers l'entrée de l'hôtel. Il n'y a pas longtemps que la façade a dû être repeinte, des constellations lactées s'étirent discrètement dans quelques-uns de ses angles et le hall baigne dans une odeur de badigeon blanc, aigre et frais, qui rappelle celle du lait tourné. On distingue autour du bâtiment quelques traces de chantier récent, loques de plastique souillé qui s'accumulent dans des conteneurs situés aux limbes du parking, planches engluées de ciment empilées en vrac dans un angle mort. Emaillé pour sa part de plaques rouges sur le front, le réceptionniste se gratte fiévreusement l'épaule droite en vérifiant sur son registre la réservation de Baumgartner.

La chambre est sombre et peu avenante, les meubles fragiles et bancals ont l'air factices comme des accessoires de théâtre, le lit présente un sommier incurvé en hamac et le format des rideaux clos ne coïncide pas avec celui de la fenêtre. Au-dessus d'un canapé dur et désespéré, une lithographie merdique propose quelques zinnias mais Baumgartner ne s'y attarde pas: il marche directement vers le téléphone, posant tout à trac son bagage sur son chemin: il décroche et compose un numéro. Cela doit sonner occupé puisque Baumgartner grimace, raccroche, enlève sa veste et tourne autour de sa valise sans l'ouvrir.

Quelques minutes plus tard, quand il passe dans la salle de bains pour se laver les mains, l'ouverture et la fermeture des robinets déclenchent des ondes de choc sismiques dans toute la plomberie de l'établissement, puis en revenant Baumgartner dérape sur le carrelage glissant. De retour dans la chambre, il tire les rideaux, se poste devant la fenêtre pour découvrir qu'elle commande un puits, une colonne d'air obscur, une cheminée étouffante au diamètre dérisoire et au sommet crasseusement vitré. C'en est trop, Baumgartner en nage reprend le téléphone, appelle la réception et demande à changer de chambre. Le réceptionniste lui indique en se grattant le numéro de la seule autre chambre libre à l'étage supérieur mais, le personnel de l'hôtel paraissant décidément nonchalant, personne ne se présente pour s'occuper de sa valise qu'il transporte lui-même dans l'escalier.

Et à l'étage au-dessus, la même scène en tous points se déroule: Baumgartner tente encore de téléphoner mais c'est toujours occupé. II paraît à nouveau sur le point de s'énerver mais il se calme, il ouvre la valise et distribue ses affaires dans la penderie ténébreuse et dans la commode en pitchpin. Puis il inspecte cette nouvelle chambre qui est le rigoureux sosie de la première à la lithographie près au-dessus du canapé navré: des crocus y ont chassé les zinnias. Et si la fenêtre donne médiocrement sur le parking, au moins laisse-t-elle entrer un peu de soleil, au moins de là Baumgartner pourra-t-il surveiller sa voiture.

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