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Médecin justement, moi aussi, répondrait donc Hélène avec un temps de retard, mais pas exactement. Et d'ailleurs plus maintenant, je veux dire que je n'exerce plus. D'ailleurs elle n'avait jamais soigné personne, préférant aux patients répétitifs la recherche fondamentale qu'un héritage plus une pension alimentaire lui avaient permis d'abandonner, de toute façon, depuis deux ans. Son dernier poste avait été à la Salpêtrière, dans l'immunologie, je cherchais des anticorps, je regardais s'il y en avait, je calculais leur quantité, j'essayais de voir à quoi ils ressemblaient, j'étudiais leur activité, vous voyez? Bien sûr, enfin je crois, hésita Ferrer dont, après Baumgartner et conformément aux instructions de Sarradon, ce serait le tour de changer de chambre deux jours plus tard et deux étages au-dessous.

Elle était assez semblable à la précédente mais une fois et demie plus grande car à trois lits. Moins d'appareils médicaux l'encombraient, ses murs étaient d'un jaune très clair et la fenêtre ne donnait plus sur aucun arbre mais sur un médiocre immeuble de briques. Les voisins de Félix Ferrer étaient à sa gauche un solide Ariégeois au physique de pilier, apparemment en pleine forme et dont Ferrer ne comprendrait jamais ce qui lui valait d'être là, à sa droite un Breton plus chétif aux allures d'atomiste hypermétrope, toujours plongé dans un magazine et souffrant d'arythmie. Il n'arrivait pas très souvent qu'on vînt les voir, deux fois la mère de l'arythmique (conciliabules chuchotes inaudibles, aucune information), une fois le frère de l'Ariégeois (commentaires très sonores d'un match exceptionnel, très peu d'information). Le reste du temps, les rapports que Ferrer entretiendrait avec eux se limiteraient à des négociations sur le programme commun et le niveau sonore de la télévision.

Hélène revenant quotidiennement le visiter, Ferrer continuait de ne pas se montrer spécialement accueillant avec elle, sans manifester le moindre bonheur quand elle poussait la porte de la chambre. Non qu'il eût quoi que ce fût contre elle, mais il avait la tête ailleurs. Dès la première apparition de la jeune femme, par contre, les voisins de chambre avaient paru frappés. Puis, les jours qui suivirent, ils la regardèrent chaque fois avec plus de convoitise, chacun à sa manière – frontale et volubile en Ariège, allusivement oblique dans le Morbihan. Mais l'appétence même de ses voisins ne parvint pas à agir mimétiquement sur lui comme c'est parfois le cas – vous savez ce que je veux dire; vous ne désirez pas spécialement une personne dont une deuxième personne, la désirant à votre place, vous donne l'idée voire l'autorisation voire l'ordre de désirer la première, ces choses-là se produisent quelquefois, cela s'est vu, mais là non, ça ne se voyait pas.

En même temps c'est assez pratique, quelqu'un qui veut bien s'occuper de vous, ça peut faire quelques courses, ça vous apporte spontanément la presse du jour que vous repassez ensuite au Breton. Les fleurs seraient-elles autorisées dans le service, peut-être en apporterait-elle aussi. A chacune de ses visites, Hélène s'informait de l'état de Ferrer, examinant d'un œil professionnel les courbes et les diagrammes suspendus au montant du lit, mais le champ de leur conversation n'excédait pas cet horizon clinique. Mis à part ses anciennes activités professionnelles, jamais elle ne laissait échapper un mot concernant son passé. Les notions évoquées plus haut d'héritage et de pension alimentaire, pourtant potentiellement riches sur le plan biographique, ne firent ainsi l'objet d'aucun développement. Il n'arriva jamais non plus que Ferrer eût envie de lui raconter sa vie qui, ces temps-ci, ne lui paraissait pas tellement racontable ni enviable.

Hélène, les premiers temps, vint donc chaque jour comme si c'était son métier, comme investie d'une mission de visiteuse bénévole, et quand Ferrer commencerait à se demander ce qu'elle voulait au juste, il n'oserait évidemment pas lui poser la question. Elle était neutre et presque froide et, bien qu'elle parût parfaitement disponible, ne laissait aucune prise à rien. D'autant que la disponibilité n'est pas tout, qu'elle ne suscite pas forcément le désir. Et de toute façon, Ferrer fatigué redoutant surtout sa ruine, craignant moins les médecins que les banquiers, se trouvait dans une inquiétude flottante qui n'incitait pas à séduire. Certes il n'est pas aveugle, certes il voit bien qu'Hélène est une belle femme, mais il la considère toujours comme à travers une vitre à l'épreuve des balles et des pulsions. Ce ne sont qu'échanges un peu abstraits ou très concrets qui ne laissent pas de place aux affects, qui verrouillent les sentiments. C'est un peu frustrant, en même temps c'est assez reposant. Bientôt elle dut sans doute l'admettre elle-même car elle espaça ses visites, ne passant plus qu'un jour sur deux ou trois.

Mais au bout de trois semaines comme prévu, quand il est question pour Ferrer de rentrer chez lui, Hélène lui propose de s'occuper de son départ. Cela tombe un mardi en fin de matinée, Ferrer est un peu faible et grelotte sur ses jambes, son petit sac à la main. Elle paraît, on prend un taxi. Et lui encore, incorrigible, malgré la compagnie silencieuse d'Hélène sur la banquette arrière, voici qu'il se remet déjà à regarder les filles sur les trottoirs par la vitre du taxi jusqu'à ce qu'on l'ait ramené chez lui, ou plus précisément devant chez lui, où Hélène n'entre pas. Mais ne serait-ce pas la moindre des choses qu'il l'invite à dîner dès le lendemain ou le surlendemain, dans la semaine, je ne sais pas, moi, il me semble que ça se fait. Ferrer en convient. Donc disons demain, autant régler ça au plus vite, et puis on doit chercher ensuite dans quel restaurant on pourrait se retrouver: après quelques hésitations, Ferrer lui en propose un qui vient de s'ouvrir vers la rue du Louvre, juste à côté de Saint-Germain -l'Auxerrois, je ne sais pas si vous connaissez. Elle connaît. Donc à demain soir?

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