— Ça va, Pascaline ? m'a dit Elizabeth d'un ton enjoué, devant la machine à café.

Elle discutait avec Karine et Sandra, deux collègues de son âge. J'avais souvent l'impression que ces trois jeunes femmes me regardaient depuis peu avec une certaine compassion, comme si j'étais malade, alors que je ne l'étais pas. J'ai répondu sèchement que tout allait bien et je suis retournée travailler devant mon ordinateur. Derrière mon dos, j'ai capté le chuchotement aigu de Sandra. « Elle a l'air crevée, la pauvre. Elle devrait se reposer. » Puis Karine a embrayé : « Moi, je la trouve bizarre en ce moment. Un zombie. » De quoi se mêlaient-elles ? J'ai failli me retourner, mais je n'ai rien dit.

Elizabeth est venue s'agenouiller à côté de moi. Elle me trouvait pâle, silencieuse. Est-ce que j'avais des soucis ? Des problèmes ? Est-ce que je pensais toujours autant à mon ex-mari ? Au meurtre dans mon ancien appartement ? Ses questions m'ont agacée. Je lui ai tourné le dos. Elle ne s'est pas découragée pour autant.

— Vous savez, j'ai une idée. On pourrait aller dîner ensemble, un soir, si vous voulez. Je pourrais vous présenter mes amis. J'ai un copain, Gilles, qui a un frère de votre âge, divorcé, comme vous. On pourrait sortir à quatre, qu'est-ce que vous en dites ?

J'ai accepté, par lassitude. En rentrant chez moi, j'ai réfléchi à ce que m'avait dit Elizabeth. Elle avait raison, après tout. Il fallait que je refasse ma vie. J'avais quarante ans, le temps filait. Je ne pouvais pas envisager de passer le reste de mes soirées devant mon ordinateur ou ma télévision. Je devais sortir, rencontrer d'autres hommes. Et qu'étaient devenus mes projets d'aller chez le coiffeur, d'investir dans une nouvelle garde-robe ? De voyager, d'aller au cinéma, de lire la pile de romans qui prenait la poussière sur mon étagère ? Je devais me secouer, sortir de cette espèce de marasme.

Il fallait aussi que j'arrête de penser à Frédéric. Pourquoi ne prenait-il jamais de mes nouvelles ? Comment était-il possible d'effacer quinze ans de vie commune avec ce silence qui s'éternisait ? Pensait-il parfois à moi ? Au bébé ? Je ne savais pas. Je rêvais de le savoir. Peut-être avait-il tiré un trait sur moi. Peut-être qu'il avait été soulagé de ne plus être mon mari.

Je savais qu'il habitait à présent en banlieue, dans un pavillon qu'il avait rénové. Je connaissais l'adresse. Mais je n'avais pas envie de découvrir son nouveau bonheur. Une nouvelle femme, une nouvelle maison. Et puis, certainement un nouveau bébé. Je priais pour qu'il ait un garçon ; je n'aurais pas supporté qu'il soit à nouveau le père d'une petite fille.

J'ai encore des souvenirs précis de Frédéric tenant Helena dans ses bras, de la voix qu'il prenait pour lui parler. Une voix rassurante, chaude. Une voix de papa. Je me souviens de la façon qu'elle avait de le regarder, avec ses yeux bleutés de nourrisson, ces yeux qui n'ont encore rien vu, mais qui ont l'air de tout comprendre, de tout savoir.

Je m'efforçais de ne pas penser à la mort d'Helena. À ce qu'il y a écrit dans le Livret de Famille, sous la rubrique « Acte de naissance ».

Comme les mères des jeunes filles assassinées, j'ai moi aussi, dans ce document administratif, une mention écrite d'une main inconnue et indifférente.

« Acte de décès de l'enfant. »

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