J'appréhendais de croiser la maman d'Olivia devant l'immeuble de sa fille. Elle y venait souvent, d'après ce que j'avais lu. Je redoutais sa douleur, sa souffrance. Depuis la scène devant chez Adeline, j'avais peur qu'on me voie. Qu'on m'insulte à nouveau.
Alors j'ai choisi d'y aller tard la nuit, un moment où j'étais certaine que la maman d'Olivia n'y serait pas, et qu'il n'y aurait personne.
À part chez Anna, bien sûr, je ne m'étais jamais rendue dans ces endroits la nuit. L'ambiance m'a semblé tout autre. L'homme avait tué la majorité de ses victimes après minuit. Pour la première fois, j'ai ressenti une appréhension. Je percevais les traces de sa présence ici d'une manière irréelle, inquiétante.
La rue d'Olivia était calme, presque vide. En face de l'immeuble, le café était fermé. Normal, à cette heure tardive. Mais dans l'immeuble d'Olivia, les deux fenêtres de l'appartement du second étaient allumées.
Adossée au mur d'en face, j'ai contemplé les fenêtres qui brillaient dans la nuit. Il faisait chaud, l'une d'elles était ouverte. Au bout d'une dizaine de minutes, une femme y est apparue. Elle était vêtue d'un long T-shirt. Elle devait avoir mon âge. Avec des gestes précis, elle a fermé les volets.
Comment faisait-elle pour vivre là ? Une envie m'a démangée : celle de monter chez cette femme, de sonner à sa porte, de lui demander de but en blanc, comment faites-vous pour dormir ici ? Savez-vous qu'une jeune fille qui s'appelait Olivia a été violée et assassinée dans votre chambre ? Ne ressentez-vous rien ? Rien du tout ?
Je suis restée là jusqu'au moment où j'ai vu la lumière s'éteindre derrière les lattes des volets. Dans le noir, n'avait-elle pas peur ? N'entendait-elle pas les gémissements d'Olivia ? Debout sur le trottoir, j'avais peur aussi. J'avais peur de la violence de cet homme, même s'il était enfermé dans une prison pour le reste de sa vie. J'imaginais sans peine son mépris, sa brutalité. Mais j'ai compris cette nuit-là, avec une sorte de lucidité étrange, presque douloureuse, que je n'avais pas peur pour moi. Non, je n'avais pas du tout peur pour moi. J'avais peur pour ces jeunes filles, pour ce qu'elles avaient enduré, j'avais peur pour toutes les jeunes filles encore en vie en ce moment même, et qui par malheur, ce soir, tout à l'heure ou demain, trouveraient la mort par les mains d'un meurtrier, par hasard, par malchance, par l'horreur du destin. J'avais peur pour leurs mères, qui allaient connaître l'épreuve la plus terrible de leur vie. J'ai pensé à ma petite Helena. Elle aurait eu quinze ans. Deux ans de moins qu'Adeline. Trois ans de moins qu'Anna. Cinq ans de moins qu'Olivia. Je me suis mise à sangloter devant la maison d'Olivia, avec la même souffrance ancrée en moi que lors de mon cauchemar d'enfant.
Moi aussi, on m'avait privée de ma fille.