— Je suis navré, a dit le directeur. Mais deux erreurs de cette importance en un mois…
Il a aplati ses paumes sur son bureau en un geste final. Il m'a redemandé si je n'avais pas un tracas médical, un problème personnel. Je n'avais pas vu venir cette erreur, tout comme la première, d'ailleurs. C'était comme si une partie de ma tête avait été déconnectée. Frédéric m'avait toujours reproché de raisonner comme un ordinateur, sans humanité, sans touche personnelle. Comme si la rigueur de mon travail avait lobotomisé chez moi toute fantaisie possible. Eh bien, pour une fois, l'ordinateur avait eu une faiblesse. Frédéric aurait été rassuré. Pourquoi toujours tout ramener à Frédéric ? Il fallait arrêter de penser à Frédéric.
Les propos du directeur, que je n'avais écouté que d'une oreille distraite, m'ont semblé trop sévères. Pour qui se prenait-il ? Pourquoi me parlait-il ainsi ? Ça faisait huit ans que je travaillais ici. J'étais la première arrivée, la dernière partie. Tout le monde le savait. Je mettais les bouchées doubles. Je l'avais toujours fait. Je prenais moins de vacances que les autres. Je ne faisais jamais les ponts. Et voilà qu'il se mettait à me parler avec le même ton de réprimande qu'Elizabeth.
Mais à travers le sermon qui s'éternisait, j'ai capté un mot. Licenciement pour faute. Comment ? Voulait-il me licencier ? Ça en avait tout l'air. Comment allais-je faire ? Moi, licenciée ? C'était impossible. Inconcevable. Que dirait Frédéric ? Que dirait maman ? « Cette pauvre Pascaline ! Et en plus, elle a été licenciée. Quelle tristesse. Elle ne s'en remettra jamais. » La pitié dans les yeux de Frédéric. Le sourire compatissant de Muriel. « Dis donc, ton ex-femme… Elle a été virée ? »
J'ai interrompu le directeur. J'ai balbutié qu'il m'était arrivé une chose horrible, monstrueuse. La pire des choses. Je n'en avais parlé à personne au bureau. Personne ne savait quoi que ce soit. C'était à cause de ça que j'avais commis ces erreurs, ces oublis.
Le directeur semblait inquiet, un peu curieux aussi. Il m'a pressée de questions. Que m'était-il arrivé ? Je pouvais tout lui dire. Je pouvais lui faire confiance.
Je lui ai dit que ma fille avait été assassinée. Il m'a regardée, consterné. Il m'a pris la main. Ses doigts étaient chauds, collants. Il ne savait pas du tout que j'avais une fille. J'ai contemplé sa main, sa montre, les poils de son poignet, et j'ai dit que ma fille habitait chez son père depuis longtemps. Puis, avant qu'il me demande autre chose, j'ai dit rapidement qu'il m'était impossible de lui en parler, de lui donner des détails sur ce qui s'était passé. Je survivais, en quelque sorte. Je faisais comme je pouvais. Je lui ai demandé de ne rien dire à mes collègues, de respecter ma douleur. Il a accepté. Il m'a presque suppliée de prendre deux semaines. Il fallait que je me repose. J'étais pâle, ne le savais-je pas ? J'avais des cernes impressionnants.
En partant, je lui ai dit : « Elle s'appelait Helena. Elle avait quinze ans. »