Devant chez Adeline, victime numéro cinq, il s'est passé un fait épouvantable. J'étais là depuis quelques minutes, je regardais la façade, toujours à la recherche de la fenêtre qui avait vu le crime, de la fenêtre témoin. J'avais ma rose à la main. Il faisait chaud, lourd, et la rue était déserte. Pas un bruit autour de moi. C'était un immeuble simple, aux volets de fer écaillés. Quelques géraniums aux fenêtres. Un chat qui somnolait sur le rebord de la croisée, au rez-de-chaussée, me surveillait d'un regard indolent.
Que savais-je d'Adeline ? Elle avait été la plus jeune des victimes. À peine dix-sept ans. J'avais lu qu'elle venait d'emménager ici avec son petit ami. Mais le soir de sa mort, le petit ami était rentré plus tard que prévu. Sinon, il aurait peut-être surpris le tueur qui rôdait. J'avais appris tout ça dans les articles glanés sur Internet. Adeline était sortie acheter du beurre et du jambon à l'épicerie du coin. Elle portait une jolie robe à fleurs, en coton. Ses cheveux blonds étaient nattés. Elle était rentrée ici, là où je me tenais à présent, et sans le savoir, elle avait laissé le tueur se faufiler dans son sillage.
— Qui cherchez-vous ?
La maîtresse du chat avait un visage boursouflé, rendu luisant par la chaleur.
— L'appartement d'une jeune femme qui a vécu ici. Adeline.
Elle me toisa d'un œil suspicieux.
— Vous êtes de la famille ?
J'ai répondu que non, je ne l'étais pas. La femme s'est mise à crier. Les poings vissés à la balustrade, elle a déversé sur moi un torrent d'injures. Je devais avoir honte, de venir comme ça, comme une voleuse, comme un rapace, sur le lieu de mort d'une personne que je ne connaissais pas. Je devais être malade, psychopathe. Les gens comme moi, fallait les enfermer, fallait les soigner.
Tandis qu'elle hurlait, les joues cramoisies, des visages s'étaient montrés aux fenêtres de l'immeuble. J'ai eu l'impression qu'on me regardait avec mépris, avec dégoût. Elle avait peut-être raison, après tout, cette femme. Pourquoi venir ? Pourquoi chercher ? Pourquoi remuer un passé qui ne me concernait pas ?
J'ai baissé la tête. J'ai reculé, pas à pas. Je suis partie rapidement, sans regarder derrière moi. Lorsque je suis arrivée au métro, je me suis rendu compte que j'avais encore la rose d'Adeline à la main.