Tu vas voir si j’ai du bol : le premier hôtel lyonnais que je contacte est le bon. Au Sofitel, on me répond que oui, effectivement, MM. Bérurier et Pinaud sont bien descendus dans cet établissement dont j’ai pu apprécier moulte fois la qualité.
Chambre 620 !
On me la passe. C’est le Gravos qui répond. La voix est enrhumée par trop de beaujolais.
— Tonio ! elle exclame ; mais comment as-tu-le-tu su qu’on est laguche ?
— Mon sixième sens, gars !
— Ton sixième sens, je croilliais d’puis toujours qu’c’était ton perchoir à ratiches !
— Où en êtes-vous dans votre histoire de casse-pime ?
— On guigne, mon drôlet, on guigne comme des faucons.
— Sauf que vous en êtes d’authentiques ?
Il est trop tard et il a trop éclusé pour savourer ce plaisant calembour qui aurait besoin d’être relevé avec une giclette de tobasco.
Il explique :
— C’est bath qu’tu téléphonasses vu qu’j’avais pas l’courage de rédactionner mon rapport.
— La journée a été si rude que ça ?
— Parle-moi-z-en pas !
— Vous avez becté à l’hôtel ?
— Non, au Vivarais, un bistrot impec à deux pas d’ici. Comme hors-d’œuvre, j’ai pris de la tête de veau, de l’andouillette et du saucisson chaud-pommes vapeur, ensute…
— Je devine…
— Ensute, une raie au beurre noir et une entrecôte marchand de vin. Feurste couality, mon pote !
« Et les tauliers sont des amours, qu’on est d’venus à tutoie et à moi, les quatre. Le seul reproche qu’je ferais au chef, c’est qu’avait pas assez de lardons dans la salade de fruits. »
— Gros, interrompé-je, tu vas mouler sec la chère ville de Lyon et rabattre fissa sur Dublin.
Il maugrée :
— Merde, qu’est-ce j’irais fout’ au Maroc à dix heures du soir ! Y boivent qu’du thé à la menthe, là-bas !
Je lui donne un cours du soir de géographie, histoire d’enrichir sa culture, ensuite je reviens à mes préoccupations professionnelles.
— Tu vas sauter dans le train de nuit, mec. Mathias t’attendra à la gare de Lyon. Il te remettra une valoche bourrée de faux dollars, puis te conduira à Villacoublay où un zinc privé sera prêt à décoller. Cet avion t’apportera en Irlande, je serai à l’aéroport.
Son Hénormité émet quelques borborygmes de déconvenue.
— Alors faut qu’je vais laisser quimper l’affaire Lesbrouf ?
— Pinaud s’en occupera.
Il ricane.
— Cause-moi-z-en de la Pine ! Y s’prend pour Cherloque au Mess ! Y r’constitue des pucelages, t’sais, ces trucs qu’on s’fait tellement chier av’c la limite du ciel et d’la mer ; tu croives r’composer l’dessin, mais t’obtiens la photo d’Alice Sapricht.
— Qu’est-ce que tu débloques, Gros ?
— Parole ! Y s’est fait remett’ les plans d’tous les magasins Lesbrouf, et y passe sa vie dessus, à les boutiquer dans tous les sens, à faire des traits au crayon dessus qu’il efface au furet à mesure pour en r’commencer d’aut’. Tiens : en c’moment, d’puis qu’je te cause, y r’met ça, l’aïeul ! Hé ! dis, Pinauder, tu fais du gâtisse précoce ou quoi-ce ?
La charmante toux catarrheuse de l’interpellé retentit.
— Passe-moi la Vieillasse, enjoins-je au Gravos. Quant à toi, bouge tes grosses miches pour foncer à la gare.
— Ell’ est à deux pas ! plaide l’Hénorme.
— Faut-il encore les faire !
Le Frileux vient en ligne.
— Salut, l’Ancêtre, je balance ; paraît que tu donnes dans le puzzle ?
— C’est ce gros sac qui le prétend. Il n’empêche que je crois avoir découvert la manière dont le meurtrier s’y est pris pour poignarder ses victimes dans les boutiques Lesbrouf.
— On peut savoir ?
— Trop prématuré, mon cher Antoine. Mais si ma supposition s’avère exacte et que l’assassin frappe à nouveau, je suis certain de lui mettre la main au collet.
La main au collet ! Y a plus que le Fossile pour s’exprimer de la sorte dans la Rousse.
— Qu’est-ce qui t’a mis sur la voie, cher Vénérable ?
— Le côté impossible de la chose… Or, il y a toujours une explication à tout. Ces femmes poignardées dans les cabines d’essayage où elles se trouvaient seules m’ont orienté vers…
Il dégoise à perte de vue : la tournée des papotes !
Mais sans rien révéler de sa trouvaille.
— Bref, tu ne veux pas me dire ?
— Pas encore, mon petit. Je sais qu’on ne peut se contenter d’hypothèses, j’espère être en mesure de faire bientôt une démonstration, tu comprends ? Une vraie démonstration. En attendant…
— En attendant, va te faire décoder, vieille frappe !
Agacé, je raccroche. Mais comme il ne s’en aperçoit probablement pas, il va déconner pendant deux plombes encore, le Momifié !
Mon plumard chante la déglinguette. Chaque fois que je remue on croirait que quinze soudards enfilent quinze vierges récalcitrantes. Moi, j’adore les puciers silencieux. Un jour, je m’en ferai faire un en béton pour pouvoir limer confortable.
Ces glandus d’Irlandoches, il est fâcheux que le volet ne soit pas encore parvenu jusqu’à eux. Ils ne doublent même pas les rideaux avec un tissu opaque. La clarté de la nuit entre dans ma turne comme chez elle, m’empêchant de roupiller. Je me livre à un survol de la journée.
Que de péripéties ! Ma rencontre avec la cantatrice, le couple à l’Audi jaune qui me filoche. Ma tire piégée. La dame qui me taille une pipe de luxe chez le vieux brocanteur de Dublin… Et surtout — ô combien surtout ! — l’assassinat froidement perpétré de miss Gleenon. Là, sous mes yeux, tranquillement, sans vergogne, l’homme à la perruque rousse la fait chanter, lui arrache sa signature et l’empoisonne. Quoi encore ?
Oh ! oui : le camion qui m’a foncé dessus. J’en oublie certainement, je ne suis pas expert-comptable.
L’Audi jaune n’est plus dans le parking de l’hôtel.
J’entends musiquer à tout va, biscotte les mariages qui sévissent. C’est l’heure de la beurranche intégrale. Les bonshommes sont pleins de bibine. Les plus jeunes dansent.
C’est marée haute ou marée basse ? Je me relève pour aller mater. Bon, la mer est à dame, tout là-bas. Le viaduc (d’Edimbourg) du chemin de fer n’enjambe plus qu’une lande crépie de sel qui scintille au clair de lune.
Je suis satisfait d’avoir mandé Bérurier à la rescousse.
M’est avis que demain, la partie va être chiée ! Faudra faire chauffer la colle, mes petites loutes. Ça grouille de vilains méchants que j’insupporte sur les bords. Si je ne me gaffe pas à ma viande, je risque de terminer ma trajectoire dans la patrie de Bernard Chauve ! T’imagines, Marie-Marie veuve avant que d’avoir été épousée, la pauvrette ?
Tu me croiras si tu voudras, comme dit le Mastar, mais il continue de faire jour, à l’horizon, bien qu’il soit vingt-trois heures dix. Les barlus tout de traviole voire carrément couchés sur le flanc, attendent le retour de la mer. « O combien de marins, combien de capitaines… », comme je dis puis toujours. Le ciel gris a des ballonnements étranges. Paysage mélancolique Je voudrais lire dans le ciel les réponses aux questions qui m’assaillent. Par exemple, à propos de mon défunt pote Larry. Dans quelle sale aventure s’était-il engagé, le Ricain ? A cause de sa souris, je pressens. Et puis les voilà morts pour longtemps, tous les deux. Tu parles d’une honey moon à la con !
Et j’ai hérité leurs patins. Des gens s’imaginent que j’avais partie liée avec eux. En somme, j’ai deux groupes d’ennemis sur les endosses. Le groupe chargé d’éliminer Larry, et le groupe attaché aux giries de cette grosse vachasse de Valentine. Pourquoi a-t-elle attendu plus de quarante ans avant de vouloir négocier ce document, la mère ? En ignorait-elle la valeur ? Oui, probablement. Et c’est quelqu’un de son entourage qui la lui aura révélée. Ted Hacklack, sûrement. Son homme d’affaires ! prétendait-elle. Un drôle de pistolet.
Soudain, il m’arrive une idée en prise directe. Le veilleur de nuit de l’hôtel ! Ne m’a-t-il pas dit qu’il était le voisin de Valentine ? Dans ce cas, il doit être en mesure de m’apprendre des choses sur les relations de la grosse. Plus tard, dans la nuit, j’irai l’interviewer. Mais il ne doit pas commencer son service avant zéro heure.
Je vais pour laisser retomber mon rideau, quand deux personnages retiennent tu sais quoi ? Mon attention.
L’un d’eux n’est autre que ce type auquel je pense ; le portier de noye, le second est un grand mec vêtu d’une combinaison kaki de mécano. Tous deux se dirigent vers ma chignole, la première, celle qui est piégée. Le veilleur de nuit la désigne à son compagnon, lequel opine. L’employé de l’hôtel revient vers l’entrée principale d’un pas tranquille. L’homme à la combinaison, quant à lui, se dirige vers une fourgonnette stationnée au centre du terre-plein pour y prendre une boîte à troulala-outils. Il retourne à mon véhicule.
L’Antonio se dit qu’avec lui, c’est comme pour les Galeries Lafayette : il se passe toujours quelque chose.
Du coup, le v’là qui se ressaboule, l’apôtre. Nickel : linge propre, haleine fraîche. J’y vais même d’un coup de Braun sur ma couenne, qu’elle soit bien clean. Paré, comme si on était déjà demain matin et que la journée commence, tu vois ?
Je me charge du pétard gracieusement offert par des gens qui que quoi dont où, tu te souviens ? On ne sait jamais. Notre métier est si tant tellement plein d’imprévus auxquels il faut faire face avec les poings !
Les noces continuent de mettre une ambiance de fête dans le Grand Hôtel. Les jolies demoiselles de la réception se sont barrées. Le portier de nuit est dans le salon du fond, à regarder les ultimes émissions de la Bibici.
Je m’approche de lui par-derrière. Ça passe un feuilleton dans lequel une pin-up ravageuse fait du gringue à un vieux lord moustaché de blanc. Ça dit comme quoi elle lui montre ses cuisses très haut et le vieux lord assure ses lorgnons sur son nez en demandant si elle a un bleu : et alors y a un bruitage de rires, manière de créer l’ambiance.
— C’est si drôle que ça ? je demande.
Le gusman me défrime.
— Oh ? Sir, il fait, justement, le mécanicien est là pour votre voiture. Il a dit de ne pas vous déranger…
Qu’à peine il finit sa phrase, le nuiteux, voilà qu’on entend un badaboum plutôt sévère, en provenance de l’extérieur.
— Qu’est-ce que c’est ? lui demandé-je.
Il hoche sa belle tête dans laquelle la bière fait « floc, floc ? » lorsqu’il la remue.
— Nous avons des mariages, comme presque tous les jours, c’est la spécialité de la maison : les jeunes gens font éclater des pétards…
Je réponds que « ah, bon, très bien », et sors.
J’oblique à gauche sur le parkinge. Dans l’ombre de l’hôtel, ma brouette est toujours à sa place, mais ça renifle bizarre et quand je m’en approche, je distingue un tas verdâtre au volant. Constatations faites, il s’agit du garagiste en combinaison kaki. Il a morflé la charge de plastic dans les précieuses, ce qui lui a pratiqué dans le bas-bide un trou par lequel tu pourrais faire défiler un troupeau d’oies. Ses entrailles bouillonnent entre ses jambes. Il en bascule une bonne partie sur le plancher. Le mec a le front contre le volant et se goinfre d’au-delà car il est tellement mort qu’une sardine à l’huile paraît frétiller comparée à cézigue.
Sa caisse à outils se trouve près de la portière ouverte.
La lueur du plafonnier éclaire lugubrement la scène. Je claque la lourde pour rétablir l’obscurité, non sans avoir donné une bourrade au corps, histoire de le faire basculer sur la banquette. Dans cette posture il attire moins l’attention.
Je respire l’air du large parfumé au varech. M’est avis que tout devient critique pour ma pomme dans ce patelin. La manœuvre est claire : pour me neutraliser, on me mouille. Quelqu’un a téléphoné au garagiste en mon nom ; quelqu’un qui savait la voiture piégée.
L’incident va rabattre les perdreaux du coin que je vois circuler toute la sainte journée à bord d’une voiture bleue à gyrophare marquée « Garda ». « A qui est cette chignole ? » « Mais elle a été louée par mister Sana, mes braves messieurs. » « Et pourquoi ce mister Sana a-t-il loué une deuxième tire ? » « Bédame : parce qu’il avait équipé la première d’une bombe ! » « Alors, veuillez nous suivre, mister Sana ! » Tu piges ? Le temps de sortir de cette piscine pleine de goudron en fusion et ceux que je gêne auront eu le temps de perpétrer ce qu’ils ont inscrit à leur programme. Savoir quoi, that is the big question. Une question à vingt livres !
Ces gens sont convaincus que je suis en Irlanderie pour faire capoter leur projet.
Je vais jusqu’à la fourgonnette du mécano. Sur la portière, on lit :
et, dessous, en plus petit :
Ça se chante ce machin-là.
Tu fais quoi, à présent, l’Antonio joli ?
Je me prends aux parties pour un questionnaire serré.
C’est le grand virage à la corde. Gaffe-toi, mec, de pas percuter le décor ! Tu es observé, suivi, voire même précédé. Tu ignores ce qu’on craint de toi ! O ironie !
Des mecs archigonflés, veulent t’empêcher d’intervenir dans un bigntz dont tu ne sais rien. Shakespearien, non ?
Day and night, prétendait le cher Martin J. Shaffon.
Pour ta gueule aussi, c’est du day and night, et plus encore : du night and day !
Demain, à seize plombes, j’ai rancart avec le meurtrier de la Gleenon pour tenter de lui chouraver les documents exigés par mon illustre président. Auparavant faut que j’aille cueillir le Mammouth à l’aéroport de Dublin. Il arrivera aux aurores. Nous n’aurons que quelques heures pour dresser un plan d’action. Seulement ma liberté ne tient qu’à un fil. Et ma vie aussi probablement. Yaya, cette purée d’angoisse ! Eh ! dis, l’aminche, je vais m’en tirer comment, moi, de ce surmerdier ? Y a une recette pour l’évacuation en catastrophe ? On peut faire jouer un siège éjectable, tu crois ?
Indécis, je regagne l’hôtel. Dans mes os, ma chair, mes veines, c’est le branle-bas de bacon (pardon : de combat). Tout mon être grince comme les câbles tenseurs des voiliers à l’amarre qui paraissent tout cons sans la mer partie en vadrouille.
Imminence. Je connais mes réactions, va. Un coup fourré imminent se mâchicoule. Un truc énorme. La poudrière. Foin des pauvrets documents de M. le King of France. Du grave se mijote ! Du terrific ! et c’est IMMINENT ! Mon dispositif d’alerte intégrale y va de toutes ses sirènes muettes, de tous ses voyants rouges obscurs.
Dans les salles de noces réparties dans le complexe hôtelier, la fête bat son full. Les fêtes ! Des petits gars rouquinos se marient pour engendrer d’autres rouquemoutes et faire peu à peu de l’Irlande l’un des pays les plus peuplés d’Europe.
Le veilleur de noye cause au bigophone. D’après ce qu’il dégoise, il s’agit d’un car de touristes en panne dans les environs de Cork et qui n’arrivera pas ce soir comme prévu.
Je retourne au salon levé. Que vais-je faire ? Ça brûle ! Le feuilleton est terminé. Le vieux lord anglais a-t-il cédé aux avances de la petite salope bouclée à tronche de poupée Patouf ? (Tu les adoptes, c’est touchant.) Y a même une vieille Ricaine qui prend une baby-sitting pour la sienne, quand elle sort. Ô sainte Connerie universelle ! Peut-être qu’il s’est fait mâchouiller un brin, l’Ancêtre ? Souvenir, souvenir. A présent, on passe les actualités. Le big événement, c’est la visite du président ricain en Irlande, pays de ses aïeux et nid de ses amours, aurait dit l’Hugo. Ce soir, y a dîner à Galway, offert par je sais plus qui…
Je mate d’un œil distrait. A cet instant, ça brouhahate dans l’hôtel. Un couple de jeunes mariés qui moule sa noce pour aller au fade dans un coinceteau pépère. Les garçons et demoiselles d’honneur les escortent. Ça rit fort ; ça tonitrue. Le veilleur de nuit revient en maugréant.
— S’ils savaient ce qui les attend, fait-il.
Il me raconte qu’il a été marié à une Ecossaise, elle était si belle qu’elle posait pour les peintres. Un jour…
Bon, je n’écoute plus les misères du gars. Ce que je visionne sur l’écran me pompe l’air, tout soudain. La surprise m’est un seau de flotte dans le minois. Que je t’informe : le Président Reagan, madame, et leurs hôtes, se pointent à l’hostellerie Du Brackmar à la Licorne. Accueil délirant, ovations, poignées de main, sourire Colgate. Ces messieurs-dames prennent place à table. Et c’est alors que j’ai la secousse. Parmi l’assistance, en tenue de soirée, devine qui ? Tu donnes ta langue ? Bon, alors cherche un amateur, elle est trop dégueulasse pour moi.
Parmi l’assistance, donc, l’homme à l’Audi jaune et sa dadame qui pompe si divinement. Ce qu’ils branlent là, je l’ignore, de même que je ne sais s’ils appartiennent au clan irlandais ou au clan américain. Toujours est-il que le couple figure en bonne place dans ces agapes officielles.
Tout cela n’a duré qu’un instant, une poussière de moment, fumée du temps déjà dissoute dans le gros malaxage général. Mais cela suffit pour que le rideau se lève sur de nouvelles perspectives. L’emboîtage se fait sans douleur… Larry venait « couvrir » pour la presse le déplacement du Président ; voyage prévu depuis déjà un certain temps. Récemment, Golhade avait fait la connaissance de Marika, mariage éclair… Elle vient avec lui en Irlande. Leur voyage de noces finit tragiquement une fois que je me suis pointé dans leur espace vital. A la suite de leur « neutralisation définitive », un couple bizarre s’en prend à ma pomme. Me file. Est-ce lui qui bombine ma tire ? Probablement. Peu après, la dadame se jette sur moi et me viole dans la boutique d’un antiquaire aveugle. J’ai droit à la superbe dégustation expresse, qu’après quoi elle s’esbigne sans même me dire au revoir. Le couple s’efface de mon horizon. Et voilà que je le retrouve au banquet présidentiel, un paquet d’heures après les délices dont la femme m’a comblé.
Le veilleur de noye continue de me farcir les portugaises avec ses déboires conjugaux. Pas surprenant qu’elle se soit taillée, Ninette, avec un melon pareil en guise de mari. Les gnières ont des coups de tronche, plutôt des coups de cul, ensuite elles réagissent, découvrent la réalité et se font la paire avec un autre.
Tandis qu’il se met le cœur à jour, je gamberge sur ma ligne à haute tension. Pourquoi la femme à l’Audi jaune m’a-t-elle gloutonné le Nestor au débotté ? Elle serait nymphowoman ? Je revis par la pensée cet instant privilégié. Non, mon pote, mistress Lapipe s’est prodiguée calmement, j’allais dire « scientifiquement », usant d’une technique châtiée, calme et efficace. Rien d’une névrosée. Mais alors, pourquoi ? Par plaisir ?
Tiens, fume ! Elle agissait dans un but déterminé qui n’avait rien à voir avec la volupté.
L’Antonio plante là le portier de nuit. Justement, les infos s’achèvent comme quoi un camionneur de Dublin a violé une jouvencelle qui faisait du stop.
Coudes au corps, quatre à quatre, je grimpe à ma chambre. Me défroque en vitesse l’hémisphère sud.
Après quoi, je dévisse la glace de la coiffeuse et la place sous mon nécessaire à loncher, dans la lumière de la lampe histoire de pouvoir m’étudier l’anatomie par rétroviseur interposé. Quelqu’un qui m’apercevrait dans cette attitude se demanderait à quelle espèce de dévoyé sexuel j’appartiens. Me détrancher à m’en flanquer la torticole, je ne détecte rien de suspect sur mon terrain de manœuvre. Mon chauve à col roulé fait du surplace en attendant des instants plus frivoles, ses deux ballasts le transforment en canon dont le tube dodelinerait. Un système pileux, signe évident de virilité (je ne te fais pas dire, merci), emballe le tout.
J’ai pas l’habitude de m’investiguer les régions secrètes et je trouve cet examen déplaisant. Je déteste mesurer que je suis bassement organique, comme tout un chacun. Pour moi, mon corps n’est que le support de ma pensée et je n’arrive pas à admettre que, lorsqu’il déclarera forfait, mon bel esprit s’éteindra aussi sottement qu’une ampoule électrique quand on actionne l’interrupteur. Enfin, on verra bien !
Une tournée complète de ma physionomie inférieure ne me révélant rien, je m’apprête à abandonner cette inspection lorsque, juste au moment où je dépose le miroir sur le lit, je tique. Oh ! pour peu de chose : un bouton, plutôt un grain de beauté inconnu de moi m’est apparu, à la naissance de mon testicule gauche : celui qui engendre des enfants communistes quand on n’y prend pas garde.
Je reprends mon étude bitologique et dégage ma tignasse frisottée pour pouvoir regarder l’intrus en tête à tête, au fond des yeux.
La « chose » est à peine plus grosse qu’une tête d’épingle ; elle est brunâtre, lisse… Je la gratte avec l’ongle de mon délicieux auriculaire, dont je ne dirai jamais assez des services quotidiens qu’il me rend, depuis le réveil où généralement l’oignon vous démange, jusqu’au coucher où ce sont les oreilles qui vous chicanent.
La « chose » adhère. Grain de beauté, décidément. Il vous en survient, au fil du temps. Votre bidoche qui travaille comme le bois. O.K. Je remets la glace à la verticale de la coiffeuse et regagne mon slip, puis mon pantalon.
Mais quelque chose reste en moi : un mécontentement obscur. Alors j’extrais de mon portefeuille une loupe minuscule et je retombe le bénouze. Cette fois, mon examen plus poussé m’amène à une conclusion formelle : la « chose » n’est pas animale, mais en plastique. A l’aide de mon canif j’entreprends son extraction. L’arrachage est douloureux car ce machin adhérait puissamment à ma peau. A la place subsiste une rougeur consécutive à l’irritation.
Une fois posée sur le buvard du méchant sous-main d’hôtel, la « chose » ressemble à un petit bouton de corsage. Je note qu’elle est lourde compte tenu de son volume. Ma petite loupe en batterie me révèle sa nature. Il s’agit là d’un émetteur lilliputien chargé de révéler mes déplacements. Grâce à cette miniaturisation forcenée, astucieusement appliquée sur mon individu à un moment où des sensations fortes distrayaient ma viande, le couple à l’Audi jaune peut suivre à longue distance mes allées et venues.
Pour lors, je me rhabille complet. Dehors, le brouhaha des mariés qui s’en vont, perturbe la paix du Grand Hôtel. Des klaxons impudents saluent leur départ, comme dans un port les sirènes de bateaux accueillent le voilier venant de franchir l’Atlantique en solitaire.
Brusquement, le silence se fait. Cette brusque cessation du vacarme surprend. Je vais écarter un rideau.
J’aperçois une voiture de police sur le terre-plein, avec son gyrophare en action. Les noceurs croient que la « garda » intervient à cause d’eux et se tiennent coi.
Mais deux policemen en uniforme noir, casquette plate, talkie-walkie fixé au baudrier, sortent de la guinde et pénètrent dans l’hôtel.
« Bon, me dis-je en aparté, car je parle couramment cette langue, cette fois, cela va chier pour mon matricule. Un anonyme a prévenu les archers de ce qui s’est passé. Ils vont trouver le cadavre du garageo, m’alpaguer recta et me faire tant et tant de tracasseries que lorsque j’épouserai enfin Marie-Marie elle sera à la retraite. »
Refusant cette cruelle perspective, je me grouille de quitter ma piaule et d’enquiller le couloir opposé au mien. Quelques instants (au plus) après ma décarrade, je me retrouve sur l’arrière de l’hôtel. Hélas ! je suis du côté de ma première voiture et ne voilà-t-il pas que les flics radinent, escortés du pauvre veilleur de nuit qui, dans la « Famille Pas-de-bol » fait le cocu éploré.
Avisant une voiture décorée de fleurs blanches dont la portière arrière est mal fermée, je m’y coule tu sais comment ? Subrepticement !
Tapi au fond du carrosse, j’attends que ça se tasse.
Une rose blanche est tombée sur le plancher de la vénérable Daimler. Je la respire pour tromper mon poireautage. Putain, être laguche, comme un homme traqué, bientôt poursuivi par les polices irlandaises, avec tout le boulot qui m’échoit ! L’affaire Lesbrouf, les documents de la mère Gleenon à récupérer et, plus urgent que tout, la sécurité de Reagan à renforcer.
Chaque seconde qui s’écoule accroît le danger qui menace le Président américain. Car maintenant, mon instinct est formel : c’est de lui qu’il s’agit. Un complot !
On va profiter de son voyage en Irlande pour le buter.
Tout est en place. Les terroristes chargés de l’effacer avaient dû s’assurer la participation de Larry, à travers sa bonne femme. Attends, je crois que je brûle. Larry était dans ce coup-là. Je me rappelle maintenant ses idées avancées qui m’étonnaient de la part d’un Amerloque.
Oui, oui, bouge pas, l’artiste, je sens que ça vient…
Larry et Marika trempaient dans le complot. Seulement s’est pointé un zigue qui est entré dans leur intimité à l’hôtel de Dublin. Les Golhade sont surveillés. On s’inquiète de ma présence. Rapidement mon identité est percée à jour : San-Antonio, l’as de la police française (si je ne le dis pas qui va le proclamer ?). Les chefs du complot croient à de l’arnaque de la part des Golhade et c’est l’hécatombe !
Remarque, je m’imagine ça, mais peut-être me gouré-je ? Je fonctionne au pif, moi, et il arrive qu’on ait le nez bouché.
En tout cas, l’enfant se présente mal.
Et il se peut que, dès demain, la planète Terre change de physionomie.