Ce que j’admire le plus, chez elle, c’est son instinct.
Sa façon d’assumer les circonstances.
Je gazouille ces vérités premières à la jeune mariée, toujours très fraîche dans sa robe blanche mousseuse !
Belle à croquer, comme disaient nos grands-mères.
Avec nos boîtes tintinnabulantes en guise de traîne sonore, nous traversons des bleds endormis. Ça et là des jeunes attardés sur des places nous adressent une ovation. Cocasse, je te dis !
La nuit est belle, limpide.
Je tends la main droite à Gwendolen, elle me confie sa gauche. Je la porte à mes lèvres pour un baiser galant et fripon à la fois.
— Que fait-il, le fils du patron ? questionné-je, manière de dissiper la gêne qui la biche.
— Des maisons préfabriquées.
— Ce qui lui permet de s’en bâtir une vraie pour lui ?
Elle glousse, amusée par ma boutade.
— Ce ne serait pas en réalité son pognon que vous venez d’épouser ?
Habile comme toutes les nanas, elle biaise :
— Il est très gentil.
— Ça ne suffit pas toujours pour rendre une femme heureuse. Ce dégourdi va vous faire un tas d’enfants qui accapareront votre vie.
Elle croise les doigts de ses deux mains pour conjurer ma prédiction.
— Non, je ricane : pas les doigts, ma chérie : les jambes, ça sera plus efficace.
Elle éclate d’un grand rire perlé. Je ne sais pas ce qu’est un rire perlé, mais j’ai lu ça dans des livres et y a pas de raison que je ne reprenne pas l’expression.
Je tiens toujours la main de ma compagne. Et moi, une pression de main, je grimpe en mayonnaise.
Cette douce enfant s’abandonne. A quoi bon résister quand l’heure enchanteresse carillonne au beffroi de nos sens, comme l’écrivait Canuet la semaine dernière dans l’Humanité Dimanche. Sur ma gauche un chemin creux.
Il est bordé de deux murs de pierre, eux-mêmes dominés par de grands arbres que je te répute séculaires en deux coups les gros.
J’enquille cette voie ombreuse et coupe le jus. Ouf !
Le tintamarre des boîtes vides cesse enfin, rendant une félicité déjà oubliée à nos portugaises.
— Pourquoi vous arrêtez-vous ? s’inquiète Gwendolen en me reprenant sa main.
— Parce que le moment est venu de vérifier que vos lèvres ont bien ce goût de fruits sauvages que je leur suppose. Vous ne croyez pas ?
Mon regard de velours plonge jusqu’au fond du sien.
La glotte monte et descend. J’approche ma bouche de la sienne. C’est su-bli-me ! Elle est inexpérimentée mais pleine de bon vouloir. Sa douce main vient à ma recherche. Me trouve. Quelle découverte pour cette enfant qui ne connaît que le sous-fifre de son marchand de clapiers.
Je sens sa surprise dans ses doigts incrédules, palpeurs, vérificateurs. Mais oui, se disentils, mais c’est bien sûr, il s’agit bel et bien d’un braque. O Seigneur Tout-Puissant, se peut-se donc ? Cela existe ? C’est pas une prothèse mais de la solide bitoune herculéenne ?
Je vais te dire : c’est la première fois que je me paie une mariée dans sa robe blanche. Le temps d’abaisser son siège au maxi et la petite madame est servie ! Bien servie ! Cette partie de jambes, mes très chères sœurs !
Inoubliable. Je crois entendre la Marche de Mendelssohn. Ça stimule ! Vive la mariée ! Un coup de reins stupéfiant. Mes mains s’égarent dans les froufrous !
On entend le cocu qui glapit dans son coffiot. Il crie Help me. Ben, qu’est-ce que je suis en train de faire ?
C’est pas lui porter secours que d’assumer avec un tel brio sa nuit de noces ?
Je suis un grand cynique.
Qui nique.
Il y a des promesses d’aube lorsque nous atteignons Galway.
On longe une anse, et puis un écriteau annonce la capitale du Connemara. Et on découvre des maisons de granit. Le vent souffle fort.
Au même instant, si tout a bien fonctionné, le sire Bérurier doit atterrir à Dublin. Coup fourré. Que va-t-il maquiller, le père-Gradu en ne me voyant pas ? M’attendre ? Mais pendant combien de temps ? Et après ?
Voilà qui s’appelle chasser plusieurs lièvres à la fois.
Je préfère chasser le naturel, lui au moins il revient au galop.
Ma chère Gwendolen a sa tête sur mon épaule et continue de me flatter le bitougneur d’extase, comme s’il s’agissait d’un manteau de zobeline qu’on viendrait de lui offrir.
Elle parvient pas à s’en rassasier. Sa mano doucettement va et vient, monte et descend ; enchanteresse.
Nostalgique aussi, car elle sait que bientôt elle va devoir dire bye-bye à cet instrument incomparable.
— Et maintenant ? elle demande.
Pile la question que je me plaquais sur les méninges.
Dans ces cas d’embarras profond, je branche le pilote automatique, tu le sais. M’en remets pleinement à mon instinct. A lui de prendre le relais, de décider et d’agir.
Pour commencer, j’arrête ma tire sur le parking d’un hôtel qui se nomme the Blackside Hole Inn. Belle enseigne de fer balancée par la houle. Du colombage.
Des fenêtres à petits carreaux… Second point, je fais l’inventaire de mes poches, trouve ce que j’y cherche, à savoir une minuscule seringue extra-plate, et vais ouvrir le coffre. Le jeune marié chiffonné, congestionné, écumant se dresse. Vraie tête à claques. Alors, j’en prends une destinée à calmer ses belliqueuseries, v’lan !
Avant qu’il ait réagi je plante l’aiguille de ma petite seringuette dans le gras de son épaule. Poum ! Ça va lui faire douze heures de dorme. La paix des ménages ! Tu ne peux pas te figurer le nombre de gerces qui filent un somnifère dans le tilleul-menthe du soir de leur bonhomme pour pouvoir s’offrir des moments de détente.
Après quoi, j’extrais les valdingues et referme le couvercle de la malle.
Ainsi lesté, je m’en vas carillonner à la porte de l’auberge, jusqu’à temps qu’un vieux michon pointe sa frime ahurie par l’entrebâillage. Il marche au whisky, le dabe, car son pif ressemble à une lampe de chevet.
— Hello ! qu’il gargouille.
— Hello ! j’y rétroque.
Après quoi il consent à louer une piaule à deux jeunes mariés fourbus. Il précise qu’on a un bobol grand comme un bénitier parce qu’avec la visite du Président il ne reste plus lulure de turnes disponibles à Galway.
Il pousse l’amabilité jusqu’à coltiner les valoches. Moi je porte ma jeune épouse dans mes bras pour lui faire passer le seuil, ainsi que le veut la tradition. Touchant !
On se croirait dans un film en noir et blanc américain, style Les verts paturons.
La chambre est vaste, incommode et laide à faire chialer des émigrés portugais. Elle comprend quatre lits, dont un pour deux personnes, plus un énorme lavabo et deux armoires dans lesquelles pourraient se planquer tous les amants d’une dame que je connais.
Le vieux a sa limace pardessus son bénoche en tire-bouchon (un poivrot pareil ne peut avoir un futal qui ne le soit !). Ses pieds sont bleus avec d’énormes veines violettes. Il traîne d’énormes pantoufles grandes comme des remorqueurs et sa poitrine siffle quand il jacte.
Notre arrivée l’attendrit.
— Besoin de quelque chose, les amoureux ?
— Deux cafés et le téléphone. Je dois appeler Paris d’urgence pour prévenir mon oncle François que nous sommes arrivés à bon port.
— Va falloir que vous redescendiez, y a pas d’appareils dans les chambres.
— O.K.
Je roule une pelle à Gwendolen.
— Mets-toi à ton aise, mon amour, je reviens t’aimer dans un instant.
Elle ne sait plus où elle en est, mais elle y est bien. La plus belle nuit de noces de sa vie, je te répète.
Dommage qu’elle ne puisse pas la raconter.
— Laissez pousser les asperges ! dis-je.
— Vous appelez à des heures impossibles, proteste le secrétaire de permanence.
— Parce que les circonstances m’y contraignent. C’est plus qu’urgent.
Plusieurs minutes s’écoulent avant que je sois en liaison avec l’Illustre. Il cache son sommeil derrière un ton rogue. C’est froid, cassant.
— J’écoute.
— Quelque chose d’énorme, monsieur le président, sans rapport avec ma mission…
— Alors, ça ne m’intéresse pas !
Textuel ! Eh ! dis, il va pas me raccrocher à bout portant, le Grandissime !
— Il s’agit, je pense, d’un complot contre le Président Reagan. Imminent.
Là, ça paie.
— Ah ! non, pas de ça ! Dans quelques jours j’ai besoin de lui pour fêter les quarante ans du débarquement ! Il y aura Moi, la reine, Moi, le roi des Belges, Moi, le grand-duc, Moi, d’autres et Moi ! Reagan, vous devinez ce que j’en pense, hein ? Pas besoin de vous faire un dessin, mon petit vieux. Mais s’il se fait descendre avant cette haute manifestation organisée par Moi et à laquelle je participe, il me la carbonise, ce vieux con émaillé ! Il me le faut absolument. D’autant que les Américains, qu’on le veuille ou pas, ont dans une certaine mesure participé à ce débarquement à nos côtés, n’est-ce pas ? D’accord, il y aura le grand-duc de Luxembourg, mais l’absence des States créerait un malaise et l’opposition m’emmerderait encore. Empêchez qu’on le tue, San-Antonio.
— Je ne puis rien sans vous, monsieur le président. C’est vous qui allez intervenir. Les Etats-Unis vous en sauront gré.
Il s’anime brusquement :
— Bravo ! Et je leur demanderai quelques millions de dollars à titre de prêt.
Dès lors, il m’écoute, le Monarque. Prend des notes malgré sa mémoire infaillible qui lui permet d’oublier tant de choses avec discernement.
Mon Sana automatique, à savoir mon subconscient, dresse un plan précis. Je m’écoute avec intérêt, l’Illustre aussi.
— Vous êtes tout de même un drôle de type, me félicite-t-il. Un soir où il n’y aura personne, vous viendrez dîner à l’Elysée.
Satisfait, je monte retrouver « ma petite femme ».