DICTIONNAIRE ORTHOGRAPHIQUE ET GRAMMATICAL[3]

Elle est occupée à se faire les ongles au moment où je m’annonce sans crier train, ni gare.

En soutien-loloches et slip délicat.

Noirs.

C’est très émoustillant, mais comme j’ai déjà donné, et de fraîche date, je suis moins électrisé que tu pourrais m’y attendre.

Elle croit à la venue d’un larbin et ne réagit pas immédiatement. Tu la materais, sur son lit, le dos contre deux oreillers, assise en tailleur, franchement t’aimerais et tu trouverais ça plus beau que la vue sur le Bosphore.

La voilà qui lève un œil et m’aperçoit. Son mignon pinceau crémeux d’enduit corail reste dressé. Le mien ne va pas tarder à l’imiter. Surtout que son slip arachnéen (j’adore ce mot et je t’en fous partout) bâille un peu, de par la position de la dame, révélant des trésors soupçonnés et admirables.

— Bonjour, je dis en m’avançant ; je viens continuer notre conversation d’hier, chez le brocanteur aveugle.

Je referme la porte. Comme elle est munie d’un verrou, je l’ajuste. Ensuite je pose mes targettes et m’installe sur le lit, face à elle, dans la même attitude bouddhesque. Mon magnéto d’emprunt est branché, je te précise, niveau maximal pour compenser l’épaisseur de l’étoffe.

Je souris. Ça fait plaisir de dominer une situation après avoir été mené en gondole comme ce fut mon cas.

— Continuez avant que ça sèche, conseillé-je.

Je regarde autour de moi et découvre ce que je cherchais, c’est-à-dire un sonorisateur bivalent de conjoncture à distance. Il émet un sifflement continu, très faiblard et le tracé du cadran est immobile.

— J’ai laissé votre microbip à Malahide, dis-je d’un ton badin (Chaplin, lui, parlait d’une voix badine).

Et de montrer l’appareil, bien lui prouver que je suis au courant de tout.

— Vos efforts délicats n’auront servi à rien, poursuis-je-t-il. La preuve, tout est découvert. Le Président vient de mander votre bonhomme et il a déjà une paire de bracelets nickelés aux poignets.

Pas causeuse, ma dégustatrice d’élite. Elle continue de se laquer les ongles ; mais il me semble que le pinceau tremble un peu.

— C’était pour aujourd’hui, n’est-ce pas ?

Ma question demeure sans réponse.

— Vous savez, madame Leczinski, je suis français et, quoi que vous en pensiez, je n’ai rien à voir dans cette histoire. J’étais l’ami de Larry Golhade, jadis, et nous nous sommes rencontrés fortuitement à Dublin. Mais les conjurés qui l’employaient ont cru à la trahison et c’est eux qui ont tout foutu par terre. Eux et vous, puisque c’est le même cierge qui coule.

La dame pose son petit pot triangulaire après avoir revissé le bouchon.

— A titre d’étranger, je suis mandaté par le Président pour vous faire une proposition honnête. Si vous ne me croyez pas, appelez-le !

Je désigne le téléphone.

Elle le regarde machinalement, mais ne fait pas un geste dans sa direction.

— Si, si : allez-y, insisté-je, j’aime que les choses soient nettes.

Elle parle enfin :

— Je vous écoute.

Ouf ! Sa voix passe sur mes trompes d’Eustache comme, hier, sa main dans le décolleté de ma braguette.

— La réélection est pour cette année ; on n’a pas envie, en haut lieu, de faire des vagues. Si vous répondez à quelques questions, ça pourrait peut-être s’arranger sans trop de casse, certifié-je.

Elle me regarde.

— Vous êtes une femme de tête, je le sais. Moi, je ne suis dans tout cela qu’un petit Frenchman fourvoyé. Ce que vous allez me dire sera ventilé à bon escient. Personne dans le clan ricain ne saura que vous avez parlé. Votre époux lui-même l’ignorera. Les services français, pour une fois, auront mis dans la cible. Alors je vous laisse dix secondes pour vous décider.

J’extrais une seconde seringue extra-plate de mes pockets magiques.

— Passé ce délai, si vous n’avez rien dit, tant pis, le ménage Leczinski sera neutralisé. Accident de voiture ! La route du bord de mer est très accidentée dans le Connemara.

Un temps.

— Eh bien, les dix secondes sont écoulées, à vous de jouer.

— Que faut-il dire ? balbutie la jolie dame au slip noir qui bâille.

— C’est pour aujourd’hui ?

— Oui.

— Où cela ?

— Au cimetière de Kelcolick.

— Je sais que le Président et son épouse doivent aller s’y recueillir sur la tombe des arrière-grands-parents. Ce sera donc là ?

— Oui.

— La tombe est piégée ?

— Depuis le jour où le voyage a été décidé.

— Et c’était Larry Golhade qui devait la faire exploser ? Je ne vois pas d’autres rôles pour lui dans sa participation au complot.

— En effet.

— Avec un appareil photographique truqué, je suppose ?

— Exact.

— Il faisait partie des journalistes habilités à flasher l’émouvant instant. A distance, bien sûr. Son grand objectif devait actionner une cellule fulmino meringuée, et badaboum, les chers Reagan volaient en éclats ?

— Oui.

— Naturellement, l’Union soviétique est intéressée par cette affaire ?

Ma jolie interlocutrice croise ses bras et ses jambes pour marquer que l’entretien est terminé.

— J’ai dit tout ce que je pouvais dire, assure-t-elle.

— Eh bien, on tâchera de s’en contenter, madame Leczinsky.

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