AUX ALARMES CITOYENS !

La mignonnette d’Eurocar, elle est kif les infirmières ou les moniteur de ski : elle perd de son charme une fois en civil. Faut se gaffer des élans qu’on ressent pour une gerce en uniforme ; une fois dessapée, tu t’aperçois que son sex-appeal est resté au vestiaire. La môme en question, dans sa petite robe d’orpheline endimanchée, avec son manteau lie-de-vin, à col de fourrure synthétique, elle laisserait tomber sa culotte que tu te baisserais même pas pour la lui ramasser. Je suis un peu gêné de me pointer dans la salle à manger avec ce petit sujet à caution, sous les regards goguenards du couple Golhade.

Pour comble, le maître d’hôtel nous rabat à deux tables de la leur. Je m’efforce d’oublier le journaliste et sa jeune bergère, mais cette dernière balance des chiées d’ondes captatrices et je ne parviens pas à m’évader de son regard.

On est injustes, nous autres, les matous. Voilà que je mets à haïr ma compagne de table, comme je me rappelle pas avoir haï qui que ce soit. Elle est godiche, timide, empêtrée de partout. Elle laisse tomber son couteau et, quand elle le ramasse, c’est son verre de Claret qu’elle renverse, cette sale connasse de merde !

Bien sûr, je me suis baissé pour la devancer, et elle me flanque sa tignasse de quasi rouquine dans les badigoinces, qu’ensuite de quoi, un filet de son picrate m’arrive en droite ligne sur le grimpant ! Les Marx’s Brothers battus, je te promets ! Et mes deux potes qui se tire-bouchonnent ! Ils sont ravis, tu penses ! Y a attractions !

Dîner de gala !

J’enrage. Je maudis ma chiennerie qui m’a fait inviter cette pécore au déboulé, qu’à peine avais-je le pied sur le sol d’Irlande ! Crainte de manquer de carburant ! De passer une soirée alone ! Pauvre glandeur, va ! Laisse qu’elle termine son dessert, poupette, et hop ! Bye-bye, ma jolie, tu m’excuseras, j’ai mes devoirs de vacances en rideau et je dois les expédier to morrow mominge, dernière limite !

Je lui cause du bout des dents et bouffe du bout des lèvres. A leur table, les Golhade font bombance : mon copain du moins. Il s’emporte deux boutanches dans l’estomac : une de white avec la sole meunière, une de rouge avec le gigot à la menthe. Qu’ensuite, il revint au sauternes pour un dessert crémeux grand comme le Sacré-Cœur. Rappelle-toi que cézigue, y a du monde dans son dortoir à calories ! Mais comme ils avaient de l’avance sur nous, ils finissent leur tortore les premiers et se cassent. Parvenu devant ma table, ce fumier de Larry murmure en français :

— T’es sûr qu’elle est chargée des achats, ta belle ?

Ce serait pas plutôt des locations ? Il m’a semblé l’apercevoir à l’aéroport.

— Et alors, ça te dérange, dis, Full of beer ?

Il hausse les épaules.

— Du tout, grand, chacun place ses ambitions où il peut !

Connard, va ! Laisse un peu que je m’arrange avec ta jolie péteuse. Quand je serai passé par là (si je puis dire), les cornes qui te seront poussées t’empêcheront d’entrer dans le hall de l’hôtel.

Eux partis, un peu d’esprit d’entreprise me revient et je trouve ma conquête moins tarte. Aussi lui débité-je de ces sottises qui font tant sécréter les filles de « base extradition » comme dit Bérurier. Si bien qu’à la fin du dîner, un regain d’intérêt pour elle m’a emparé, et je lui propose de monter dans ma chambre boire le dernier.

Elle répond que ça ne serait pas raisonnable, mais que bon, elle voudrait se rendre compte d’à quoi ressemblent les piaules du Shelbourne. Et alors, on gagne mon appartement sans escale.


La môme, j’oubliais de te dire, s’appelle Andréa. J’ai aucune objection à opposer, aussi lui déclaré-je « qu’Andréa, vous devriez ôter votre joli manteau car il fait terriblement chaud ». Eh oui, c’est vrai, elle convient. Alors bon : poum, le manteau ! Je lui montre le petit bar réfrigérateur. Elle accepte de boire une liqueur de whisky au café, résolument dégueulasse. Je lui roule une pelle mémorable avant qu’elle boive, biscotte le goût de ce breuvage me couperait les élans.

Tout va bien. Je trique de force huit sur mon échelle de Richter. Il semble que ce soit bien parti pour miss également. Elle admet que ça serait une richement good idée de s’allonger sur le padock, mais qu’en effet il serait préférable de quitter sa robe, pas la froisser.

Je craignais qu’elle fût en combinaison, ayant une totale horreur de ce sous-vêtement à la con, ni chair ni poisson qui, dans la vestimenture ne rime strictement à rien, t’es bien d’avis ? Il fait sottement petite-bourgeoise honnête, et merde, c’est juste du temps perdu. Bon, heureusement, elle est en culotte et soutien-choses. Les inévitables collants, œuf corse, mais on finit par faire avec. D’autant que je me suis mis un petit truc au point pour en tirer parti. L’adversité rend ingénieux, comme l’a dit je ne sais plus qui, peut-être bien que c’était de Gaulle, ou Jean Gabin…

Tu sais quoi ? Ecoute, comme t’as une bonne gueule, fiston, je te donne la recette. Seulement faut toujours, comme bibi, avoir son petit canif à dispose. Un canif équipé de minuscules ciseaux. Je prie la gonzesse de garder ses collants, et j’incise en gaffant de pas lui sectionner le clito, ni de lui saccager la toison d’or. Si je tombe sur une timorée qu’aime pas voir endommager son matériel, je lui promets de lui en acheter douze douzaines, soit une grosse, par la suite. En fait de grosse, je lui en offre bel et bien une en effet.

Donc je fends le collant sur une vingtaine de centimètres et alors, de carapace honteuse, il se mue en accessoire voluptueux. Je sentais bien qu’un jour je finirais par me l’annexer, ce diable d’instrument barbare. Maintenant, je peux plus m’en passer. Moralité : toujours s’adapter aux circonstances pour en tirer profit.

La petite Andréa, elle est époustouflée par mon audace. Dis, quand elle retournera à Killaloe et qu’elle racontera ça à sa grand-mère, la chère vieille dame en bichera des vapeurs.

La mimiss est à point. Je la travaille à travers la brèche. Toujours sur la brèche, l’Antonio vaillant !

Elle décarre vite fait, cette gosse.

— C’est français ? qu’elle s’inquiète pourtant.

— En plein, je lui rassure. Ç’a été inauguré par le beau-frère national du président de la République auquel s’était jointe une délégation de la Ligue Nationale de la Grosse Veine Bleue.

— Ah bon !

Ce sont ses derniers mots d’anglais. Après, elle incohère, le sensoriel complètement déconnecté.

Faut dire que hors de nos frontières, et excepté dans quelques milieux intellectuels plus ou moins dépravés, on y va point trop à la menteuse.

Faut être fin gourmet pour s’aventurer et en tirer la quintessence… Ou alors t’as des velléitaires qui bouffent grossièrement, à la glouton, comme Médor bouffe sa pâtée. Les frangines, ça les avance à quoi une telle voracité sadique ? Elles ont la sensation d’avoir flanqué leurs miches dans l’un des appareils d’une laverie automatique. Non, pour bien réussir dans cette délicate discipline qu’est la minette chantée, faut être artiste.

Sans me vanter, je suis au bouffage de frifris ce que Georges Mathieu est à la numismatique : l’événement !

Andréa, je peux bien te le confier, elle savait même pas que ça existait cette subtile pratique. Quand je la mets en chantier, elle pige rien tout d’abord. Ce qu’elle peut imaginer, tu te perdrais en conjonctions (C.d.B)[1]. Mais elle aime. Elle gémit d’heureuse surprise, cette douce Irlandaise. Avec une certaine retenue qui ajoute au charme de sa pâmade.

Sa plainte d’amour, continue, berce mon paf d’une raideur phénoménale, comme l’écrivait si justement Verlaine, ce gros dégueulasse, qu’heureusement qu’il était poète !

Va surtout pas te figurer que je te narre mon petit micmac amoureux pour faire du juteux. Pas mon genre.

Mes paferies ne concernent que moi et la dame qui les justifie. Si je déverse, c’est pour te préparer la suite.

Maintenant que tu le sais, vons-y-z-en.

Au plus fort de ma dégustation, je perçois un vague bruit. Je le perçois vague parce que j’ai les cuisses d’Andréa sur les éventails à la libellule, ça neutralise les décibels. On devrait coiffer des casques de ce genre dans les stands de tir de la police. Je suis alerté par un sursaut de ma petite frangine.

Je remonte de la cave pour aller aux nouvelles. Et alors, je te le donne en ce que tu voudras : en cent, en mille, ou en une fois, même, avec dix pour cent d’escompte.

Quelqu’un vient d’entrer. Tu sais qui ? Marika, la femme de mon copain Larry Golhade. J’avais, dans ma hâte d’introduire (et je pèse mes mots) Andréa dans la chambre, laissé la clé sur la porte. Et la faramineuse créature s’est permis d’entrer.

Elle sourit à notre double effarement.

— Larry a été convoqué d’urgence, m’explique-t-elle, alors je suis venue passer un moment agréable avec vous !

La môme Andréa est agonisante de confusion. Elle cherche de quoi se draper, mais dans notre position c’est pas commode car on ne s’est pas donné la peine d’ouvrir le plumard, tu t’en gaffes.

Marika s’approche, le regard allumé comme deux cierges.

— Vous me laissez votre place un moment, cher ami ? me supplie-t-elle. Je suis très éclectique en amour.

Joignant le geste à la requête, elle me pousse.

Déséquilibré (ne le sommes-nous point tous plus ou moins ?) je chois du lit. D’une détente féline, elle y saute. Elle porte un kimono noir avec des dessins jaune et bleu, fluorescents. Une vraie petite diablesse !

Au début, la gentille Andréa tente une opposition farouche, mais Mary-Marika est forte, obstinée et, surtout, terriblement surexcitée.

Alors (que veux-tu que j’y fasse ?) la miss d’Irlande adresse une prière à saint Patrick, comme quoi il doit la pardonner, et se laisse savourer le trésor. Ces choses-là, après tout, appartiennent au genre neutre, hein ? Faut pas être plus loyaliste qu’Eloi.

Pour lors, le spectacle me met le feu aux poudres, le foutre au peu, tout ça… La chaire est faible, comme l’a dit Bossuet le jour où sa tribune s’est effondrée pendant son sermon.

Je m’accroche au wagon. Retroussant le kimono à Marika, je me transforme en photographe de l’ancien temps, tu te rappelles ? Ceux qui flashaient sous un drap noir. J’y vois rien, mais ce que je fais à la jeune mariée, un aveugle pourrait l’entreprendre sans canne blanche.

Nous voilà partis, à trois. Tututtt ! Pacific Express ! Le plumard n’est pas assez long, aussi dois-je rester debout.

On s’exprime à fond dans la figure 54 bis du Kamasoutra, modèles vivants pour inspirer un estampeur japonais.

Ça devient vachement épique. S’il y a des moins de dix-huit ans dans ce book, je leur prie de sortir et d’attendre au foyer, les dames placières se feront un plaisir de leur vendre des esquimaux ou des Toblerone.

Notre formation chenille un brin sous l’effet du plaisir. On a le désir dodelineur, les trois. Devant moi, la ravissante Marika m’écrit tous les multiples de zéro avec son dargif exquis. Je la cramponne à deux fesses pour suivre ses arabesques savantes, pas déjanter en cours de dressage.

Te dire pendant combien de temps on se livre à ces turpides, je pourrais pas, ayant perdu la notion du temps. Mais ma partenaire doit atteindre son terminus car elle s’abat brusquement sur le lit, plouf ! comme déconnectée par l’orgasme. « Eh bien, me dis-je, si elle est parvenue à dame, j’espère que je vais pouvoir me rabattre sur ma compagne antérieure.

Pour cela, je sors de sous le kimono. Ouf ! il y faisait chaud ! Je reste debout, bras ballants, yeux ronds, ne comprenant plus. J’ai eu bien des surprises au cours de ma carrière de flic amoureux, mais de cette taille, faudrait que je relise tous mes autres zouvrages pour récapituler.

Non, je suis certain de n’avoir rien connu de similaire.

Mes deux polissonnes gisent mortes sur le pageot.

Criblées de balles.

Non, mais est-ce que tu as bien entendu ce que je viens d’écrire ?

Réponds !

Tu as lu ce que je viens de dire ?

Elles ont été mitraillées en pleine minouche.

Et moi qui gode encore, my God !

Je distingue la porte ouverte et une légère fumée bleutée qui flotte comme la photo d’un ectoplasme dans la pièce.

J’ai rien vu, rien entendu. On a opéré avec un silencieux, certes, mais à cause du kimono même les petits « tioufff, tioufff » me sont passés inaperçus.

L’instinct de flic ! Je fonce à la lourde. Le couloir est vide. Je bombe en direction de l’ascenseur. Nothing !

L’escalier !

Désert…

Alors, quoi ?

Misérable au-delà de tout, je regagne la chambre.

Par acquit de conscience, je vais examiner mes deux gentilles camarades de cul.

Pas d’erreur, elles sont out. On leur a défouraillé en plein cigare, à moins d’un mètre, tu juges ? Le meurtrier l’a eu belle, tu parles ! En plein boulot comme nous étions ! Y a que l’Andréa qui aurait pu le voir radiner, mais il a dû commencer par elle !

Je vais prendre une petite bouteille de vodka dans le réfrigérateur, bien que j’aie horreur de ces flacons minus. Je la tute d’un trait. En général, elles marchent par deux, les boutanchettes. Oui, voilà sa jumelle : glaoup ! Mais cette double rasade n’a rien arrangé.

Dis, je vais leur raconter quoi, aux flics d’ici ? La vérité ? Qui d’autre la croirait en dehors de toi qui cherches à me faire plaisir ?

Je vais accrocher la pancarte Do not disturb au loquet de la lourde. Puis je tire le verrou. J’aurais dû débuter par ça, au lieu de bouillaver comme dans une grande surface où tout un chacun déferle avec son caddie chargé de fesses !

O Marie-Marie, tu ne méritais pas ce déshonneur !

Qu’ai-je fait, moi que voilà, bandant sans cesse !

Qu’ai-je fait, moi que voilà, de ta jeunesse !

Salaud de Sana !

Une balle dans la tronche pour être fair-play ?

Que non : ce suicide serait considéré comme l’aveu de ma culpabilité.

Il faut que je me tire de ce pétrin !

Mais comment ?

Je vais au bigophone et compose l’international, puis le numéro privé du président. Une voix rêche me répond.

— Passez-moi le président, fais-je, de la part d’Henri Deveau. Vous lui direz que je laisse pousser les asperges !

— Ne quittez pas !

J’essaie de ne pas regarder en direction du lit tragique. Mais l’affreux spectacle me fascine.

Larry est déjà veuf !

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